Vos passions philosophiques

l'Humanité, L'Existence, la Métaphysique, la Guerre, la Religion, le Bien, le Mal, la Morale, le Monde, l'Etre, le Non-Etre... Pourquoi, Comment, Qui, Que, Quoi, Dont, Où...?
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Re: Vos passions philosophiques

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Bon, espérons qu'on prof de philo du forum nous dépanne et trouve la référence!

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Kliban
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Kliban »

Je ne sais pas pourquoi, mais cela résonne comme du Nietzsche. Force, autonomie, méfiance des hommes, de leurs votes et approbations : autant de thèmes qui sentent son "ermite de Sils-Maria", comme il s'appelait lui-même. Un Nietzsche différent de son Zarathoustra, lequel ne demeure pas avec l'ermite rencontré lors de sa descente de la montagne. Le mot, "ermite", revient encore et encore sous sa plume (Gai savoir, Ecce homo, ...) comme la figure souvent personnifié, d'une une vie possible, métaphore de la philosophie et idéal partiel à contrebalancer du frottement aux hommes des derniers jours. Une référence possible pour un cours de Terminale.

Quant au texte, c'est plus difficile. Il doit y en avoir plusieurs. En voici un, trouvé en fouillant le web, dont on ne peut dire qu'il soit très politiquement correct :D même si je vois bien en quoi un cours de philo de Terminale un tout-tout-petit-brin provocateur pourrait en faire usage lors de sessions introductives sur "qu'est-ce que la philo" (noter la référence aux cyniques - Diogène) :
Ol' gaffer Nietzsche a écrit :J'ai nommé mes travailleurs et mes précurseurs inconscients. Mais où chercher avec quelque espoir ma race particulière de philosophes, ou tout au moins ceux qui ressentent mon besoin de philosophes nouveaux ? Là seulement où règne une façon de penser aristocratique, qui croit à l'esclavage et à de nombreux degrés d’allégeance, comme à la condition nécessaire de toute civilisation supérieure ; aux lieux où règne une pensée créatrice qui ne propose pas au monde comme fin suprême le bonheur du repos, le ‘sabbat des sabbats’ et qui n'honore dans la paix qu'un moyen de guerres nouvelles : une pensée qui donne des lois à l'avenir, qui, par amour pour l'avenir, traite durement et tyranniquement tout le présent et soi-même, une pensée sans scrupules, ‘immorale’, qui veut développer également les bonnes et les mauvaises qualités des hommes, parce qu'elle se sent la force de leur assigner à toutes leur juste place – la place où elles ont besoin les unes des autres. Mais quand on cherche des philosophes, de nos jours, quelle espérance a-t-on de trouver ce qu'on cherche ? N'est-il pas probable qu'armé de la meilleure lanterne de Diogène, on errera sans résultat jour et nuit ? Ce siècle a les instincts inverses ; il veut d’abord et par-dessus tout la commodité : il veut en second lieu la publicité et ce grand vacarme de comédiens, ce grand hourvari qui convient à ses goûts forains : il veut en troisième lieu que chacun se jette à plat ventre devant le plus grand des mensonges, l'‘égalité entre les hommes’ – et que l'on révère exclusivement les vertus égalitaires et niveleuses. Il est donc foncièrement hostile à la naissance de philosophes tels que je les conçois, bien qu'il s’y croie, en toute innocence, éminemment favorable. En effet, tout le monde gémit aujourd'hui de toutes les peines qu'ont eues les philosophes d’autrefois, coincés entre le bûcher, la mauvaise conscience et l'arrogante sagesse des Pères de l'Église ; mais à la vérité, pour la formation d’esprits puissants, vastes, rusés et audacieux, c'étaient encore là de meilleures conditions que ne le sont les circonstances présentes. Aujourd'hui c'est une autre sorte d’esprit, l'esprit démagogique, l'esprit de cabotinage, peut-être aussi l'esprit de castor et de fourmi du savant, qui trouve des circonstances favorables à son éclosion. Mais tout va de mal en pis pour les artistes supérieurs ; ne périssent-ils pas presque tous de leur anarchie intérieure ? Ils ne sont plus tyrannisés du dehors, par les tables de valeurs absolues d’une Église ou d’une Cour ; ils n'apprennent donc plus à éduquer leur ‘tyran intérieur’, leur vouloir. Et ce qui est vrai des artistes est vrai, dans un sens plus élevé et plus néfaste, des philosophes. Où sont de nos jours les esprits libres ? Qu'on me montre aujourd'hui un esprit libre ! – Eh bien ! Ne parlons pas si haut ! La solitude est de nos jours plus riche de secrets, plus solitaire que jamais ... En fait, j'ai appris entre-temps que l'esprit libre devait nécessairement être ermite. (Fragm. Posth. XI 37 [14])
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[mention]Kliban[/mention] il me semble que tu as trouvé, ça colle très bien en tout cas. Bravo et merci! :)

