Judith a écrit : ↑dim. 29 janv. 2023 14:46
D'accord.
Et cette Lune, alors? La critique est globalement excellente, mais un ami avec qui je viens d'en discuter est resté de marbre.
Moi j'aime beaucoup.
Le Voyage dans la Lune
Musique de Jacques Offenbach
Livret d'Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier
Direction musicale d'Alexandra Cravero
Mise en scène de Laurent Pelly
Opéra-Comique, janvier 2023
Il n'est peut-être pas inutile de situer le contexte. Il s'agit d'une production de la Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique, formation composée de jeunes chanteurs, la distribution était donc composée d'un seul professionnel (Franck Leguérinel) et pour le reste, d'élèves âgés, comme indiqué dans l'habituelle introduction au spectacle, de 7 à 27 ans. De cette particularité découlent deux caractéristiques principales, la première étant que l'on y entend des voix en devenir, la seconde que les proportions de la pièce (en effectif et en longueur) ont été réduites.
Et donc, il faut certes accepter le principe consistant à prendre une partition écrite pour un spectacle initialement monumental et de la réduire aux dimensions vocales de la maîtrise, aux dimensions physiques d'un plateau qui n'est pas celui du Châtelet ou de Garnier, et à une durée contrainte. En pareille circonstance il est plutôt d'usage de faire
Didon et Énée ou autres opéras chambristes. Le souhait de garder une durée approchant les deux heures et surtout celui d'aborder une œuvre rare me semble cependant louable. Il faut toutefois garder en tête que ce spectacle n'a pas pour but de se substituer à une version intégrale ni, surtout, à une restitution de l'ampleur d'origine. D'ailleurs il me semble assez logique de penser que tant qu'à faire, il est plus prudent de choisir dans ces conditions une œuvre peu connue : trancher aussi franchement dans
Carmen ou dans
Les contes d'Hoffmann aurait au contraire certainement rebuté une partie du public.
Or, de mon point de vue, ce travail de mise à l'échelle a été effectué avec le plus grand soin.
L'orchestre a été dégraissé afin de laisser de la place aux voix juvéniles. Un léger travail d'aménagement de l'orchestration a été réalisé. L’intervention d’Alexandra Cravero est à cent lieues au dessus d'une
Vie parisienne présentée dans ces lieux dans les années 2000 (sous l'ère Savary), qui laminait l'orchestre d'Offenbach. Ici l'essentiel de la palette de couleurs de l'orchestre d'opéra français est préservée et l'on ne se rendrait compte des modifications que par un léger manque de consistance des cordes (principalement les graves).
Maîtrise oblige, le centre de gravité du chœur est largement déporté vers les aigus ; en revanche le son est magnifique, loin des voix blanches et de l'émission saturée qu'infligent certains chœurs d'enfants. Je suppose que le fait de maintenir les voix muées dans les pupitres de soprano y est pour beaucoup (de nombreuses maîtrises ne gardent que des voix muées "masculines" pour les ténors et les basses et ne conservent pas les filles au delà de la mue) ; mais au total je trouve que l'institution peut être fière de sa maîtrise.
L'œuvre a été copieusement coupée, ceci afin de permettre, toujours d'après la conférence d'avant-spectacle, que les élèves, venant de toute la région parisienne, puissent rentrer facilement chez eux par les transports en commun. Or une comparaison s'impose ici avec la production marseillaise d'il y a un an, qui avait été réduite, pour sa part, pour cause de conditions covidesques. Sur un plan strictement musical, j'ai très largement préféré les coupes choisies par l'Opéra-Comique à celles de Marseille. Ici, ce sont principalement des numéros complets qui ont été supprimés, ceux subsistant étant pour l'essentiel conservés dans toute leur longueur - un aspect perceptible dès l'ouverture jouée intégralement. À Marseille, nombre de séquences étaient raccourcies, ce qui donnait clairement l'impression que le compositeur aurait eu les idées courtes. Ce point n'a de mon point de vue rien à voir avec le fait de connaître préalablement l'œuvre ou non, beaucoup de choix marseillais donnaient l'impression d'une composition expéditive.
Comme de toutes façons la distribution n'incluait aucun danseur, les deux ballets ont été supprimés à l'exception d'une seule des séquences du ballet des flocons de neige (la 4e, "les flocons animés"), choix valant mieux, toujours en référence à Marseille, que de tout effleurer en raccourcissant tout.
