J’ai profité des hommages à Tavernier pour voir l’un des rares films de lui que je ne connaissais pas,
Le Juge et l’assassin. Vraiment magnifique, cet opus qui s’ouvre sur le délire d’un homme solitaire entre ciel et neige, blanc et bleu glacé, et se referme sur le chant d’une femme au cœur d’une révolte ouvrière dans une explosion de couleurs chaudes. Entre les deux, on aura suivi l’errance de l’homme devenu meurtrier, bourreau d’enfants au sein d’immenses espaces naturels. On aura assisté à sa traque et à sa manipulation par un magistrat provincial au coeur d’intérieurs étouffants, salons et cachots où s’atrophient idées et sentiments. On aura repris souffle en mesurant l’émancipation progressive et la prise de conscience politique d’une jeune femme asservie.
C’est un film savamment construit pour déstabiliser son spectateur : où réside le mal ? Dans des assassinats pulsionnels ? Dans le sacrifice d’une enfant malade reléguée à l’hospice ? Dans la description gourmande de crimes sexuels par une vieille dame guindée ? Dans la célébration en récital de salon des crimes colonialistes ? Dans une souricière psychologique et politique tendue par un vieil enfant carriériste et vulnérable contre un psychotique torturé et retors ? Dans la négociation d’un bol de soupe pour une signature contre Dreyfus ? Dans le viol sordide d’une ouvrière par un notable ?
Tavernier ne donne pas de réponse, mais trace une vaste fresque où l’on oscille entre empathie et dégoût pour des personnages tourmentés (grande performance de Galabru dans un rôle somptueusement écrit), entre peur et soulagement, entre révolte et espérance.
Jusqu'alors, mon Tavernier préféré était
Un dimanche à la campagne, mais je pourrais changer d'idée.