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Fugace
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Message par Fugace »

Je ne suis pas tout à fait d'accord ! Quelque chose ne colle pas. Un prof de philo ne présenterait pas la pensée de Nietzsche de cette façon, en tout cas pas ceux que j'ai connu. L'érémitisme est très loin d'être la principale caractéristique de Nietzsche, au contraire.
Nietzsche a écrit :« Un seul est toujours de trop autour de moi, » — ainsi pense le solitaire. « Toujours une fois un — cela finit par faire deux ! »
Je et Moi sont toujours en conversation trop assidue : comment supporterait-on cela s’il n’y avait pas un ami ?
Pour le solitaire, l’ami est toujours le troisième : le troisième est le liège qui empêche le colloque des deux autres de s’abîmer dans les profondeurs.
Ainsi parlait Zarathoustra (De l'Ami, Wikisource)
Nietzsche a écrit :Que m’est-il arrivé, mes amis ? Vous me voyez bouleversé, égaré, obéissant malgré moi, prêt à m’en aller — hélas ! à m’en aller loin de vous.
Oui, il faut que Zarathoustra retourne encore une fois à sa solitude, mais cette fois-ci l’ours retourne sans joie à sa caverne !
Que m’est-il arrivé ? Qui m’oblige à partir ? — Hélas ! l’Autre, qui est ma maîtresse en colère, le veut ainsi, elle m’a parlé ; vous ai-je jamais dit son nom ?
Hier, vers le soir, mon heure la plus silencieuse m’a parlé : c’est là le nom de ma terrible maîtresse.
Et voilà ce qui s’est passé, — car il faut que je vous dise tout, pour que votre cœur ne s’endurcisse point contre celui qui s’en va précipitamment !
Connaissez-vous la terreur de celui qui s’endort ? —
Il s’effraye de la tête aux pieds, car le sol vient à lui manquer et le rêve commence.
Je vous dis ceci en guise de parabole. Hier à l’heure la plus silencieuse le sol m’a manqué : le rêve commença.
Ainsi parlait Zarathoustra (L'heure la plus silencieuse, Wikisource)

Nietzsche à mes yeux ne prône pas du tout la solitude, il se plaint plutôt de la solitude des sommets et cherche avant tout par ses livres à peupler d'humains les cimes où il se trouvait, à élever l'Humanité toute entière à l'air rare qu'il respirait.

S'il faut chercher de véritables éloges du sage retiré, assez solide pour faire de l'ombre à l'esprit solaire d'un empereur, en occident c'est très clairement du côté de Diogène qu'il faut chercher. En orient, c'est très certainement dans le taoïsme, dans la pensée de Lao Tseu et de l'arbre tellement tordu qu'aucun bûcheron ne voudra même imaginer vouloir le couper, tandis que tous ses voisins qui auront poussé bien droits seront déjà devenus des planches, des lances et des rames.

Peut-être aussi dans le bouddhisme.

Te rappelles-tu la sphère d'origine de la pensée ? Ou au moins un siècle/millénaire ?

***

Edit : j'avais raté cette phrase :un Nietzsche différent de son Zarathoustra, lequel ne demeure pas avec l'ermite rencontré lors de sa descente de la montagne.

Ce qui remet en cause mon texte précédent :tmi: :wasntme:

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

[mention]Fugace[/mention] le texte mentionné par Kliban me paraît assez proche de ce qu'indiquait [mention]Chuchumuchu[/mention]. On pourrait voir aussi du côté de Diogène, tu as raison, je jetterai un coup d’œil quand je pourrai.

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Kliban
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Kliban »

Hello ! Le soucis avec Diogène, à mon sens, c’est qu’il ne pouvait pas être dit où se dire ermite, du moins à l’époque, le terme étant dérivé de eremos, le désert où les chrétiens des IIIe et IVe siècle de notre ère, ne pouvant plus trouver martyr dans les arènes, partirent à la suite des Jérôme et autres Pacôme, si je me souviens bien, le chercher dans les solitudes arides d’Egypte et de Syrie. Mais tout ça, c’est bien sept siècles après Diogène, qui, s’il vivait dans un tonneau, n’était pas adepte des grottes isolées non plus que des déserts. Il y des similitudes, bien sûr, dans l’exception à l’égard de la cité où se plaçaient les premiers cyniques et les premiers ermites puis cénobites. Mais je trouverais anachronique et erroné qu’on affuble les premiers du nom des seconds.

