Bon, près d'un an après, je réponds…
D'aucuns diraient que les remarques d'étudiant.e sont toujours à entendre, parce que souvent elles pointent des choses que l'on finit par ne plus voir en tant que professionnel… (C'est ce qui fait que, personnellement, je regrette de ne pas pouvoir accueillir de stagiaire, mais ça ne serait pas très pratique avec mes conditions de travail, ni pour eux, ni pour moi.)
Effectivement, la psychanalyse s'ancre dans le langage et la parole. C'est selon moi ce qui fait sa richesse.
Et effectivement, j'ai été injuste envers les sciences du langage (alors qu'en plus, j'aime ça). Et tu as bien raison de me reprendre sur ce sujet. La seule chose que je voulais pointer, c'est que la prise en compte des sciences du langage par la psychanalyse et celle par les sciences du langage diffèrent. (Et comme toi, je suivrais volontiers des cours de sciences du langage, mais ça entre en concurrence avec ma volonté de suivre un cursus en physique (plus qu'en chimie), en mathématiques et de terminer celui de philosophie.)
La psychanalyse a récupéré un certain nombre de mots de la vie courante pour les charger de sens propre à la psychanalyse. Et histoire de faire simple, un même mot ne recouvre pas toujours le même concept.
Lacan, c'est souvent présenté de manière complexe, mais ce n'est pas si complexe que ça. Enfin, je trouve. Mais j'ai eu la chance d'avoir des cours clairs, qui évoquaient les théories de Lacan sans simplifier à outrance (sinon, ça ne veut plus rien dire), mais avec rigueur et justesse. J'ai aussi commencé par lire les Séminaires, sans me préoccuper de tout comprendre tout de suite, et j'y suis revenue, petit à petit, à mon rythme. Parfois, il faut savoir un peu lâcher et remettre ça à plus tard.
Effectivement, si la subjectivité du sujet est l'évident objet de la psychanalyse, cette dernière travaille évidemment avec la subjectivité du thérapeute.
En revanche, il ne s'agit pas nécessairement de poser une étiquette. Pour moi, en tout cas, un diagnostic clinique en psychanalyse, c'est avant tout un état des lieux. Si pour certains la théorie est sacrée au point d'avoir indéfectiblement raison (elle serait un objet de croyance, donc, de foi), pour moi elle est un outil qui sert avant tout à se repérer dans la clinique, donc à remettre en cause chaque fois que nécessaire. La théorie sert à avoir des repères, mais aussi à être tordue, voire à en changer.
Il y a certains « dogmes » lacaniens qui se tiennent tout à fait intellectuellement mais qui demandent clairement à être ré-interrogés dans la clinique, et à mon sens, c'est la confrontation des deux qui est le plus intéressant. La psychanalyse est de surcroît riche de théories diverses. (Heureusement, là-dessus, j'avais une fac qui offrait une possibilité d'une grande ouverture aux différents paradigmes psychanalytiques, à défaut d'une ouverture aux diverses disciplines et aux différents courants de la psychologie.)
Le phallus, c'est notamment un gros mot pour parler de… pouvoir. Et ça se retrouve de manière plus crue dans des expressions comme « c'est lui qui a la plus grosse » (ou « qui pisse le plus loin »), expressions qui, à mon sens, n'ont pas attendu la psychanalyse pour émerger. (Je ne serais pas surprise que la psychanalyse se soit fondée dessus en revanche, notamment pour le concept de phallus.)
Pareil, la mère, c'est bien moins la mère réelle, ou du moins ça n'est pas que la mère réelle, ça peut être la mère symbolique, imaginaire, ça peut être l'imago maternelle (pour les kleiniens)… ça peut être plein de choses. Il faut finalement savoir de quelle mère on parle et comment on en parle. Ce qui demande de la rigueur.
