L'histoire du Blues

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Thibaud
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L'histoire du Blues

Message par Thibaud »

Bonjour à tous!

Voilà quelques temps que je voulais faire un post sur le blues, une musique j'aime particulièrement.

Je voulais partager cela avec vous, essayer d’expliquer les fondements et les spécificités de la musique de Blues

De flemme en procrastination, j'avais laissé ce sujet de côté, jusqu'à la semaine dernière!

La pluie, l'ennuie, et la présence de mon ami Albin pendant les vacances, grand amateur aussi, m'ont remotivé !!

J'ai essayé de faire un texte le plus précis possible, par conséquences, c'est un peu long !

J'ai préparé aussi une playlist pour accompagner le texte, je la mettrai dans les commentaires quand j'aurai trouvé le moyen de la stocker sur le net sans qu'on me parle de droit d'auteurs !!!

Bonne lecture !

A l'origine du Blues: L'esclavage

L'origine de cette musique est complexe, il faut donc reprendre l'histoire au début, avec l'esclavage.

Depuis le 17eme siècle, les esclaves noirs originaires des côtes d’Afrique de l’ ouest ont peuplé le sud des États - Unis. Victimes du commerce triangulaire du « bois d’ ébène », ils vont servir de main d’ œuvre dans les plantations de cotons dans les États du sud (Louisiane, Mississipi,).

La fin de la guerre de Sécession proclame officiellement l’émancipation des noirs, mais longtemps encore les anciens états esclavagistes vont faire régner la ségrégation raciale. Le combat pour le droit à l’égalité politique avec les blancs (la lutte pour les droits civiques), va se poursuivre jusqu’ au début des années 1960, la révolte des noirs sera ponctuée par des actions non-violentes (Martin Luther KING), mais aussi par des guérillas urbaines ou des émeutes pratiquement jusqu’ à nos jours.

Ce long passé d’oppression, de résistance et de combat conditionne la naissance et le développement d’une musique populaire originale: le Blues.

Au temps de l’esclavage, les planteurs noirs enchaînés rythmaient leur travail en chantant des « work-songs », transposition lointaine des chants africains. Après la guerre civile, les grandes propriétés furent morcelées, et les cultivateurs noirs dès lors plus isolés, prirent l’habitude de s’appeler et de se répondre d’un champ à l’ autre: ce sont les « field-hollers ».

Parallèlement, l’évangélisation par les pasteurs protestants amène les fidèles à s’approprier en transformant à leur façon les cantiques baptistes et méthodistes, créant une musique spécifiquement noire extrêmement rythmique. Chants de travail et cris des champs dans le domaine profane, « spirituals » et « gospel songs » dans le domaine religieux vont contribuer à donner naissance à cette musique fortement rythmée et émotionnelle.
L’activité musicale est un élément fonctionnel essentiel de toute culture et selon Alan P Merriam in The anthropologie of music, 1964 : « Elle peut modeler, renforcer et canaliser les comportements sociaux, politiques, économiques, linguistiques, religieux ou autres. »

Dans « Le peuple du blues », Leroi Jones écrit: « Ce que je voudrais examiner, c’est le chemin pris par l’esclave pour arriver à la « citoyenneté ». Et je fonde mon analogie sur la musique de l’esclave citoyen- sur la musique qui lui est le plus étroitement associée: le blues, et une pousse ultérieure mais parallèle: le jazz. Et je pense que si le Noir est représentatif ou symbolique de quelque chose dans le caractère de la culture américaine, ou relatif à ce caractère, cela devrait assurément être révélé par la musique qui lui est propre.
En d’autres termes, je dis que si l’on soumettait la musique du Noir en Amérique, dans toutes ses permutations, à un examen socio- anthropologique aussi bien que musicologique, il devrait en ressortir quelque chose ayant trait à la nature intrinsèque de l’existence du Noir dans ce pays aussi bien qu’à la nature intrinsèque de ce pays, c’est à dire sa société en général. »
La musique de blues a constitué une réelle expression culturelle et le moyen d’affirmation et de contestation sociale d’une communauté.

Les origines de l’esclavage en Afrique :

La traite des Noirs existe depuis la haute Antiquité, fournissant l'Égypte en main-d’œuvre.
En Crète, en Grèce, à Rome, à Carthage, les esclaves africains sont très appréciés. Dès le VI° siècle, les colonies arabes de la côte orientale exportent les habitants de la côte de l'est, vers Bagdad, la Perse et la région comprise entre Tigre et Euphrate où ils cultivent la canne à sucre.

