La vulgarisation

Mathématiques, sciences humaines, anthropologie, écologie, biologie, génétique, médecine, ou encore philologie, linguistique, grammaire et autres. La vaste partie consacrée aux sciences dans leur ensemble, et dans leur unicité.
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Nono
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La vulgarisation

Message par Nono »

Ce dont je veux parler ici a déjà été abordé dans une certaine mesure ici, , ici aussi, et à cet endroit, et j'en oublie, mais je n'ai pas trouvé de fil qui lui soit proprement dédié. Le voici.


Qu'est-ce que la vulgarisation ?


Le Larousse me dit : "Action de mettre à la portée du plus grand nombre, des non-spécialistes des connaissances techniques et scientifiques."
Je trouve cette définition assez juste, j'en ferai donc la base de mon raisonnement et de mes réflexions.


Concepts sous-jacents


Lorsqu'on apprend une science (et ce n'est pas valable qu'en science), les concepts sont expliqués les uns après les autres. Avant d'introduire les espaces vectoriels en mathématique, il faut apprendre ce qu'est un nombre, ce que sont les opérateurs mathématiques simples comme l'addition et la soustraction, ce qu'est une fonction, etc. Avec cet apprentissage des concepts vient un apprentissage du jargon scientifique approprié, qui permet d'accéder très rapidement et sans confusion à des concepts très pointus. Ce sujet mériterait un fil dédié.
Pour des vulgarisations pointues, transmettre l'intégralité des concepts ayant permis d'arriver à ce degré de connaissance et du jargon qui s'y applique est impossible. Le travail du vulgarisateur est donc d'utiliser des mots compréhensibles, des concepts simples et accessibles. Vulgariser, c'est donc bien sûr d'abord reformuler.
Ceci se fait, bien sûr, au prix d'une partie de l'information initiale. C'est comme si on créait des ponts, sortis de nulle part, vers des connaissances pointues.
Cette information reçue de manière lacunaire devrait, je trouve, être rajoutée à la définition initiale, car elle permet de différencier la vulgarisation de l'enseignement pur et simple, qui doit fournir les outils nécessaires à la compréhension de l'information en plus de l'information elle-même.

Il ne faut pas pour autant confondre vulgarisation et connaissances empiriques, car alors on a bien le côté lacunaire de l'information (on sait ce qui se passe, mais pas comment), et cette connaissance peut être transmise à un non-expert. La nuance vient peut-être de la part du fait que l'information est alors transmise en totalité, mais je ne me risquerai pas plus loin...

Les limites de la vulgarisation me semblent floues. Si on en reste à la définition du début, une vulgarisation peut certes porter sur des sujets pointus comme la physique quantique ou le fonctionnement du cerveau, mais elle peut aussi porter sur des sujets plus simples. Par exemple, vous savez qu'il ne faut pas regarder le soleil directement parce qu'il va vous brûler la rétine. Vous ne connaissez pas forcément, en revanche, le mécanisme précis qui grille le fonctionnement de vos cellules.
S'agit-il alors encore de vulgarisation ? Une connaissance a bien été mise à la portée du plus grand nombre...

Les enjeux de la vulgarisation
A quoi sert la vulgarisation ?

Vulgariser permet à une population non-experte d'accéder à des connaissances d'experts. Même si cette connaissance n'est que partielle, elle peut avoir des utilisations directes dans la vie quotidienne, notamment pour des questions techniques. Par exemple, savoir que l'eau salée se transforme en glace à une température plus faible que l'eau pure permet de comprendre comment fonctionne le salage des routes (et pourquoi ça ne marche plus en-dessous d'une certaine température), même si on n'a pas accès aux calculs qui permettent de connaître précisément la température de fusion de l'eau.
Accéder à des connaissances vulgarisées permet aussi de satisfaire un certain besoin de connaissance, de compléter sa culture générale, d'avoir l'impression de connaître plein de choses, etc.

Quels sont les risques de la vulgarisation ?

Pour moi, une mauvaise vulgarisation est avant tout une vulgarisation qui n'est pas vraie sur le plan scientifique. C'est le cas pour beaucoup (la plupart ?) des articles publiés dans des journaux dont le but n'est pas, justement, la vulgarisation (et même certains dont c'est le but...). On avait, par exemple sur ce forum, le cas de cet article, mais le phénomène est vraiment omniprésent (les erreurs sont souvent peu conséquentes, heureusement). Le danger, c'est alors bien sûr que ça mène à la désinformation.

Une mauvaise vulgarisation peut aussi être orientée. Dans ce cas, soit l'information est erronée, soit elle n'est que partielle (c'est particulièrement facile à faire pour la vulgarisation, vu que le lecteur (l'auditeur ? Le visionneur ? Le récepteur ?) n'a, par définition, accès qu'à une partie de l'information). Dans ce cas, la désinformation sert une cause (je vous renvoie sur cette vidéo et sur celle-là, toutes les vidéos de cette chaîne sont très bien, mangez-en).

Enfin, pour illustrer le dernier risque, je vais prendre un exemple explosif : celui de la manipulation génétique.
Le grand public, en Europe, en a une image très négative. Il pense que les OGM sont dangereux, parce qu'on ne connaît pas leurs conséquences, parce qu'ils sont poisons, parce qu'ils transmettent le cancer. Il condamne le clonage en avançant par exemple qu'il peut mener à la création de nouveaux organismes dangereux.
Certains de ces arguments sont faux, ou valables uniquement dans des contextes très spécifiques. Par exemple, peu de gens sont au courant que le clonage n'a rien à voir avec la création génétique de toute pièce, puisqu'il s'agit alors uniquement de la création d'individus ayant le même génome. Les clones sont très répandus dans la nature, puisque la plupart des plantes utilisent (mais pas exclusivement) le clonage pour se répliquer, et que même nous autres humains sommes capables de produire de vrais jumeaux, qui sont des clones. De même, certains OGM auraient très bien pu apparaître naturellement sans intervention de l'homme, celui-ci ne faisant qu'accélérer le processus naturel.
Attention, ceci n'est pas un plaidoyer pour le génie génétique. Il existe des critiques fondées du "grand public" contre ces pratiques, et d'autres critiques plus pointues sont soulevées par la communauté scientifique. Cependant, cela montre bien qu'une mauvaise vulgarisation, et que la désinformation en général, peuvent avoir des conséquences importantes dans la prise de décisions et l'opinion générale, et impacter des domaines aussi variés que ceux de l'éthique, de la santé ou de la recherche fondamentale.