Cela dit, je n’ai pas lu Nietzsche parler du vote et de l’approbation des hommes, qui sont des notions qu’on retrouverait en revanche plus facilement dans l’Athènes du IVe avant notre ère. Ce qui peut pointer vers les cyniques et une attribution rétroactive (et possiblement influencée par Nietzsche ou des auteurs chrétien, souvent peu suspect d’exactitude historique) d’érémitisme ?

Buddhiste en revanche je ne pense pas. Les bouddhiste traditionnels ne sont pas ermites, sauf à l’occasion de quelques pratiques très encadrées il me semble. C’est précisément contre l’érémitisme hindou et ses ascèses extrêmes que Buddha assoie sa voie du milieu. Ce pourrait être Chan en revanche, oui - ou zen - fusion entre taoïsme et bouddhisme, qui a connu son lot de solitaires. Mais le Chan ne se serait pas embarrassé de classer les hommes sur une échelle de valeur (ce à quoi le bouddhisme traditionnel ne rechigne pas, quant à lui). Bon tout ça, c’est à la louche, je ne connais que de loin, donc je peux me planter. Rectifications bienvenues :p

Ça serait coule qu’on retrouve le texte !
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Message par Invité »

Kliban a écrit : jeu. 15 oct. 2020 08:54 Le soucis avec Diogène, à mon sens, c’est qu’il ne pouvait pas être dit où se dire ermite
C'est vrai si on prend le terme au sens strict que tu indiques, mais il y a bien chez les cyniques, que ce soit Antisthène, Diogène ou Cratès, une valorisation de certains traits qu'on peut qualifier de "proto-érémitiques" : la nécessité de "désapprendre le mal" inculqué par les rituels sociaux, l'éloge de la solitude, la valorisation d'une "force" acquise par un entrainement de type ascétique, l'indépendance d'esprit, etc. Cela dit, un des problèmes des cyniques, c'est qu'on les connaît mal, on a peu de choses d'eux et sur eux, et le peu qu'on a est transmis par leurs adversaires ou, au contraire, par des admirateurs très postérieurs qui les ont idéalisés, donc c'est difficile de se faire une idée.
Mais ils sont fascinants et ça vaut le coup d'aller regarder de plus près.
Kliban a écrit : jeu. 15 oct. 2020 08:54 Buddhiste en revanche je ne pense pas.
Je ne pense pas non plus. C'est un domaine que je connais beaucoup moins bien que les grecs, mais je n'ai rien en tête, ni de près ni de loin, qui pourrait correspondre. Il y a des dialogues bouddhistes anciens qui confrontent un roi et un ascète, comme le Milindapanha, qui rapporte un entretien de Sagasena avec Ménandre, mais c'est une exposition de la Loi sous forme de questions-réponses, pas une opposition entre deux types de pouvoir.

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Kliban
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Kliban »

[mention]Judith[/mention], tu as une bonne référence sur les cyniques ? J’avais lu le bouquin qu’Offray leur avait consacré, mais c’était il y a longtemps - et je ne suis pas sûr d’Onffray sur le sujet.
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Message par Invité »

Le bouquin d'Onfray est à fuir.
Le mieux est de commencer par l'anthologie de Léonce Paquet, Les cyniques grecs, fragments et témoignages, un peu ancien mais très bien fait, réédité avec une excellente préface de Marie-Odile Goulet-Cazé qui fait le point sur les perspectives actuelles. Ensuite, tu peux lire Le cynisme ancien et ses prolongements par Richard Goulet et Marie-Odile Goulet-Cazé : ce sont les actes d'un colloque universitaire donc c'est très complet, avec des approches diverses mais toutes rigoureuses.

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

Je me rends compte que ce fil est resté en suspens.

Je me demande si ça intéresserait quelqu'un que je le reprenne : je voulais parler de Plotin et peut-être ensuite d'autres philosophes grecs moins connus qui ont compté pour moi, mais je ne sais pas s'il y a des amateurs? C'est un peu austère, il faut le reconnaître.

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Kliban »

Moi je veux bien !!! Oh voui voui voui ! Dis alleeeez !!!
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

@Kliban merci de ta réponse. C'est d'accord, je vais écrire quelque chose dans les jours qui viennent. Je pense partir du livre de Pierre Hadot sur Plotin et discuter un peu les apports de certaines analyses récentes de la Vie par Porphyre, si ça te dit... Si tu préfères un autre angle d'approche, n'hésite pas à me le signaler, ce n'est qu'une possibilité. :)

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Tortue
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Tortue »

Je suis très loin d'être spécialiste, mais je vous lirai avec intérêt !

