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Livingstone
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Extraits choisis

Message par Livingstone »

Trop long pour le post des citations ? pas le même objectif ? un texte littéraire à partager ? c'est ici !
(edit : plein de fautes de ponctuation dans ce passage pompé : je fais un prix de gros, disons au moins que en français tout point d'exclamation ou d'interrogation est précédé et suivi d'un espace, et pour le reste... ).

" Le Bouillon

Aujourd’hui, à l’école, la maîtresse a manqué. Nous étions dans la cour, en rangs, pour entrer en classe, quand le surveillant nous a dit : « Votre maîtresse est malade, aujourd’hui ».
Et puis, monsieur Dubon, le surveillant, nous a conduits en classe. Le surveillant, on l’appelle le Bouillon, quand il n’est pas là, bien sûr. On l’appel­le comme ça, parce qu’il dit tout le temps : « Re­gardez-moi dans les yeux », et dans le bouillon il y a des yeux. Moi non plus je n’avais pas compris tout de suite, c’est des grands qui me l’ont expli­qué. Le Bouillon a une grosse moustache et il punit souvent, avec lui, il ne faut pas rigoler. C’est pour ça qu’on était embêtés qu’il vienne nous sur­veiller, mais, heureusement, en arrivant en classe, il nous a dit : « Je ne peux pas rester avec vous, je dois travailler avec monsieur le Directeur, alors, regardez-moi dans les yeux et promettez-moi d’être sages ». Tous nos tas d’yeux ont regardé dans les siens et on a promis. D’ailleurs, nous sommes toujours assez sages.
Mais il avait l’air de se méfier, le Bouillon, alors, il a demandé qui était le meilleur élève de la classe. «C’est moi monsieur ! » a dit Agnan, tout fier. Et c’est vrai, Agnan c’est le premier de la classe, c’est aussi le chouchou de la maîtresse et nous on ne l’aime pas trop, mais on ne peut pas lui taper dessus aussi souvent qu’on le voudrait, à cause de ses lunettes. « Bon, a dit le Bouillon, tu vas venir t’asseoir à la place de la maîtresse et tu sur­veilleras tes camarades. Je reviendrai de temps en temps voir comment les choses se passent. Révisez vos leçons ». Agnan, tout content, est allé s’asseoir au bureau de la maîtresse et le Bouillon est parti.
«Bien, a dit Agnan, nous devions avoir arithmé­tique, prenez vos cahiers, nous allons faire un problème. — T’es pas un peu fou? » a demandé Clotaire. «Clotaire, taisez-vous ! » a crié Agnan, qui avait vraiment l’air de se prendre pour la maîtresse. « Viens me le dire ici, si t’es un homme ! » a dit Clotaire et la porte de la classe s’est ouverte et on a vu entrer le Bouillon tout content. « Ah ! il a dit. J’étais resté derrière la porte pour écouter. VOUS, là-bas, regardez-moi dans les yeux ! » Clotaire a regardé, mais ce qu’il a vu n’a pas eu l’air de lui faire tellement plaisir. « Vous allez me conjuguer le verbe : je ne dois pas être grossier envers un camarade qui est chargé de me surveiller et qui veut me faire faire des problèmes d’arithmétique.» Après avoir dit ça, le Bouillon est sorti, mais il nous a promis qu’il reviendrait.
Joachim s’est proposé pour guetter le surveillant à la porte, on a été tous d’accord, sauf Agnan qui criait : « Joachim, à votre place ! » Joachim a tiré la langue à Agnan, il s’est assis devant la porte et il s’est mis à regarder par le trou de la serrure. «Il n’y a personne, Joachim ? » a demandé Clotaire. Joachim a répondu qu’il ne voyait rien. Alors, Clotaire s’est levé et il a dit qu’il allait faire manger son livre d’arithmétique à Agnan, ce qui était vraiment une drôle d’idée, mais ça n’a pas plu à Agnan qui a crié :
«Non ! J’ai des lunettes !
- Tu vas les manger aussi ! » a dit Clotaire, qui voulait absolument qu’Agnan mange quelque chose. Mais Geoffroy a dit qu’il ne fallait pas perdre de temps avec des bêtises, qu’on ferait mieux de jouer à la balle. « Et les problèmes, alors ? » a demandé Agnan, qui n’avait pas l’air content, mais nous, on n’a pas fait attention et on a commencé à se faire des passes et c’est drôlement chouette de jouer entre les bancs. Quand je serai grand, je m’achèterai une classe, rien que pour jouer dedans. Et puis, on a entendu un cri et on a vu Joachim assis pat terre et qui se tenait le nez avec les mains. C’était le Bouillon qui venait d’ouvrir la porte et Joachim n’avait pas dû le voir venir. «Qu’est-ce que tu as?» a demandé le Bouillon tout étonné, mais Joachim n’a pas répondu, il faisait ouille, ouille, et c’est tout, alors, le Bouillon l’a pris dans ses bras et l’a emmené dehors. Nous, on a ramassé la balle et on est retournés à nos places. Quand le Bouillon est revenu avec Joachim qui avait le nez tout gonflé il nous a dit qu’il commençait à en avoir assez et que si ça continuait on verrait ce qu’on verrait. «Pourquoi ne prenez vous pas exemple sur votre camarade Agnan ? il a demandé, il est sage, lui.» Et le Bouillon est parti. On a demandé à Joachim ce qu’il lui était arrivé et il nous a répondu qu’il s’était endormi à force de regarder par le trou de la serrure.
«Un fermier va à la foire, a dit Agnan, dans un panier, il a vingt-huit oeufs à cinq cents francs la douzaine.
- C’est de ta faute, le coup du nez , a dit Joachim
- Ouais ! a dit Clotaire, on va lui faire manger son livre d’arithmétique, avec le fer­mier, les oeufs et les lunettes ! » Agnan, alors, s’est mis à pleurer. Il nous a dit que nous étions des méchants et qu’il le dirait à ses parents et qu’ils nous feraient tous renvoyer et le Bouillon a ouvert la porte. On était tous assis à nos places et on ne disait rien et le Bouillon a regardé Agnan qui pleu­rait tout seul assis au bureau de la maîtresse. « Alors quoi, il a dit le Bouillon, c’est vous qui vous dissipez, maintenant ? Vous allez me rendre fou ! Chaque fois que je viens, il y en a un autre qui fait le pitre ! Regardez-moi bien dans les yeux, tous ! Si je reviens encore une fois et que je vois quelque chose d’anormal, je sévirai ! » et il est parti de nouveau. Nous, on s’est dit que ce n’était plus le moment de faire les guignols, parce que le surveillant, quand il n’est pas content, il donne de drôles de punitions. On ne bougeait pas, on entendait seulement renifler Agnan et mâcher Alceste, un copain qui mange tout le temps. Et puis, on a entendu un petit bruit du côté de la porte. On a vu le bouton de porte qui tournait très doucement et puis la porte a commen­cé à s’ouvrir petit à petit, en grinçant. Tous, on regardait et on ne respirait pas souvent, même Alceste s’est arrêté de mâcher. Et, tout d’un coup, il y en a un qui a crié :
« C’est le Bouillon! »
La porte s’est ouverte et le Bouillon est entré, tout rouge.
« Qui a dit ça ? il a demandé.
— C’est Nicolas ! a dit Agnan.
— C’est pas vrai, sale men­teur ! » et c’était vrai que c’était pas vrai, celui qui avait dit ça, c’était Rufus.
« C’est toi ! C’est toi ! C’est toi ! » a crié Agnan et il s’est mis à pleurer. « Tu seras en retenue ! » m’a dit le Bouillon. Alors je me suis mis à pleurer, j’ai dit que ce n’était pas juste et que je quitterais l’école et qu’on me regret­terait bien.
« C’est pas lui, m’sieu, c’est Agnan qui a dit le Bouillon ! » a crié Rufus.
— Ce n’est pas moi qui ai dit le Bouillon ! a crié Agnan.
— Tu as dit le Bouillon, je t’ai entendu dire le Bouillon, parfaitement, le Bouillon !
— Bon, ça va comme ça, a dit le Bouillon, vous serez tous en retenue !
— Pourquoi moi? a demandé Alceste. Je n’ai pas dit le Bouillon, moi!
— Je ne veux plus entendre ce sobriquet ridicule, vous avez compris ? » a crié le Bouillon, qui avait l’air drôlement énervé.
« Je ne viendrai pas en retenue ! » a crié Agnan et il s’est roulé par terre en pleurant et il avait des hoquets et il est devenu tout rouge et puis tout bleu. En classe, à peu près tout le monde criait ou pleu­rait, j’ai cru que le Bouillon allait s’y mettre aussi, quand le Directeur est entré.
« Que se passe-t-il, le Bouil... Monsieur Dubon ? » il a demandé, le Directeur. «Je ne sais plus, monsieur le Directeur, a répondu le Bouillon, il y en a un qui se roule par terre, un autre qui saigne du nez quand j’ouvre la porte, le reste qui hurle, je n’ai jamais vu ça ! Jamais ! » et le Bouillon se passait la main dans les cheveux et sa moustache bougeait dans tous les sens.
Le lendemain, la maîtresse est revenue, mais le Bouillon a manqué."