Personnellement, j'aime plutôt le courant lacanien, parce qu'
en général, les lacaniens (j'ai bien dit : en général, mais c'est loin d'être toujours le cas) sont plus prudents sur les interprétations (même s'il m'est arrivé de voir tout le contraire). Les kleiniens revendiquent une dimension très interprétative dans leur pratique.
J'ignore ce que l'on vous demande, mais je me souviens très clairement d'un partiel où on nous avait demandé, en clinique de l'enfant, d'imaginer une vignette clinique et de là, d'imaginer des interprétations. Comme j'étais légèrement gênée avec la part imaginaire de l'exercice, j'avais produit quelque chose de très classique. On avait osé me répondre que si je n'avais pas d'imaginaire, c'était embêtant. (Alors que ça n'avait rien à voir.)
Personnellement, je n'ai jamais aimé les études de cas. Il faut écouter parler les gens. Les études de cas ont souvent quelque chose d'artificiel, alors que rien ne remplace la clinique que l'on voit soi-même, ne serait-ce que pour se faire une idée. Les études de cas psychanalytiques sont loin de toutes me parler.
Et oui, on peut ne pas être d'accord avec certains développements théoriques (comme l'autisme comme forme de psychose).
En revanche, la décompensation, la forclusion du Nom-du-Père, tout ça, ça me parle, mais je sais quel sens mettre derrière, et j'ai des applications cliniques évidentes (dans ma famille, pour commencer). Si la théorie psychanalytique n'est pas habitée, elle ne sert à rien.
Louise a écrit : ↑mar. 4 sept. 2018 07:51Quand à la subjectivité... je crois que cet échange me permet de mettre le doigt plus précisément sur le moment où je buggue. En fait, ce qui me gêne aujourd'hui n'est pas l'évidente subjectivité d'un individu ou l'interprétation nécessaire du thérapeute, qui a les clés pour recontextualiser, quelle que soit son obédience. Ce qui me gêne c'est qu'à mon sens, la grille de lecture proposée par la psychanalyse peut aboutir à ce qu'un thérapeute ou un autre aboutissent à des diagnostics différents (en cours, on a nos points si le raisonnement est bon, peu importe le diag...), et donc 1/ à une étiquette différente posée sur le patient, voire une étiquette posée sur sa "structure" (c'est violent pour moi, ça veut dire que la personne EST comme ça, pas qu'elle souffre/présente tel trouble) 2/ des mises en place de thérapies ou de préconisations différentes.
Eh bien, j'ai l'impression malheureusement que ce n'est pas que la psychanalyse qui souffre de ce problème. Face à un bilan, je vois parfois des interprétations fort différentes face aux mêmes chiffres. En neuropsychologie, il suffit parfois d'entendre comme le diagnostic de troubles dys peut différer d'un thérapeute à l'autre. Je suis surprise de ces différences théories. J'osais croire que c'était justement un peu plus normé, eh bien… non.
Pareil en médecine, d'ailleurs. En tant qu'étudiante, j'apprends des arbres diagnostiques, décisionnels et thérapeutiques, comme si toute la démarche anamnestique, diagnostique et thérapeutique se déroulait de manière simple et limpide. La réalité montre qu'il… n'en est rien. Et que la médecine demeure notamment un art.
C'est encore plus flagrant quand on entre dans le vif de la clinique, et dans certaines spécialités.
Pour l'EMDR, ça ne parle effectivement pas à tout le monde. Même si, moi, ça m'a bien aidée de manière ponctuelle. (Notamment quand je passais mon permis.)
Pour le souvenir traumatique, ce que tu dis me fait penser… encore à la théorie psychanalytique du trauma, du binôme affect-représentation, mais aussi à cette expérience autour du propanolol dans la prise en charge de l'ESPT telle que proposée et testée à la Pitié-Salpêtrière suite aux attentats de Paris de 2015.
Bon, depuis, j'espère que tu as validé ta troisième année, psychanalyse ou pas.