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Kliban »

Whatever you like ! Je suis intéressé et par l’auteur et par l’approche :)
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

C'est parti.
Pour faciliter la lecture, je posterai mon topo en trois messages (un par jour). N'hésitez pas à réagir si vous n'êtes pas d'accord avec ce que j'écris, ce sera intéressant.

Pour rester dans le fil du sujet je ne parlerai de Plotin qu’à travers les deux hommes qui m’y ont donné accès : le premier, Pierre Hadot, était un très grand historien moderne de la philosophie antique, chrétien apostat converti au néo-paganisme mais resté attaché à une certaine conception mystique de l'existence -c'est important car il a beaucoup tiré Plotin dans son propre sens ; le second était l’élève de Plotin lui-même, Porphyre. C'était un brillant polygraphe et polémiste du IIIème siècle, un farouche adversaire des chrétiens et l’auteur de la première biographie de son maître. On le surnommait parfois « Le Roi de Tyr » d’après son nom personnel, Malkhos (qui signifie « roi » en phénicien hellénisé), dont Porphyre (le Pourpre) est peut-être une traduction éloignée.

Trois parties donc dans mon exposé : après une brève présentation factuelle, j’évoquerai le Plotin de Pierre Hadot puis le Plotin de Porphyre. Je présenterai ces deux images, assez éloignées l’une de l’autre et partiellement complémentaires, dans l’ordre où je les ai découvertes. Les deux sont des représentations très personnelles, des « portraits » au sens littéraire du terme davantage que des figures exactes d’un homme dont au fond, on ne sait que très peu de choses.

Mais commençons par le commencement.

1. Qui est Plotin?

Plotin est un philosophe de langue grecque né en 205 de notre ère et mort vers 270. Son origine géographique est inconnue (peut-être l’Égypte). Il a suivi pendant onze ans, à Alexandrie, les cours d’un platonicien, sans doute d’origine chrétienne, Amonios Saccas. Il a participé aux guerres romaines contre l’Inde -on verra plus bas pourquoi c'est peut-être important. Il avait alors une quarantaine d’années. La défaite romaine et les troubles politiques de l'Empire l'ont forcé à fuir à Antioche, où l'on ignore comment il a vécu. Il a par la suite gagné Rome où il s’est établi comme enseignant. Son cercle d’élèves comportait essentiellement des hommes de la haute société romaine, de toutes obédiences intellectuelles (platonicienne, stoïcienne, chrétienne, gnostique). Ses cours lui ont valu des déboires, mais aussi du succès, et même une certaine faveur impériale. Son enseignement était principalement oral et consistait dans des commentaires aux textes de Platon et des discussions avec ses élèves dont nous ignorons le contenu exact. Il a mis par écrit, assez tard dans sa vie, un certain nombre de textes, édités et publiés après sa mort par l’un de ses disciples, Porphyre, dont il a été question plus haut.

Ce n’était pas un systématique, bien qu’il ait été assez vite qualifié de « fondateur de l’école néo-platonicienne ». Les traités édités par Porphyre sous le titre des Ennéades (cinquante-quatre traités répartis en six blocs de neuf, d’où le titre) traitent de questions très diverses : éthique, nature et vie de l’âme, origine et forme du cosmos, etc. Ils sont difficiles à comprendre, riches en images, en mythes, composés dans une langue très concise, souvent à la limite de l'hermétisme, et fortement allusifs. Les concepts de Platon y tiennent une place importante et on a parfois cru pouvoir y déceler des influences indiennes.

Sa postérité a été immense, essentiellement parce qu’il a été rapidement christianisé et qu’on a rapproché certains éléments de sa métaphysique de la Trinité chrétienne. Ces rapprochements, qui sont probablement faux et ont conduit à de graves déformations de sa pensée, ont évité la destruction de son œuvre.

La suite demain. :)
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Tortue
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Tortue »

Merci (et vivement demain).
Intrigante, cette hypothèse d'une influence indienne. Tu pourrais nous en dire plus ?

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

Tortue a écrit : dim. 11 juil. 2021 23:46 Intrigante, cette hypothèse d'une influence indienne. Tu pourrais nous en dire plus ?
Volontiers, je vais rajouter un paragraphe à ce sujet. L'hypothèse est abandonnée aujourd'hui, mais elle a été défendue avec des arguments dignes d'intérêt.

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

J’ouvre ce deuxième volet sur une image.

