Que lisez-vous en ce moment ?

[Judith]

@GraineDeNana ne t'en fais pas. Je lirai ta réponse avec plaisir quand tu auras le loisir de la rédiger. D'ici là, bon courage!

[Judith]

Parfois je me demande pourquoi j'écoute France-Culture.
Enfin bref, toujours est-il que je me suis laissée entraîner à acheter le dernier roman de Philippe Claudel, après avoir entendu un entretien avec l'auteur (disponible ici Rentrée littéraire d'hiver : le conte crépusculaire de Philippe Claudel.)
J'aurais dû me méfier dès l'intitulé de l'émission, mais j'aime bien Claudel et le sujet de Crépuscule était prometteur.

Dans un village perdu aux marches d'un Empire anonyme, jadis grandiose mais désormais rongé par la déliquescence, le Curé est assassiné d'un jet de pierre. Les notables s'inquiètent, le gouvernement, tardivement prévenu, s'alarme d'un crime incompréhensible tandis qu'enquêtent le Policier, un homme du Sud au passé douteux et aux mœurs secrètement frénétiques et son Adjoint, un géant simple d'esprit amoureux des forêts et des animaux. La petite communauté musulmane du lieu, installée depuis des siècles et parfaitement intégrée, au point que ni les noms, ni les mœurs de ses membres ne se distinguent plus de ceux des catholiques, s'efforce de son côté d'aider à la résolution d'une énigme qui risque de mettre en danger sa position...

On est chez Claudel, dans son univers hiératique et barbare, entre neige et forêt, entre histoire vivante et mythe immémorial. Le thème réel du livre ne met pas longtemps à se dévoiler (je pense que mon résumé le laisse deviner sans peine) et les épisodes s'enchaînent selon l'implacable mécanique que l'auteur sait depuis longtemps monter. C'est lent, c'est noir, c'est beau, la froidure et le minéral composent une somptueuse allégorie d'un monde désenchanté où l'âme humaine n'a plus grand chose à espérer. Oui mais...
Mais c'est trop long, c'est déjà traité cent fois chez l'auteur, on a l'impression de relire Le rapport de Brodeck en moins puissant. On s'ennuie un peu, alors qu'on devrait s'émerveiller et trembler . Une très belle fin, pleine de tumulte et de douceur, rattrape en partie l'affaire, mais tout de même, c'est un peu décevant.

Quelqu'un d'autre l'a lu?

[Judith]

Cette fois-ci, c'est une lecture qui m'a été conseillée. Mon avis est mitigé.
Il est cinq heures, le cours est terminé. Bergson, itinéraire. (Michel Laval, PUF 2023).

Il s'agit d'un essai assez court et très soigneusement écrit. Il reconstitue, comme l'indique son titre, l'itinéraire intellectuel et académique d'Henri Bergson. Nous suivons le philosophe depuis ses premières lectures, à onze ans, dans la pension parisienne où ses parents l'avaient placé (voire abandonné) à la veille de la Commune jusqu'à sa mort en 1941, quelques mois après la promulgation des lois raciales par le gouvernement de Vichy, lois qui l'excluaient de la communauté nationale à laquelle il avait choisi d'appartenir. Né d'un père polonais et d'une mère anglaise, tous deux juifs, Bergson devait passer par tous les degrés de l'intégration, du Concours Général au Collège de France, à l'Académie Française et au Prix Nobel de littérature, pour devenir "le plus français des philosophes" et connaître un immense succès à la fois chez ses pairs et auprès du grand public. Dès la fin des années vingt toutefois, il allait se trouver en butte à un rejet de plus en plus net, en partie politique et raciste, puis tomber assez rapidement dans un oubli qui, à la veille de sa mort, était à peu près complet.

