Zyghna a écrit :d'ailleurs ça a une odeur perceptible pour nous "pauvres nez bouchés"?
Un jour peut-être, je te ferai sentir. C'est même carrément infâme.
J'avais rendez-vous hier matin avec Sus scrofa, une bête magnifique d'une centaine de kilos. Cela faisait quelques jours que je tentais de comprendre comment fonctionnait l'animal. Je le suivais à la trace, ses pattes laissant des empreintes caractéristiques sur la terre meuble, jusqu'à une souille, trou creusé et plein d'eau où les sangliers aiment à se bauger. Je savais qu'il visitait l'endroit tous les jours. Je suis donc parti au petit matin dresser mon affut à l'aide d'une lampe frontale. Il s'agit d'un "tree-stand", sorte de plate-forme amovible, dans un arbre soigneusement choisi.
Je badigeonne mon arbre d'une substance qu'on appelle goudron de Norvège, obtenue par carbonisation du pin à l'abri de l'air puis distillation. C'est un produit visqueux et collant de couleur noire qui a la particularité de masquer l'odeur humaine, et qui plait bien à mon animal de chasse. Ceci fait, je grimpe sur mon affut et l'attente commence.
Les premières traces du jour font reculer l'obscurité, et mon environnement se dessine doucement. Je suis à 8 mètres de la souille. (Je le sais grâce à mon télémètres, indispensable) J'entends les branches craquer non loin de là. Mon cœur s'emballe. Apparait une famille de sanglier, la laie, suivie de ses petits d'environ une dizaine de kilos. Je les regarde se vautrer dans la boue. Ils font un bruit de tous les diables, grommelant, nasillant, couinant, grognant, soufflant, gémissant. Ils ne me sentent pas, ne me voient pas. Ils restent là environ vingt minutes, puis s'en vont. Une heure passe...puis deux. Quelques écureuils, un renard, un chat même me passent sous le nez, mais pas de trace de mon sanglier. Je commence à me dire qu'il ne viendra pas quand j'entends souffler bruyamment dans un bouquet d'arbres. Il est là...pas loin. Il apparait soudain. C'est bien lui. Là, mon cœur est une grosse machine qui fait trop de bruit, et mon sang frappe entre mes tempes comme un cheval au galop. Je suis l'immobilité même. Il est vieux. Son poitrail est tout blanc. Il lève le groin vers mon arbre, puis s'avance doucement. Il commence à se frotter là où j'avais disposé le goudron. Lui aussi fait beaucoup de bruit. Il est à l’aplomb direct de mon arbre. Je ne peux rien tenter. Il s'éloigne et se vautre dans la boue. J'essaye de me calmer. C'est difficile. Je bande mon arc à poulie, au moment ou il se relève, et lâche la flèche. Elle rentre au niveau de son épaule droite, et ressort de l'autre côté. Il court sur environ deux mètres, et se fige. C'est une bonne flèche. Je le sais. Cet animal est mort, même s’il ne le sait pas encore. Il ne comprend pas trop ce qui vient de lui arriver. Il cherche, se retourne, fait quelques pas vers moi, puis s'éloigne par où il est venu.
A ce moment, mes genoux s'entrechoquent, mon cœur explose. J'attends. 10 minutes, 20, puis trente. Je descends de mon perchoir, et récupère ma flèche. Selon les petites bulles que je trouve sur le sang la maculant, je sais que c'est une flèche de poumons. Il est mort quelque part. Je commence à suivre les traces, doucement. Je parcours environ 40 mètres, et je déboule devant une ferme. Au sol, je vois une mare de sang, mais pas mon animal. Je suis circonspect. Et puis je remarque que les traces de sang s'éloignent, et comble de bizarrerie, passent par dessus un mur, pour s'évanouir dans la grange de la ferme. J'en suis à me demander comment mon sanglier blessé à ouvert la porte de ladite grange, et refermé le cadenas de l'extérieure quand je comprends que le bon paysan a pris mon gibier pour son repas de noël. Je sonne, et tente d'avoir des explications. Malheureusement, je me retrouve en face du déni le plus farouche. "c'est pas moi mssieurs, c'est pas moi mssieurs". Je luis dis le plus sérieusement du monde qu'il ne sert point de regarder NCIS pour savoir que les traces de sang mènent à sa grange, mais rien n'y fait.
Je décide d'abandonner la partie, pour ne pas me foutre à dos les propriétaires terriens de ma commune, et retourne, penaud, à ma voiture en grommelant, nasillant, couinant, grognant, soufflant et gémissant.