Message
par Scrat » mar. 30 avr. 2019 09:46
Après avoir éclusé ce sujet, j'ose poser ici un énorme pavé qui fera un gros plouf au passage. Bon courage pour la lecture...
Les murmures...quel joli nom et si parlant ! Les murmures, les prémices d’une folle possibilité, de l’impensable. Quand les ai-je entendus pour la première fois ? Mon oreille a été chatouillée ce jour d’été, il y a peut-être quatre ou cinq ans, au mobilhome de mon père où j’écrivais, encore. Je racontais l’histoire d’une jeune femme surdouée qui se souvenait de la première évocation de sa douance. C’était une institutrice qui en parlait à ses parents, ces derniers rejetant l’hypothèse en bloc. Curieux hasard, ce fut la seule fois où je laissai mon père lire un morceau d’histoire. La vie connaît d’étranges coïncidences tout de même...Il a donc lu ce bout de texte, l’a posé et m’a sorti d’une drôle de voix : « ça sent le vécu, hein ? ». Je n’ai pas compris. Il m’a alors expliqué qu’il avait vécu cette scène, qu’une institutrice (ou professeur, je ne le sais plus) leur avait évoqué une possible précocité intellectuelle chez moi mais qu’ils n’avaient jamais creusé cette piste. Cette scène assez surréaliste est allée se nicher moelleusement dans un recoin de mon cerveau et est entrée en dormance. A l’époque, la question ne m’effleurait pas plus qu’elle ne me préoccupait.
Et puis je suis devenue maman à mon tour. Mère d’un bébé qui m’a semblé étrange, quelque part, dès sa naissance. Cet enfant qui naît sans pleur mais en scrutant tout autour de lui. Non pas en promenant un regard non fixateur comme un nouveau-né normal, non, elle scrutait. Les jours qui ont suivi m’ont maintenue dans cette sensation étrange d’un nourrisson qui faisait déjà bébé par son attitude : très calme et observatrice. A la maternité déjà, elle suivait tout du regard, et me fixait. Néanmoins, j’ai bien trop peu confiance en moi pour m’accorder le moindre crédit, ainsi me suis-je raisonnée en mettant cette impression sur le compte de ma subjectivité maternelle. Les mois et les années, néanmoins, ont révélé que je n’avais pas tort : ma fille s’éloignait doucement de la « norme ». Et ma capacité à sonder d’un regard les tréfonds d’une personne est décuplée la concernant, il m’est donc particulièrement simple de ressentir ce qui se passe à l’intérieur de son si petit corps. Très vite, elle s’est avéré très sensible, trop peut-être… Un bébé qui ne peut se laisser aller au sommeil que seule et dans le noir. La lumière, le bruit, tout la dérangeait déjà. Un bébé qui nous abreuve de pleurs de décharge chaque soir, explosion d’une cocotte-minute pourtant élevée dans le calme. Un bébé qui, très rapidement, a peur des inconnus, se laisse difficilement approcher, préfère observer, encore et toujours. Et puis le temps des avances : avance sur le plan moteur, et avance fulgurante sur le plan verbal. Parallèlement, une hypersensibilité qui se confirme, parfois handicapante : elle souffre de troubles de l’oralité rendant son alimentation très compliquée, elle tolère mal le bruit et l’excès d’agitation, se mélange difficilement aux autres enfants. A côté de cela, elle parle très bien, fait des phrases construites, manie assez adroitement prépositions, temps du passé, subjonctif...Une petite fille de 2 ans qui a une logique et un humour surprenants. Qui ne demande qu’à apprendre, à lire jusqu’à plus soif, à découvrir. Son avance est constatée à chaque bilan pédiatrique. Son décalage avec les autres enfants que je vois m’inquiète, de plus en plus.