Le petit Nicolas Sempé et Goscinny 1960
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Miss souris
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Re: Extraits choisis

Message par Miss souris »

Merci Pierre-très-remuante (c't'un compliment, hein ...) . J'adore ce texte, je pensais le connaître par coeur, vlat'y pas que je me suis encore laissé séduire par une petite blagoune de fin de phrase qui s'était cachée (derrière la porte sans doute) et m'avait échappé...Personnellement j'ai un faible pour pour les engueulades entre les parents (par exemple dans les vacances du PN) racontées à hauteur d'enfant ... ou presque.

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Re: Extraits choisis

Message par luna »

merci pour le partage..un régal à lire!

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Re: Extraits choisis

Message par Armie »

C'est tellement parfait pour un lundi matin.
Merci :amour7:

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Re: Extraits choisis

Message par Grabote »

Un peu hors sujet mais bon, ... (dis moi Livingstone si tu veux qu'on déplace )

Voici un lien vers un concert littéraire de BabX,
des textes d’Arthur Rimbaud, Jean Genet, Charles Baudelaire, Tom Waits, Gaston Miron, Aimé Césaire, Jacques Prévert, et Barbara...
Cristal automatique

C'est juste ... sublime (enfin je trouve), ça me touche le coeur et la tête, j'en frissonne et parfois même j'en pleure ... d'émotion.
L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant. René char

Livingstone
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Re: Extraits choisis

Message par Livingstone »

Chêne droit

Quand on se tient la tête en bas
On voit le revers des feuillages,
On voit le dessous des nuages,
On voit le vent qu'on ne voit pas,

On voit du ciel, on voit du feu
Pris dans le gris des sauterelles,
On voit des plastrons d'hirondelles
Pris dans le noir, pris dans le bleu ;

Et même on voit battre le cœur
tout transparent d'une rainette
Qui cherche vite une cachette
Pour dissimuler sa rousseur.

Il me semble que c'est de Pierre Ménanteau, mais je ne l'ai pas retrouvé en ligne ; si oui, c'est le recueil A l'école du buisson, je pense. Quelqu'un l'a-t-il ?
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Livingstone
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Re: Extraits choisis

Message par Livingstone »

"La cabine de douche était bel et bien fermée. Louise n'a pas pu s'empêcher de tirer un peu sur la poignée pour voir. Puis, nous sommes allés au magasin, où Nordin déballait un carton de gants de travail.
Mes bottes n'étaient pas arrivées. Et, bien sûr, Louise s'est fâchée en apprenant que la cabine de douche ne rouvrirait qu'au mois de mai. Nordin comprenait la situation, a-t-il dit ; d'un autre côté, il ne pouvait pas aller à l'encontre d'une décision prise au niveau du conseil communal. J'aurais aimé que Louise n'ait pas ce tempérament colérique. Dans mon expérience, le fait de s'énerver ne facilite jamais rien. Mais c'est apparemment un besoin chez elle. Revendiquer son droit est plus important que trouver une solution."
Henning Mankell Les bottes suédoises, Stockholm 2015
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Re: Extraits choisis

Message par Apollon »

« Je pense notamment à tous ces professeurs et autres donneurs de leçons qui sont soit parfaitement satisfaits du peu qu'ils savent, soit se vantent de connaître un tas de choses dont ils n'ont en réalité pas la moindre idée [...] La grande différence entre un professeur et un vrai philosophe, c'est que le professeur croit connaître un tas de choses qu'il n'arrête pas de vouloir faire apprendre de force à ses élèves, alors qu'un philosophe essaie de trouver des réponses aux questions qu'ils se pose avec ses élèves. »

Le monde de Sophie, Jostein Gaarder

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Re: Extraits choisis

Message par Judas Bricot »

"Je ne regrette rien. J'ai joué, j'ai perdu. C'est dans l'ordre de mon métier. Mais, tout de même, je l'ai respiré, le vent de la mer.
Ceux qui l'ont goûté une fois n'oublient pas cette nourriture. N'est-ce pas, mes camarades? Et il ne s'agit pas de vivre dangereusement. Cette formule est prétentieuse. Les toréadors ne me plaisent guère. Ce n'est pas le danger que j'aime. Je sais ce que j'aime. C'est la vie."
Antoine de St Exupéry - Terre des hommes

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Re: Extraits choisis

Message par Mikirabelle »

"De ma place, je peux apercevoir le porte-serviettes au mur de la cuisine et m'étonne d'être encore traumatisé, trente ans après, par ce chef-d'oeuvre d'ébénisterie initié par notre professeur de technologie de sixième en guise de cadeau de Noël pour nos parents. Il s'agissait d'élaborer un porte-serviettes en forme de sapin à partir d'une planchette rectangulaire, l'exercice avait pour but de nous familiariser avec le tour, la meuleuse, la fraiseuse et autres outils aux noms barbares dont l'utilité nous échappait et m'échappe encore aujourd'hui pour tout dire. Nous devions ensuite clouer trois épingles à linge sur la planchette et le tour était joué, un jeu d'enfants. À ceci près que, très vite, la situation m'échappa et mon sapin se mit à prendre une forme aussi incongrue que périlleuse. J'avais beau tenter de rectifier le tir, scier, meuler, limer, fraiser, rien à faire, j'assistais, impuissant, à la genèse d'une forme qui prenait vie malgré moi, revendiquait son indépendance avec morgue et rébellion, et je regardais, hébété, paniqué, mon porte-serviettes de Noël s'éloigner du concept initial de sapin pour se rapprocher lentement mais sûrement de celui de bite. Plus je m'acharnais à m'en écarter, plus elle se dessinait. Plus je visais le sapin, plus la bite se précisait. A la fin de la séance, ma production provoqua l'hilarité de tous mes camarades et le professeur, n'y voyant qu'une provocation potache, me gratifia d'une retenue. Le 25 décembre, j'offris donc à mes parents une bite en contreplaqué en guise de cadeau de Noël, cadeau que ma mère trouva si charmant qu'elle s'empressa de l'accrocher au mur de la cuisine malgré mes protestations paniquées, interprétées comme de la modestie mal placée."