J'ai eu beaucoup de mal à trouver des documents critiques sur le sujet. La page Wikipedia française m'a bien donné quelques idées, mais elle renvoie sur une version de l'Encyclopedia Universalis à laquelle je n'ai pas accès. Le reste n'est qu'une synthèse de mes propres réflexions sur le sujet, je ne pourrai donc pas vous fournir plus de sources.
Le sujet est très large, mais ses différents points me semblent intrinsèquement imbriqués, c'est pourquoi je n'en ai fait qu'un seul.
Je voulais m'excuser pour le côté très "exposé". Je ne voyais pas comment lancer le débat sans contextualiser un concept aussi large, ni donner mon point de vue sur le sujet.

Qu'est-ce que c'est, pour vous, la vulgarisation ?
Qu'est-ce qu'une bonne vulgarisation ? Quels sont les risques d'une vulgarisation mal menée ?
En quoi êtes-vous en désaccord avec moi ? Que que voudriez-vous rajouter ?
Au plaisir de vous lire :) (expression si courante sur ce forum qu'elle en devient banale ^^)
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Re: La vulgarisation

Message par marienat23 »

Je vais répondre de manière partielle et probablement peu réfléchie. Je pense que la vulgarisation a du bon parfois. Je suis en train de lire des ouvrages d'Etienne Klein, avec des notions auxquelles je n'aurais jamais eu accès. Il y a aussi la question de la longueur de l'explication, on peut simplifier dans un livre en utilisant moins de raccourcis que dans un article de magazine. L'identité de la personne qui simplifie, sa capacité à choisir les bonnes notions à mettre en valeur et sa maîtrise du sujet jouent énormément.
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Re: La vulgarisation

Message par samjna »

Pour préciser définition et problèmatique, il existe cette thèse dont je me rappelle seulement... que je l'ai lue:
http://sciences-medias.ens-lyon.fr/scs/ ... dant-2.pdf

Et ici:
http://adulte-surdoue.fr/sur-toile/scie ... ml#p212780

*****
J'attends d'abord d'une vulgarisation d'un domaine qu'elle me le replace dans son contexte, en particulier pour que je puisse accéder aux questions qui ont amené à construire ses concepts.
Ensuite qu'elle m'explique la démarche de la construction de ces concepts et comment ils sont reliés entre eux de telle sorte que je puisse les désassembler ou les réassembler dans les grandes lignes.

Mon idée n'est pas de devenir expert, ni même parfois d'accéder à des connaissances concrètes - elles sont souvent rapidement obsolètes - mais de pouvoir être durablement à l'aise avec ces concepts et ces démarches pour les reconnaitre ou les utiliser ailleurs même s'ils sont légèrement déformés par leur transposition dans un autre espace conceptuel sous-jacent.
Ce qui permet aussi d'en vérifier l'usage en cas d'analogie avec un autre domaine dans une autre discipline.
( Cf. "L'affaire Sokal" Sokal et Bricmont ou "Prodiges et vertiges de l'analogie" Bouveresse )

Comme exemples de bonne vulgarisation selon moi: "La théorie du chaos" de Gleik, "Le macroscope" de Joël de Rosnay, "Matière à penser" Changeux & Connes,...

La vulgarisation bien faite apporte quelque chose même à quelqu'un qui connait le domaine par ses études ou sa profession quand elle le place dans une perspective plus large ( histoire des idées, questionner, outillage mental, extensions... ). Elle apporte une vue d'ensemble commode qu'il n'aurait peut-être pas eu sinon.
Elle peut être un complément voire une aide et puis la technique s'oublie... reste la culture quand on a tout oublié.

**********
Pour la mauvaise vulgarisation, je conseille chaudement la lecture des Bogdanov ( où 2 << 1 + 1 ) ou le visionnage de quelques vidéos youtube quand un survolté de première révèle la mécanique quantique en s'agitant pendant 20 minutes dans une musique d'enfer.

Une partie de l'effet a été décrit par Flaubert dans "Bouvard et Pécuchet": la bêtise. Un principe de base de la mauvaise vulgarisation, c'est de donner des réponses avant d'avoir expliqué les questions ni (r)appelé les bases. Pourquoi ces réponses-là ? Eh bien on ne sait pas toujours: lubie des auteurs, de l'actualité, du snobisme, le fric...
Les vulgarisateurs n'ont parfois pas compris les questions auxquelles ils apportent des réponses ( typique des journalistes du journalisme mais pas que ) tout en suggérant volontairement ou non l'évidence d'une question à laquelle ils répondent: ce qui n'est même pas faux.
- Il ne peut ni penser ensuite.
( hypothèse raisonnable pour cerner une hypothétique question genre: quelle est la différence entre un pigeon ? )

Je vois plusieurs problèmes après quelques dizaines d'heures de ces choses:
- Ca risque de prendre finalement plus de temps pour un résultat moindre qu'un bon bouquin ( de cours ).
- Ca risque de donner de mauvaises démarches qu'il faudra dégager pour lire un bon bouquin ( de cours ).
- Ca risque de dissuader de lire un bon bouquin ( de cours ): l'auditeur intelligent constatant qu'il ne comprend rien - et pour cause - pense à tort que ça serait pire avec de la meilleure vulgarisation ou un bon bouquin ( de cours ) forcément plus difficile.
- ...
( comme "bon bouquin ( de cours )", il existe "Le cours de physique de Feynman" dont le premier tome est constitué à 80% d'un excellent blabla et est parfaitement accessible avec un niveau 1ère ... à l'ancienne. Pour l'avoir parfois conseillé à des adorateurs du boson de Higgs en sachant déjà beaucoup, je sais combien la seule mention "cours de physique" en rebute de pourtant très courageux )

La mauvaise vulgarisation - ou le manque d'une bonne - me semble nettement pire dans les sciences humaines où les critères de vérité et de rigueur sont différents ainsi que ceux de méthode et donc de critique. De plus, en raison d'enjeux socio-politiques plus immédiats, il est nettement plus difficile de qualifier cette production - mauvaise vulgarisation ou propagande ? - sans en connaitre les mobiles et motifs.
( L'actualité - y compris scientifique - ne me semble pas relever de la vulgarisation même si elle en comporte )