Une mère lambda en serait-elle fière ? Pourquoi ces constats me laissent-ils alors un goût aigre-doux dans la bouche ? Alors je suis obligée de constater l’évidence : ma fille fonctionne comme moi, c’est mon miroir. Je n’avais jamais voulu m’y contempler, dans ce miroir, étant habituée à m’ignorer, à vivre pour les autres, à ne pas m’estimer suffisamment pour tenter de me connaître, malgré ma grande lucidité sur les gens et le monde en général. Mais là, devant moi, ce morceau de moi me criait l’évidence : elle tenait sa sensibilité de moi. Alors, pour tenter de la comprendre et de m’adapter au mieux à ses besoins, j’ai démarré un travail d’introspection.
Petite fille, j’étais sensible, en effet. Douce, réservée, très observatrice et particulièrement mature, dès l’école primaire. Je posais des questions existentielles sur le sens de la vie, la mort aussi, qui mettaient mal à l’aise les adultes. « Tu comprendras quand tu seras plus grande » est une assertion dont j’ai fait bien des indigestions. A l’école, j’étais dans la tête de classe sans être un bourreau de travail. Toujours 2è ou 3è. Je partais avec de l’avance dès le CP, ayant appris à lire seule puis aidée de ma grand-mère à l’âge de 5 ans. Dès l’année suivante, j’ai été mise en classe mixte : mélangée à des CE2. Paraît-il que je m’y suis épanouie. Chose renouvelée en CM1 où j’étais avec des CM2 : même constat. Je n’ai de souvenir précis que des temps de calcul mental. Nous avions tous, CM1 et CM2, une ardoise devant nous pour inscrire au plus vite le résultat de l’opération prononcée. J’allais souvent plus vite que les CM2. Bien que maladroite en mathématiques, j’aime toujours le calcul mental. Socialement, j’étais fidèle à mes quelques copines mais plutôt impopulaire. Timide, dans mon coin, j’étais déjà envahie par une sensation d’étrangeté. Comment mes camarades faisaient-ils pour être aussi insouciants ? Ne pas craindre les aléas de la vie, ne pas se poser toutes mes questions, ne pas se mettre la même pression que moi pour être parfaits et aimés ? Qu’est-ce que j’avais besoin de reconnaissance ! Je pouvais exploser en pleurs à la moindre note inférieure à mes espérances. Je me mettais beaucoup de pression, convaincue que pour être aimée, je devais être douée partout. J’étais ainsi une enfant anxieuse, qui intériorisait déjà tout, le portrait de ce qu’est déjà ma fille. J’avais beaucoup de maux de ventre, mes résultats scolaires chutaient dès que mes parents se penchaient sur mes devoirs. J’aimais par-dessus tout être au contact de la nature et lire. Je lisais jusqu’à ce que mes paupières me brûlent en cachette, le soir, éclairée par la faible lumière de mon globe terrestre.
Ces caractéristiques m’ont suivie toute ma scolarité : impopularité relative, sentiment permanent de décalage, questions existentielles que je semblais seule à me poser, résultats honorables sans efforts démesurés. J’étais mal dans ma peau, plus je grandissais, plus la vie me semblait absurde et indigne d’intérêt. Mais je ne montrais rien, toujours obsédée par ce besoin de perfection comme seul garant de l’amour de mes proches. Cela fonctionnait bien, on m’a toujours décrite comme une personne très attachante.
Au lycée, mon mal-être intérieur a grimpé encore d’une marche. Je me suis aperçue que j’étais capable d’une empathie frôlant l’insupportable. Je ressentais les émotions des autres aussi fort que les miennes que je cherchais sans trêve à étouffer. Que m’arrivait-il ? Avais-je atteint le dernier stade de la folie ? J’ai commencé à m’isoler encore davantage, devant fuir les bains de foule, les transports en commun, lieux où j’étouffais, paniquais, étais mise nez-à-nez avec ma folie ! C’est là aussi que le contact physique m’est devenu plus difficile. A l’âge où l’on fait la bise aux copains en arrivant devant la grille, je me contentais d’un signe de la main. Lorsque mes amies me prenaient le bras, je me raidissais malgré moi. Quelque chose n’allait vraiment pas, mais quoi ? Je commençais à croire que je passerais ma vie seule, moi, la pauvre folle asociale et névrosée… J’ai commencé à me laisser sombrer, j’étais épuisée de lutter pour feindre une normalité dans laquelle je n’avais jamais été. A 17 ans, il me semblait en avoir le quadruple, j’étais lasse de tout. A l’époque des fêtes, de l’insouciance, des nouvelles expériences, je préférais écrire, rester au calme et réfléchir, encore et toujours, emportée par un cerveau hyperactif.
