J'étais tombé là dessus l'autre soir, et je me disais que ça trouverait sa place ici, mais je voyais pas comment le présenter: puisqu'on reparle du sexisme comme n'étant pas spécifiquement propriété masculine, c'est tout trouvé ^^
La conclusion d'un travail a priori de master de 2007 à Genève, sur "les représentations du féminisme", basé sur une enquête par questionnaire chez les étudiant(e)s des filières sciences humaines je crois. Le travail reste donc de peu d'ampleur. (les deux derniers paragraphes étant les plus explicites, si y'a des flemmards ^^)
Comme dit ci-dessus, selon Toupin, pour adhérer au féminisme, il faut qu’il y ait une
conscience de l’oppression des femmes et une révolte contre celle-ci. Toutefois, en
plus de cette révolte, il faut que cette subordination des femmes puisse être
« dénaturalisée » afin que les rapports de force entre hommes et femmes puissent
être compris comme construits et donc potentiellement à déconstruire. Et, suite à
notre enquête, force est de constater que la conception essentialiste est encore
prégnante. On est loin des « luttes qui reposent sur la reconnaissance des femmes
comme spécifiquement et systématiquement opprimées, l’affirmation que les
relations entre hommes et les femmes ne sont pas inscrites dans la nature mais que
la possibilité politique de leur transformation existe » dont parle FougeyrollasSchwebel
à propos des premiers mouvements féministes du XIXe siècle ! (Gubin et
al., 2004, p.138).
Il est donc important de réfléchir à comment se débarrasser de cette conception pour
pouvoir entamer une remise en question des rapports sociaux de sexe et du
27
patriarcat. Etant donné le cursus universitaire en sciences humaines suivi par les
enquêtées, il est à espérer que leur réflexion autour du « naturel » et de l’ « acquis »
s’affinera et leur ouvrira les yeux sur la dimension sociale des rôles de sexe, en tant
que rôles construits. Il serait ainsi intéressant de pouvoir reproduire une même étude
sur les représentations du féminisme à la fin de leur parcours académique afin de
voir si leurs réponses s’en verraient modifiées. Cette étude longitudinale pourrait
souligner si l’acquisition d’outils de déconstruction permet – ou non – d’envisager les
rapports entre hommes et femmes de manière différente.
Dans la même idée, il serait intéressant de pouvoir ouvrir cette étude à d’autres
groupes sociaux pour étudier si des variables tel que l’âge, le sexe ou la classe
socio-professionnelle ont des incidences sur les représentations que se font les
enquêté-e-s du féminisme et la conception de l’égalité et des rôles des hommes et
des femmes.
Suite à la présente étude, nous pouvons toutefois d’ores et déjà souligner et
regretter, chez nos enquêtées, la méconnaissance du système de rapports sociaux
de sexe qui structure la société. Celle-ci implique un certain déni des rapports de
pouvoir entre femmes et hommes, ainsi que l’acceptation naïve des inégalités ayant
trait à la sphère familiale et domestique.
Pour conclure, nous pouvons avancer que si le féminisme a mauvaise presse dans
les discours ordinaires, c’est en partie parce que ni le caractère systémique des
inégalités ni le rôle social subordonné des femmes ne sont perçus. Le féminisme
perd de ce fait sa raison d’être et est apparenté à quelques revendications
ponctuelles. Et adhérer à un mouvement pour quelques revendications isolées
semble démesuré et peu investi de sens. Certaines enquêtées le font pourtant, mais
sans accompagner leur positionnement féministe par un discours anti-patriarcal ou
militant. Ainsi, si le féminisme du début des années 1970 était révolutionnaire, celui
du début du XXIe siècle semble être individuel et bien timoré.