A partir du X° siècle on signale des Noirs vendus en Chine mais surtout aux Indes. La diffusion de l'Islam entraîne la création de nouveaux courants de traite : le trafic transsaharien s'intensifie, contrôlé par des habitants de ce que nous nommons aujourd'hui le Maghreb mais auquel participent des commerçants soudanais.
Le continent noir, dans sa quasi-totalité, est dans un système social esclavagiste. La sanction d'une guerre perdue est la fourniture d'une certaine quantité d'esclaves.

Deux catégories peuvent se rencontrer : les esclaves de case et ceux des champs, le travail de ces derniers étant beaucoup plus rude et leur sort beaucoup moins enviable que ceux des premiers.
L’esclavage n’était pas inconnu de l’Europe du X° siècle. Les Européens touchant les côtes africaines ne sont donc pas étonnés de découvrir qu'une partie de leur population est asservie.

Avant la découverte des Amériques, les Portugais furent les premiers européens à importer des esclaves pour la main d’œuvre agricole qui leur manquaient. La technique utilisée par les Portugais pour acquérir des esclaves consistait à attaquer par surprise des villages dont les habitants étaient conduits au Portugal. Les Portugais qui inauguraient cette pratique en 1444, importaient entre 700 et 800 esclaves par an. Ces esclaves provenaient des comptoirs commerciaux et des forts établis sur la côte africaine.

L’exploration côtière de l’Afrique et l’invasion des Amériques par les Européens au XV° siècle conduisirent au développement du phénomène de traite des esclaves.
Les plantations des Indes occidentales (actuelles Antilles) demandant beaucoup de main-d’œuvre, l'Espagne de Charles Quint initie les opérations de déportation ; n'effectuant pas les opérations de transport, elle affecte le monopole de la traite à des compagnies qui s'engagent à fournir à tel ou tel territoire un nombre donné d'esclaves en bonne santé et en état de travailler.

De 1550 à 1560, 4 500 africains sont transportés annuellement outre-Atlantique par les Espagnols mais ces chiffres augmentent rapidement pour atteindre 40 700 à la fin du siècle.
Le Portugal commence ce même trafic, un peu plus tard, vers 1540, emmenant 400 Noirs au Brésil (à la fin du XV° siècle le chiffre passera à 1 500).

Bientôt toutes les nations européennes se livrent à la traite, Hollande en tête, puis Angleterre, France et Danemark.
Dans l'Amérique latine tropicale du XVI° siècle, les colons espagnols obligèrent d'abord les populations indigènes à travailler la terre. Ces populations indigènes ne survécurent pas aux conditions d'esclavage, les maladies européennes et le travail harassant les décimèrent. On commença alors à importer des Africains dans les colonies espagnoles, parce qu'ils étaient réputés mieux supporter le travail forcé dans le climat éprouvant des Caraïbes et de l'Amérique latine.
Les points de prélèvement les plus fréquents sont le Sénégal et la Gambie (l’île de Gorée garde encore les traces de cette barbarie) ; la Côte de l'Or et sa voisine la Côte des Esclaves (Ghana actuel plus Togo et Dahomey), l'estuaire du Niger, le Congo et l'Angola puis le Mozambique.

Une traversée durait plusieurs mois. Les esclaves étaient enchaînés au-dessous du pont toute la journée et toute la nuit à part de brèves périodes d’exercices. Ils étaient entassés dans la saleté, la puanteur et la mort.
En Amérique du Nord, les premiers esclaves africains furent débarqués à Jamestown (Virginie) en 1619. Emmenés par d'anciens corsaires britanniques, ils étaient soumis à l'esclavage limité, statut légal des Indiens d'Amérique, c’étaient les domestiques des blancs, dans pratiquement toutes les colonies anglaises du Nouveau Monde.
Le nombre d'esclaves importés n'étant pas très important au début, il n'apparut pas nécessaire de définir leur statut légal. Avec le développement du système de plantations dans les colonies du sud au cours de la seconde moitié du XVII° siècle, le nombre d'Africains importés pour servir d'ouvriers agricoles augmenta considérablement et plusieurs villes côtières du Nord devinrent de grands ports négriers.

Dans l'ensemble, dans les colonies du Nord, les esclaves étaient utilisés à des tâches domestiques et dans le commerce. Dans les colonies du centre ils étaient davantage utilisés dans l'agriculture, et dans les colonies du sud où dominait l'agriculture de plantations, presque tous les esclaves travaillaient dans celles-ci.

