À propos du journalisme

[shinoune]

Un grand merci pour ce sujet qui puise dans notre histoire proche pour interroger notre époque.

Je n'ai pas encore tout lu et pour ne pas sauter des étapes de la réflexion, je vais prendre le temps de le faire tranquillement.

Mais comme j'ai travaillé dans ce monde entre 1988 et 1992 pour le quitter ensuite par perte d'illusion et dégoût alors que ma culture journalistique avait ses racines déjà dans l'avant guerre, je pense que je reviendrai poser quelques questions, voire ajouter un regard basé sur mon expérience.

Alors à bientôt.

Shine

[Cyrano]

Je viens de lire un aphorisme de Nietzsche que je trouve très juste et d'une grande modernité. Voilà ce qu'il disait de la presse au 19è siècle, et que l'on pourrait très bien lire au 21e sans que cela n'ait pris une ride :

Si l’on considère qu’aujourd’hui encore tous les grands évènements publics se glissent secrètement et comme voilés sur la scène du monde, qu’ils sont cachés par des faits insignifiants, à côté desquels ils paraissent petits, que leurs effets profonds, leurs contrecoups ne se manifestent que longtemps après qu’ils se sont produits, – quelle importance peut-on alors accorder à la presse, telle qu’elle existe aujourd’hui, avec sa quotidienne dépense de poumons pour hurler, assourdir, exciter et effrayer ? – la presse est-elle autre chose qu’une fausse alerte permanente qui détourne les oreilles et les sens dans une fausse direction ?

Je trouve que l'avènement d'internet, et l'apparition des chaines d'info continue (Le "Voici" du journalisme télévisuel selon moi), renforce encore ce bruit de fond qui empêche les gens de voir. Selon le principe inaltérable du net qui précise qu'à toute info il existe son contraire, l'accès à l'information relève du parcours du combattant. Je me faisais la réflexion encore hier soir lors d'un dîner où les convives peuplaient leurs phrase de "j'ai lu un article", expression ne semblant souffrir aucune contradiction, vu que c'est "écrit dans un journal".

On peut bien sûr se réjouir du fait que la multiplication des organes de presse empêche une certaine mainmise sur l'information, mais dans la soupe indigeste qui nous sert de presse aujourd'hui, bien malin celui qui parvient à en extraire l'essence. Cela demande un réel effort, une remise en question permanente des sources, et une profonde envie de comprendre.

La presse a selon moi un énorme pouvoir, et elle s'en sert très mal. Capable de faire, ou de défaire des carrières, de foutre la vie d'un homme en l'air, ou encore de l'encenser, de porter à la lumière certains faits de société, et pas d'autres. Par un effet boule de neige, chacun voulant être le premier à diffuser une info, c'est finalement la médiocrité qui gagne, et le bruit au dépend du son.

Prenez les crash d'avions. Avez-vous remarqué qu'ils semblent se produire en série ? Eh bien non. Tous les jours, des avions se crashent. A Grenoble, début Janvier, 5 morts (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/ ... -morts.php), info reléguée au rang de fait divers. Mais SI un avion de ligne s'était écrasé 3 jours avant, faisant deux-cent morts, cette info aurait fait les gros titres, tout comme les autres avions de tourisme qui s'écrasent partout dans le monde tous les jours. On aurait droit à des "La sécurité aérienne en question" et autres bêtises pendant des semaines, relevant le moindre incident du moindre appareil vaguement volant.

Et c'est ça pour moi le bruit, la bêtise et la désinformation. On prend un fait, on l'érige en fait de société alors que quiconque prend un minimum de recul se rend compte immédiatement que la sécurité aérienne se porte de mieux en mieux.

Il en a été de même avec les soi-disant armes de guerre dans les banlieues où nous étions sensés vivre au milieu de gangs ultra-violents alors que le nombre de morts par balle stagne depuis bientôt vingt ans, et est un des plus bas du monde.

Dans tout ce foutoir informe, les paroles de Nietzsche résonnent 150 ans après, nous montrant finalement que la notion d'évolution est tout de même bien relative.