En sciences dures, il y a rapidement des mots rares et compliqués et les maths qui menacent tandis que dans ce qui relève des sciences humaines comme l'histoire ou la géopolitique, on emploie des mots qui ont un sens dans la vie courante et que beaucoup pensent comprendre d'emblée.
La mauvaise vulgarisation en sciences humaines peut hâter la massification de millions de "citoyens" qui n'ont jamais ouvert un bouquin ( sérieux ) de leur vie en sciences humaines mais qui sont pressés d'agir, de manifester ou de voter. A cet effet, ils se sont tapé des centaines d'heures de propagandes variées qui s'appuient souvent sur de mauvaises vulgarisations en amont ( philo, psycho, socio, histoire... ) quand elles ne les produisent pas. Ils sont déterminés ou se déterminent sur elles pour agir ou/et rationaliser leurs actions. Une absence de formation critique va très bien avec une réaction hypercritique.
Et par exemple, à la vulgarité des docu-fiction historiques de la télé subventionnée et sa niaiserie politique va répondre la vulgarité de l'histoire de France selon Asselineau ou Reynouard ou de la géopolitique selon Soral: de grands moments de propagande et de contre-propagande.

L'histoire de France selon Asselineau pour répliquer à l'analphabétisme organisé:
[BBvideo 425,350]http://www.youtube.com/watch?v=k34iCt7ghiU[/BBvideo]

Réplique du régime aux théories du complot du net:
http://www.lexpress.fr/actualite/societ ... 60648.html

Réplique de l'université à ceux qui ne croient plus en elle:
[BBvideo 425,350]http://www.youtube.com/watch?v=BluNgzYHnMQ[/BBvideo]
( "La démocratie des crédules" Gérald Bronner: sans enthousiasme mais il a le mérite d'exister )

***********
Une question: pourquoi ces gens-là tiennent à ce que je sache ça plutôt qu'une autre chose ?
( une hypothèse souvent éclairante: si c'est gratuit ou obligatoire, c'est moi le produit )
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Armie
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Re: La vulgarisation

Message par Armie »

Merci pour ce topic Nono, et merci samja pour ta réponse très construite.
Le sujet me semble aborder à la fois la question de "comment bien vulgariser" et celle de "pourquoi, à quels desseins vulgariser ou chercher de la bonne vulgarisation".

En ce qui concerne le "comment", je me demande s'il n'y a pas un leurre lorsqu'on s'imagine que "vulgarisation" implique "facilité d'accès à la connaissance". De ma petite expérience, ça n'a jamais été le cas.

Soit le sujet touche aux sciences dures, et comme le souligne samja, il y a des limites à la simplification: il faut bien apprendre ce qu'est une brique avant de comprendre comment construire un mur. Et cela n'est pas sans efforts, les "briques" en sciences sont souvent des tiroirs qui contiennent d'autres briques qui contiennent d'autres briques qui... font que trois heures plus tard, on se retrouve à gribouiller des maths niveau lycée sur un coin de table avec 25 onglets ouverts alors qu'à la base, on voulait juste comprendre ce que peut bien vouloir dire la découverte du boson de Higgs :tmi:

En plus, les briques scientifiques sont éphémères dans ma mémoire si je ne les sollicite pas régulièrement. J'ai beau avoir fait de la physique intensément il y a fort longtemps, impossible de me souvenir hier après-midi comment on calculait la concentration d'un gaz dans un liquide (en l'occurrence l'oxygène dans le sang, j'avais besoin de l'unité de mesure) (coucou, m'sieur Henry). Même des briques déjà apprises, il faut souvent les réapprendre.

Lorsque le sujet touche des sciences humaines, l'impression de familiarité des termes employés est parfois encore plus trompeur. On se met à utiliser des concepts sans les comprendre, sans les avoir définis, avec cette fausse impression de maîtrise... Or, là encore, il faut bien maîtriser les briques du langage pour pouvoir s'exprimer... Comment faire autrement?

Et puis, il y a tous les sujets mixtes: ceux qui mêlent sciences dures ou sciences humaines et enjeux de société. Comme les OGM qui sont en effet un bon exemple. Là on touche au "pourquoi" vulgariser. Il y a d'autres exemples, en sciences du vivant, de sujets qui méritent une bonne vulgarisation, parce qu'ils doivent faire l'objet d'un débat public (pesticides, changement climatique, crise écologique, etc.).
En médecine aussi, les questions d'éthiques ne peuvent pas se limiter aux débats d'experts juste parce qu'elle portent sur des sujets techniquement pointus...
Rapidement, pour ce genre de sujets, il y a bien plus que la science à comprendre et vulgariser. Il y a aussi le juridique, l'organisation des forces en présence, le "qui fait quoi" dans les sphères publiques et privées, l'historique des enjeux entre acteurs, etc etc...
Avec, à la clé, des décisions publiques qui orientent la société de demain.

À chaque fois que je m'y suis frottée, j'ai constaté que je ne pouvais pas faire l'économie d'un effort long et sérieux pour aller au delà des idées reçues. Qui sont toujours phénoménales, d'ailleurs.
Comme mon énergie est une ressource limitée, je ne peux pas faire cet effort d'auto-formation dans de nombreux domaines. D'autant que les connaissances étant rapidement obsolètes, mon "expertise acquise" peut périmer d'une année sur l'autre. Ce qui fait que la plupart du temps, il me semble très difficile voire audacieux d'exprimer un point de vue sur des sujets complexes.
J'ai pu observer le même phénomène dans des groupes professionnels. Si on voulait vraiment avancer ou décider de manière constructive, pas le choix, à un moment, il fallait se coltiner ensemble le dur du sujet, monter en compétences, en expertise. Même si quelqu'un prémâche le truc avant. Sinon, on se retrouve à brasser des généralités qui tournent rapidement à la confrontation, épuisante et stérile.

Il existe une méthodologie pour prendre des décisions sur des sujets complexes en tenant compte de l'avis de citoyens initialement "novices": les conférence de consensus (ou de citoyens). Un panel de citoyens est constitué afin d'être représentatif de la population, puis formé de façon transparente pendant quelques jours avant que les débats ne démarrent. En quelques jours, des non-experts sont souvent capables de débats de haut niveau aux côtés des experts, avec une vraie plus value-sociétale.
Mais c'est long, et cher à organiser.