Hors des ballets (représentant à eux-deux une vingtaine de minutes), la principale amputation concerne les 3e et 4e actes avec la suppression totale du "marché aux femmes" (y compris l'air des charlatans et la vente aux enchères) et du jugement (principalement parlé) précédé du chœur au clos des pommiers. La suppression du marché est justifiée par l'idée de ne pas faire jouer aux enfants la séquence de la vente des femmes aux enchères, je pense pour ma part que cette séquence n'est pourtant pas la marque d'une complaisance envers un sexisme obsolète mais au contraire une dénonciation. Il faut dire que cette éviction est problématique quant au dénouement, devenu ici sans enjeu narratif (déjà qu'il était un peu expédié dans l'œuvre elle-même), et qu'elle fait disparaître deux numéros musicaux intéressants, celui des charlatans et celui de la vente parodiant cette de la
Dame blanche. Je n'ai pu m'empêcher de penser que maintenir la scène des charlatans aurait eu le mérite d'expliquer l'empoisonnement du roi Cosmos ici expédié dans un dialogue... Mais il fallait de toutes façons respecter une longueur contrainte, donc ça n'aurait pas été non-plus. Et au passage, pour contre-balancer l'ampleur des coupes, il faut signaler la restitution d'un air pour la reine Popotte, dont je me demande s'il n'est pas tout simplement inédit (en tous cas il est omis par l'édition du Palazetto Bru-Zane).
Les choix de Laurent Pelly me semblent en tous points préférables à ceux d'Olivier Fredj à Marseille. Pas de concept plaqué sur la pièce qu'on abandonne plus ou moins en cours de route, une distinction visuelle très nette entre les deux planètes qui pourtant ne contredit pas le propos renvoyant les deux monarchies dos-à-dos, une ambiance douce-amère : la Terre bien-aimée est une décharge jonchée d'emballages en plastique (le geste de réjouissance de la foule étant de jeter des emballages en l'air), montagnes de bouteilles d'eau minérale d'où de très belles lumières font jaillir une poésie singulière et paradoxale ; la Lune est immaculée mais ce sont ses mœurs qui laissent un goût de désenchantement.
Cette pièce à grand spectacle est ici lue avec une sobriété aussi assumée que maîtrisée, quand le spectacle de Fredj faisait beaucoup plus ressortir le décalage entre les moyens (de l'époque) et les proportions à la fois réalisables et artistiquement admissibles (d'aujourd'hui). Et ce faisant, Pelly est à la fois plus littéral et constamment lisible.
La direction des solistes autant que des masses chorales est comme souvent superbe et parfaitement rythmée, totalement dépourvue néanmoins de cet excès de frénésie et de gags visuels que certains se pensent obligés d'ajouter quand il s'agit de présenter une œuvre légère peu familière du public.
Un seul choix m'a semblé difficilement tenable, celui de confier à un ténor plutôt qu'à un soprano le rôle du prince Caprice. Je ne me l'explique que d'une seule manière : avec la suppression de la scène du marché et donc du rôle du ténor, ravisseur de la princesse, la Maîtrise n'avait plus aucun moyen de mettre en avant l'un de ses ténors. Soit. Or, pour une raison physiologique (à ma connaissance, mais je peux me tromper) la maturité de ce type de voix (ainsi que des basses et des contraltos) est plus tardive que celle des sopranos et des mezzos. Le jeune Arthur Roussel donne tout mais la projection, et la solidité d'intonation se dérobent souvent, le vibrato est (encore) hors de contrôle. Or c'est le rôle le plus lourd, même si l'air des charlatans est supprimé et celui de l'obus confié à Franck Leguérinel. De manière générale ces jeunes messieurs (rôles de Microscope, Cosmos, Cactus et premier garde) ne rivalisent pas encore avec leurs homologues féminines.
De ce côté, la princesse Fantasia composée par Ludmilla Bouakkaz m'a semblé plus que prometteuse. Quelle assurance ! Rachel Masclet (Popotte) n'est vraiment pas loin derrière et Violette Clapeyron (Flamma), plus faible pour l'instant, bénéficie d'un timbre déjà en bonne voix que n'ont pas encore les garçons. La soprano en charge des courtes répliques du premier forgeron et d'Adja (non précisé sur le programme mais je suppose qu'il s'agit de Salomé Baslé, créditée comme première demoiselle du choeur sélénite) me semblerait avoir la voix pour le rôle de Caprice...
Assurance et présence partout en revanche, et quelles que soit le niveau vocal, dans les dialogues. La diction est partout superbe et digne de la tradition des lieux, preuve de la qualité époustouflante du travail réalisé par Sarah Koné à la tête de la Maîtrise*. Le chœur est toujours intelligible, ce qui n'est pas la moindre des qualités. Avec ce que cet ensemble maison semble promettre en matière de retour à un esprit de troupe et à un savoir-faire propre à l'institution, j'ai le sentiment que mon théâtre favori est de plus en plus sur la bonne voie.
Au total, une fois fait abstraction des performances encore modestes de plusieurs de ces chanteurs débutants, cette production m'a semblé largement supérieure à celle de Marseille qui n'a pour elle que ses solistes plus expérimentés. C'est un spectacle cohérent et on ne peut plus viable en tant que tel, très au dessus d'une simple restitution d'élèves.
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* Ça c'est pour le nombre de fois où j'ai entendu au début de
Carmen des chœurs d'enfants infliger : "
Nous marchons la tête hotte". Grrr. Chat pas content. Ffffschiiiii.