La dernière nouvelle,
La porte verte m'a beaucoup plu. Cette construction à 3 personnages est parfaitement maîtrisée.
Je ne crois pas que le gros homme, Allyn, soit particulièrement pédophile. A mon avis, il représente l'Amérique blanche, hypocrite, répugnante, incapable d'assumer la notion même de sexualité. "On en voit pas mal, par ici, hommes comme femmes, pour la plupart de bons chrétiens qui cherchent, le nez au vent, des trucs qu'ils ne peuvent pas se procurer chez eux."
p226 : "Il a passé trop d'années à remettre ses désirs à plus tard, à entretenir des fantasmes et à se transformer en amateur de lèche-vitrine sexuel pour savoir ce qu'il veut vraiment."
A contrario, Enrique le Dominicain, "sait ce qu'il aime". Effectivement, sous couvert de Gilles de la Tourette, il dit tout haut ce que tout le monde pense, au fond le barman admire ce type d'homme, au clair avec eux-même et la société.
Pour moi, la notion centrale de la nouvelle est la notion raciale. Quand le barman demande à Allyn ce qu'il veut, c'est de "la cuisine thaïe, épicée et bien chaude". Quand Enrique s'énerve, il lâche : "Bas les pattes, con de Blanc, sinon je te coupe tes sales couilles.". Une des dernières phrases de la nouvelle, p239 : "Que c'était un putain de raciste blanc,
man. Il ne l'a pas dit, pas vrai ? Il n'en avait pas besoin."
Rien de ce que dit Allyn (le gros Blanc) ne renvoie à la pédophilie. C'est Enrique qui l'insinue, pour rajouter du répugnant au répugnant : ""à moins qu'il ne s'agisse de garçons polynésiens bien gras", lance-t-il avec un rire qui ressemble à un aboiement." Il s'en persuade, car le raciste ne peut être que suprêmement pourri, donc pédophile.
Enrique représente à mon avis le justicier que le barman voudrait bien être, quelqu'un de défini, avec des certitudes, lui qui est plutôt un être interlope, toujours entre deux ("bien qu'on me dise que je ressemble à un Indien Séminole je suis juif"), qui oscille sans prendre parti entre tous les chemins de la vie (et du coup la regarde toujours de loin) : p226 toujours : "sauf que moi je le fais avec la vie en général, pas seulement avec le sexe".
Le barman est confronté à la part négative de lui-même avec Allyn : "ce type m'attire et me répugne en même temps". C'est pourquoi, à mon avis, à la fin il est bien heureux que d'autres prennent la décision de l'agresser, il n'en serait jamais capable lui-même, il ne va jamais au bout. Cete construction à 3 personnages me parait comme la symbolisation de la vie interne du barman, mais présentée d'une manière subtile.
L'autre nouvelle,
A la recherche de Veronica m'a moins intéressée.
Je pense qu'on ne peut pas être sûrs que Veronica a bien existé, le narrateur semble penser que c'est une construction fictive que fait la femme qui raconte son histoire. Quand elle va à la morgue voir les jeunes femmes, ce n'est pas Veronica qu'elle craint d'y trouver mais sa fille, Helene. Mais c'est trop insupportable à penser, elle se raconte donc qu'elle y cherche Veronica.
Voilà ce que j'en tire, en tout cas beaucoup de plaisir de lecture à ce recueil.