https://www.unige.ch/etudes-genre/files ... emoire.pdf
On parle de 3ème et parfois 4ème vague de féminisme pour désigner les années 80 à 2000 puis l'ère internet et les réseaux sociaux. La tendance étant de ramener le discours à une forme de revendication individuelle, séparée des théories universitaires (ramenant pour la plupart à une critique du concept de genre comme origine des inégalités et des ségrégations entre sexe). En revendiquant le "droit à être femme selon ce que je préfère" c'est donc un discours plus individualiste, qui a pour conséquence notamment de creuser encore plus les inégalités intriquées au sexisme. Et parfois aussi de maintenir des repères qui à une autre époque auraient été considérés sexistes (un documentaire assez amusant et intéressant sur les représentations de la Pin'Up dans les medias et la publicité: la pin'up vintage et ses formes assumées, son pouvoir de séduction étant devenus un symbole de féministes d'aujourd'hui, par exemple, et c'est ainsi que le documentaire le présente, d'ailleurs, sans vraiment relativiser le paradoxe)
Pour exemple, cette étude visant à déterminer l'influence respectivement des idées féministes et des idées racistes dans les positions prises contre le port du voile:
https://www.cairn.info/resume.php?ID_AR ... F_251_0084
Le résultat:
Les résultats suggèrent également une interaction entre racisme et féminisme. En effet, les personnes qui adoptent des positions à la fois féministes et antiracistes sont celles qui s’opposent le plus à la loi et prennent leur distance par rapport à deux processus producteurs de discrimination : la désignation de l’Autre (ici les Musulman·e·s) comme différent, et la présomption d’une supériorité de la « culture » occidentale.
Les autrices en concluent que pour articuler les luttes féministes et les luttes antiracistes, il faut que le refus du principe de division et de hiérarchie des groupes qui structure la domination s’applique à tous les groupes.
Or les medias surreprésentent un féminisme dit "essentialiste" (revendiquant des différences essentielles entre hommes et femmes, maintenant donc les préjugés de genre) et utilisent ce féminisme "modulable" dans diverses polémiques politiques.
Elizabeth Badinter par exemple est entendue dans les medias avec des propos parfois proches de l'obscène (récemment "si les hommes lisent moins, ils sont probablement moins intelligents" dans le cadre de sa fonction de présidente du prix Inter de littérature. La même tenait des discours comme
Selon Élisabeth Badinter, le combat féministe doit aujourd'hui se concentrer essentiellement sur les populations immigrées ou maghrébines, car selon elle, « depuis longtemps, dans la société française de souche, que ce soit le judaïsme ou le catholicisme, on ne peut pas dire qu’il y ait une oppression des femmes »
pendant qu'une Christine Delphy par exemple, opposée à la loi d'interdiction n'avait pas de représentation médiatique.... (ça n'est pas sa méconnaissance du sujet qui joue puisque Delphy, c'est un peu LE travail de sociologie français du mouvement féministe des années 70 qui a influencé en bonne partie le post structuralisme américain de Butler etc.))
(pour ne pas sortir la citation de son contexte, elle mettait aussi en garde contre la position victimaire des femmes et la découpe entre mâles bourreaux et femmes victimes, ce qui est probablement intéressant mais ne justifie pas forcément de considérer que le travail est fini... ne serait ce que pour les violences conjugales, les chiffres ne lui donnent pas raison)
Hors-sujet
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/art ... 55770.html
Un rapide calcul des victimes de violences conjugales montre que les hommes représentent donc 27 % des cas de violence conjugales et 17 % des cas mortels. La formule – tristement consacrée – : « Tous les trois jours, une femme décède sous les coups de son conjoint » peut toutefois son équivalent pour l’autre sexe : « Tous les 14,5 jours, un homme décède sous les coups de sa conjointe ».
Ce problème de représentation médiatique sélectif "était déjà dans les pattes du MLF dans les années 60/70, puisque le mouvement féministe était représenté dans les medias non par des membres du MLF, mais par des hommes invités pour parler des problèmes des femmes.
C'est une des manières dont le sexisme ordinaire se maintient il me semble. Des rapports de force entre dominations différentes qui représentent les notions anti sexisme de manière très différentes, et orientée. Ce qui au final ne fait pas progresser le féminisme dans ses ambitions initiales, masquées par des polémiques diverses et relativement superficielles, détournant l'attention des problèmes de fond.
Edit: si l'aspect théorique ou l'histoire intéresse des gens et que ça colle pas trop avec l'aspect pratique que désirait Grabote initialement, on peut ouvrir un topic ailleurs.