Extrait du roman que je suis en train de lire : Le Discours, de Fabrice Caro (le Fabcaro des BD). Pages 8-9.

Le pitch : un repas de famille pendant lequel un quarantenaire psychote sur le SMS-tentative-de-reprise-de-contact-avec-son-ex qu'il vient d'envoyer et essaie d'échapper à la corvée du discours que son futur beauf vient de lui demander de faire pour le mariage de sa soeur.

Pour les curieux, les premières pages sont consultables ici : https://issuu.com/lolitanieenbloc/docs/le-discours
Hors-sujet
J'ai profité de ce post pour tester le mode "dictée" de mon ordi portable... c'est pas beau à voir :
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Le meilleur moment de la journée, c’est quand on va se coucher (Chanson Plus Bifluorée)

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Re: Extraits choisis

Message par Miss souris »

[mention]Mikirabelle[/mention] : là, je viens de sortir d'un fou rire grâce à ce monument de poésie ...merci, je vais lire ce truc...

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-Olivier-
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Re: Extraits choisis

Message par -Olivier- »

"C’était mille ans avant le massement civilisateur d’où surgirent plus tard Ninive, Babylone, Ecbatane.
La tribu nomade de Pjehou, avec ses ânes, ses chevaux, son bétail, traversait la forêt farouche de Kzour, vers le crépuscule du soir, dans l’océan de la mer oblique et le chant du déclin s’enflait, planait, descendait des nichées harmonieuses.
Tout le monde étant très las, on se taisait, en quête d’une belle clairière où la tribu pût allumer le feu sacré, faire le repas du soir, dormir à l’abri des brutes, derrière la double rampe de brasiers rouges.
Les nues s’opalisèrent, les contrées polychromes vaguèrent aux quatre horizons, les dieux nocturnes soufflèrent le chant berceur, et la tribu marchait encore. Un éclaireur reparut au galop, annonçant la clairière et l’onde, une source pure.
La tribu poussa trois longs cris et tous allèrent plus vite ; des rires puérils s’épanchèrent ; les chevaux et les ânes mêmes, accoutumés à reconnaître l’approche de la halte d’après le retour des coureurs et les acclamations des nomades, fièrement dressaient l’encolure.
La clairière apparut. La source charmante y trouait sa route entre des mousses et des arbustes et une fantasmagorie se montra aux nomades.
C’était d’abord un grand cercle de cônes bleuâtres, translucides, la pointe en haut, chacun du volume à peu près de la moitié d’un homme. Quelques raies claires, quelques circonvolutions sombres, parsemaient leur surface, et tous avaient vers la base une étoile éblouissante comme le soleil à la moitié du jour. Plus loin, aussi excentriques, des strates se posaient verticalement, assez semblables à de l’écorce de bouleau et madrées d’ellipses multicolores. Il y avait encore, de-ci, de-là, des Formes quasi-cylindriques, variées d’ailleurs, les unes minces et hautes, les autres basses et trapues, toutes de couleur bronzée, pointillées de vert, toutes possédant, comme les strates, le caractéristique point de lumière.
La tribu regardait, ébahie. Une superstitieuse crainte figeait les plus braves, grossissante encore quand les Formes se prirent à onduler dans les ombres grises de la clairière. Et soudain, les étoiles tremblant, vacillant, les cônes s’allongèrent, les cylindres et les strates bruissèrent comme de l’eau jetée sur une flamme, tous progressant vers les nomades avec une vitesse accélérée.
Toute la tribu, dans l’ensorcellement de ce prodige, ne bougeait point, continuait à regarder, et les Formes l’abordèrent. Le choc fut épouvantable. Guerriers, femmes, enfants, par grappes, croulaient sur le sol de la forêt, mystérieusement frappés comme du glaive de la foudre. Alors, aux survivants, la ténébreuse terreur rendit la force, les ailes de la fuite agile. Et les Formes, massées d’abord, ordonnées par rangs, s’éparpillèrent autour de la tribu, attachées aux fuyards, impitoyables. L’affreuse attaque, pourtant, n’était pas infaillible, tuait les uns, étourdissait les autres, jamais ne blessait. Quelques gouttes rouges jaillissaient des narines, des yeux, des oreilles des agonisants, mais les autres, intacts, bientôt se relevaient, reprenaient la course fantastique, dans le blêmissement crépusculaire.
Quelle que fût la nature des Formes, elles agissaient à la façon des êtres, nullement à la façon des éléments, ayant comme des êtres l’inconstance et la diversité des allures, choisissant évidemment leurs victimes, ne confondant pas les nomades avec des plantes ni même avec les animaux.
Bientôt les plus véloces fuyards perçurent qu’on ne les poursuivait plus. Épuisés, déchirés, ils osèrent se retourner une seconde, épier. Au loin entre les troncs noyés d’ombre, continuait la poursuite resplendissante. Et les Formes, préférablement, pourchassaient, massacraient les guerriers, souvent dédaignaient les faibles, la femme, l’enfant.
Ainsi, à distance, dans la nuit toute venue, la scène était plus surnaturelle, plus écrasante aux cerveaux barbares, et les guerriers allaient recommencer la fuite. Une observation capitale les arrêta : c’est que, guerriers, femmes ou enfants, quels que fussent les fugitifs, les Formes abandonnaient la poursuite au-delà d’une limite fixe. Et, quelque lasse, impotente que fût la victime, même évanouie, dès que cette frontière idéale était franchie, tout péril aussitôt cessait.
Cette très rassurante remarque, bientôt confirmée par cinquante faits, tranquillisa les nerfs malades des fuyards. Ils osèrent attendre leurs compagnons, leurs femmes, et leurs pauvres petits échappés à la tuerie. Même, un d’eux, un héros, abruti d’abord, effaré par le surhumain de l’aventure, retrouva un peu de sa grande âme, alluma un foyer, emboucha la corne de buffle pour guider les fugitifs.
Alors, un à un, vinrent les misérables. Beaucoup, éclopés, se traînaient sur les mains. Des femmes-mères, avec l’indomptable force maternelle, avaient gardé, rassemblé, porté le fruit de leurs entrailles à travers la mêlée hagarde. Et beaucoup d’ânes, de chevaux, de bœufs, revinrent, moins affolés que les hommes.
Nuit lugubre et passée dans le silence, sans sommeil, où les guerriers sentirent continuellement trembler leurs vertèbres ! Mais l’aube vint, s’insinua pâle à travers les gros feuillages, puis la fanfare aurorale, de couleurs, d’oiseaux retentissants, exhorta à vivre, à rejeter les terreurs de la nuit.
Le héros, le chef naturel, rassemblant la foule par groupes, commença le dénombrement de la tribu. La moitié des guerriers, deux cents, manquait, avait probablement succombé. Beaucoup moindre était la perte des femmes et presque nulle celle des enfants.
Quand ce dénombrement fut terminé, qu’on eut rassemblé les bêtes de somme (peu manquaient, par la supériorité de l’instinct sur la raison pendant les débâcles), le Héros disposa la tribu suivant l’arrangement accoutumé, puis, ordonnant de l’attendre, seul, pâle, il se dirigea vers la clairière. Nul, même de loin, n’osa le suivre.
Il se dirigea là où les arbres s’espaçaient largement, dépassa légèrement la limite observée la veille et regarda.
Au loin, dans la transparence fraîche du matin, coulait la jolie source et, sur les bords, réunie, la troupe fantastique des Formes resplendissait. Leur couleur avait varié. Les cônes étaient plus compacts, leur teinte turquoise ayant verdi, les Cylindres se nuaient de violet et les Strates ressemblaient à du cuivre vierge. Mais chez toutes, l’étoile pointait ses rayons qui, même à la lumière diurne, éblouissaient.
La métamorphose s’étendait aux contours des fantasmagoriques Entités, des cônes tendaient à s’élargir en cylindres, des cylindres se déployaient, tandis que des strates se curvaient partiellement.
Mais, comme la veille, tout à coup les Formes ondulèrent, leurs Étoiles se prirent à palpiter, et le Héros, lentement, repassa la frontière de Salut.