Image


Il s’agit de la frise décorative d’un sarcophage romain du IIIème siècle où l’on peut voir un homme en train de lire, entouré de cinq personnages. Un historien du début du XXème siècle, G. Rodenwaldt, a proposé d’y voir une représentation d’un cours de Plotin, en se fondant sur des rapprochements avec certains détails fournis par Porphyre : la présence de femmes, le contraste entre l’extrême attention de certains auditeurs et la désinvolture, voire la réprobation de plusieurs autres, la sérénité des visages, notamment celui du lecteur. Il n’a guère été suivi dans son interprétation, effectivement peu plausible, de l’objet mais on a gardé l’appellation de « Sarcophage de Plotin ».
La frise fournit, quoi qu’il en soit, des éléments intéressants. Elle ne nous renseigne pas sur la façon dont pouvait se dérouler réellement un cours de Plotin, mais sur l’image que se faisait le milieu social où Plotin enseignait, et probablement Plotin lui-même, du rapport qui pouvait exister entre des citoyens cultivés et un texte jugé digne de copie et de transmission orale (avec ou sans commentaire). On remarque la centralité et la taille exagérée du rouleau que le lecteur tient sur ses genoux, la présence de figures féminines qui l’encadrent et ne représentent probablement pas des auditrices, mais des déesses gouvernant les activités de l’intelligence, Muses ou autres - dont l’une soutient symboliquement la partie gauche du rouleau que le lecteur déroule ; la proximité physique des deux visages masculins, ceux du lecteur et de son auditeur : l’ensemble évoque une transmission de connaissances fondée sur la faveur et l’aide des dieux, sur l’écoute et sur l’amitié entre les hommes.

Pour revenir à Plotin lui-même, je passe à la première image que je me suis formée de lui, celle que proposait Pierre Hadot.

2. Le Plotin de Pierre Hadot

Il est presque tout entier contenu dans deux livres. Le premier, Plotin ou la simplicité du regard, est paru en 1963 dans la collection « La recherche de l’Absolu » des éditions Plon : c'est un opuscule de vulgarisation, en partie inspiré des Eisagogai antiques qui visaient à introduire le lecteur profane à l’univers mental d’un philosophe. Le second est un recueil d’articles à destination d’un public érudit, Plotin. Porphyre. Études néoplatoniciennes édité aux PUF. Je m’occuperai uniquement du premier, car c’est dans ses courtes pages que j’ai découvert Plotin.

Hadot situe Plotin comme le fondateur de l’école néo-platonicienne, qui représente selon ses propres termes « avant tout une mystique de l’Un, (où) toutes les spéculations sur les degrés d’unité sont destinées à conduire l’âme à coïncider avec l’Un. » L’Un, c’est bien sûr celui du Parménide, et cette école aurait pour texte fondateur, outre ce dialogue central, l’exhortation platonicienne à unifier l’âme divisée contre elle-même (Phédon 83a) tout en intégrant l’idéal stoïcien de l’accomplissement individuel comme harmonie intérieure.

Pour Hadot, Plotin est à l’origine de cette école parce qu’il est non seulement un lecteur attentif de Platon et un ascète de type stoïcien, mais aussi et avant tout le témoin d’une expérience personnelle et directe de la transcendance, d’une coïncidence spontanée de l’âme avec l’Un. Le livre cite très vite, aussitôt après ses pages d’introduction, un passage des Ennéades qui dépeint cette expérience : c’est un texte que sa beauté et sa riche postérité, notamment chrétienne, ont rendu à juste titre très célèbre. Pour Hadot, c’est surtout un texte primordial, au point qu’il peut fournir une clef plausible de l’œuvre entière.
« Souvent, m’éveillant de mon corps à moi-même, devenu alors extérieur à tout le reste et intérieur à moi-même, contemplant alors une beauté merveilleuse, sûr alors d’appartenir au plus haut point du monde supérieur, ayant vécu la vie la plus noble, étant devenu identique au divin, m’étant fixé en lui, étant parvenu à cette activité suprême et m’étant établi au-dessus de toute autre réalité spirituelle, quand, après ce repos dans le divin, je retombe de l’Intellect au raisonnement, je me demande comment j’ai pu jamais, et cette fois encore, descendre ainsi, comment mon âme a pu jamais venir à l’intérieur d’un corps, si déjà, lorsqu’elle est dans un corps, elle est telle qu’elle m’est apparue. » (Ennéade IV, 8, 1. 1, dans la traduction de Pierre Hadot aux pages 28-29 de son essai.)
C’est de cette expérience intime, qui transfigure sa vie et la conception qu’il se fait du monde, que Plotin tire son enseignement, davantage encore que de la tradition philosophique platonicienne dont il est un des représentants. Et cette expérience est une expérience à la fois heureuse et déchirante. En effet, pour Plotin, lecteur du Parménide, la transcendance est l’Un : mais qu’est-ce que l’Un ? C’est l’absolument simple, l’indivisé. Or la vie humaine telle que l’expérimente le philosophe au quotidien est multiple et divisée : elle est divisée par l’opposition entre le corps et l’âme qui le meut, par le jeu contradictoire de la pensée, par les diverses formes que peut prendre la conscience, par les aléas des événements matériels. Comment résoudre cette contradiction ?
« Simple » se dit en grec aplous : c’est un terme polysémique qui désigne en métaphysique le non-composé, et en éthique la qualité de netteté, de franchise (nous dirions en français la capacité à vivre « sans détour »). Tout l’essai d’Hadot joue de ce double registre de la notion de simplicité, pour montrer qu’ils se confondent chez Plotin. Témoin de l’Un, le philosophe a conformé sa vie, son rapport aux autres et son enseignement à cette réalisation première. Toute son œuvre n’a visé qu’à une seule chose : transmettre cette présence parfaite, à l’Un, à lui-même et à autrui, en y conformant en toutes choses son mode de vie, et ainsi résoudre la contradiction rencontrée lors de l’expérience séminale.

