Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

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GraineDeNana
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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par GraineDeNana »

Napirisha a écrit : lun. 15 mai 2023 22:26 Pour "personne de couleur", de ce que j'en ai compris, c'est un décalque de l'américain "people of color", qui vient de milieux militants pour désigner une expérience commune à toutes les communautés non "blanches" dans un contexte d'inégalité économique et de racisme ( terme qui recouvre " African Americans, Asian Americans, Native Americans, Pacific Islander Americans, multiracial Americans, and some Latino Americans" nous dit Wikipedia.). Donc ce ne serait à la base pas tellement un euphémisme pour éviter de dire "noir", plutôt une catégorisation plus large jugée nécessaire / utile par certains dans un contexte de lutte sociale. Et un terme qui vise à décrire des dynamiques sociales plutôt que des situations individuelles, donc. Je ne sais pas quelle pertinence ça a en contexte européen, c'est un sujet que je connais mal.
Merci Napi, je croyais réellement que ce terme désignait les personnes noires. C'est curieux de désigner les Latinos comme "non-blancs", est-ce qu'en France cette expression englobe la population maghrébine alors ? (ce que je n'aurais jamais pensé spontanément).
Edit : aux US, cela correspondrait peut-être à "non-WASP" mais en France ?
Quand on arrive au monde, la vie est déjà commencée. C'est pour ça qu'on ne comprend rien à l'histoire.
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Judith
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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par Judith »

GraineDeNana a écrit : mar. 16 mai 2023 06:45 Merci Napi, je croyais réellement que ce terme désignait les personnes noires.
Ah, c'est une question que je connais un peu. En France, l'expression a une histoire très particulière : son origine se trouve au XVIIème siècle et il faut alors la comprendre dans le cadre de la situation aux Antilles, où la population, qui pouvait être d'origine européenne, indienne ou africaine, se divisait en plusieurs catégories juridiques selon des critères complexes. Sans entrer dans les détails, les "hommes de couleur", dits aussi les "libres de couleurs" sont alors tous ceux qui ne sont ni esclaves, ni propriétaires d'esclaves. La "couleur" ne fait pas référence à l'ascendance africaine ou indienne. Néanmoins, il y a de nombreuses confusions et on l'applique parfois aux esclaves ou aux blancs pauvres. L'expression se spécialise toutefois assez rapidement pour désigner les personnes issues de plusieurs origines, comme le dit à la fin du XVIIIème siècle l'Abbé Grégoire (dans les termes de l'époque, donc à bien contextualiser en se souvenant que l'auteur de la phrase est un défenseur acharné des hommes de couleur et des esclaves) :
Les dénominations "gens de couleur", "sang-mêlés", sont insignifiantes, puisqu’elles peuvent également s’appliquer aux Blancs libres, aux Nègres esclaves, etc. ; mais dans nos isles, l’usage a restreint l’acception de ces mots à la classe intermédiaire, dont les individus Blancs et Noirs sont les souches
En réalité, c'est un peu plus complexe : durant tout le XVIIIème siècle, "gens/hommes de couleur" est employé de façon non péjorative alors que "sang-mêlé" est une insulte, car à l'époque on croit à la notion de "pureté du sang". La catégorie est toutefois, même sous cette appellation apparemment neutre (très courante et employée dans les ordonnances royales) soumise à des restrictions : les libres de couleur ne peuvent ni exercer des fonctions judiciaires, ni être médecins, ni acheter des offices, ni être anoblis. Ils peuvent, en revanche, acquérir des terres et être propriétaires d'esclaves -ce en quoi ils sont au-dessus des Juifs, à qui ces deux dernières activités sont également interdites (en plus du reste évidemment).
A partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, ça se complique à nouveau, car la classe des "libres de couleur" réintègre les esclaves d'origine entièrement africaine affranchis et les indiens : elle n'est donc plus réservée à ceux que nous appelons aujourd'hui les métis et reprend à peu de choses près son sens d'origine. Mais durant la Révolution française, on en exclut à nouveau, sous l'influence des planteurs (blancs ou métis) les "nègres affranchis", ou "noirs libres" donc les anciens esclaves supposés d'origine africaine (beaucoup ont concrètement des ascendants européens mais on n'en tient pas compte). Plus tard, l'esclavage est aboli - en 1793- et la catégorie perd sa valeur juridique pour simplement désigner des personnes d'ascendance africaine et/ou indienne, mêlée ou non.
Au XIXème siècle, l'esclavage et la traite sont rétablis (en 1802) puis abolis à nouveau (en 1848) mais le sens de la locution "de couleur" ne va plus beaucoup varier. Les "hommes de couleur" sont exclus des carrières militaires, juridiques et médicales que la Révolution leur avait brièvement ouvertes ; on retrouve sous l'Empire le même type de ségrégation que sous la royauté. En même temps se met en place un racisme "scientifique", issu essentiellement des théories de Buffon, mais c'est une autre histoire.
L'expression est donc bien française (et non un américanisme comme on le croit parfois) et son histoire est complexe. Elle n'est pas un euphémisme à proprement parler. Aujourd'hui, elle est presque tombée en désuétude et ne s'emploie quasiment plus dans les couches les plus jeunes de la population.
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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par nemo »

Swinn a écrit : ven. 12 mai 2023 21:24
J’entends de plus en plus cette nouvelle façon de décrire les choses par : en situation de…
Il est en situation de handicap
Elle est en situation d’obésité
IL est en situation de chômage
Elle est en situation irrégulière

On ne peut plus dire : il est handicapé, elle est obèse , il est chômeur, c’est une illégale….?