Le texte de Michel Laval, qui tente une réhabilitation très méritée de l'homme et de l’œuvre, se situe à la croisée du récit historique et de l'essai de vulgarisation : il se lit vite, sans ennui, et présente rapidement les grands axes de la pensée bergsonienne en la situant avec clarté dans le panorama intellectuel de son temps. Je l'ai peu goûté pour ma part malgré mon intérêt pour son sujet : un peu ampoulé malgré sa brièveté, trop dithyrambique, presque jusqu'à la naïveté par moments, il trace souvent des raccourcis un peu trop audacieux pour être tout à fait satisfaisants (par exemple sur le rapport de Bergson à Jaurès ou à Kant). C'est néanmoins une lecture très agréable où l'on peut s'instruire avec plaisir, ce qui n'est pas rien.

[Judith]

Prends ma main de Dolen Perkins-Valdez (tr Emmanuelle Aronson) Seuil 2023

1973, Montgomery, Alabama : au Planning familial, sept infirmières se dévouent à la cause des femmes avec un zèle de religieuses laïques, et en particulier au sujet, crucial dans des milieux ruraux pauvres et majoritairement noirs, du contrôle des naissances. Parmi elles, la dernière arrivée, Civil Townsend, se voit charger du dossier d'une famille très défavorisée, les Williams, dont les deux filles, analphabètes et handicapées mentales, doivent recevoir des injections contraceptives. Civil est fille d'une bonne famille noire, père médecin et mère artiste peintre, elle est brillante et incertaine de sa destinée : elle a renoncé à faire médecine pour se rapprocher des milieux populaires et a avorté l'année précédente. Rapidement, des doutes la taraudent : le médicament qu'elle administre est-il ce qu'il semble être? Sa supérieure blanche est-elle aussi bien intentionnée qu'elle le croit? Les filles Williams ne sont-elles pas trop jeunes pour êtres mises sous contraceptif? Le consentement des parents, illettrés et bénéficiaires de l'aide sociale, est-il véritablement éclairé?

Je n'en dis pas plus long pour ne pas trop dévoiler l'intrigue : le roman est la transposition d'une affaire éthico-médicale (l'affaire Relf) qui fit grand bruit dans les années 70 et entraîna un procès retentissant. Ce procès permit de dévoiler et d'interrompre partiellement le vaste programme d'eugénisme mis en place par le gouvernement américain, programme dont les principales victimes étaient les femmes des populations noires et mexicaines pauvres des états ruraux et des quartiers urbains défavorisés. Il est habile et bien écrit, sans plus, un peu trop didactique mais passionnant sur le plan historique. L'auteur a enquêté avec rigueur et minutie sur l'affaire Relf, elle a rencontré ses principaux acteurs ou leurs descendants et et s'est inspirée de sa recherche pour écrire son livre, qui se lit avec beaucoup d'intérêt et, parfois, d'émotion.

[Gail]

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan

C'est une critique au vitriol de la génération "réseaux sociaux" au travers du destin croisé de deux femmes, du 1er Loft Story à l'année 2031.

Je ne l'ai pas encore fini mais c'est prenant et dérangeant à souhait...

[Nounours]

Une journée dans le cerveau d'Anna de Sylvie Chakron
C'est le décryptage de ce qui se passe dans le cerveau de cette jeune Anna, une citadine active, situation par situation.
L'ouvrage est relativement bien conçu et simple à lire, vulgarisant simplement les neurosciences. Il est fait en deux parties : le quotidien d'Anna et le décryptage de chaque situation.
Personnellement j'ai opté pour le choix de l'alternance entre un passage du quotidien et un passage de décryptage même si l'auteure a positionné cela différemment dans le livre (tout le quotidien au début et le décryptage à la fin).

[Tortue]

Je lis les carnets d'Hubert Nyssen dans lesquels il consigne son quotidien d'éditeur. J'ai aussi commencé des lectures légères en ce début de vacances : Le Bossu de Paul Féval et L'Afére Pecârd de Hergé (autrement dit L'Affaire Tournesol en francoprovençal).