https://ebooks-bnr.com/ebooks/epub/rosn ... pehuz.epub

J.-H. Rosny aîné
LES XIPÉHUZ
1887

Enorme épicétou ! 8)
Mes certitudes ne valent que si vous en doutez

Joann
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Re: Extraits choisis

Message par Joann »

Je ne savais pas trop où poster ça, pas sûre que ce soit vraiment sa place, mais bon :
" Je dois pourtant avouer que ces Hippies me sont, tout compte fait, plus sympathiques, dans leur fuite de certaines contraintes et leur empressement à s'en trouver de plus abrutissantes encore, que les justes de tous les pays, sûrs de leur bon droit, de leurs morales, de leur propriété privée, de leurs religions et de leurs lois, de leurs immortels principes de 89, jamais indécis jamais tourmentés, sûrs de détenir la vérité et prêts toujours à l'imposer, au besoin par la guerre, la bouche pleine d'une liberté qu'ils imposent et qu'ils s'imposent à coups de bottes ou de dollars, nourris au lait de la publicité et des dogmes.
Oui je crois préférer encore la destructuration des images due à la lsd aux images sclérosées qui peuplent ce monde incohérent par la multitudes des certitudes admirables, ce monde libre pour qui a suffisamment d'argent pour se croire libéré, ce monde qui remplace la notion de structure dynamique par celle de charpente sociale cimentée par les armées, ce monde qui confond l'individu et le compte en banque, la créativité et le commerce, les évangiles et le droit civil, ce monde qui a bonne conscience parce qu'il n'a plus conscience du tout, ce monde où l'on ne peut plus rien chercher car l'enfant y trouve à sa naissance sa destinée définitivement écrite sur sa fiche d'état civil, ce monde qui momifie l'homme dans ce qu'il appelle humanisme, qui parle de l'individu comme si celui-ci pouvait exister isolement, confond société et classe sociale, justice et défense de la propriété privée, ce monde qui ne cherche rien parce qu'il a déjà tout trouvé.
Non, il n'est pas possible de ne pas éprouver une certaine sympathie pour les drogués. Eux au moins, à un moment ou un autre, ont peut-être, dans un éclair de conscience, réalisé l'immensité et la tristesse de leur déterminisme, ce qu'ignorent les imbéciles, qui on le sait, sont généralement heureux.
À ceux qui cherchent à fuir ce monde sans humour et qui se réfugient dans des paradis artificiels en perturbant pharmacologiquement l'association des images inscrites dans les mécanismes de leur biochimie cérébrale, ce qu'il faudrait dire, c'est qu'au lieu de se créer un monde irréalisable parce qu'individuel et non confronté aux relations existant déjà dans l'environnement, confrontation qui permet seule la validité d'une hypothèse, ils seraient peut-être plus efficaces en tentant de laisser fonctionner leur imagination créatrice. Malheureusement, celle-ci ne peut fonctionner que si elle parvient à se dégager de la prison des réflexes où la société l'enferme dès l'enfance. Les solutions neuves ne peuvent être découvertes qu'à ce prix. Malheureusement le drogué n'est pas sorti de cette prison , puisque c'est parce qu'il se sent confusément prisonnier justement qu'il se drogue. Et, ce faisant, il ne sort pas de sa prison, mais il n'en voit plus les murs, il les déforme, il ne les reconnaît plus pour tels et croit ainsi s'être échappé. Il se distingue en cela du découvreur qui est capable de rêver un monde qui un jour ou l'autre deviendra réalisable, qui en d'autres termes est capable de déplacer, d'écarter les murs de sa prison.
(...)
Ainsi, il est probable que si l'homme était heureux dans sa peau il ne fuirait pas dans le rêve éveillé de l'alcool ou de la drogue (...) Est-ce que le plus grand nombre, celui des non-drogués, possède un droit autre que celui du plus fort, de juger les drogués, seulement parce que non conformes, c'est-à-dire parce que peut-être plus conscients de la misère de leur déterminisme ? Il n'y a pas seulement que la misère matérielle qui est attristante. Celle-là peut encore avoir une certaine noblesse. Elle n'est pas suffisante pour ramener l'homme au niveau de la bête. Par contre, la misère de l'esprit, celle qui fait de l'admirable cerveau humain une boîte à réflexes et à jugements de valeur, un organe sans usage, un instrument d’anthropoïde, cette misère-là est dramatique. C'est la misère du sectaire et du nanti, du bon citoyen et bien souvent de l'honnête homme. Peut-on en vouloir à certains de refuser cette misère-là, de chercher ailleurs un monde plus coloré ? De ne pas être attirés par les maisons de la culture, la télévision, le pmu, le jeu de lotos, la pêche à la ligne, les voyantes extralucides, le cinéma, la foire du trône ou le cirque pinder, toutes soupapes officielles à la tristesse de l'existence urbaine ?
Cette société qui juge ne pourrait-elle commencer par se juger ?"
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Fu
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Re: Extraits choisis

Message par Fu »

Bonne idée de faire remonter ce sujet et merci pour l’extrait de Laborit. :)
Dans un genre très différent, voici un petit bout de la vie de Miyamoto Musashi, romancée par Eiji Yoshikawa. J’ai copié ce texte il y a quelques années, je ne sais plus s’il vient de La Pierre et le Sabre ou de sa suite, La Parfaite lumière, mais de toute façon, on ne lit pas l’un sans l’autre.
Eiji Yoshikawa a écrit :Le sang noir jaillit dans l’œil de Musashi. Par réflexe, il leva la main gauche à son visage, et, à cet instant, entendit derrière lui un étrange son métallique. Il donna un coup de son long sabre afin de détourner le cours de l’objet, mais l’effet de son acte fut très différent de son intention. Voyant la boule et la chaîne entourant la lame, près de la garde du sabre, il fut saisi d’inquiétude. Musashi venait d’être pris au dépourvu.

— Musashi ! cria Baiken en tendant la chaîne. Tu m’as oublié ?

Musashi le considéra quelques instants avant de s’exclamer :

— Shishido Baiken, du mont Suzuka !

— Tout juste. Mon frère Temma t’appelle de la vallée infernale. Compte sur moi pour t’y expédier vite !
Musashi ne pouvait dégager son sabre. Lentement, Baiken ramenait la chaîne et se rapprochait pour faire usage de la faucille aussi tranchante
qu’un rasoir. Tandis que Musashi cherchait un moyen d’utiliser son sabre court, il se rendit compte avec un haut-le-corps que s’il ne s’était battu qu’avec son long sabre, il eût été maintenant tout à fait sans défense.

Baiken avait le cou si gonflé qu’il était presque aussi gros que sa tête. Ahanant, il tira puissamment sur la chaîne.

Musashi avait commis une faute, et le savait. Le fléau était une arme peu courante, mais qu’il connaissait. Des années auparavant, il avait été frappé d’admiration en voyant pour la première fois cette machine infernale entre les mains de l’épouse de Baiken. Mais l’avoir vue était une chose ; savoir s’en défendre en était une autre.