Plotin devient donc chez Hadot un mystique et un directeur spirituel, témoin et acteur du divin dans ses paroles et dans ses actes. Son portait se répartit dès lors en cinq facettes : présence, amour, vertus (au pluriel car il en existe de plusieurs degrés, correspondant aux degrés de proximité avec l'Un), douceur et solitude. Plotin apparaît comme l’homme de l’unité physique, éthique et métaphysique, conscient des obstacles à cette unité qu’impose toute vie humaine et appliqué à les réduire. L’essai se clôt sur le récit donné par Porphyre de la mort du philosophe et rapporte sa « dernière parole », résumé de sa vie entière.
« Quand il fut sur le point de mourir, Eustochius, qui résidait à Pouzzoles, arriva bien tard auprès de lui, comme il me le raconta lui-même. Plotin lui dit alors : « Je t’attends encore ». Il lui dit aussi : « Je m’efforce de faire remonter ce qu’il y a de divin en moi à ce qu’il y a de divin dans l’Univers ». A ce moment-là, un serpent passa sous le lit dans lequel il était couché, et se glissa dans un trou de la muraille, et Plotin rendit l’âme. Il était âgé, au dire d’Eustochius, de soixante-six ans. (Vie de Plotin 2, 23, citée par Hadot p. 188).


Bien évidemment, cette représentation de Plotin a vieilli, et elle est aujourd’hui en grande partie abandonnée.
Mais c’est la première que j’ai rencontrée et elle était pour moi, à l’âge tendre où j’en ai pris connaissance, extrêmement séduisante. Pas à cause de sa dimension mystique, dont (révérence gardée envers la mémoire de Pierre Hadot) on voit assez vite le caractère artificiel. Mais le Plotin d’Hadot comportait une dimension idéale, celle de la recherche à la fois patiente et passionnée de cohésion intérieure et d’une vie en accord avec cette recherche, qui était attirante et que j’ai toujours gardée en mémoire.

Je m’arrête là pour aujourd’hui.

@Tortue Je rajouterai demain le paragraphe sur les rapprochements possibles entre Plotin et certains courants philosophiques indiens. Ce sera plus clair après la présentation du Plotin de Porphyre, et ça m’évitera de surcharger un message déjà bien trop long.
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Tortue »

Judith a écrit :Mais le Plotin d’Hadot comportait une dimension idéale, celle de la recherche à la fois patiente et passionnée de cohésion intérieure et d’une vie en accord avec cette recherche, qui était attirante et que j’ai toujours gardée en mémoire.
C'est quelque chose que ta présentation transmet très bien, car c'est précisément ce à quoi j'ai pensé en la lisant (j'ai d'ailleurs été surpris de le voir aussi nettement formulé en conclusion).

Je viens de trouver chez moi un article sur Plotin dans une récente Histoire de la philosophie, je vais m'efforcer de comprendre en quoi la représentation de Plotin par Pierre Hadot a vieilli.

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Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

Tortue a écrit : lun. 12 juil. 2021 14:24 un article sur Plotin dans une récente Histoire de la philosophie
Qui est l'auteur? Selon le cas, tu peux tomber sur une approche restée fidèle à Hadot, ce qui n'est pas un mal en soi : Hadot était un immense historien, son apport à l'histoire de la philosophie antique est considérable et demeure très précieux.
Si c'est de l'école de Goulet, tu auras un point de vue plus moderne.

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Tortue
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Tortue »

C'est d'Alessandro Linguiti (dans l'ouvrage collectif dirigé par Jean-François Pradeau).