[homer]

J'ai bouclé il y a quelques temps "Le théorème du Parapluie (ou l'art d'observer le monde dans le bon sens)" de Mickael Launay. Il donne un aperçu - qui parait assez baroque au début - sur différents manières de se représenter le monde, et aborde de manière assez marrante les logarithmes, les fractales, et les géométries non euclidiennes. Le côté brouillon que je ressentais dans les premiers chapitres prend du sens en arrivant à la fin: on réalise qu'il s'agissait (à mon avis)principalement de poser les bases pour pouvoir présenter la théorie de la relativité. En ce qui me concerne ça a bien marché, et je comprends maintenant que nous avançons tous vers le futur à la vitesse de 300 000 km/s, c'est quand même pas mal

[Swinn]

Exact Mikael Launey est assez agréable à lire, c’est un bon vulgarisateur pour les béotiens de mon niveau. J’ai lu aussi le grand roman des maths il y a quelques temps dont l’écriture fluide et pédagogique m’avait beaucoup plus. Si il pouvait seulement s’éviter ses digressions politiques ce serait parfait.

[Sean]

Mon compagnon post-extraction de dents de sagesse sur ces dernières 48h: Paresse pour tous d'Hadrien Klent. L'aventure d'un prix Nobel d'économie qui devient candidat à l'élection présidentielle 2022. Il se lance sur la base de la publication de son dernier livre démontrant qu'une société avec une semaine à 15h de travail productif peut exister en France.

J'ai beaucoup aimé, très inspirant sur notre choix de société à venir. Une confrontation de l'ancien monde avec le changement radical plein de bon sens dont nous aurions besoin

[enufsed]

J'étais parti pour lire du Bernanos, mais avec les travaux de la maison tout est dans des cartons, j'ouvre un carton puis un autre, au troisième je tombe sur mon gros volume de la montagne magique. J'ai pensé à @Calvinethobbes , voilà, je suis dessus, pour un bout de temps sans doute vu que mes soirées se résument parfois à une demi-heure...

[Judith]

voilà, je suis dessus

Je t'envie de le découvrir, c'est un des plus beaux romans du monde. Bonne lecture!

[Tortue]

Ça fait longtemps que je veux le lire. La découverte des Buddenbrook m'avait enchanté.

Je lis des extraits du Livre des Rois de Ferdowsi, en attendant de pouvoir me procurer la traduction intégrale de Pierre Lecoq.

[baptiste]

alors, je poste pas souvent ici mais la je suis tombé sur un bouquin que j'ai bien aimé

Dévolution De Max Brooks

Alors Max Brooks est l'auteur de World war Z Que j'avais bien aimé à la base, et de Guide de survie en territoire zombie qui m'a longtemps fait me demander si ce mec était complètement cinglé ou aimais pousser la blague très loin. Pour ne pas trop digresser je reviens au livre qui m'amène ici.

Le pitch (à ma façon mais sans spoiler):

Une communauté (que je qualifierais personnellement de "Bobo écolo technologique") se retrouve coupée du monde, suite à une catastrophe naturelle, et va donc devoir survivre et s'adapter, déjà pas facile en soi, mais la difficulté augment d'un cran lorsque qu'un invité imprévu et véhément s'invite dans la partie : le bigfoot.

Mon ressenti

Alors j'avais adoré le style de l'écriture dans world war z, et l'auteur reprend le même format, à savoir un journal intime, entrecoupé d'interview d'experts. C'est assez spécial à lire mais on s'y fait très bien.
Niveau du style je dirais que si on aime le survival horror (light au demeurant) on est servi, ce mec sait clairement faire monter la sauce, et je me suis clairement laissé prendre au jeu, il y a une ambiance qui monte lentement pour devenir de plus en plus anxiogène (enfin pas trop quand même) et la tension monte et nous donne envie de continuer a lire.

J'ai terminé le livre en une nuit (encore 5minutes et j'arrête...je finis le chapitre...il me reste plus que 50 pages...ah mince le jour se lève et j'ai pas dormi) ça m'étais pas arrivé depuis des années. Et pourtant l'intrigue est révélée dès le quatrième de couverture, et il annonce la fin dès les dix premières pages...

Bref j'ai adoré

[Judith]

Cul-de-Sac : une plantation à Saint-Domingue au XVIIIème siècle de Paul Cheney (traduction Christophe Jacquet, Fayard 2023)

Traduction, après cinq ans d'attente, d'un ouvrage américain déjà considéré comme un classique.