Je suis allée en faculté de lettres, contrariant l’avis de mon professeur principal de terminal qui me recommandait chaudement la prépa. Je le pensais insensé, je n’en avais pas le niveau ! Les années universitaires lui ont donné raison, je me suis ennuyée comme jamais et n’ai tenu que pour satisfaire ma profonde vocation d’enseigner. Parallèlement, je donnais des cours aux élèves en difficultés au sein de mon collège de quartier. Seule avec un à trois adolescents mal dans leur peau d’élèves, je m’y suis épanouie : je les comprenais vite, cernais avec aisance leurs besoins et y répondais bien. Mon travail a rapidement été apprécié et reconnu comme de qualité. A la faculté, je dominais ma promotion concernant l’aspect pratique de ma formation de futur enseignante. Les stages et les rapports que je soutenais caracolaient en tête de classement, malgré ma sensation de toujours de ne pas être meilleure que d’autres. J’avais seulement, apparemment, trouvé ma voie.
Peu à peu, je me sentais mieux. Grâce à cette vocation et à la rencontre, à l’aube de mes 18 ans, de celui qui est toujours aujourd’hui mon compagnon. Moi qui me craignais inapte à être aimée, nous sommes étrangement vite devenus très complémentaires, en harmonie malgré nos étonnantes différences. En sa compagnie, je me suis très vite sentie moins anormale, moins décalée, sécurisée dans ce monde tellement instable et angoissant. Notre duo nous a toujours semblé une évidence, sans parler de « passion » ou de « fougue » car je ne nous classe pas parmi ces couples passionnés. Complémentarité, compréhension mutuelle de qui est l’autre, respect de ses besoins particuliers. Car oui, il est un adulte à Haut Potentiel. Encore un curieux hasard.
Si grâce à lui et à la réalisation de mes souhaits professionnels, j’ai pu remonter la pente douloureuse amorcée en fin d’adolescence, ce serait mentir que de prétendre que j’ai retrouvé ma place dans ce monde. Cette sensation d’être décalée et « de trop » ne m’a jamais quittée dès lors que je mets un pied dehors. Je conserve cette grande lucidité dont j’aurais aimé me passer. Face à une personne, connue ou non, je cible en quelques secondes quel type de personne elle est, son humeur, ses intentions. Je vois davantage cela comme un handicap qu’un atout. Je suis très sensible à l’atmosphère d’un lieu, je déteste par-dessus tout me trouver dans une pièce où plusieurs personnes sont en conflit, même sous-entendu. Je ne suis d’ailleurs que très rarement, voire jamais, en conflit avec qui que ce soit. Cela m’est insupportable. Je ne comprends pas la méchanceté, la haine, la violence que l’on trouve pourtant partout. Malgré ma maturité de toujours, j’ai un côté idéaliste, rêvant d’un monde où l’on vivrait sans guerre, sans tous ces maux, en harmonie entre hommes et avec la nature. Ma frustration n’en est que plus grande dans notre monde actuel. Des petits riens me dévastent, encore plus depuis que je suis maman. Voir un parent dire des paroles blessantes à son enfant peut me décrocher des larmes. Voir un animal qui souffre me dévaste. Entendre un reproche, même banal, peut m’entraîner dans de longues cogitations. Alors, évidemment, je me savais depuis toujours hypersensible. C’était une évidence. Mais Haut Potentiel ? Ca non. Pourtant, le fait que ma propre mère et mon frère le soient officiellement aurait du constituer un autre murmure, mais non, l’idée ne m’a pas effleurée.