Invité

Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

Ah, ça reste dans la mouvance de Pierre Hadot et ce ne sera pas très original. Mais c'est très bien, Linguiti : c'est un bon connaisseur des aspects polémiques de l’œuvre de Plotin.

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Rune
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Rune »

J'aime bien le titre de ce fil, ''passions philosophiques''. Des années où j'ai étudié cette matière, j'ai en effet uniquement retenu le rapport ''sentimental'' que j'avais aux philosophes :
Socrate me paraissait plus sympa que Platon, Descartes m'agaçait un peu, mais moins que Rousseau, j'admirais Kant tout en ayant un peu pitié de lui, et j'aurais bien passé une soirée avec Nietzsche.
Pour autant, je suis aujourd'hui incapable d'expliquer ce qui avait déclenché ces ''sentiments'' chez moi !
Les seules choses que j'arrive à ressortir à leur sujet sont les banalités qui leur sont associées en général, alors que justement j'adorais la philosophie car elle nous obligeait à faire preuve de précision intellectuelle et à approfondir notre pensée.
(En cours de philo, j'avais aussi la sensation de ''nettoyer'' mes neurones, dans le sens où cela me rendait le monde plus clair...)
Je m'étais donc promis de continuer en autodidacte...ce que je n'ai jamais réussi : je n'aime pas trop lire les ouvrages philosophiques. (Je n'y ai jamais retrouvé l'espèce de révélation éprouvée parfois en cours de philo !)

Tout ça pour dire : rien de tel qu'un bon prof, et je te lis avec plaisir, @Judith ! Merci pour ce fil, ça me permet de m'y replonger un peu ! (Heureusement que je suis en vacances, ceci dit...)

Ps : en te lisant, j'ai ainsi retrouvé un des éléments qui me parlait beaucoup en philosophie, à savoir le rapport aux mots, leur exactitude, leurs sens etc.

Invité

Re: Vos passions philosophiques

Message par Invité »

@Rune merci de ton message. C'est vrai qu'il est parfois difficile de comprendre ce qui nous attire ou nous repousse chez un philosophe. :)

Suite et fin de mes élucubrations plotinesques.


3. Le Plotin de Porphyre

La découverte du livre de Pierre Hadot reste pour moi un moment unique, un de ceux dont ma mémoire a conservé les moindres détails. Je me souviens de la salle de cours où j’en ai entendu parler, des phrases prononcées par l’enseignant à son sujet et j’ai dans l’oreille jusqu’au timbre de sa voix. J’ai lu l'opuscule dans la soirée qui a suivi le cours, et le lendemain, je suis retournée à la bibliothèque –sous des trombes d’eau et sans parapluie :honte: - où j’ai emprunté la première Ennéade.

J’ai lu les premières phrases en grec… et je suis tombée amoureuse.

Je suis tombée amoureuse des phrases rapides, des métaphores somptueuses, des surprenantes réécritures d’Homère et des Tragiques insérées dans le corps même des analyses les plus techniques, de la fulgurance d’une pensée dont on perçoit très vite combien le langage, si raffiné soit-il, peine à la contenir. J’ai admiré la façon dont la pensée de Platon, recentrée sur le Parménide et revisitée de fond en comble, façonne une nouvelle représentation de l’Univers fondée sur la transcendance absolue de l’Un.
Bref, ce sont des choses trop intimes pour que je m’y attarde :D . Mais comme toute amoureuse, j’ai voulu tout savoir de mon idole, et je me suis jetée sur le seul témoignage qu’on conserve d’un proche de Plotin, un homme qui avait été son élève et qui avait pieusement recueilli son œuvre. J’ai donc découvert le Plotin de Porphyre moins calmement que je ne l’avais fait de celui d’Hadot : c’était une biographie d’un type que je n’avais jamais rencontré (je ne connaissais alors que les Vies Parallèles de Plutarque) et je l’ai lue naïvement, ce qui m’a rendue plus amoureuse que jamais.
Par la suite, je n’ai plus jamais cessé de lire Plotin.

Mais ces considérations sentimentales une fois exposées et ces doux souvenirs revisités, qu’est-ce que la biographie de Porphyre ?
Eh bien, c’est difficile à dire et les historiens ne sont pas d’accord à ce sujet. On peut y voir une hagiographie païenne, la vie extraordinaire d’un « homme divin » et le pieux récit de la collecte de ses œuvres (Le titre exact est La Vie de Plotin et l’ordre de ses écrits, le second thème étant au moins aussi important que le premier). On peut aussi y voir un autoportrait flatté de Porphyre en tant que disciple modèle et récipiendaire de la parole de son maître, et notamment une justification de sa séparation d’avec Plotin et de son absence à la mort de ce dernier : une sorte de réécriture de soi en nouveau Platon, en quelque sorte, l’illustre modèle servant de masque à une banale histoire de désaccord intellectuel. Voire une discrète apologie de sa propre pensée, qui était, sur le fond, très éloignée de celle de l’homme dont il fait l’éloge.