C'est la description méticuleuse et systématique d’une sucrerie française du XVIIIème siècle, à partir d’un corpus exceptionnel : l’auteur a dépouillé la correspondance entre les propriétaires de la fabrique, les Ferron de la Ferronays, et leur intendant Corbier, ainsi que celle interne à la famille, comprenant une série de lettres avec les cousins métropolitains qui commente l’abandon de la plantation suite au soulèvement des esclaves et à l’indépendance de l’île, et court jusqu’ à la réception de l’indemnité votée en 1826 en faveur des colons expropriés.
Ce matériau d’une densité remarquable, qui couvre tous les aspects de la vie de la sucrerie, des détails familiaux les plus intimes (comment marier la fille de la famille et que faire lorsque son mariage échoue) aux questions économiques les plus cruciales (comment faire prospérer l’entreprise et en tirer le maximum de bénéfices pour la famille et pour le royaume) est exploitée avec une grande intelligence par l’historien. Son approche consiste à croiser les sujets appartenant à l’histoire économique comme le fonctionnement spécifique de l’économie de plantation, source majeure de la richesse de la France au XVIIIème siècle, avec ceux relevant de l’histoire des mœurs, de l’histoire des mentalités et du domaine complexe des sensibilités politiques. On découvre ainsi, par exemple, les incertitudes de l’intendant Corbier : il a lu Rousseau et y a gagné le sens de l’humanité, qu’il doit combiner avec les nécessités de la productivité car il a aussi lu Adam Smith. Il lui faut donc améliorer la santé des esclaves au nom de la sensibilité rousseauiste et de l’unité du genre humain, (ainsi que pour accroître les gains de la plantation), mais sans sacrifier la hiérarchie des races et la logique de la servitude indispensables au système économique en place. En résulte un hôpital où les malades sont soignés, mais aussi enchaînés aux barres des lits et soumis à la portion congrue. Par ailleurs, pour régler un conflit intra-familial, quoi de mieux que de solliciter de ses patrons « le don d’une négresse » pour calmer les ardeurs sexuelles de son fils ? Corbier est pourtant un homme des Lumières, très conscient de l’être et lucide sur les apories qu’entraîne sa position.
Les contradictions, intellectuelles, psychiques et économiques des auteurs des lettres sont évidentes, qu’ils soient patrons coloniaux, intendant, petits nobles métropolitains, tous intelligents, cultivés et attentifs aux évolutions de leur siècle et à ses enjeux géopolitiques. Les stratégies inventées pour les résoudre sont multiples et parfois très ingénieuses. Le système n’en constitue pas moins un « cul de sac » justement par ses aspects inconciliables, et sa fragilité interne est le revers de son efficacité externe à court terme. La Révolution française, qui déclenchera deux ans après ses débuts l’insurrection des esclaves de la Plaine du Nord de Saint-Domingue et entraînera la perte des sucreries, ne mettra pas fin à une structure qui constitue l’un des « fleurons » les plus caractéristiques du capitalisme, même si elle signe le terme des aventures à Saint-Domingue des Ferron et des Corbier.
Le livre est vraiment magnifique, traitant de tous les aspects de la plantation avec une exhaustivité qu’aucun résumé ne saurait rendre C’est un exemple exceptionnel du meilleur usage possible de la micro-histoire, lorsque l’exploration systématique d’un microcosme avec toutes ses particularités ouvre des perspectives passionnantes sur des mondes beaucoup plus vastes, et jusqu’au nôtre.

[Miss souris]

Oh Judith, merci pour ce compte rendu enthousiaste, je vais mettre ça dans mes lectures d'été, ça a l'air passionnant !

[GraineDeNana]

Très intéressante suggestion, @Judith !
Ton résumé me ramène à 12 Years a Slave que j'ai vu récemment (même si le lieu et la période diffèrent, le film se passe vers 1840 en Louisiane), où les tensions générées par le système esclavagiste sont au premier plan du scénario.

