Caligula a écrit :Donc dépasser le bien et le mal en supprimant totalement ces notions ? Ou en en faisant des extrêmes d'une échelles pleine de nuances parmi d'autres ?
Disons que ça se justifie dans le cas d'un système à la D&D, où le fait de trahir son alignement peut avoir des conséquences fâcheuses. Et encore, c'est seulement vrai dans le cas où le personnage joueur sert une divinité et en retire des avantages (paladin, clerc...), qu'il pourrait alors perdre -
a minima, parce que je crois me rappeler que l'éventail des possibilités est plutôt large en termes de châtiment divin.
Mais pour les PJ qui ne relèvent pas de ce cas - et c'est plus ou moins la majorité dans mon souvenir - ça n'a d'intérêt que si le joueur s'approprie cette caractéristique, comme une espèce de contrainte qu'il s'appliquerait à tenir. Mais s'il s'en moque un peu, c'est sans risque.
Quoique : il y a tout de même des situations où ton alignement te favorise ou te handicape : des créatures qui pourront ou non se montrer secourables, des édifices dans lesquels tu pourras ou non pénétrer, etc. Cette dimension-là est intéressante, parce qu'en l'absence de personnages répondant aux critères d'alignement, le groupe sera contraint à prendre un détour. Il y a un intérêt ludique à l'alignement pour le coup.
Mais en dehors de ça, JdR ou non d'ailleurs, ça ne me paraît pas une grille de lecture ou de création pertinente : trop rigide.
Caligula a écrit :D'ailleurs dans le jeu vidéo, ça fait quelques années que le gros méchant se trouve dans une multinationale, et on commence à en trouver dans les médias (pour des exemples vous pouvez vous intéresser à Castelvania Lords of Shadow, les méchants y sont de gros industriels, ou à Devil May Cry (le dernier portage) où le chef des démons (vous incarnez en effet dans le jeu un chasseur de démons) est le PDG de la plus grande multinationale de l'univers du jeu). Sachant que les exemples sont produits par des entreprises qui sont des multinationales, et qu'elles ne se tireraient pas une balle dans le pied, on peut supposer que c'est dans l'air du temps (je n'ai pas d'exemple en cinéma et littérature, parce que j'ai également pas mal décroché de ces médias là).
Il y a une question de média aussi : un jeu vidéo, en tout cas pour ceux que tu cites, est supposé avoir une fin - et la fin doit plus ou moins correspondre à une victoire, qu'on va donc remporter contre quelqu'un. Difficile de faire l'économie d'un antagoniste bien identifié dans ces conditions (et en effet, autant lui donner une gueule correspondant aux épouvantails du moment).
Pour une série, dont on souhaite qu'elle dure le plus longtemps possible, le glissement des repères moraux chez les protagonistes est un moyen de maintenir l'intérêt du spectateur et d'assurer la longévité du show. C'est d'autant plus acceptable que contrairement à ce qui se passe dans un jeu vidéo, le spectateur ne dirige rien (en tout cas pas de façon immédiate ; ensuite, bien sûr, il a une influence énorme) : l'effort d'adaptation au changement reste minime, alors que dans un jeu vidéo, trop toucher au personnage incarné par le joueur pourrait poser problème.
L'idée me semble être la même avec les franchises de type Marvel ou DC : on peut se permettre un personnage relativement monolithique dans un premier film, mais il est toujours souhaitable qu'il ait la tentation de basculer du mauvais côté dans la suite pour un motif quelconque (intoxication alimentaire, panari, hausse des loyers en centre-ville, clés de bagnole perdues en discothèque). Le problème ne se pose pas avec les super-villains, qui le plus souvent ne servent qu'une fois ; mais il est intéressant de noter qu'aujourd'hui
ils ont leurs raisons (intoxication alimentaire, panari, hausse des loyers en centre-ville, clés de bagnole perdues en discothèque), que c'est leur
hybris qui les égare, et qu'on croise de plus en plus rarement des méchants qui le sont parce que voilà, c'est comme ça.
Quoique, là aussi, il y a des exceptions intéressantes.
C'est vraiment une belle question : le mal dans les fictions populaires de ce début de siècle a toujours des causes. Le bien, lui, va carrément de soi. Il est dans la nature de la grande majorité des personnages. Le personnage mauvais, aujourd'hui, est avant tout souffrant (c'est le tueur en série par exemple). Le bon, c'est simplement le
decent human being, que la souffrance peut rendre à son tour temporairement mauvais, mais qui va retrouver la raison pour finir.
(Alors bien sûr, on parle de cinéma populaire, familial, ce qui suffit largement à justifier cette vision de l'homme, entre autres parce que c'est aussi celle que le spectateur a de lui-même en général : il est du bon côté.)
Je m'arrête là avant de quitter complètement le sujet.