Petit matin, à l'orée d'une aube qu'il espère, l'Oiseau pointe son bec par la porte-fenêtre et enquête l'air. Déjà il tique, de ces sriits, triitts et tchics trahissant des flopées de Turdidés, un cri de contact loin de leurs mélopées, de ces merles qui se profilent dans l'obscurité habillés de jais, de ces grives que l'on dit trilles, tourdes, improbable espagnole pour une nordique voire vigneronne, celles que l'automne étrille.
Une volute nicotinée accompagne un café fumant et aiguille la boussole d'Eole, confirmant un ressenti sibérien l'air de rien. Un regard est porté aux lointains ventilateurs de la transition, ces squelettes de métal toisant la Madeleine et ses Monts rougeoient au jour prochain, trahissant des vents à l'unisson. Les joues vont rosir et les doigts s'engourdir loin de belle saison.
Vite, il est temps de prendre poste, prendre la porte de mon humanité. L'oiseau que je crois être volète jusqu'à mon spot, cet espace aux aguets, son banc rustique d'une planche brute d'un chêne d'ici entouré de billes de feux mes pins, non des quilles mais plus qu'une béquille pour qui prend racine le temps d'un émerveillement.
Un pressenti était né la veille de ces sentinelles postées le long de la voie. Des copains douaniers des emplumés s'étaient enquiquinés tout un matin, accoudés au Jura voisin dans un temps vain, jusqu'à ce que le soir l'espoir revient ! Une échappée d'un peloton, quelques volées à contretemps de leur matinale écologie qui pointent le bout de leur plumes, précédent la vague automnale tant espérée. Alors du haut de sa colline, l'oiseau scrute les vallons, reluque les Monts et recoins du ciel pour compter quelques timides envolées. L'astre solaire se drape de stratus voire de nimbus, l'air mord le corps jusqu'à l'esprit des certitudes, le doute en turpitude...Et si ces ailés tant aimés avaient virés de bord, vers l'Allier changent de voie préférant tribord qui si bas ?
Bon an mal an, le ciel se colore de bleu, par petites touches, quelques volées de ramiers défilent telles des fusées, les passereaux passent haut, le vent porteur les mets hors de portée du compteur, celui qui conte les saisons par ses observations.
La matinée s'égraine agrémentée de mésanges et chardonnerets, hôtes d'ici ou d'une halte en Air BnB gras cieux, qui aux tournesols balanciers s'agrippent pour s'agrainer. Vint le temps de midi, un œil sur les comptes contente l'oiseau, 33000 et ses centimes, un décompte qui sustente l'émotion mais frustre l'ambition, symptôme de déraison.
Puis le vent tourne, le ciel s'azure, de "stratusphérique" les vols flirtent la limite, effleurent la canopée et épousent le paysage, épuisant le comptage mais époustouflant les sensations. Les groupes se grappent et grossissent, on passe d'une décimale à une centennale pour évaluer le flux, les passereaux sont délaissés, non laissés pour compte mais pour mieux se concentrer. La vague arrive, la marée monte par une houle régulière, les chiffres défilent, d'abord appliqués pour être lisibles pour devenir pattes de mouches, presque risibles, situation d'urgence pour ne pas gober, à savoir se laisser déborder. Ne laissons pas nos têtes aux linottes quand le temps est aux alouettes !
Un contact avec les compteurs d'ailes à proximité, contempteurs de notre rapport à cette vie qu'ils content donne le la à la situation, la voie est sur moi.
L'après midi décline, la page se remplit, l'âme aussi. De boules en écharpes, des cordons qui s'hélicent, délice, plaisir de sidération par déraison, Les centaines deviennent milliers, les premiers records tombent et parfois me surplombent, du plus gros vol (9200) au passage total (96000) dans ce maigre temps que nous offre le jour en cette saison. Les 10000 sont une formalité alors qu'ils restaient vécu comme une finalité, le cap des 200000 est espéré, presque fantasmé.
Le soir est là, et le flux ne faiblit pas. Alors le boisement se pare d'elles épuisées, ailes éprouvées par un tel voyage, nulle énergie pour un ramage. La plupart étaient hors de nos limites d'un territoire qu'on dit posséder ce matin même, si loin d'une géographie dont elles se font fi. D'autres, par l'envie du lointain tentent encore d'avancer face à l'obscurité, un paradoxe pour qui ne vole que de jour. Poussées par l'instinct, les vols bleutés deviennent cuivrés, se raccrochant les unes aux autres comme pour les pousser jusqu'au lendemain sous une lumière rasante. Un ballet, préambule de la nuit, anime alors la canopée où chacun cherche sa place, une simple brindille au confort spartiate, un craquement qui passe pour une attaque. Le Wallcreeper rase les murs, laissant champ pour ne pas heurter qui reprend souffle de vie. "Be quiet", nos autres se sont invitées chez nous pour la nuit.
Et au final, qu'en dira t'on ? Qu'a l'indifférence, la torpeur des bipèdes environnants, 240000 palombes ont survolé une contrée de 200 âmes en une journée, un record aujourd'hui pour une banalité d'hier. Des oiseaux qui sont pour certains nés cet été, loin d'ici, mais si proches par l'effet de nos modes de vie, n'en subissant que le désagrément de notre humanité plutôt que l'émerveillement de notre animalité.
Dommage pas de vidéo, le fichier témoignant de cette folie est trop lourd !
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