Pour info, on peut lire les 40 premières pages de Cul-de-Sac(en gros l'introduction et une partie du premier chapitre) gratuitement en ligne, cela donne une idée de la présentation.

[Judith]

Je me suis (re)lancée dans Bernanos.
C'est un auteur que je fréquente depuis ma jeunesse, presque mon enfance, avec toujours le même mélange d'admiration et d'exaspération. Des "grands écrivains catholiques" français du XXème siècle, c'est probablement le meilleur, en tout cas le plus impressionnant, mais quel raseur par moments!
Bref, j'ai entrepris de relire le tryptique L'imposture-La joie-Un crime et je suis tout de même contente. Je sais que le troisième roman est largement mon préféré, donc je patiente en traversant la nuit intérieure de l'abbé Cénabre, en attendant de retrouver Évangéline et ses affres amoureuses.
En parallèle, je vais revoir quelques adaptations cinématographiques de Bernanos : pas le triptype, qui n'a jamais tenté de cinéaste (il y aurait pourtant de quoi faire de sacrés films) mais Sous le soleil de Satan de Pialat, et les deux Bresson. Miam.

[Tortue]

C'est un auteur que je n'ai encore jamais lu, même si j'ai Les grands cimetières sous la lune et Sous le soleil de Satan dans ma bibliothèque. J'y viendrai !

J'ai commencé l'exceptionnel C'est moi qui souligne de Nina Berberova, après avoir suivi l'histoire de la découverte et de la publication de son œuvre dans les carnets d'éditeur de Hubert Nyssen. Parallèlement à cette lecture de longue haleine, je lis Arabesques : l'aventure de la langue arabe en Occident de Henriette Walter et Bassam Baraké et Beyrouth 2020 : journal d'un effondrement de Charif Majdalani.

[Marie5613]

Je lis "Les nuits étoilées de Vincent Van Gogh" par Jean-Pierre Luminet, je suis passionnée par Van Gogh donc je peux tout lire sur le sujet, tant que c'est bien écrit et intelligent

[GraineDeNana]

Bon, je n'oublie rien, même les questions un peu anciennes.

mon deuxième éditeur préféré, Monsieur Toussaint Louverture

Pourquoi aimes-tu cet éditeur? Le nom est impressionnant, bien sûr, et les couvertures des volumes sont très travaillées (petite impression d'une imitation de Zulma dans certains cas mais j'ai sans doute tort). En revanche, les auteurs ne me sont presque pas connus, sauf Emil Ferris pour Moi ce que j'aime, c'est les monstres, et Steve Tesich pour Karoo, les deux seuls livres de cet éditeur que je possède. Quels noms ou quels titres recommanderais-tu chez lui?
Et la deuxième question, évidemment, quel est ton premier éditeur préféré?

Allons-z-y.

Mon premier premier éditeur très préféré c'est Actes Sud.
Je ne suis pas sûre qu'il faille justifier un aussi bon choix

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mais si quelqu'un.e insiste je le ferai

Concernant Monsieur Toussaint Louverture, j'ai bien conscience qu'il s'agit d'une toute petite maison (120 titres publiés semble-t-il) mais j'en suis tombée amoureuse.
Ce que j'apprécie d'emblée c'est sa volonté de nous remettre sous les yeux des textes (ou chez Lynd Ward une absence de texte) déjà publiés mais tombés dans l'oubli. Le premier roman que j'ai acheté c'est comme toi Karoo, j'ai été frapppée par la bonne tenue d'un texte dont je n'avais jamais entendu parler.
Ensuite, il fait la part belle aux romanciers américains du XXème, or mes plus belles émotions littéraires sont dues à plusieurs d'entre eux (Faulkner, Dos Passos, Cormac Mc Carthy, Don De Lillo, Russel Banks, Steinbeck, Paul Auster (dans une moindre mesure), Bret Easton Ellis, Jim Thompson, et j'en oublie sans doute). Bien sûr, ces grands écrivains sont publiés ailleurs, mais chez Toussaint Louverture je rencontre des écrivains américains de moindre ampleur, qui ont peut-être été lus par les autres et qui me racontent encore et encore une Amérique qui m'intéresse.