Lorsque le rôle des esclaves africains s'accrut dans les colonies anglaises d'Amérique, en particulier dans le sud où il était fondamental pour l'économie et la société, les lois les concernant furent modifiées. Dès l'époque de la guerre de l'Indépendance américaine (1776-1783), ils n'étaient plus des serviteurs sous contrat mais des esclaves au sens propre du terme, des lois explicites à ce sujet définissant leur statut légal, politique et social vis-à-vis de leurs propriétaires.

Officiellement, les esclaves d'Amérique jouissaient de certains droits légaux, tels que le droit à une aide financière en cas de maladie ou de vieillesse, le droit à une instruction religieuse, le droit d'être représenté légalement et de participer à certains procès à titre de témoin. La coutume leur accordait également certains droits, comme le droit à la propriété privée, au mariage, au temps libre, droits que le propriétaire n'était cependant pas tenu de respecter.

En réalité, les droits humains fondamentaux étaient le plus souvent bafoués. Les femmes esclaves étaient exposées en permanence au viol par leurs propriétaires et les familles étaient souvent disséminées, leurs membres étant vendus dans des plantations séparées. Les mauvais traitements comme la mutilation, les brûlures, l'enchaînement ou le meurtre, en théorie interdits par la loi, n'étaient pas choses rares jusqu'au XIX° siècle.

Du XVII° au XIX° siècle, on estime de 15 à 30 millions le nombre d'Africains déportés dans le Nouveau Monde par les Européens, avec l'appui des chefs locaux des royaumes africains, avec une mortalité sur les bateaux d’environ 15% de la cargaison.

La condition des Noirs aux États-Unis fut marquée à jamais par cette immigration forcée et cet esclavage. Les esclaves des Antilles et de l’Amérique latine ont eu cependant moins de difficultés à s’adapter que ceux du continent Nord américain. En effet, très minoritaires aux États Unis, les noirs furent contraint d’adopter la culture de leurs oppresseurs. Aux Antilles et en Amérique latine, le nombre des esclaves dépassait largement celui des blancs. Il y eut des révoltes d’esclaves. La révolte la plus grande eu lieu à Saint Domingue (Haïti) en 1791. Presque 500 000 esclaves se sont rebellés contre leurs propriétaires français et ont repris le pays fondant ainsi le premier état noir indépendant.

L'adoption de la Convention internationale sur l'esclavage en 1926 par la Société des Nations marque une date importante. Cette convention garantissait la suppression et l'interdiction de la traite des esclaves et la complète abolition de l'esclavage sous toutes ses formes.
Les convictions contenues dans cette convention furent réaffirmées par la Déclaration universelle des droits de l'Homme, adoptée par les Nations unies en 1948.

A la suite de la guerre de Sécession, l’esclavage est supprimé, mais cela ne résout pas le problème de la question noire. La libération des esclaves, les conduit dans une période où ils se retrouvent seuls face à un monde où ils ne sont pas acceptés, voire même haïs.(Ku Klux Klan, lynchages)

Leur présence sur le marché du travail est mal acceptée. Ils sont considérés comme inférieurs justifiant ainsi le fait qu’ils ne peuvent accéder à un statut d’égalité. S’ouvre alors à partir des années 1870 une période d’humiliation qui va durer une centaine d’années. La population noire obtient une libération qui n’est que théorique, car dans les faits, elle est soumise à une multitude de lois et de règlements qui les soumettent toujours autant aux Blancs.

L’esclavage fait alors place à la ségrégation.

La ségrégation va se traduire dans les faits par la séparation totale au sens physique et moral des Noirs et des Blancs. La population noire est exclue des milieux blancs (villes quartiers…), formant ainsi des ghettos exclusivement noirs.
Ces inégalités ne sont pas que géographiques, elles sont aussi civiques : le droit de vote n’est pas accordé au Noirs, ou accordé de manière truqué. Les Noirs n’ont qu’un faible poids face aux Blancs devant la justice ou l’État en général.
C’est aussi face à la culture qu’ils se trouvent exclus : en effet la musique noire n’est pas reconnue avant les années 1920, date à laquelle les grandes maisons de disques enregistrent les premiers disques chantés par des noirs, conscientes du marché potentiel qu’elles peuvent exploiter.
Les révoltes noires
« Pour un groupe de noirs avec bébé et enfant, trouver un taxi n’ avait rien d’ évident. A chaque fois qu’ ils faisaient signes le chauffeur accélérait ou bien éteignait sa lumière. »

