Miss souris a écrit : ↑lun. 29 août 2022 23:04
@GraineDeNana , j'ai vu la nuit du 12...et je me suis interrogée sur ma participation à ladite société délétère qui produit ce type de relations hommes/femmes. Parce qu'avant que l'amie de la victime explose en disant à l'inspecteur que sa copine avait rien fait qui justifie sa mort, à part d'être une fille, j'avais considéré la longue litanie d'hommes moralement détestables qui sont les suspects, et je m'étais dit (je cite ma propre pensée, et ça me contrarie beaucoup que ce soit ma pensée) "quand même la victime manque de discernement pour s'entourer de types pareils". Hop, ni vu ni connu je t'embrouille, pour moi aussi quelque part elle est victime par sa faute et par ses choix.( je soupçonne aussi un schéma de type je porte le masque/ je reproche à mon voisin de ne pas faire de même/ en réalité je me rassure en pensant que lui sera "puni" et moi "protégée ". Ici ça donne "elle s'entoure de gens détestables, moi non, donc je ne serai pas victime".) Ce qui sous entend aussi que cette crainte existe couramment. Au moins chez moi.
Zut de zut. Tout ça est très contrariant. Et compliqué. .
Miss souris a écrit : ↑mar. 30 août 2022 08:48
@Judith je pense que ce qui m'a gênée c'est de constater où le scénario m'avait emmenée justement...j'aurais gentiment continué sur la même pente pendant un moment je crois, sans la rupture constituée par la scène dont tu parles. Et je me demande combien de fois ça m'arrive, et si ça m'arrive, dans la vie réelle. J'aimerais pouvoir me raconter qu'au cinéma je laisse tomber des défenses intellectuelles actives dans d'autres contextes. Mais n'en suis pas si sûre.
C'est aussi à ce sujet que l'on peut faire un parallèle intéressant entre le film iranien
Les nuits de Mashaad et
La nuit du 12 : dans le premier, la société civile (la femme du tueur, son fils, ses amis, puis de plus en plus largement des voisins puis des groupes élargis de représentants du religieux et du judiciaire, mais surtout du religieux) choisit d'accepter la version du tueur : "Mes motivations sont pures, je vous débarrasse de la lie de la société" car ces femmes, prostituées parce que toxicomanes, renvoient cette société à ses échecs les plus graves : le nombre de toxicomanes en Iran a explosé, la toxicomanie concerne 2 à 7 % ( !!!) de la population comme on le voit dans
cet article. La société préfère donc considérer leur prostitution comme un effet de leur dépravation morale, qui leur fait (presque) perdre le droit d'être traitées comme des citoyennes et d'être défendues, y compris dans leur intégrité physique.
Dans
La nuit du 12, le réalisateur nous amène, par petites touches, à nous poser cette question : "La victime était-elle une fille bien ?", au moment même où cela est exprimé à voix haute par l'amie de la victime en pleine détresse dans cette scène très marquante de face-à-face avec le policier : "Je ne fais que dire des saloperies sur elle." (elle ne veut pas participer à ce passage au crible de la vie de son amie car elle craint que la société, symbolisée par le policier, ne se détourne de la victime comme "pas assez bien" pour qu'on lui rende justice.) Je pense comme
@Judith que le réalisateur nous conduit sciemment à cet endroit, pour gratter aussi de ce côté : est-ce qu'au fond, pour nous, il n'y a pas deux catégories de victimes, les vraies et celles "qui l'ont bien cherché" ?
Cela m'a renvoyé à une question que je me pose souvent en écoutant les infos : "Règlement de comptes à Marseille (Grenoble, Ajaccio...), un homme tué par balles devant un bar". La première phrase que je me dis parfois, c'est "bon débarras", et la seconde : "est-ce que les flics qui enquêtent sur ces affaires ont vraiment envie de trouver les meurtriers ?", même si bien évidemment je me raisonne ensuite, mais plus en termes de protection de la société qu'en termes de protection de la vie individuelle. Donc je catégorise ces trafiquants de drogue comme sous-hommes, et j'estime quelque part qu'ils "l'ont bien cherché". Ce qui est faux, personne ne doit s'autoriser à prendre la vie d'un autre, et si un trafiquant de drogue est blessé devant moi je ferai tout ce que je peux pour lui sauver la vie. Pourtant, au fond de ma tête, il existe manifestement une catégorisation des victimes. C'est donc effectivement intéressant que Dominik Moll vienne nous chercher à cet endroit-là. Au moment de la scène avec la meilleure amie, j'ai plutôt pensé, "ah, dans la scène suivante, on va voir les policiers critiquer la victime et se détacher un peu de leur investissement", effectivement il me semble que l'un des policiers fait une réflexion par la suite, mais est recadré de manière sèche par le personnage principal.
L'intérêt du film réside justement dans la personnalité de cet enquêteur qui lui reste hors de tout jugement de la victime, il a besoin de comprendre en détail comment elle vivait pour évaluer chaque suspect, point à la ligne, une victime reste une victime et il se doit de chercher la vérité quelle qu'elle soit. Cependant cette sur-réaction aux paroles de l'autre policier peut être interprétée comme une manière de se défendre de toute ambivalence à ce sujet (alors que probablement l'ambivalence existe, il a seulement fait ses choix et il s'y tient). Un policier doit comprendre assez vite que personne n'est blanc comme neige, et que chaque victime a ses zones d'ombre, plus ou moins étendues, plus ou moins enténébrées...