À mon sens, la vulgarisation est un vrai enjeu démocratique. Connaître, comprendre, pouvoir argumenter, c'est le pré-requis pour participer à des décisions qui touchent à notre avenir commun.
Cela va au-delà de la satisfaction de notre curiosité intellectuelle, c'est un outil de pouvoir et d'émancipation, individuel et citoyen.

dani
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Re: La vulgarisation

Message par dani »

Merci pour ce topic Nono et pour vos différentes interventions toutes instructives !
Armie a écrit : À mon sens, la vulgarisation est un vrai enjeu démocratique. Connaître, comprendre, pouvoir argumenter, c'est le pré-requis pour participer à des décisions qui touchent à notre avenir commun.
Cela va au-delà de la satisfaction de notre curiosité intellectuelle, c'est un outil de pouvoir et d'émancipation, individuel et citoyen.[/align]
ABSOLUMENT ! Ce qui implique la rigueur et l'honnêteté intellectuelles décrites plus haut. De la bonne vulgarisation est complexe à réaliser. Que ce soit n'importe quel sujet il est alors essentiel, si on ne peut s'y plonger soi-même (et je te rejoins Armie, cela mène loin quand on revient aux sources primaires) de croiser ses diverses sources de vulgarisation pour repérer les points similaires (qui pour moi peuvent être alors repérés comme devant être plus ou moins solides, faisant consensus et je peux y accorder du crédit) et les points divergents (et là je me dis que le sujet est loin de faire accord dans le milieu... et je reste prudente).

Puis voir aussi les références citées dans le doc vulgarisé : sources issues de spécialistes du domaine ? sources issues de revues de littérature ou de sources uniques ? auteurs cités qui ont une tendance à être polémique ou pas (google est notre ami pour vérifier en quelques clics) ? etc... Un topo complet de points à analyser dans un texte vulgarisé serait super utile pour discriminer la bonne de la mauvaise vulgarisation. Tu nous a fait ça Nono dans le fil sur le climat et j'ai l'impression que ces "outils de compréhension critiques" (à défaut de réelle analyse critique, pour moi impossible si on n'est pas du domaine) permettent de situer un peu mieux la qualité de la vulgarisation. Il y a des formations à l'écriture vulgarisée comme ici http://www.cvc.u-psud.fr/spip.php?article15, c'est un domaine je pense en pleine expansion qui peut amener le meilleur (en éclairant les individus de la manière la plus neutre possible pour faire ensuite des choix sensés ! ) comme le pire (si l'info est manipulée à des fins politiques, industrielles, commerciales et même scientifiques et malheureusement c'est très fréquent j'ai l'impression).
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Nono
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Re: La vulgarisation

Message par Nono »

Tout d'abord, merci pour vos réponses complètes et étayées. J'ai pris beaucoup de plaisir à vous lire, et il y a des pans entiers de ce vaste concept auxquels je n'avais pas encore réfléchi que vous mettez en valeur, et sur lesquels je reviendrai peut-être après une plus mûre réflexion. Je n'ai bien sûr pas encore eu le temps de lire toutes vos référence, mais merci :)

J'ai cependant quelques questions :

samja, tu dis attendre d'une vulgarisation qu'elle te donne accès aux questions qui ont permis d'accéder aux concepts. Dans ce cas, comment différencies-tu une vulgarisation d'un simple cours, qui construit brique par brique le chemin vers le concept final ? Dans la profondeur de l'explication ? Dans la rigueur des calculs numériques ? Dans une approche plus ludique de la question ?
Peut-être, comme tu l'évoque plus loin, dans l'ouverture et la vue d'ensemble apportée ? Mais n'est-ce pas non plus ce qu'on peut attendre d'un cours ?
Armie, tu évoques quant à toi la difficulté d'accès aux notions les plus avancées, et également l'importance de procéder par étapes, pour construire le raisonnement, notamment en sciences dures. S'agit-il pour toi uniquement d'expliquer ces concepts, ou bien de tout redémontrer depuis le début ?
En bref, quelles différences voyez-vous entre vulgarisation et une vraie formation ?
Je chipote peut-être, mais c'est une notion floue que j'ai du mal à cerner, et il me semble que sans définition précise tout raisonnement subséquent n'aurait que peu de sens...

Pour ce qui est des sciences humaines, mes maigres connaissances sont surtout issues de vulgarisations, justement, mais au vu de ce que vous avancez tous, j'ai peur de devoir en remettre une partie en cause... Auriez-vous des exemples de mauvaise vulgarisation en sciences humaines ?

Je vous rejoins sur les enjeux de la vulgarisation, notamment sur l'enjeu démocratique. L'idée qu'un peuple mal informé est incapable de prendre de bonnes décisions est assez ancienne je crois. N'est-ce pas l'une des justifications de l’essor de l'éducation au début de la 3e république, en France ?
Il est vrai que l'avènement d'internet ouvre de nouveaux débats. Comment contrôler la désinformation (mot avec lequel j'ai un peu de mal) et promouvoir des discours reconnus comme vrais par des experts ? Comment, pour des sujets où la science se mêle à l'éthique et à la gestion globale, et où l'opinion publique est l'un des seuls freins à la pression économique, faire en sorte que l'opinion publique prenne le "bon chemin" ? Faut-il la manipuler ou l'éclairer ? (je m'écarte un peu du sujet là, c'est vrai).

Un topo sur comment identifier les erreurs dans les média de vulgarisation pourrait être une idée, mais il existe déjà quelques articles traitant du sujet sur le net. Peut-être qu'en faire un recueil pourrait être plus utile dans un premier temps.

dani
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Re: La vulgarisation

Message par dani »

Nono a écrit : Un topo sur comment identifier les erreurs dans les média de vulgarisation pourrait être une idée, mais il existe déjà quelques articles traitant du sujet sur le net. Peut-être qu'en faire un recueil pourrait être plus utile dans un premier temps.
Ce serait vraiment très utile ça !! à court terme c'est la seule chose qui peut se faire auprès du public, dans les écoles : donner l'accès aux connaissances c'est bien, mais sans un développement de l'esprit critique c'est inutile....et ça ne se fait pas tout seul : des guides de réflexion offriraient des repères sur les points à regarder en priorité.