Cette ségrégation va durer pendant de nombreuses décennies, prenant un tournant historique en 1955. C’est à cette date, dans l’Alabama qu’un incident survient : une vendeuse noire, Mrs Parks à la fin de d’une journée s’assoit dans la partie réservée aux gens de couleurs, Le bus se remplit, et elle refuse de céder sa place à une personne blanche qui le lui avait demandé. Il était d‘usage que les personnes Noires cèdent leur place aux Blancs au fur et à mesure que le bus se remplissait. A la suite de l‘arrestation de Mrs Parks, une montée de violence et de révolte s’empare de près de 50 000 personnes Noires, parmi lesquelles le pasteur Martin Luther King. S’installe dès lors un boycott sur les magasins pratiquant la ségrégation raciale. Des actes de violence ont lieu dans les rues, des autobus sont brûlés…

Débute alors la longue période de révoltes noires qui atteindra son apogée à la fin des années 1960 avec le soutien de leaders charismatiques : Malcom X, Les Black-panthers, Martin Luther King qui paieront souvent de leur vie leur engagement.

« La cause noire » prend de l’ampleur, et devient une revendication mondiale

Ce sont aussi des sportifs qui soutiennent la lutte des Noirs américains, comme Mohamed Ali. Aux JO de Mexico en 1968, Tommie SMITH et John CARLOS, tête baissée, et le poing ganté de noir levé vers le ciel manifestent ostensiblement leur hostilité pendant l’hymne américain. Ils protestent contre le sort fait aux noirs et l ’indignité dans laquelle ils sont tenus aux USA et dans d ’autres endroits du monde. Le soutien de nombreuses célébrités, sportifs, musiciens, acteurs donne encore plus d’ampleur aux revendications noires.

En 1988 à Chicago Harold Washington devient le premier maire Noir de l’histoire des USA.
C’est un grand tournant dans l’histoire de la lutte des Noirs car cette élection est l’évidence d’une reconnaissance de la population noire. Les Noirs sont enfin, après cent ans d’exclusion considérés comme des êtres à part entière, des individus capables de diriger, égaux aux Blancs en droits, et reconnus comme citoyens américains.
La lutte pour la reconnaissance des noirs américains a été longue. Il a fallu des siècles pour que la population américaine et même européenne leur accorde le statut d’Homme.
La reconnaissance d’une égalité n’en a donc été que plus difficile. Durant toutes ces décennies, le combat des noirs américains a été lourd et périlleux.
Si les années 1870 ont permis à la suite de la guerre de sécession l’abolition de l’esclavage, ce sont surtout les révoltes des années 1960 qui ont permis un réelle avancée de la situation de la communauté noire américaine. Aujourd’hui, même si des discriminations existent toujours, une réelle égalité existe.

En 2008, Barack Obama est le premier président noir des Etats Unis.

LE BLUES MUSIQUE POPULAIRE MOYEN D’EXPRESSION ET DE REVENDICATION

Il paraît important de définir les notions de culture populaire , de contre- culture et de sous-culture, afin de cerner le sujet.

CULTURE POPULAIRE
En ce qui concerne la culture populaire, il s’agit de l’ensemble des formes culturelles, fondées sur la tradition, exprimées oralement, partagées et reconnues par l’ensemble d’une communauté. Dans le cadre de notre sujet, la culture populaire représente les savoirs de la communauté noire, coupée de ses racines africaines et non intégrée à la culture blanche dominante. Seule la tradition orale permet aux individus de ce groupe social de se reconnaître, de garder leur identité et de se soutenir à travers les épreuves communes. Le chant, la musique, l’expérience commune du travail dans les champs, l’esclavage et ses contraintes en font partie. Les Noirs américains perpétuent donc par la musique et le blues une histoire commune.
Une sous-culture est l’ensemble des valeurs, des représentations et des comportements propres à un groupe social par opposition au système culturel de la société globale. On se demandera si la culture noire américaine est uniquement une sous culture ou également une contre-culture.
CONTRE-CULTURE
C’est le modèle culturel et les orientations délibérément établies par un groupe en opposition aux normes et valeurs « légitimes » de la société environnante. Nous sommes confrontés dans ce cas à une minorité ethnique. Les valeurs qu’elle développe vont souvent se trouver en opposition avec la culture dominante et rompent volontairement avec le modèle d’assimilation. La notion de sous- culture possède un caractère péjoratif , laissant à entendre qu’elle s’est constituée à partir de la culture blanche. Or, il n’en est rien, la culture noire américaine constitue une forme sociologique à part entière, et relève donc davantage de la contre- culture.
« L’histoire du peuple noir est faite de récits, de poèmes, de musique. Ce sont les noirs qui ont fait la culture de ce pays, à leur manière, mais personne ne le sait vraiment, puisque ce n’est pas écrit dans les livres. »