Baiken exultait ; un large sourire mauvais se répandait sur son visage. Musashi savait qu’il n’avait qu’un seul recours : lâcher son long sabre. Il guettait l’instant opportun.

Avec un hurlement féroce, Baiken bondit, la faucille brandie vers la tête de Musashi, qu’il manqua d’un cheveu. Musashi lâcha le sabre. A peine la faucille retirée, la boule arriva en sifflant dans l’air. Puis la faucille, la boule, la faucille…

Eviter la faucille plaçait Musashi en plein sur le trajet de la boule. Incapable de s’approcher assez pour frapper, il se demandait avec affolement combien de temps il pourrait tenir. « Est-ce la fin ? » se demanda-t-il.

[…]

Pour [Baiken], le facteur le plus important était sa distance par rapport à son adversaire ; sa propre efficacité dépendait de la manipulation de la longueur de la chaîne. Si Musashi pouvait reculer d’un pas au-delà de la portée de la chaîne, ou se rapprocher d’un pas, Baiken serait en difficulté. Il fallait veiller à ce que Musashi ne fît ni l’un ni l’autre.

Musashi s’émerveillait de la technique secrète de cet homme, et, tandis qu’il s’émerveillait, une chose le frappa soudain : là, se trouvait le principe des deux sabres. La boule fonctionnait comme le sabre de droite ; la faucille, comme celui de gauche.

Il poussa un cri de triomphe : « Bien sûr ! C’est ça… c’est le style Yaegaki. » Désormais confiant en la victoire, il bondit en arrière, mettant cinq pas entre eux deux. Il fit passer son sabre dans sa main droite, et le lança aussi droit qu’une flèche.

Baiken ploya le corps ; le sabre dévia et alla se planter au pied d’un arbre proche. Mais au cours du mouvement de Baiken, la chaîne s’enroula autour de son torse. Avant qu’il pût même pousser un cri, Musashi se jeta sur lui de tout son poids. Baiken porta la main à la poignée de son sabre, mais Musashi, par un coup violent sur le poignet, l’empêcha de la saisir. Du même mouvement, il tira l’arme, et fendit Baiken en deux comme la foudre fend un arbre.

« Quel dommage ! » se dit Musashi.

Joann
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Re: Extraits choisis

Message par Joann »

De nombreux groupes de recherche s’intéressent actuellement à la question du vieillissement. Sujet passionnant car le vieillissement constitue souvent l'antichambre de la mort. Là encore, ce n'est que par la connaissance de ses mécanismes que nous pouvons espérer nous en libérer.
Mais s'il est certes intéressant de rechercher les causes du vieillissement de l'individu, il faut aussi penser que cet individu appartient à une espèce qui est elle-même l'aboutissant d'une très longue lignée évolutive. Nous avons répété fréquemment au cours de ces pages que ce qui la caractérisait essentiellement, cette espèce, c'était le fait de posséder dans son cortex des zones associatives particulièrement développées, sur le fonctionnement desquelles repose l'imagination créatrice.
Or, il apparait en définitive que très peu d'hommes aujourd'hui, après des milliers d'années d'évolution humaine, sont capables d'utiliser ces zones corticales privilégiées. ainsi on peut dire qu'ils vieillissent avant même d'être nés à leur humanité. En d'autres termes, ne sont-ils pas encore au stade évolutif non de leurs grands-parents, non de leurs ancêtres, mais à celui des ancêtres de leur race elle-même ? Ne sont-ce pas là de vrais vieillards ?
Que sert alors de prolonger l'existence , non de mort en sursis, mais de représentants d'une race préhumaine qui n'en finit pas de s'éteindre ? Quelques réserves ne seraient-elles pas suffisantes à en conserver l’échantillonnage ?
Le vieillissement est un sujet qui moi-même me passionne. Mais le sujet d'étude qui devrait avoir la priorité des priorités, n'est-ce pas celui de la naissance de l'homme à son humanité ? Quelqu'un à dit déjà, il y a environ deux mille ans, que nous ne pouvions y parvenir si nous n'étions pas comme des enfants. Des enfants...c'est-à-dire cette page vierge sur laquelle ne sont point encore inscrits à l'encre indélébile les graffitis exprimant l'ensemble des préjugés sociaux et des lieux communs d'une époque.
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-Olivier-
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Re: Extraits choisis

Message par -Olivier- »

Fu a écrit : jeu. 21 avr. 2022 20:29 je ne sais plus s’il vient de La Pierre et le Sabre ou de sa suite, La Parfaite lumière, mais de toute façon, on ne lit pas l’un sans l’autre.
Je dirais "La Parfaite Lumière".
Excellent !
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Joann
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Re: Extraits choisis

Message par Joann »

Profitons-en aussi pour noter combien la référence à la "nature", au "naturel" se fait généralement pour fournir un alibi aux jugements de valeur de l'époque. C'est ainsi que l'on fera appel à la nature pour montrer l'implacabilité de l'agressivité chez l'homme puisqu’elle existe chez l'animal, ce qui déculpabilise les hiérarchies, les dominances, l’agressivité des dominants en réponse à celle des dominés (pas celle des dominées qui se conduisent, eux, comme des bêtes sauvages) et des guerres.
Mais l'inceste, l'amour libre, et d'une façon générale ce qui touche au sexe et en conséquence à la notion de propriété privée, puisque habillement pratiqués et sans complexe par l'animal, "rabaissant" dans ce cas l'homme au rang de bête. La référence au "naturel" n'est un alibi que pour défendre l'idéologie dominante. En réalité dans l’espèce humaine le langage a permis d'institutionnaliser les règles de la dominance, de les transmettre à travers les générations et de ne plus les lier à l'individu, mais au groupe social. Ainsi la violence explosive, brutale, la seule dont on parle, n'est que la réponse à un stimulus et celui n'est autre que la violence institutionnalisée et qui en conséquence ne se reconnait plus pour telle. Celle-ci a permis, à une époque antérieure de l'Histoire, à un ensemble socioculturel d'acquérir la dominance. C'est sans doute la violence de la Révolution et de la Terreur institutionnalisée par les immortels principes de 1789 au profit de la bourgeoisie qui permet à celle-ci aujourd'hui de stigmatiser la violence des dominés avec l'apparence du droit pour elle.
Mais dans nos sociétés libérales l'aristochat, entièrement confiné dans ses coussins moelleux et les caresses de ses maîtres, entièrement automatisé dans ses comportements d'alimentation, d'excrétion, de jeu, est-il plus libre que le chat de gouttière ? Ou bien, en inversant la proposition, le chat de gouttière qui doit à chaque instant assurer sa survie, rechercher son alimentation, son refuge, entièrement dépendant des variations du milieux, est-il plus libre que l'aristochat ? L'homme du paléolithique était-il plus libre ou plus aliéné que l'homme moderne ? Nous n'avons pas l'intention ici de développer ce que nous avons fait ailleurs, cette notion de liberté. Nous voudrions simplement souligner une fois de plus qu'à côté des déterminismes plus ou moins aliénant du milieu, il y a aussi tous les déterminismes, rarement conçus comme tel, de nos mécanismes nerveux centraux, beaucoup plus aliénant encore.
Un prisonnier à l'intérieur des murs de sa prison est libre de rêver, et un P.D.G, libre apparement de se déplacer, ne le fera qu'en obéissant au mythe aliénant de la propriété, de la rentabilité et de la production. La recherche de la dominance nous entraine aux mécanismes les plus primitifs de notre système nerveux central aussi inéluctablement que les menottes des policiers.

(...)