Est ce qu’il ne faut plus exprimer les choses comme elles sont, que le réel est si violent qu’il faut l’adoucir pour qu’il devienne supportable, ou bien il y a une autre raison ?
Pour ma part, c'est une formulation qui me gonfle même si je vois bien ce qu'on peut éventuellement trouver de louable dedans, à savoir mettre la distance entre la personne et une de ses caractéristiques peu enviable ou valorisante. Mais il me semble que l'adjectif fait déjà très bien le job. "Une personne handicapée", ce n'est pas la même chose qu'"un handicapé". Du coup, ces histoires de situation m'évoquent plus le fait de surjouer une apparente considération pour les personnes. L'accent mis sur le discours, souvent au détriment de la sincérité. Ça me parait ridicule, comme toute la novlangue environnante.

Après, je veux bien dire qu'IM est en situation de grandeur et que les arbres sont en situation de verdure, mais je vais vite fatiguer.

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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par Tortue »

nemo a écrit : lun. 22 mai 2023 13:26
Swinn a écrit : ven. 12 mai 2023 21:24
J’entends de plus en plus cette nouvelle façon de décrire les choses par : en situation de…
Il est en situation de handicap
Elle est en situation d’obésité
IL est en situation de chômage
Elle est en situation irrégulière

On ne peut plus dire : il est handicapé, elle est obèse , il est chômeur, c’est une illégale….?

Est ce qu’il ne faut plus exprimer les choses comme elles sont, que le réel est si violent qu’il faut l’adoucir pour qu’il devienne supportable, ou bien il y a une autre raison ?
Pour ma part, c'est une formulation qui me gonfle même si je vois bien ce qu'on peut éventuellement trouver de louable dedans, à savoir mettre la distance entre la personne et une de ses caractéristiques peu enviable ou valorisante. Mais il me semble que l'adjectif fait déjà très bien le job. "Une personne handicapée", ce n'est pas la même chose qu'"un handicapé". Du coup, ces histoires de situation m'évoquent plus le fait de surjouer une apparente considération pour les personnes. L'accent mis sur le discours, souvent au détriment de la sincérité. Ça me parait ridicule, comme toute la novlangue environnante.

Après, je veux bien dire qu'IM est en situation de grandeur et que les arbres sont en situation de verdure, mais je vais vite fatiguer.
Je suis d'accord avec ce message sans partager l'agacement.

Ce qui est agaçant selon moi, ce sont les personnes qui disent "personne en surpoids" comme si "gros" était une insulte, "malentendant" au lieu de "sourd", "black" au lieu de "noir", "senior" au lieu de "vieux", etc. Euphémismes qui trahissent un sentiment de supériorité plus ou moins conscient. Le plus important, c'est de laisser décider les personnes concernées (en général et au cas par cas). C'est vrai que ça demande un petit effort et que ce n'est pas toujours très naturel au début.

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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par Judith »

Tortue a écrit : lun. 22 mai 2023 13:45 Le plus important, c'est de laisser décider les personnes concernées (en général et au cas par cas). C'est vrai que ça demande un petit effort et que ce n'est pas toujours très naturel au début.
Je me pose une question en te lisant, ou plutôt deux. Est-ce que tu emploies souvent ces types d'euphémismes (très différents entre eux, comme ça a été rappelé, d'où mon pluriel) dans des conversations courantes? Si oui, comment fais-tu pour connaître la position de ton interlocuteur en la matière et donc savoir quelle terminologie employer? Tu demandes?
J'exclus le cas des personnes que tu connais par cœur et dont le langage t'est familier, et celui des situations professionnelles où la norme linguistique est dictée par le contexte.

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Tortue
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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par Tortue »

Justement, j'essaie de ne pas utiliser d'euphémismes. Je me renseigne sur Internet, j'écoute des émissions de radio, des podcasts, etc., pour essayer de comprendre quels termes sont les mieux acceptés par les personnes qu'ils désignent. (Par exemple, si je consulte un forum de surdoués, je constaterai en très peu de temps que le mot zèbr* est largement rejeté.) Ça c'est pour le cas général. Pour les cas particuliers, je suis prudent dans un premier temps et j'essaie de m'adapter au vocabulaire de mon interlocuteur. Mais je n'aborde pas ces questions linguistiques s'il ne prend pas cette initiative (sauf si ça vient naturellement dans le cours de la conversation).