CARACTÉRISTIQUES MUSICALES DU BLUES

Le blues est un chant populaire des Noirs des États- Unis qui est directement à l’ origine de la musique de Jazz. Le jazz est la musique créée par les Noirs américains à partir de leurs chants religieux et profanes. Il ne diffère pas essentiellement de la musique vocale des gospels et des blues dont il a emprunté la substance. Il en constitue la transposition instrumentale, les musiciens de jazz ayant cherché a reproduire avec leurs instruments le chant des noirs caractérisé par de nombreuses inflexions , un vibrato accentué et des contrastes violents avec une attaque forte de certaines notes, d’ où une technique instrumentale très expressive qui consiste à faire chanter les instruments comme la voix humaine.

Structure du blues

Un peu de techniques, il y a des amateurs de musique sur le forum !

Le blues est un court morceau de 12 mesures se divisant en trois parties : (AAB) de quatre mesures chacune: 4 mesures sur la tonique (avec abaissement d’ un demi-ton du 7eme degré pendant la dernière demi-mesure), 2 mesures sur la tonique, 2 mesures de septième de dominante et 2 mesures sur la tonique. Cette structure est la séquence harmonique fondamentale du blues. Seule la mélodie inscrite sur ces accords diffère d’ un blues à l’ autre; et encore les mêmes phrases mélodiques se retrouvent-elles dans la plupart des blues chantés. Le chanteur de blues compose généralement lui-même les paroles de ses blues mais il lui arrive d’ interpréter des blues composés par d’ autres.
Ce qui distingue un blues d’ un autre, ce sont d’ une part les paroles, d’ autre part les légères intonations musicales que chaque chanteur fait subir aux phrases classiques du blues.
Ambiguïté modale

La principale caractéristique musicale du blues est l’altération d’un demi-ton vers le bas des 3eme , 7eme,voire 5eme degrés de la gamme. L’altération constituent une bémolisation ou plus exactement, selon Gilbert CHASE in Musique de l’ Amérique une « oscillation entre la note naturelle et la note bémolisée », c’ est à dire des notes « flottantes ». Bien que le blues soit dans le mode majeur, ces altérations incessantes créent une certaine équivoque, semblant les rejeter vers le mode mineur. Les notes ainsi altérées sont appelées en anglais les « blue notes ». En introduisant une ambiguïté modale les blue notes donnent au blues son climat expressif , caractéristique.
Dans la plupart des blues, chaque phrase chantée occupe 2 mesures puis vient une pause de 2 mesures pendant laquelle le ou les accompagnateurs du chanteur exécutent un break instrumental.

Le swing

La caractéristique essentielle et la plus originale du blues est le « swing ». Cette pulsation rythmique propre à la musique noire se retrouve sous des formes différentes en Afrique. Elle invite impérieusement à danser car musique et danse sont entièrement liées, ne formant qu’un seul art à double mode d’expression par le son et par le geste.
Le rythme est la base d’une musique dansée, il existe aussi bien en Afrique qu’en Europe qu’en Asie, mais le balancement à contre- temps , le swing n’existe sous cette forme nulle part ailleurs qu’en Amérique. A l’inverse de la musique occidentale, le blues, musique à quatre temps, est basé non sur l’accentuation des temps forts mais sur l’accentuation des temps dits faibles (deuxième et quatrième temps de la mesure).

PARTICIPATION ET IMPROVISATION

La musique noire américaine a conservé la tradition africaine de participation des auditeurs. La séparation artificielle entre artistes et auditeurs de la musique occidentale n’ a pas cours ici. Au contraire, le succès de l’ artiste dépend très étroitement du soutien actif et des réponses que lui fournit son « public ». On retrouve au plus haut point dans l’ Eglise cet appel à une participation musicale de tous les instants lors des sermons dialogués des prédicateurs noirs avec leurs congrégations. C’ est ce que l’ on nomme la forme antiphonique ou « responsoriale » (« call and response »).