On comprend pourquoi, à la place de ces trois mots placés au fronton des bâtiments publics par une bourgeoisie, une dominance mercantile, pour qui la liberté, l'égalité et la fraternité ne s'inscrivent que dans les hiérarchies d'un peuple de boutiquiers ou d'industriels, les sociétés futures auront avantage à inscrire ces mots : "conscience, connaissance, imagination."
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ce n'est pas de la littérature à proprement parler, mais je ne sais pas où poster ça autre part, n'hésitez pas à me dire si ça gène sur ce fil.
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Re: Extraits choisis

Message par Fu »

Hors-sujet
Tu vas nous faire l’intégrale de Laborit. :D
J’ai lu La nouvelle grille, que j’ai trouvé fascinant, même si j’ai eu plus de mal à suivre à partir du milieu environ. C’est le film Mon oncle d’Amérique qui m’a donné envie de le lire.

Joann
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Re: Extraits choisis

Message par Joann »

Fu a écrit : sam. 7 mai 2022 13:18
Hors-sujet
Tu vas nous faire l’intégrale de Laborit. :D
:lol: (déjà repéré un autre titre de lui.)
Et oui, très fascinant, et ça me fait en plus énormément de bien.




Quand on est préoccupé par sa promotion sociale on l'est moins par la signification de sa propre existence et l'on redevient plus efficace dans un processus de production.On peut se demander si celui qui réussit le mieux dans un tel processus, celui dont l'élévation hiérarchique est la mieux assurée, n'est pas finalement l'être le moins humain, le moins conscient, le plus aveugle, je serais tenté de dire le moins "intelligent", le plus automatisé, le plus satisfait, le plus gratifié par sa dominance, le moins inquiet, le véritable "imbécile heureux". Et si je ne puis m'interdire une certaine tendresse pour la jeunesse actuelle, pour le hippie, le contestataire, le révolté, l'agressif malheureux, le raté social, c'est que bien souvent il a perçu obscurément cette angoisse existentielle et n'a pu se satisfaire de la promotion sociale qu'on lui proposait en échange de sa soumission au système.
En effet, reconnaître les particularités d'une collectivité régionale, comme reconnaître chez l'autre, entre individus, la différence et surtout l'admettre, au lieu de vouloir la supprimer pour supprimer l'angoisse qu'elle nourrit par le déficit informationnel qu'elle véhicule, est une base fondamental de l'inclusion d'un sous-ensemble dans un ensemble plus vaste.C'est la base fondamentale de l'ouverture de l'information-structure. C'est respecter une des lois de l'évolution biologique qui réside dans la combinaison génétique et informationnelle. C'est en l'ignorant que l'impérialisme et le racisme se sont établis.
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Re: Extraits choisis

Message par Joann »

C'est ainsi qu'un système socioculturel créé en vue de la marchandise reine ne peut donner naissance qu'à un système hiérarchique centré sur la production de marchandises et en conséquence châtre toute créativité n'aboutissant pas à la création de marchandises. En effet, quelle motivation pourrait avoir un individu dans un tel système, si ce n'est de s'élever dans les hiérarchies ? Or, pour cela il doit obéir aux règles de la dominance qui assurent le maintien de la structure socio-économique existante. On lui demande de reproduire et non pas de créer des structures nouvelles. On lui demande d'apprendre et de réciter et non pas d'inventer, à moins, bien sûr, que son invention se vende et à condition qu'elle ne mette pas en cause le système socioculturel du moment. Les écrivains et les philosophes eux-mêmes seront honorés au prorata de leur apport au maintien des structures mentales et sociales existantes. Ce qui se vend le mieux, c'est toujours ce qui crée le moins d'inquiétude, à savoir l'expression des lieux communs et les préjugés d'une époque. Sont également favorisés dans un tel système ceux qui assurent la transmission de cet acquis culturel, sans en changer un mot, c'est-à-dire les enseignants conformes, ceux qui se plient aux examens et concours par lesquels on peut juger de leur conformisme. Si l'on ajoute que ces épreuves permettent de mettre en évidence la puissance et l'autorité, la dominance des membres de jurys, capable de soutenir la promotion de certains de leurs élèves, et de bloquer celle des élèves de certains de leurs collègues, on comprend que ce jeu d'influences exerce un attrait considérable dans la vie universitaire et que "l'élève" devenu par la suite "maître" ne puisse s'en passer à son tour. De créativité là-dedans, point question. Elle ne peut qu'entrainer la suspicion, à moins qu'elle ne serve la notoriété d'un "maître" qui en dépouille son élève, esclave de la promotion sociale au prochain concours. La motivation dans ce cas se trouve limitée d'elle-même.
Le créateur doit donc trouver une motivation en dehors des hiérarchies de la société où il vit car la création affirme une structure nouvelle, non conforme, anxiogène. Elle ne peut donc être immédiatement admise par le groupe humain, la société de l'époque où elle est exprimée. Elle est contraire aux hiérarchies qui établissent les dominances sur un acquis accepté, conforme, non anxiogène, utile au maintien de la structure du groupe. D'autre part, puisque la création n'est possible qu'en dehors des hiérarchies, lorsqu'elle surgit, tout le monde hiérarchique qui constitue l'armature inébranlable des comportements humains en société se trouve ébranlé. Qu'elle puisse exister sans être accompagnée des innombrables étiquettes, des "titres" dont se glorifient les dominants, montre que ces titres ne font que récompenser le conformisme et non la créativité. La créativité peut donc difficilement se satisfaire des hiérarchies qui la rejettent et inversement les hiérarchies favorisent le conformisme et non la création.

La motivation du créateur ne peut être alimentée que par l'angoisse existentielle, celle que les sociétés hiérarchiques et paternalistes s'efforcent d'obscurcir, à condition qu'elle débouche sur une structure suffisamment générale pour espérer répondre à cette angoisse. Si elle se laisse dévier, ne serait-ce que quelques moments, vers la compétition hiérarchique, la lutte pour la dominance, le créateur risque d'être définitivement perdu pour la création. Il doit s'arranger pour fuir, pour ne perdre aucun instant dans les luttes langagières stériles et n'attacher d'intérêt aux critiques comme aux louanges que si elles sont susceptibles de l'aider ou de l'éclairer dans la poursuite de sa recherche. Il ne doit surtout pas se préoccuper de l'image que les autres se font de lui, image qui sera bien rarement favorable, puisqu'il gêne, bouscule, dérange, sans y être autorisé par son rang hiérarchique. S'il demeure au milieu du bruit, il risque de se laisser entrainer soit à l’excitation de la bataille, soit à la dépression résultant de l'ignorance ou du mépris dont il est l'objet.
(...)
À partir du moment où il peut se faire entendre au-delà des frontières, il est généralement sauvé. Mais sauvé de quoi ? sauvé de l'étouffement, du bâillonnement, de la castration. Encore sera-t-il généralement nécessaire qu'il trouve le moyen de subvenir isolément à la recherche de son groupe car il ne pourra rien attendre, aucun subside, des instances officielles dont il n'a pas respecté les règles hiérarchiques, ou qu'il s'arrange encore pour que sa recherche fondamentale qui n'a rien à voir avec la production de marchandises débouche indirectement sur une telle production. Elle prendra alors le nom charmant d'innovation, dont toutes les structures économiques sont friandes.
(...)
La construction d'un monde imaginaire où il fait bon vivre enfin, loin des roquets de la dominance, devrait être suffisamment gratifiant en lui-même. C'est sans doute vrai d'ailleurs pour la création artistique. La vie et l’œuvre d'un Van Gogh, pour ne citer que lui, en sont un exemple. Mais même dans le cas de la création artistique, l'artiste ne vit pas isolé, dans l'absolu, mais dans une société à laquelle il demande son alimentation, son habitation, son habillement, l'assouvissement de ses besoins fondamentaux en résumé et tout le monde n'a pas un Théo à sa disposition. Cette aliénation économique le vrai créateur s'y soumet au minimum. Mais comme il n'existe pas en art de critère absolu de beauté, un mélange complexe de motivations, celle de l'artiste, celle du marchand qui tire bénéfice du commerce de l’œuvre, celle de celui qui la regarde, ou qui l'achète, va commander la réussite immédiate ou retardée. Or cette réussite est une réussite sociale. Une réussite hiérarchique et économique.