Après, on se met à douter de tout partout et il faut tout de même un moment donné faire des choix. Mais douter avec "intelligence", en arrivant à documenter les raisons de ses doutes c'est assez "rassurant" aussi. Et rappelle que rien n'est immuable et que demain, ce que je crois "juste" sera peut-être faux. Et qu'il faut avancer quand même malgré tout. Avec juste un peu plus de lucidité sur les limites de nos convictions et connaissances
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Re: La vulgarisation

Message par alicesmartise »

C'est amusant, je me pose beaucoup de questions là-dessus, cette année. Notamment sur la différence que l'on peut faire entre vulgarisation et enseignement. Comme tu l'as souligné Nono, il y a déjà deux définitions assez distinctes qui se sont dégagées de ce que vous avez dit.

D'abord, il y a ça :
Nono a écrit :Le Larousse me dit : "Action de mettre à la portée du plus grand nombre, des non-spécialistes des connaissances techniques et scientifiques." [...] Ceci se fait, bien sûr, au prix d'une partie de l'information initiale. C'est comme si on créait des ponts, sortis de nulle part, vers des connaissances pointues.
Comme pour la rétine brûlée par le soleil, on baisse au maximum les prérequis à la compréhension, et on zappe un peu le contexte global, pour privilégier la transmission d'un concept.
La photosynthèse est le processus par lequel les plantes se fournissent en énergie. Elles exploitent pour cela les rayons solaires, qui leur permettent de transformer eau et dioxyde de carbone en dioxygène et en sucre.
(et là, le dogme n'est pas loin, ce n'est qu'une question de présentation...)

Et ensuite, il y a ça :
samjna a écrit :J'attends d'abord d'une vulgarisation d'un domaine qu'elle me le replace dans son contexte, en particulier pour que je puisse accéder aux questions qui ont amené à construire ses concepts.
Ensuite qu'elle m'explique la démarche de la construction de ces concepts et comment ils sont reliés entre eux de telle sorte que je puisse les désassembler ou les réassembler dans les grandes lignes.
À mes yeux, une autre facette de la vulgarisation. Au lieu de simplement transmettre une connaissance précise, on cherche à transmettre des idées globales.
On a longtemps cru que les plantes se nourrissaient de la terre pour croître. C'est seulement au XVII siècle que l'on se rend compte que le seul apport d'eau suffit à la croissance d'une plante. En effet, les plantes se maintiennent en convertissant l'énergie solaire en une énergie qu'elles savent ensuite exploiter : cette conversion passe par la photosynthèse.
(c'est souvent ce que font les vidéos de vulgarisation sur YouTube)

Pour reprendre ton image de pont Nono, je ferais bien une métaphore arborescente (pour changer :P), en prenant un domaine = un arbre, avec tronc = ce que le public que l'on vise sait, et fin des branches = dernières connaissances techniques explorées dans le domaine.
La première définition, c'est, comme tu l'as indiqué, je crée des ponts fictifs entre le tronc et une branche (que je suis donc forcée de résumer pour que ça colle environ). La deuxième, ce serait plutôt : je vais donner en gros la forme de l'arbre, et les seules choses bougeant actuellement étant les boutons terminaux, il y a des chances pour que ça reste valide un certain temps.
Pour ce qui est des enjeux de la vulgarisation, le premier type de vulgarisation me semble nettement plus dangereux que le second, en ce qu'il ne fournit pas les questions qui ont mené à la connaissance, et donc peu de moyen de remettre en question la connaissance.

Et donc, les différences entre enseignement et vulgarisation ?
Si on prend, comme définition enseignement, l'action de faire passer d'un niveau de connaissance A à un niveau de connaissance B, alors pour moi la vulgarisation est un cas particulier d'enseignement, à faible prérequis et qui requiert un temps d'apprentissage court.
Les parcours scolaire puis universitaire sont, quant à eux, des modes d'enseignement à long terme, et qui visent, à leur aboutissement, à mener à la connaissance plus ou moins poussée d'un arbre donné (si c'est bien fait, à la fois forme et branches terminales). Et souvent, l'avancement dans ce domaine requiert la vulgarisation d'autres domaines liés (souvent des domaines plus abstraits : on vulgarise de la biologie pour faire de la psychologie, par exemple).
Et je ne sais pas si la division faite plus tôt, entre transmettre un concept et transmettre son contexte, est pertinente, mais un (bon) cours devra souvent s'appuyer sur les deux modes de présentation pour parvenir à une vision d'ensemble détaillée. Alors que ce que je perçois de la vulgarisation a plutôt tendance à ne jouer que sur une seule corde, selon l'objectif de la manœuvre.

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Armie
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Re: La vulgarisation

Message par Armie »

D'accord avec Alice. (comme quoi ça vaut toujours la peine d'attendre un peu voir si quelqu'un peut répondre mieux que soi :lol: )

Bon, sauf
alicesmartise a écrit :On a longtemps cru que les plantes se nourrissaient de la terre pour croître. C'est seulement au XVII siècle que l'on se rend compte que le seul apport d'eau et de minéraux et de lumière suffit à la croissance d'une plante. En effet, les plantes se maintiennent en convertissant l'énergie solaire en une énergie qu'elles savent ensuite exploiter : cette conversion passe par la photosynthèse.
:P
Nono a écrit : Auriez-vous des exemples de mauvaise vulgarisation en sciences humaines ?
Surdoué = génie... par exemple. Mais globalement, toutes les vulgarisations qui ont conduit à des clichés, des raccourcis falsificateurs de la réalité, des doctrines...

J'aime bien ton image d'arbre, Alice. D'autant qu'on peut imaginer que tous les arbres forment la grande Forêt du Savoir, dans laquelle on a tendance à se paumer. Pour y voir clair il faudrait voleter au dessus de la canopée et avoir une vue d'ensemble mais la plupart du temps on évolue au ras du sol au milieu des troncs; avec un peu de bol on parvient à grimper à un arbre ou deux dans notre vie, et de là, on tente de se faire une idée globale de l'écosystème... les arbres d'à côté, on les voit très bien, mais l'arbre le plus éloigné de notre spot est tellement petit qu'on ne sait pas si c'est un baobab ou un chêne ;)
(dites moi... L'arbre de la connaissance... ce serait pas un peu biblique notre affaire? :lol: )
► Afficher le texte
L'idée importante me paraît l'inscription d'une connaissance donnée dans un contexte de réflexion donné, ce qui est la base d'une transmission humble du savoir. Personnellement j'ai davantage confiance en quelqu'un qui me dit "voilà ce qui nous a emmené à penser cela, et jusqu'à présent, ça fonctionne plutôt bien" que lorsqu'on m'assène "ça marche comme ça, point barre." (même si à l'école on a rarement le temps de faire l'histoire des idées et c'est fort dommage.)

