GraineDeNana a écrit : ↑mar. 16 mai 2023 06:45
Merci Napi, je croyais réellement que ce terme désignait les personnes noires.
Ah, c'est une question que je connais un peu. En France, l'expression a une histoire très particulière : son origine se trouve au XVIIème siècle et il faut alors la comprendre dans le cadre de la situation aux Antilles, où la population, qui pouvait être d'origine européenne, indienne ou africaine, se divisait en plusieurs catégories juridiques selon des critères complexes. Sans entrer dans les détails, les "hommes de couleur", dits aussi les "libres de couleurs" sont alors tous ceux qui ne sont ni esclaves, ni propriétaires d'esclaves. La "couleur" ne fait pas référence à l'ascendance africaine ou indienne. Néanmoins, il y a de nombreuses confusions et on l'applique parfois aux esclaves ou aux blancs pauvres. L'expression se spécialise toutefois assez rapidement pour désigner les personnes issues de plusieurs origines, comme le dit à la fin du XVIIIème siècle l'Abbé Grégoire (dans les termes de l'époque, donc à bien contextualiser en se souvenant que l'auteur de la phrase est un défenseur acharné des hommes de couleur et des esclaves) :
Les dénominations "gens de couleur", "sang-mêlés", sont insignifiantes, puisqu’elles peuvent également s’appliquer aux Blancs libres, aux Nègres esclaves, etc. ; mais dans nos isles, l’usage a restreint l’acception de ces mots à la classe intermédiaire, dont les individus Blancs et Noirs sont les souches
En réalité, c'est un peu plus complexe : durant tout le XVIIIème siècle, "gens/hommes de couleur" est employé de façon non péjorative alors que "sang-mêlé" est une insulte, car à l'époque on croit à la notion de "pureté du sang". La catégorie est toutefois, même sous cette appellation apparemment neutre (très courante et employée dans les ordonnances royales) soumise à des restrictions : les libres de couleur ne peuvent ni exercer des fonctions judiciaires, ni être médecins, ni acheter des offices, ni être anoblis. Ils peuvent, en revanche, acquérir des terres et être propriétaires d'esclaves -ce en quoi ils sont au-dessus des Juifs, à qui ces deux dernières activités sont également interdites (en plus du reste évidemment).
A partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, ça se complique à nouveau, car la classe des "libres de couleur" réintègre les esclaves d'origine entièrement africaine affranchis et les indiens : elle n'est donc plus réservée à ceux que nous appelons aujourd'hui les métis et reprend à peu de choses près son sens d'origine. Mais durant la Révolution française, on en exclut à nouveau, sous l'influence des planteurs (blancs ou métis) les "nègres affranchis", ou "noirs libres" donc les anciens esclaves supposés d'origine africaine (beaucoup ont concrètement des ascendants européens mais on n'en tient pas compte). Plus tard, l'esclavage est aboli - en 1793- et la catégorie perd sa valeur juridique pour simplement désigner des personnes d'ascendance africaine et/ou indienne, mêlée ou non.
Au XIXème siècle, l'esclavage et la traite sont rétablis (en 1802) puis abolis à nouveau (en 1848) mais le sens de la locution "de couleur" ne va plus beaucoup varier. Les "hommes de couleur" sont exclus des carrières militaires, juridiques et médicales que la Révolution leur avait brièvement ouvertes ; on retrouve sous l'Empire le même type de ségrégation que sous la royauté. En même temps se met en place un racisme "scientifique", issu essentiellement des théories de Buffon, mais c'est une autre histoire.
L'expression est donc bien française (et non un américanisme comme on le croit parfois) et son histoire est complexe. Elle n'est pas un euphémisme à proprement parler. Aujourd'hui, elle est presque tombée en désuétude et ne s'emploie quasiment plus dans les couches les plus jeunes de la population.