Malheureusement, en art, la difficulté d'appréciation des critères de la beauté conduit soit au refus de l'originalité qui bouscule les automatismes, soit à l'acceptation admirative d'une excentricité qui n'est peut-être pas nécessairement artistique.
(...)
En ce qui concerne la création scientifique les mêmes remarques peuvent être formulées. Mais le doute quant à la valeur de l'approche du réel que la création réalise, constitue sans doute une excuse plus fréquente, un alibi à la diffusion de la création. Le contrôle expérimental des autres est un frein au roman scientifique et la recherche de ce contrôle par la diffusion des résultats est un argument en faveur de cette diffusion. Mais être le premier à découvrir un aspect inconnu du monde est une motivation qui relève du narcissisme congénital, du besoin d'être aimé et admiré qui guide tout créateur. Ce n'est que s'il persévère en l'absence de cette gratification que la suspicion devient moins grande.
Ce n'est qu'en l'absence de cette gratification, en l'absence de la reconnaissance publique immédiate de son œuvre que l'originalité de celle-ci devient probable et que sa motivation risque d'être fondamentale. Mais alors il s'enferme dans le système clos de son imaginaire lui aussi ; et malgré l’acquiescement du contrôle expérimental, on comprend le peu d'espace qui sépare l'agressif, le révolté, le drogué, le psychotique, du créateur artistique ou scientifique.
Il peut sembler étrange que dans un ouvrage qui se veut aussi général que celui-ci, nous ayons consacré un chapitre à la créativité. N'est-ce pas là un problème d'un petit nombre seulement et en conséquence sans intérêt primordial pour l’espèce ? En réalité, tous les progrès faits par cette espèce depuis l'origine des temps humains furent la conséquence de cette créativité. Mais il est vrai que jusqu'ici elle est demeurée le domaine privé de quelques êtres privilégiés par leur naissance le plus souvent, et par le hasard bienfaisant d'une niche environnemental immédiate, favorable. Mais c'est justement parce que cette rareté du créateur est à déplorer qu'il faut insister sur la notion que la vie de tout homme pourrait être créatrice, si les ensembles sociaux fournissaient le cadre adéquat à l'éclosion des facultés imaginatives. Tout ce que nous avons écrit depuis le début de ce livre montre que si une motivation non hiérarchique, l'absence d'automatismes intransigeants, automatismes dont le but est très ouvertement de faciliter la productivité de bien marchands, si du temps libre en dehors de son activité professionnelle était laissé à chaque homme quelque soit cette activité professionnelle, il est probable qu'un très grand nombre d'individus deviendraient créateurs.
Car cette propriété de créer, de créer de l'information à partir de l'expérience mémorisée et grâce à l'imaginaire, tout homme non handicapé mental la possède à la naissance. S'il la perd c'est son environnement qui en est responsable, que cet environnement soit la niche socioculturelle d'une famille bourgeoise ou "d'intellectuels" ou celle d'un grand ensemble ouvrier. Dans le premier cas l’ascension hiérarchique sera certes plus facile mais la créativité n'en sera pas pour autant favorisée. Il en sera d'ailleurs aussi longtemps que l'exigence fort logique de l'égalisation des chances ne sous-entendra que l'égalisation des chances à devenir bourgeois.
Aussi faut-il ressentir beaucoup de pitié et de sympathie pour tous ces châtrés de l'imaginaire qui déversent leur hargne, leur rogne et leur grogne, comme disait l'autre, contre le marginal qui déambule en promenant son rêve dans les jardins fleuris où nulle rosette ne pousse. S'ils vitupèrent, s'ils méprisent, ou s'ils font semblant d'ignorer, n'est-ce pas parce qu'ils ont vaguement conscience de leur impuissance ? Parce qu'il devient obscurément que leur part n'est pas la meilleure, celle qui ne sera pas enlevée ?
Ce sont les vrais sacrifiés du destin social.
Finish !

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Re: Extraits choisis

Message par GraineDeNana »

C'est Steinbeck qui le dit :

"C'est un brave type, dit Slim. Y'a pas besoin d'avoir de la cervelle pour être un brave type. Des fois, il me semble que c'est même le contraire. Prends un type qu'est vraiment malin, c'est bien rare qu'il soit un bon gars."
(Des souris et des hommes, extrait.)
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Re: Extraits choisis

Message par Mlle Rose »

Un extrait de "Quelque part dans l’inachevé" (Jankélévitch) que j'aime beaucoup.

Quand les ombres du soir s’allongent dans la vallée, quand les jardins du jour s’emplissent de mystère et de musique, qu’est-ce donc qui fait ainsi battre le cœur ? C’est la nuit qui lentement s’approche et substitue aux claires différences la confusion, c’est la nuit qui passe l’estompe sur les frontières soigneusement dressées par la lumière du jour, et submerge dans son loisir infini les durs dilemmes du savoir. Les cloisonnements et les compartimentages de la raison diurne fondent dans la ténèbre diffluente, dans la nuit indivise : l’homme découvre un nouveau monde où toutes sortes d’espérances et de facilités magiques s’offrent à sa liberté. Car ce sommeil nocturne qui peu à peu nous enveloppe n’est pas une torpeur vide mais un sommeil peuplé de songes merveilleux : c’est le sommeil d’une conscience noctambule qui découche et se promène sur les toits. L’enchantement de minuit dédommage pour la perte de ses illusions l’homme copernicien désenchanté : il compense la résignation des individus à exister ici ou là ; il nous refait en somme une chevalerie et une magie. À minuit, n’importe quoi déteint sur n’importe quoi, les contradictions nouent dans l’ombre des pactes occultes, l’armée immense des possibles envahit les chemins de la causalité. Ce doux naufrage, cet envoûtement qui est l’effet de la nuit, sont nécessaires à notre existence ; oui, nous avons besoin de cette parenthèse enchantée ; nous avons besoin de ce ciel clandestin et d’une causalité féerique qui échappent aux obligations prosaïques du jour, nous avons besoin de cette poussière des scintillements et des constellations où s’embrouille l'écheveau des déterminismes, où s'enchevêtrent les fils de la causalité.
Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. E. de la Boétie
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Re: Extraits choisis

Message par GraineDeNana »

@Mlle Rose merci pour ce texte, à la fois très beau ("dans la ténèbre diffluente, dans la nuit indivise") et très juste.
J'ai du mal en général à lire ce type de textes en entier, mais je vais écouter un podcast de France Culture que j'ai trouvé au sujet de ce livre, pour essayer de comprendre la pensée de cet auteur. J'apprécie vraiment de pouvoir lire des extraits comme ça, on peut réfléchir et rêver longtemps sur un seul paragraphe de cette qualité (c'est ce qui fait que j'ai du mal à lire ces livres, je n'avance pas).
Quand on arrive au monde, la vie est déjà commencée. C'est pour ça qu'on ne comprend rien à l'histoire.
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GraineDeNana
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Re: Extraits choisis