C'est probablement pourquoi vulgariser un sujet en mots simples et accessibles à un novice, sans le déformer ou se cacher derrière du jargon pour éviter le débat, requiert une grande maîtrise dudit sujet.

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Chacoucas
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Re: La vulgarisation

Message par Chacoucas »

Hors-sujet
On pourrait peut être faire un petit exercice de vulgarisation? dans un autre topic dédié?
D'autant qu'on peut imaginer que tous les arbres forment la grande Forêt du Savoir, dans laquelle on a tendance à se paumer.
Le problème de la forêt c'est que plus tu grimpes aux arbres plus tu repères de logiques relativement identiques: disons que si tous les arbres s'inscrivent dans une sphère et que les branchages se chevauchent sans arrêt alors pourquoi pas.

Ce qui n'enlève aucune complexité, suffit de zoomer ou dézoomer pour voir les extrémités qui partent en fractales.

Enfin... ça ou autre chose :)
même si à l'école on a rarement le temps de faire l'histoire des idées et c'est fort dommage.
Plus que dommage je dirais que c'est inutile. On ne comprend ni ne maitrise aucun savoir sans l'approcher aussi par ce biais. Enfin, avis personnel. Comme disait Alicesmartise ça augmente aussi les chances de tomber dans le dogme bêtement appliqué et récité sons comprendre en quoi ça n'a rien d'un dogme.
C'est probablement pourquoi vulgariser un sujet en mots simples et accessibles à un novice, sans le déformer ou se cacher derrière du jargon pour éviter le débat, requiert une grande maîtrise dudit sujet.
Je doute que ça soit possible de faire ça un arbre après l'autre sur un pan de forêt sans abuser en simplification (genre ma métaphore de la forêt, mais sans possibilité de zoomer/dézoomer... le jargon sert un peu à ça, pas tout confondre et multiplier les nuances).
Hors-sujet
Du coup je trouverais ça amusant dans l'exercice de faire à la fois une vulgarisation d'un truc pointu (genre une branche d'un arbre) tout en vulgarisant un sujet plus général (un pan de forêt). Le changement de cadres et d'échelles me parait parmi les choses les plus compliquées pour garder une simplicité.

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Miss souris
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Re: La vulgarisation

Message par Miss souris »

Je crois que quand on vulgarise, on donne accès à une partie de la forêt, sans les prérequis peut être, comme disait Alice, (dans la mesure où le vulgarisateur va repartir de très loin pour mettre la connaissance dans un contexte accessible à son lecteur/spectateur) mais surtout sans attentes finales.
(ou alors avec des attentes finales non exprimées par le vulgarisateur, ce que disait Nono sur l'objectif de former le public à détecter le fake, en gros)

Et cette absence d'attente finale exprimée (pas d'exam,pas d'évaluation, on va même pas venir vérifier ce que tu as compris ...) est pour moi la différence essentielle : la vulgarisation, c'est à mon sens un accès "gratuit" à la connaissance, qui correspond à un besoin/une envie/un plaisir chez le vulgarisé, alors que dans l'enseignement, aussi fun et ludique et yoplaboum qu'on cherche à être,(mais doit-on chercher à l'être ?) il y a toujours la notion de nécessité ...

La vulgarisation c'est le plaisir superflu, le géant qui se baisse à ton niveau et qui te fait voir des aspects du monde hors de ton champ de vision traditionnel ...

ET Chacoucas, en terme de changement d'échelle, c'est à la fois le plus petit et le plus grand je crois : l'accès à des connaissances qui vont plus loin que ton niveau actuel sur un sujet au départ large, mais qui va de fait devenir de plus en plus spécialisé, zoom, et la possibilité d'établir des liens avec des choses inconnues, ou pas, reliées à priori par ton manque de connaissances. Dézoom ...

edit : je me rends compte que je voulais aussi parler de la vulgarisation pour transmettre la démarche scientifique (post d'Armie) mais je reviendrai.

dani
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Re: La vulgarisation

Message par dani »

Très intéressantes vos réflexions. Je les lis en filigrane au boulot et je peine à mettre vos différentes idées en perspective .. j'ai donc vite été voir ce qu'en dit la "littérature" et je tombe sur un article tiré de sciences humaines (assez ancien d'ailleurs) qui pour moi "vulgarise" bien cette notion justement pour le domaine scientifique la vulgarisation scientifique

L'article évoque l'enjeu majeur de la vulgarisation (les passage suivants sont des copiés- collés de l'article de "sciences humaines" cité plus haut (auteur : Jacques Lecomte) :

"faire cohabiter des logiques différentes : celles de la science, de la politique, des médias et du public

Les discours différents des chercheurs sur la vulgarisation en fonction de si ils sont questionnés collectivement ou individuellement : 3 types de discours apparaissent alors :

Les uns estiment qu'il n'y a pas de différence entre vulgariser et enseigner;

d'autres pensent au contraire que vulgariser ne consiste pas d'abord à présenter des contenus de savoir, mais la démarche des chercheurs ;

enfin, une troisième catégorie considère que vulgariser doit avant tout servir à rassurer le public qui perçoit souvent négativement le monde scientifique

L'article évoque aussi une étude qui a construit une typologie du public et de ses attentes envers la vulgarisation :

l'« intellectuel » qui estime que la télévision ne constitue pas une source légitime de savoir.

Le « bénéficiaire » qui accepte son ignorance de manière insouciante : il est favorable à la télévision et optimiste sur les possibilités qu'elle lui offre d'acquérir du savoir. Il apprécie vivement le rôle de médiateur joué par le journaliste et s'identifie à ce dernier. Une personne déclare par exemple, au sujet de la démonstration de la caméra à positrons par un journaliste : « Il y a toute une mise en scène qui fait qu'on est très intéressé ».