Mais les euphémismes ne viennent pas des principaux concernés, il me semble. Je dirais plutôt qu'ils les subissent.

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Judith
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Re: Nouvelle façon de nommer les choses, attention bienveillante ou périphrases agaçantes

Message par Judith »

Tortue a écrit : lun. 22 mai 2023 15:54 Mais les euphémismes ne viennent pas des principaux concernés, il me semble. Je dirais plutôt qu'ils les subissent.
Je pense le contraire, mais sans avoir forcément d'éléments concrets pour le montrer (donc je ne sais pas ce qu'il en est, et tous les cas n'ont de toute façon pas la même histoire).

Je fais un petit excursus à partir d'un exemple ancien et d'un autre actuel, dans un domaine où je suis concernée. Je mets le contenu en HS mais il y a tout de même un lien avec le thème général du fil.
Hors-sujet
Le terme "Juif" traine de pesantes casseroles. Je n'entre pas dans les détails pour ne pas surcharger le fil, chacun ira se renseigner s'il le souhaite. Il y a eu de nombreuses tentatives pour le remplacer au fil de l'histoire par un mot moins marqué et plus acceptable : la plus connue concerne sans doute le terme d'Israélite, joint à celui de "mosaïsme" à la place de "judaïsme". Ces mots n'étaient pas à proprement parler des euphémismes mais ils recouvraient d'importants enjeux politiques et cherchaient à effacer un stigmate. L'idée est venue de la communauté juive de l'Est de la France, une communauté très touchée par l'antisémitisme et victime de nombreux pogroms, à la fin de la Révolution Française. C'est Berr Isaac Berr, alors syndic (représentant élu) des Juifs de Lorraine, qui a demandé à Napoléon de "faire supprimer entièrement le mot Juif de la langue française". Isaac Berr développait un argumentaire riche et complexe, trop long à exposer, mais très intéressant ; deux éléments y étaient mis en avant : la nécessité politique de libérer les populations juives d'une appellation infamante ("l’opinion dérisoire appliquée au nom de Juif s’éteindra par l’oubli de la pratique de ce mot dans le sens abusif", écrivait-il) et l'intérêt pour la langue d'une meilleure prise en compte de l'histoire du "peuple d'Israël", telle bien sûr qu'on la concevait à l'époque. La demande a été entendue, notamment avec la création du Consistoire Israélite de France, et Israélite est devenu, au XIXème siècle et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, le terme "politiquement correct" pour désigner les Juifs en France. De vifs débats ont suivi, toujours internes à la communauté juive, qui est restée divisée sur son emploi, notamment par des clivages de classe sociale et d'origine géographique (Israélite était employé dans les milieux aisés, d'implantation ancienne et très assimilés tandis que Juif restait usuel dans les couches modestes de la population, récemment immigrées, plus ségréguées et plus conservatrices religieusement). Aujourd'hui, Israélite est tombé en désuétude, de même que "mosaïsme", qui a une histoire assez comparable, mais il a connu un siècle et demi d'usage.

Récemment, dans mon domaine de recherche, donc hors du champ connu du grand public, est apparue une nouvelle proposition, elle aussi issue de membres d'une communauté juive, cette fois-ci la puissante communauté américaine ou plus exactement une branche, dite "reconstructionniste", de cette communauté (branche absente du judaïsme en France). Il s'agissait, il s'agit d'ailleurs toujours en fait car le débat n'est pas tranché, de remplacer, dans les traductions de textes anciens, le terme "Juif/Jew" (yehudi en hébreu, Ioudaios en grec, Judaeus en latin) par "Judéen/Judean". L'argumentaire en faveur du terme ressemblait un peu à celui de Berr au XVIIIème siècle, avec d'autres éléments : mais en gros, il s'agissait aussi d'effacer un terme péjoratif et de mieux prendre en compte les données de l'histoire. Je suis moi-même défavorable à l'emploi du mot, non pour sa dimension euphémisante, ni par peur des influences américaines délétères, mais parce que "Judéen" me paraît témoigner d'une mauvaise compréhension de la polysémie des termes anciens concernés, empêcher leur contextualisation correcte et donc risquer de réduire leur champ sémantique et d'appauvrir leurs traductions sous prétexte de les normaliser. Beaucoup de mes collègues français ne sont pas d'accord avec moi et emploient "Judéens" un peu à toutes les sauces, particulièrement dans les traductions des Évangiles : certains le font en toute bonne foi, d'autres y trouvent peut-être un certain intérêt car le terme atténue l'antijudaïsme d'une partie des textes fondateurs du christianisme -antijudaïsme qui reflète des querelles internes aux communautés juives antiques, évidemment, mais c'est encore un autre débat.

Reste que l'idée est venue d'universitaires appartenant à la communauté juive (excellents spécialistes d'ailleurs) et qu'elle est loin d'être "subie" -elle est discutée âprement au contraire. Il en allait de même d'"Israélites" et de "mosaïsme" au XIXème siècle.

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