Quoiqu’il en soit, c’est un document incomparable sur Plotin lui-même et sur son école, doublé d’une œuvre profondément originale. L’image donnée du philosophe est surprenante : dès l’incipit, on y apprend que Plotin rejetait toute vie corporelle, qu’il avait honte d’avoir un corps, une vie terrestre, une histoire, au point de refuser qu’on fît son portrait et de ne jamais parler de lui-même : « il se refusait à rien raconter sur sa famille, ses parents ou sa patrie » (§1). On enchaîne quelques lignes plus loin sur sa mort, présentée à la mode pythagoricienne comme la délivrance de l’âme enfin libérée du corps qui l’emprisonnait. Fin de partie, comme dirait Beckett.

Ce sera donc essentiellement un retour arrière et un portait intellectuel et moral du philosophe. Porphyre nous expose, de façon assez vague, les doctrines de Plotin, et nous donne au passage quelques renseignements sur l’apparence de son maître et sur ses attitudes et son mode de vie. Nous y apprenons donc que Plotin était beau, qu’il avait la parole facile, qu’il fascinait aisément ses auditeurs mais que ses cours étaient donnés sans ordre, et qu’il laissait quelquefois ses élèves les conduire à sa place par excès de douceur et de respect humain. On découvre qu’il était malvoyant, ce qui lui rendait difficile la lecture et l’écriture et qu’il faisait des fautes d’orthographe. On y apprend qu’il enseignait à tous et qu’il s’efforçait de détourner ses élèves d’une existence trop engagée dans la vie politique ou économique, qu’il arbitrait avec grâce les conflits, qu’il oubliait souvent de manger. Qu’il refusait de fêter son anniversaire, cachant à dessein le jour de sa naissance, mais qu’il sacrifiait rituellement aux anniversaires de Socrate et de Platon avec toute la dévotion nécessaire.

L’ensemble baigne, chose rare dans les biographies de philosophes, dans une ambiance de merveilleux et de mystère : comme Socrate, Plotin est assisté d’un démon qui se manifeste parfois, il se rend à des cérémonies magiques. Comme le fera plus tard Hadot, Porphyre insiste sur la prévalence chez Plotin de la recherche de l’union au divin sur la spéculation intellectuelle, mais il n’en fait pas à proprement parler un mystique. Il insiste surtout sur sa disposition, héritée des dieux, à mener un genre de vie conforme à sa vocation et sur la perfection de son existence.
La dimension très littéraire du texte le rend extrêmement vivant et touchant, et pour se figurer Plotin dans son milieu et "tel qu'en lui-même", mieux vaut commencer par Porphyre que par Hadot, même s'il faut évidemment se garder de toute naïveté.

J'ai donc fait les choses à l'envers et en dépit du bon sens, et c'est peut-être pour cela que de tous les philosophes grecs, Plotin reste le plus cher à mon cœur. :o

@Tortue Concernant un éventuel rapport de la pensée de Plotin avec la philosophie indienne, tout part d’une phrase de Porphyre, qui indique que son maître, après avoir étudié à fond la philosophie grecque, « essaya de connaître par lui-même celle qui se pratique chez les Perses et celle qu’honorent les Indiens ». C’est dans ce but qu’il aurait accompagné les armées de Gordien. On n’en sait pas davantage sur le plan factuel.
Pour ce qui est des interprétations, on a parfois pensé que Plotin avait étudié la philosophie indienne pour la réfuter, mais il n’y a rien de tel dans son œuvre. Un indianiste, Olivier Lacombe, a proposé de voir dans certains traits de la pensée plotinienne des analogies avec la philosophie védique : la conceptualisation positive de l’infini, l’accent mis sur l’expérience directe de la coïncidence de la partie la plus élevée de l’âme avec le divin, la prééminence de l’Un sur l’Intellect. Mais il est probable, comme il le reconnaît lui-même, que ce ne sont que des coïncidences et que Plotin n'a jamais pu établir un véritable dialogue avec des brahmanes, même s’il a sans doute eu accès à certaines de leurs idées.

Merci à ceux qui m'ont lue de leur patience, et j'espère que ce fil reprendra un peu de vie cet été.
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Re: Vos passions philosophiques

Message par Miss souris »

J'aime beaucoup te lire, mais ce n'est pas moi qui rendrai vie à ce fil...😇

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