A l'inverse, l'« intimiste » est bien plus anxieux de son ignorance. Il recherche le face-à-face avec le scientifique, aussi proche que possible, et estime que le journaliste ne doit pas s'interposer dans cette rencontre. Ainsi, certains comportements appréciés par le « bénéficiaire » sont rejetés par l'« intimiste ». "

Ces différents constats permettent à S. De Cheveigné de conclure qu'« il n'y a pas de forme idéale pour la communication d'un savoir scientifique tout simplement parce qu'elle n'a pas un public unique. »

L'article évoque finalement aussi les enjeux de pouvoir autour de la vulgarisation (intéressant à lire mais pas le temps de résumer) et conclut sur la nécessité de la déclinaison au pluriel de la notion de vulgarisation

Et c'est un peu ce que je perçois dans vos réflexions diverses qui montrent bien que la vulgarisation est très dépendante du contexte dans lequel elle est formulée et des attentes variables du public. Une vulgarisation correcte scientifiquement mais trop complexe encore ne sera, malgré sa qualité, pas "bonne" pour quelqu'un qui veut juste comprendre les grandes lignes d'un sujet et inversement

EDIT : merci pour ton commentaire ci-dessous Miss Souris, mais ce n'est pas de moi. J'avais mis l'article au début de mon post mais je l'ai modifié et précise mieux dans le texte ce qui a été directement repris (de l'article de Jacques Lecomte publié la revue "Sciences Humaines" , 1.8.1998)
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Re: La vulgarisation

Message par Miss souris »

Dani, merci pour ta synthèse,que je trouve bien complète...

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Nono
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Re: La vulgarisation

Message par Nono »

alicesmartise a écrit :Et donc, les différences entre enseignement et vulgarisation ?
Si on prend, comme définition enseignement, l'action de faire passer d'un niveau de connaissance A à un niveau de connaissance B, alors pour moi la vulgarisation est un cas particulier d'enseignement, à faible prérequis et qui requiert un temps d'apprentissage court.
Les parcours scolaire puis universitaire sont, quant à eux, des modes d'enseignement à long terme, et qui visent, à leur aboutissement, à mener à la connaissance plus ou moins poussée d'un arbre donné (si c'est bien fait, à la fois forme et branches terminales). Et souvent, l'avancement dans ce domaine requiert la vulgarisation d'autres domaines liés (souvent des domaines plus abstraits : on vulgarise de la biologie pour faire de la psychologie, par exemple).
Et je ne sais pas si la division faite plus tôt, entre transmettre un concept et transmettre son contexte, est pertinente, mais un (bon) cours devra souvent s'appuyer sur les deux modes de présentation pour parvenir à une vision d'ensemble détaillée. Alors que ce que je perçois de la vulgarisation a plutôt tendance à ne jouer que sur une seule corde, selon l'objectif de la manœuvre.
Je suis d'accord avec toi Alice, la clé de la définition est ici. Je classerais moi aussi la vulgarisation dans l'enseignement. Je distinguerais la vulgarisation par la rigueur et l'approfondissement des notions abordées, ce qui aurait pour conséquences les faibles prérequis et le temps d'apprentissage court. Il y aurait donc, parmi les enseignements, un continuum entre vulgarisation et enseignement rigoureux, scolaire (je ne trouve pas de mot adéquat, j'espère que vous comprenez la notion).

J’acquiesce aussi concernant la définition bipartite, même si je pense que créer des ponts artificiels est toujours nécessaire, même si ceux-ci sont petits ; la frontière entre les deux parties est parfois floue.

J'apprécie moi aussi la métaphore de l'arbre pour parler de l'organisation actuelle des connaissances, notamment parce qu'un arbre, c'est vivant : ça pousse aux extrémités, il y a des branches qui se cassent, des greffes intra-individuelles ou inter-individuelles.

Cette année particulièrement, où je commence un cursus moins général, j'observe que la vulgarisation des branches scientifiques proches est nécessaire à l'approfondissement de ce que j'étudie en particulier. Cela passe par une baisse drastique de la rigueur demandée, en math et en physique, remplacée par un souci d'efficacité pour les quelques taches spécifiques nécessaires aux autres secteurs plus importants.

Un autre point intéressant est l'impossibilité de connaître la forêt en détail dans son intégralité : le temps de vie n'est pas assez long, et les arbres poussent plus vite que nous ne pouvons les grimper. Ainsi, l'un des intérêts de la vulgarisation est d'avoir des notions mêmes incomplètes de domaines dans lesquels nous de pouvons pas nous plonger en détail.
Miss souris a écrit :Et cette absence d'attente finale exprimée (pas d'exam,pas d'évaluation, on va même pas venir vérifier ce que tu as compris ...) est pour moi la différence essentielle : la vulgarisation, c'est à mon sens un accès "gratuit" à la connaissance, qui correspond à un besoin/une envie/un plaisir chez le vulgarisé, alors que dans l'enseignement, aussi fun et ludique et yoplaboum qu'on cherche à être,(mais doit-on chercher à l'être ?) il y a toujours la notion de nécessité ...

La vulgarisation c'est le plaisir superflu, le géant qui se baisse à ton niveau et qui te fait voir des aspects du monde hors de ton champ de vision traditionnel ...
Là, je ne suis pas d'accord. D'abord, la notion d'attente finale n'est pas nécessaire à un processus d'apprentissage. Du moins, l'attente extérieure n'est pas nécessaire : la demande de rigueur peut venir de soi-même. On pourrait considérer que toute action est dictée par une attente (donc l'action d'apprendre, que ce soit par la vulgarisation ou un apprentissage plus poussé), mais il faudrait débattre de ce qui guide nos actions, ça touche au libre-arbitre et à plein de notions philosophiques compliquées.
Ensuite, je considère qu'il peut y avoir vulgarisation sans plaisir, quand celle-ci est nécessaire à un autre apprentissage par exemple. La vulgarisation n'est donc pas que le plaisir superflu.
dani a écrit :Les discours différents des chercheurs sur la vulgarisation en fonction de si ils sont questionnés collectivement ou individuellement : 3 types de discours apparaissent alors :

Les uns estiment qu'il n'y a pas de différence entre vulgariser et enseigner;

d'autres pensent au contraire que vulgariser ne consiste pas d'abord à présenter des contenus de savoir, mais la démarche des chercheurs ;

enfin, une troisième catégorie considère que vulgariser doit avant tout servir à rassurer le public qui perçoit souvent négativement le monde scientifique
Il me semble que la troisième catégorie confond but et définition de la vulgarisation ; quant aux deux premières, on revient à la définition bipartite évoquée plus haut.