Mais surtout Monsieur Toussaint ramène à l'avant de la scène l'objet livre.
Il faut creuser plus profond dans mon rapport aux livres pour comprendre. Je vis entourée de livres qui constituent comme des murailles (des remparts ?) autour de moi (et même un peu parfois en travers de mon chemin ). Mon environnement et la manière dont il est agencé ont une importance très grande pour moi, et jouent beaucoup sur mon équilibre psychique (il me semble que ce n'est pas le cas de tout le monde, j'ai certains amis qui ont besoin que les choses soient fonctionnelles et/ou confortables, suffisament jolies, et tout va très bien pour eux alors). Quand je regarde les piles de livres, j'y vois à la fois un contenu (c'est un humain qui les a écrit, sur l'expérience duquel/delaquelle je m'appuie, ou auquel je peux me confronter) et un contenant (un objet, qui a lui aussi été façonné par un humain, avec d'autres expériences et aspirations). Je ne suis pas du tout indifférente au format ou à l'aspect du livre, par exemple dans les livres de poche je préfère de très très loin acheter des Folios ou des Babel, je n'aime pas du tout la collection du Livre de poche et je suis contrariée quand le texte que je veux lire ne se trouve que dans cette édition, même si je vais finir dans ce cas par le prendre. Encore un exemple, j'ai une forte envie de lire le dernier Bret Easton Ellis, Les éclats, publié dans la pourtant honorable collection Pavillons chez Laffont, je me suis donc rendue en librairie pour l'acheter, mais quand j'ai touché la couverture, la piètre qualité du carton, et constaté l'aspect éditorial déplorable à mes yeux j'ai presque eu l'impression d'un sacrilège (l'éditeur ne peut pas faire mieux que ça pour me présenter un texte aussi intéressant ?) et j'ai renoncé à mon achat (pour l'instant, je le lirai sans doute en poche l'an prochain, je ne suis pas pressée). Je n'ai pas eu envie de faire entrer dans ma vie un tel objet.
Donc quand je rentre chez un libraire (et ça m'arrive de nombreuses fois dans le mois) ou dans une bouquinerie, mon premier moment est visuel. Je promène mon regard sur les étagères et les étalages, et je me laisse guider le plus souvent par une impression sensorielle (ensuite je regarde plus en détail et je fais mes choix de manière plus construite, bien sûr, j'ai lu tel article sur ce roman, cet auteur...). Je suis rentrée au Bal des Ardents il y a quelques années, et sur une petite table scintillait une couverture, c'était Karoo.

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Je ne te rejoins pas trop sur la notion de copie de la couverture des Zulma, au contraire chez Zulma tout est terne et triste, j'ai beaucoup de mal à investir leurs romans car les couvertures ont une identité trop faible à mes yeux.

Je m'approche, on se plaît, mais une petite voix intérieure me met en garde : attention au prix de cet objet attirant ! Quoi, 13 euros 50 ! pour un livre aussi soigné, cela m'a paru vraiment bon marché.
En outre je note sur la tranche un petit animal gravé là (il sera donc visible quand je passerai devant l'étagère ) et le nom de la collection : Les grands animaux. Quel éditeur nomme une collection ainsi ? je fonds immédiatement.

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D'ailleurs je regarde sur le site de l'éditeur, et je constate que c'est exactement ce qu'il a voulu faire, je cite : "Les grands animaux sont une collection qui rassure Monsieur Toussaint Louverture, dans laquelle sont publiées des livres cultes, des grands romans et des chefs-d'oeuvre, de façon suffisamment belle pour que vous ayez envie de les voler mais suffisamment accessible pour que vous n'ayez pas à le faire." Tout à fait ce que j'ai ressenti ce jour-là.

