hosen a écrit :Une maîtrise sage de la fécondité, un rapport sage à l'environnement, une société juste et non violente fondée sur l'éducation, favoriseraient un futur viable.
W4x, la citation est incomplète. L'éducation est la clef de tout. Sans elle, pas de justice, pas de paix. Sans elle, pas de démographie maîtrisée. Pas d'écologie non plus. Et s'il faut chiffrer, je crois que le coût de cette éducation reste bien en deçà des budgets de défense cumulés et des profits amassés par ce 1% des plus fortunés qui accaparent 90% de la richesse mondiale.
W4x a écrit :… [et la] question des enfants dans tout ça ? Quelque chose d'unique, de viscéral, qui dépasse la projection que l'on peut avoir de ce petit être à venir dans le monde.
W4x, tu mets dans le mille du problème
Sapiens.
Cette perception viscéralement unique de l'enfant, c'est tout simplement la perception viscéralement unique que
Sapiens a de lui-même. C'est ce qui le pousse à reproduire, à se reproduire, à se survivre par la reproduction. À la fois en tant qu'espèce (taxon ou clade), mais aussi en tant qu'individu qui désire l’au-delà de sa mort personnelle dans la continuité de sa descendance, de sa famille, de sa tribu, de sa terre, de sa nation, bref, dans tout ce qu'il associe à soi-même, et qu’il attribue à son identité
1.
Cette conscience
particulière de soi qu’a
Sapiens, de son être individuel et mortel, de sa fragilité de poussière qui retourne à la poussière, a façonné ses mythes, ses religions, mais aussi l’art, le sentiment tragique, la philosophie, l’idéalisme, les idéologies, et l'idée même de progrès.
Je vois, peut-être à tort,
Sapiens résumer et incarner cette contradiction de la reproduction. Car, dans le jeu de l'évolution, de l'apparition et de la disparition, il n'y a pas de tragédie en soi. C'est simplement la vie à l'œuvre, telle qu'elle est et telle qu’elle agit dans le temps : des possibilités, des mutations lentes ou plus rapides dans la succession des générations, des adaptations constantes de chaque partie du vivant à la multiplicité des autres parties, dans une totalité dont l'unique dessein est de perpétuer la vie — la vie, dans la complexité et l’abondance de ses formes, dont l’intelligence sensible est le fruit.
Et, de fait, sur une échelle de temps plus vaste que la vie des individus, le vivant produit la vie, mais ne la reproduit pas. Il produit l’évolution, non la reproduction.
Or, me semble-t-il,
Sapiens se reproduit ; il produit de la reproduction ; il en est obsédé, autant que l’idée de la mort le fascine et l’obsède. Et c'est, je crois, cette obsession, cette illusion mortifère sur la nature de la vie, cette
contrefaçon de l’évolution sous l’aspect du progrès, qui animent, mettent en scène et dirigent le théâtre sombre et inquiétant du monde contemporain.
Voilà donc, pour moi, l’essence et le but de l’éducation : se libérer de ces illusions, éclairer ses illusions, toutes les illusions qui constituent l’héritage dangereux des générations qui nous précèdent, et qui sont aussi notre évolution.
Tel est le paradoxe.
Aussi, la première éducation de
Sapiens serait qu’il se relie à la vie plutôt que s’en séparer à cause de la mort inévitable ; qu’il commence à se relier à toutes les vies, à la vie des autres, à commencer par les conditions de vie de l'humanité tout entière. Qu’il comprenne et accepte sa condition d’individu comme condition de tous les individus sans distinction d’être
2, et qu’il renonce ainsi à ses préjugés, ses conditionnements, à son égoïsme aveugle, spontané, et quasi naturel d’Homo Sapiens.
Et c’est bien là que se pose la question de l’enfance, question qui s’illustre avec une acuité douloureuse dans la condition cruelle que
Sapiens s’impose à lui-même, à travers cette descendance dont il prend,
malgré les apparences personnelles, si peu de soin.
Tout enfant est merveilleux. Tout enfant porte la vie, l’avenir. Mais alors, pourquoi préférer cet enfant-là plutôt qu'un autre ? Pourquoi privilégier le sien ? Désirer autant un enfant à soi ou de soi ? Désirer de plus un enfant comme ci ou comme ça ? garçon ou fille ? intelligent ? beau ? que sais-je ?
Pourquoi fantasmer, obtenir, la chair
idéale de sa chair ?
Quelle folie ! Quelle insanité !
Et les autres ? Tous les autres ? Pourquoi ignorer ou négliger tous ces autres enfants qui portent tout autant la vie et le devenir ? Comment tolérer leurs souffrances, leur pauvreté, leur indigence, la santé et l’éducation dont ils sont privés ?
L’éducation commencerait donc par là : par questionner le progrès au nom de l’évolution, et non l’évolution au nom du progrès
3.
Sinon quoi ?
Sinon, la tragédie individuelle se métamorphosera, s’élargira monstrueusement en tragédie collective.
Mais c’est peut-être la caractéristique génétique de Sapiens ? Peut-être que ce taxon ne survivra pas à son évolution ? Peut-être est-il d’ores et déjà condamné par son évolution dont l’environnement puissamment dégradé de l’Anthropocène est tout bêtement la conséquence ?
Espérons le contraire.
Envers et contre tout.
Agissons sans faiblir et sans cesse par l’éducation et pour l’éducation — à commencer par la sienne, dans cette vie — afin qu’elle puisse servir aux autres, à nos enfants, à tous les autres, à tous les enfants. Il est urgent d’évoluer de
Sapiens à
Sophus, en agissant en
Homo Educatis !
Enfin, si cette lecture vous a désespéré (ce qui n’est pas mon souhait), n’y a-t-il pas quelque réconfort à observer que, pour la vie qui produit sans cesse la vie, il n’y a pas de destin, pas de fatalité, ni aucune tragédie.
Car tout n’est qu’un rêve, dans le grand rêve de l’être et du temps.
1. identité, notion politique contemporaine, trouble et xénophobe, où ressurgissent les racines encore vivaces de l’
Imperium Romanum dont la langue usait du mot
hostis pour signifier à la fois l’étranger et l’ennemi.
2. d’être sensible, animal, végétal, etc.
3. ce que font les transhumanistes.