Pour la partie sur le public, il semble que ce qui est défini comme l'intellectuel, l'intimiste et le bénéficiaire corresponde respectivement à un rejet total de la vulgarisation, une demande de vulgarisation "rigoureuse" et une approche plus de type "loisir", telle celle évoquée par Miss souris. En somme, différents degrés de demande de rigueur. Alors certes, les publics à la vulgarisation sont variés, mais ça n'enlève pas les risques d'une mauvaise vulgarisation écoutée par un public crédule qui prend ça comme un jeu - mais risque de mal utiliser de fausses informations.

Bertilt

Re: La vulgarisation

Message par Bertilt »

Nono a écrit : Qu'est-ce que c'est, pour vous, la vulgarisation ?
Pour moi, c'est faire accéder un grand nombre de personnes à des connaissances complexes, dont ils n'avaient a priori pas les pré requis pour les comprendre. Donc il y a la notion de diffusion large et de public non expert.

Nono a écrit :Qu'est-ce qu'une bonne vulgarisation ? Quels sont les risques d'une vulgarisation mal menée ?
Une bonne vulgarisation :
- donne envie au public d'aller plus loin dans le concept
- est assez simple pour que le plus grand nombre comprenne
- est assez marquante pour que les personnes s'en souviennent
- explique des concepts complexes "pas à pas", sans faire de contre sens scientifique par esprit de simplification
- la personne qui fait la vulgarisation est elle même experte du sujet (et donne des infos exactes)
exemple de bonne vulgarisation en général : la tête au carré

Une vulgarisation mal menée
- est soit "simpliste" et conduit à des idées fausses de manière collatérale
- la personne qui vulgarise n'est pas experte et des informations ne sont pas comprises par elle et donc elle ne peut pas bien expliquer
- soit trop complexe car la personne experte n'a plus aucune idée du niveau de connaissance de base de son publique et oublie d'expliquer des notions clé
mauvaise vulgarisation : vidéos youtube sensationnalistes mais explications scientifiques erronées

Nono a écrit :Que que voudriez-vous rajouter ?
Pourquoi tu as écrit ce sujet? Tu dois faire de la vulgarisation?

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Nono
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Re: La vulgarisation

Message par Nono »

Bertilt a écrit :Pour moi, c'est faire accéder un grand nombre de personnes à des connaissances complexes, dont ils n'avaient a priori pas les pré requis pour les comprendre. Donc il y a la notion de diffusion large et de public non expert.
J'étendrais un peu ta définition. Certains de mes cours, cette année, survolent certains concepts, dans le but de nous donner des notions générales mais peu poussées - en économie, par exemple. Pour moi il s'agit de vulgarisation, et ça colle d'autant avec la définition d'un enseignement à faible niveau de prérequis. Le terme "vulgarisation" n'implique donc pas qu'une notion "de masse".
Je pense qu'on peut faire plusieurs catégories de vulgarisation, et que tu décris justement la vulgarisation de masse.
Bertilt a écrit :
Nono a écrit :Que que voudriez-vous rajouter ?
Pourquoi tu as écrit ce sujet? Tu dois faire de la vulgarisation?
Parce que je suis passé d'un côté de la barrière à l'autre. J'ai passé mon enfance et mon adolescence à me gaver de vulgarisation scientifique de plus en plus pointue (Science et Vie Junior, puis Science et Vie par exemple), puis, de par mon cursus scolaire, j'ai eu suffisamment de connaissances pour être capable de remettre en cause certains articles. J'ai alors compris que toutes les vulgarisations ne se valaient pas, que certaines pouvaient même être dangereuses, et que ces vulgarisations-là me mettaient sur les nerfs.
Parce que c'est une question qui a émergé naturellement au cours du-dit cursus et des discussions que j'ai eu avec des amis en prépa.
Parce que devenir enseignant-chercheur est dans le domaine des évolutions possibles pour moi et que c'est une question à laquelle je vais alors être confronté, quand je devrai adapter mon discours à mon public, et à laquelle je suis déjà confronté lorsque j'aborde certains concepts relativement avancés avec des gens qui ne s'y sont jamais intéressés.
Et tout simplement parce que ça m'intéresse, et que je me suis dit que ça pouvait être le cas de certains d'entre vous.

Bertilt

Re: La vulgarisation

Message par Bertilt »

Nono a écrit :
Bertilt a écrit :Pour moi, c'est faire accéder un grand nombre de personnes à des connaissances complexes, dont ils n'avaient a priori pas les pré requis pour les comprendre. Donc il y a la notion de diffusion large et de public non expert.
J'étendrais un peu ta définition. Certains de mes cours, cette année, survolent certains concepts, dans le but de nous donner des notions générales mais peu poussées - en économie, par exemple. Pour moi il s'agit de vulgarisation, et ça colle d'autant avec la définition d'un enseignement à faible niveau de prérequis. Le terme "vulgarisation" n'implique donc pas qu'une notion "de masse".
Je pense qu'on peut faire plusieurs catégories de vulgarisation, et que tu décris justement la vulgarisation de masse.

Quand tu fais de l'enseignement, les cours que tu donnes à tes élèves vont être appris et approfondis. Pour moi, ça n'est pas le cas de la vulgarisation, c'est une façon d'expliquer simplement à un public une notion, qu'a priori ils ne retravaillerons pas ensuite. Celà dit, dans certains cours, la "vulgarisation" de certaines notions, qu'à priori les étudiants ne sont pas censé connaitre, peut les aider à faire des liens et à aller vers des notions "hors programme", mais intéressantes.

Ce qui me gène dans vulgarisation, c'est que le mot n'est pas très beau "vulgaire", alors que le concept l'est...
Nono a écrit : J'ai alors compris que toutes les vulgarisations ne se valaient pas, que certaines pouvaient même être dangereuses, et que ces vulgarisations-là me mettaient sur les nerfs.
Oui, c'est vrai qu'on peut parfois se sentir floué!
A l'inverse, les très bon "vulgarisateurs" sont souvent des personnes à la fois expertes dans leur domaine, et qui ont les idées extrêmement claires, une très bonne capacité de synthèse et une grande capacité à ce mettre au niveau de leur public! Pour moi, c'est un signe de travail de très bonne qualité, et ça ne m'a que rarement trompé.

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