Message par GraineDeNana »

" Puis dans les océans les bactéries s'en iront créer Dieu. Les racines et les insectes font des ombres sur les terres émergées qui feront les continents qui feront les nations. Les poissons enfantent les primates qui se dressent sur leurs dix doigts pour tracer aux parois des dessins d'une beauté sans pareille. Ceux-là n'ont pas encore la sagesse que nous nous prêterons mais le crâne chaque jour un peu plus rond. Leurs pas ne sont pas épais des cités que nous lèverons un jour dessous le ciel. Mais déjà nous capturons les lourdes bêtes aux cornes creuses et traçons des signes sur de l'argile. Nous bénissons le fer et déchaînons les sabots de nos armées. Nous rassemblons des rives et bâtissons des remparts. Nous brûlons les champs au sein desquels nous savons nous aimer en frottant nos chairs comme nous frottions la pierre. Nous élevons des empires et jetons à l'eau les voiles qui étoufferont les coeurs au loin. Nous enlaçons les peaux que nous dépeçons le soir venu et prions les saintes pour flétrir les putains. Nous chantons les amours disparues et perpétuons la race. Nous marquons au feu les humains dont nous disons qu'ils n'en sont pas. Nous couvrons d'or les quelques-uns et de sueur tous les autres. Nous saisissons au col un roi pour lui demander pourquoi nous ne le sommes pas tous, rois. Nous creusons de gris le vert du vaste des forêts et raturons l'horizon de hautes fumées noires. Nous jurons que la Terre n'aura bientôt plus aucun secret."

Il s'agit là du premier saisissant paragraphe de Ainsi nous leur faisons la guerre de Joseph Andras, raccourci vertigineux de l'histoire de l'humanité en quelques lignes. Ce court récit, paru en 2021 chez Actes Sud, évoque en 3 "panneaux" les rapports entre les animaux et les humains.
En 1805, deux jeunes femmes assistent à une expérience scientifique à Londres, où le sujet est un chien ; elles vont dénoncer la vivisection. En 1985, en Californie, un bébé singe est sauvé par le Front de libération des animaux d'une autre cruelle expérience. En 2004, une vache et son veau se sauvent d'une bétaillère sur une route près de Charleville-Mézière.
Un texte où le fond et la forme se renforcent l'un l'autre.
Quand on arrive au monde, la vie est déjà commencée. C'est pour ça qu'on ne comprend rien à l'histoire.
Natacha de Pontcharra

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Fu
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Re: Extraits choisis

Message par Fu »

@GraineDeNana, c’est un beau texte mais je trouve le style inutilement compliqué à lire.

Je vous propose quelques paragraphes du début de Gloriana ou La Reine inassouvie, de Moorcock.
Moorcock a écrit :Le palais est aussi grand qu’une ville moyenne, car au cours des siècles les communs, les pavillons, les hôtelleries, les manoirs des seigneurs et dames d’honneur ont été reliés par des ambulatoires, ambulatoires recouverts les uns après les autres d’un toit ; ainsi çà et là trouve-t-on des corridors à l’intérieur d’autres corridors, tels des conduits dans un tunnel, des maisons dans des salles, ces salles dans des châteaux, ces châteaux dans des cavernes artificielles, le tout à nouveau coiffé de toits de tuiles d’or, de platine, d’argent, de marbre et de nacre ; si bien que le palais s’embrase de mille couleurs à la lumière du soleil tandis qu’il chatoie sous la lune. La masse ondoyante des murs et des toits semble portée par des flots majestueux d’où émergent tours et minarets, pareils aux mâts et aux coques de navires en perdition.

Le calme ne règne guère au palais ; de grands aristocrates vont et viennent, vêtus de brocart, de soie et de velours, arborant chaînes d’or et d’argent, poignards filigranés, vertugadins en ivoire ; capes et traînes ondulent dans leur sillage, portées parfois par des petits garçons et des petites filles peinant sous le poids du tissu. Une musique délicate et déliée rythme en tous lieux les pas des nobles et des serviteurs. Des salles sont consacrées aux répétitions de pièces de théâtre et de mascarades, dans d’autres on donne des concerts, on peint des portraits, on esquisse des fresques murales, on fait de la tapisserie, on sculpte, on récite des vers ; et l’on fait sa cour, on va au déduit, on se querelle avec cette intensité indissociable d’un tel univers. Dans les espaces oubliés, entre les murs, vivent les rebuts de l’humanité, les habitants de l’obscurité, vagabonds, serviteurs renvoyés, maîtresses répudiées, espions, hobereaux exilés, enfants de l’amour, êtres difformes, prostituées rejetées, parents idiots, ermites, fous, exaltés prêts à souffrir le martyre pour rester à proximité du pouvoir ; prisonniers en fuite, nobles déchus trop honteux pour se montrer en public, soupirants éconduits, maris infidèles, amants apeurés, individus ruinés, malades ou envieux ; tous vivent et rêvent seuls ou dans des clans aux territoires et coutumes clairement définis, loin de l’univers du palais, de ses salons et de ses corridors fastueusement éclairés, et pourtant proches de ses habitants qui, eux, ne soupçonnent guère leur existence.

Au pied du palais s’étend la grande cité, capitale d’un empire riche d’or et de gloire, foyer d’aventuriers, de marchands, poètes, auteurs dramatiques, magiciens, alchimistes, ingénieurs, scientifiques et philosophes, artisans de toutes sortes, sénateurs, érudits – son université est réputée –, théologiens, peintres, acteurs, flibustiers, usuriers, voleurs de grand chemin, danseurs, musiciens, astrologues, architectes, maîtres des forges, patrons des grosses fabriques qui fument aux abords de la capitale d’Albion, prophètes, réfugiés étrangers, dresseurs d’animaux, gens d’armes, juges, médecins, galants, coquettes, grandes dames et nobles seigneurs ; tous s’agitent dans les cabarets, les tavernes, les théâtres, les opéras, les auberges, les salles de concerts, les forums, les caves à vin et les lieux de méditation ; on s’y pavane dans des costumes extravagants, refusant à tout prix le conformisme, au point que même l’esprit du gamin de la rue a autant de finesse que la meilleure conversation du seigneur de province. Le parler trivial des garnements est si riche en métaphores et en ellipses que les poètes d’autrefois auraient vendu leur âme pour posséder la verve d’un apprenti londonien. Il s’agit pourtant d’un langage pratiquement intraduisible, plus obscur que le sanscrit, et qui se modifie d’un jour sur l’autre. Les moralistes réprouvent ces habitudes, ce désir perpétuel et vain de l’originalité, et ils prédisent la décadence pour bientôt, issue inévitable à cette quête du sensationnel. Pourtant, l’exigence de nouveauté, si elle entraîne les mauvais auteurs à n’exprimer dans leurs pièces que des émotions provocantes et futiles, pousse les meilleurs à enrichir les leurs d’une langue stimulante et complexe (ils savent qu’ils seront compris), de situations mélodramatiques ou merveilleuses (ils savent qu’ils seront crus) et d’avis sur toute chose (beaucoup les suivront). Il en est de même pour les meilleurs musiciens, poètes et philosophes, sans oublier les modestes prosateurs qui réclament la reconnaissance de leur art que tout un chacun tient pour bâtard. Bref notre cité de Londres vit et palpite par tous ses pores, jusqu’à la vermine qu’on imaginerait douée de raison. Les puces débattent entre elles de l’infinité ou non du nombre des chiens dans l’univers, et les rats se chamaillent sur des questions essentielles : du boulanger ou du pain, lequel est apparu le premier.

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