Tout a basculé il y a trois semaines. Flânant dans une librairie, je recherchais des ouvrages sur l’hypersensibilité, d’abord pour ma fille. Ne trouvant rien concernant les enfants, j’ai recherché chez les adultes et ai dérivé jusqu’à tomber sur un livre intitulé « Je pense trop » de Christel Petitcollin. Ce titre m’a immédiatement attiré l’œil, il résumait si bien mon quotidien ! Je l’ai feuilleté et mon cœur a alors raté plusieurs battements. « Hypersensibilité », « hyperesthésie » (ah, ça s’appelle comme ça), « trop grande lucidité », « cerveau qui ne peut cesser de penser » (ah bon, ce n’est pas normal ?), « très faible estime de soi » (dis donc, on dirait tellement moi), « concentration très difficile » (tiens, c’est tout moi ça aussi), « mal à l’aise en société », « bienveillant et altruiste » (évidemment, comment être autrement?), « difficultés à organiser sa pensée » (oh ça oui, déjà au lycée, c’était ma grande faiblesse)... » Et enfin, tous ces noms impensables : « Adulte surefficient, Haut Potentiel, Z., Surdoué ». Si un livre m’a fait pleurer, beaucoup pleurer, c’est celui-ci. Des larmes chargées d’années de souffrance que j’avais fini par enfouir, ignorer. Des larmes d’incompréhension, d’amertume et d’une profonde solitude intérieure. Ce livre a eu le pouvoir de tout faire sortir, une vraie catharsis, en me tenant un miroir sur qui j’étais. Les murmures jusque là sagement ignorés sont devenus des cris, des hurlements. Alors j’ai fouillé, un second livre de référence, des sites, un forum… Et après les larmes, le soulagement. Ce soulagement indescriptible de ne finalement pas être seule à fonctionner comme ça, il y en a plein d’autres qui semblent se traîner les mêmes douleurs !
Avec ces murmures, si je peux encore les appeler ainsi, les questions. Je ne sais vivre sans questions. Moi ? Surdouée ? Non mais vraiment, quelle idée mégalo et idiote ! Je ne suis qu’une petite femme quelconque, sans intérêt, pas douée ! Mon homme, lui, brille par son intelligence, il colle à l’idée ancienne que j’avais des individus HP. Mais moi ? Vraiment ? Mais tournent et retournent dans mon esprits ces mots, portraits, images, qui m’ont réellement bouleversée par leur adéquation avec mon existence. J’ai honte d’avoir cette hypothèse en moi, de ne jamais vraiment m’en défaire, comme un vilain chewing-gum collé à ma semelle. Honte car à mes yeux, je suis à l’opposée de cela. J’ose tout juste en parler avec mon compagnon, envahie par le malaise. Typique des individus HP, cette dévalorisation, hein ? Et maintenant, je fais quoi ? Je cherche, je creuse, je lis, comme toujours dès qu’un sujet m’intrigue, j’écume la littérature jusqu’à ce que je n’aie l’impression que de lire de la redite. Sauf que cette impression ne vient pas car chaque lecture me soulage et m’encourage. Cela m’encourage à me prendre par la main, écouter enfin cette personne en moi que j’ai tant fait taire, celle qui pourrait , peut-être, mettre un nom sur sa différence. Et si ?
"Je suis fatigué patron, fatigué de devoir courir les routes et d'être seul comme un moineau sous la pluie.
Fatigué d'avoir jamais un ami pour parler, pour me dire où on va, d'où on vient et pourquoi.
Mais surtout je suis fatigué de voir les hommes se battre les uns contre les autres.
Je suis fatigué de toute la peine et la souffrance que je sens dans le monde. Il y en a trop.
C'est comme si j'avais des bouts de verre dans ma tête." La Ligne Verte