Voilà donc le premier pas de ma relation à Toussaint Louverture (et ensuite le roman m'a beaucoup plu, et vu son prix raisonnable j'ai pu l'offrir à des amis).
Par la suite, cela n'a fait que se confirmer, j'ai acheté récemment Le conquérant avec une couverture cartonnée magnifiquement illustrée et de belle qualité (sans compter la qualité du roman), pour un prix très raisonnalbe. Mon entourage qui me connaît bien m'a offert sans se concerter et sans que je mentionne jamais cet éditeur un Earl Thompson énorme dont la couverture appelle immédiatement à la toucher et un autre pavé, La maison des feuilles. Car chez Monsieur Toussaint Louverture on aime bien les pavés. Et moi aussi . (Il me semble que sur ce forum ça ne pose pas de problème.)

Des titres que je recommande :
- La maison des feuilles de Danielewsl, un OVNI littéraire devenu culte et où la typographie tient une grande place, d'où l'importance de la qualité éditoriale.
- En tout cas le coffret des "romans" de Lynd Ward, regroupés sous le titre de L'éclaireur, où comment raconter des histoires complexes à partir de gravures uniquement, c'est vraiment incroyable. Cet homme a inventé le roman graphique entre 1930 et 1937, les gravures sont en outre très modernes.
- (Je n'ai pas beaucoup aimé par contre la série de BD Mind MGMT)
- Ma fille te recommande la série des Blackwater , plusieurs de ses amies ont beaucoup aimé aussi, c'est une saga familiale mâtinée de Xfiles, en tout cas une possible lecture d'été !
- Tatoo de Earl Thomspson, pour mieux comprendre le background de romanciers américains plus contemporains comme Breat Easton Ellis ou Cormac Mc Carthy.
- la série des 3 romans de Jan Kjaerstad qui commence par Le séducteur puis Le conquérant est complexe et ambitieuse, valant lecture.

Voili, voilà, cette réponse un peu différée

[Judith]

Merci de cette réponse détaillée. Je te répondrai un peu plus tard mais le sujet du livre en tant qu'objet et des maisons d'édition est intéressant en soi, je me demande même s'il ne mériterait pas un fil particulier. Comme je suis, pour une part, du métier, (j'édite des livres et j'en écris), j'ai un avis assez proche du tien et en même temps un point de vue un peu différent.
J'essaierai de développer au mieux quand j'en aurai le loisir. Je note soigneusement, en attendant, tes recommandations.

[GraineDeNana]

Pour une fois j'écris pour déconseiller.
En janvier de cette année, 10/18 a lancé en collaboration avec le magazine Society une collection intitulée True crime, censée réaliser une cartographie du crime aux Etats-Unis.
Plutôt séduite par le concept (je m'intéresse aux faits divers comme reflets de la société, De sang-froid m'a passionnée, ainsi que plusieurs Jaenada), j'ai acheté L'affaire Alice Crimmins : en 1965, dans le Queens à New york, deux enfants disparaissent, leur mère est accusée. Vraiment de quoi faire un livre passionant. Eh bien 200 pages (écrites très gros et bien aérées) plus loin, j'ai appris ni plus ni moins que ce que j'aurais pu apprendre en colligeant quelques articles sur le sujet. LA quatrième de couverture m'informe que la journaliste dresse le portrait d'une époque, en fait elle assène par-ci par-là quelques phrases bien pensantes sur la société patriarcale de l'époque, très peu de références sociologiques robustes. Même sur le plan purement journalistique, il y aurait encore beaucoup à faire, par exemple à la fin du livre il y a une carte du quartier et des lieux où sont découverts les enfants, mais il n'en est pas question de manière précise dans l'enquête, les pistes sont très peu creusées. Bref, je suis très déçue !

[Tortue]

Mon premier premier éditeur très préféré c'est Actes Sud.
Je ne suis pas sûre qu'il faille justifier un aussi bon choix

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mais si quelqu'un.e insiste je le ferai

Quelqu'un insiste

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Je suis rentrée au Bal des Ardents il y a quelques années

Oh, j'ai fréquenté assidûment cette librairie quand je vivais à Lyon. J'ai rarement vu son égale.

[Tortue]

Après un mois passé en compagnie de Nina Berberova, je commence Hot Maroc de Yassin Adnan, qui décrit la société marocaine actuelle par le biais de la calomnie numérique organisée.