« La forme la plus ancienne de musique religieuse noire américaine est le prêche (preaching), d’ un « Révérend » soutenu par sa « Congrégation ».Le Révérend prêche avec volubilité en une sorte de récitatif, d’une façon de plus en plus rythmique tandis que les fidèles ponctuent son exhortation par des « yes » et des « amen » jusqu’ au moment où, toujours guidés par la voix du prêcheur-récitant, ils se mettent a chanter en chœur , tout en frappant dans leurs mains, répétant indéfiniment un membre de phrase dont ils perfectionnent les harmonies au fur et à mesure et dont ils renforcent le rythme par un mot ou une courte phrase interjetée au moment le plus approprié, courte phrase qui pourra être reprise par un autre groupe de fidèles, et ainsi de suite. Il se produit ainsi une tension croissante qui finit par devenir impressionnante ». Hugues PANASSIE , Dictionnaire du Jazz .

Malgré ses excès cinématographique! la séquence du preaching incarné par James BROWN, dans le célèbre film; The Blues Brothers constitue un témoignage particulièrement démonstratif.

Le blues traditionnel de 12 mesures, de forme A A B , révèle un double caractère responsorial; la ligne B fait écho à l’ appel A répété une fois et un court commentaire instrumental trouve sa place après chaque appel chanté, ainsi qu’ après la réponse.
I hate to see the evening sun go down, A
I hate to see the evening sun go down, A
It makes me think I’m on my last go-round. B
(Come go home with me ; Lightnin’ HOPKINS , 1959)

Cependant la danse constitue le premier élément de soutien et de participation de la musique, danse et musique sont inséparables dans la culture noire.
On peut même dire que musique et vie ne font qu’un, rythmant indistinctement tous les actes quotidiens: dans les champs, sur les chantiers, à la maison, à l’église, et même lors des funérailles.
Les réponses du public, la danse, les battements de mains, les interjections, et les cris de contentement, d’encouragement: « yes! yes! », « yeah man », « go on », « one more time » ou encore « I hear you man, I hear you! » sont caractéristiques de cette participation du public.

Cette importance accordée à l’expression et à la participation du public a donné naissance à l’improvisation. La musique noire se renouvelle à chaque occasion, c’est une tradition vivante en perpétuel changement, une musique de l’instant. Très en évidence dans la musique de Jazz, la part de l’improvisation est également très importante dans le Blues. C’est ainsi que beaucoup de titres se ressemblent car repris par d’ autres musiciens avec de légères variations mélodiques et une modification des paroles pour faire sien le morceau emprunté.

L’AMBIGUITE VOCALE

Les musiciens de blues s’expriment par la subversion des instruments et des techniques classiques mais également par la subversion des voix et des tessitures. Au défi des règles, des codes, de la loi des Conservatoires, des convenances, la voix noire se promène sur le registre et la tessiture sans l’ ombre d’ une précaution de méthode. Ainsi la palette des chanteuses oscille entre des plongeons dans le baryton ou des percées dans l’aigu, quant à la voix mâle des chanteurs elle fait des incursions dans le registre soprano, voire de haute-contre comme en témoigne les nombreux « falsetti » noirs du Delta (Skip JAMES, Buddy GUY, Robert JOHNSON, Johnny SHINES, JB LENOIR…).
« Même aujourd’hui, c’est pas facile de classer ma voix. On ne peut pas la qualifier de ténor parce qu’elle n’est pas assez haute, ni même de baryton, elle n’est pas assez basse. Je peux chanter vraiment bien et être toujours entendu aussi bas que la bémol en clé de fa. Ma hauteur naturelle serait un sol élevé en clé de sol. Mais encore une fois, je peux faire un tas d’autres notes- plus élevées ou plus basses- en exécutant mes folles contorsions vocales. »,
(Ray Charles, Le Blues dans la peau, 1979)

Ainsi, autant que les paroles de douleur, les joies explosives, la révolution de la musique noire tient dans cette inversion des aigus et des graves. Les Noirs à qui l’ on imposait par brimade, du temps de l’apartheid, une voix d’astreinte, suraiguë, criarde, une voix de femme et d’ enfant ont pris leur revanche en la récupérant à leur profit dans le blues et en détournant les contraintes des oppresseurs blancs.

DES CHANTS POPULAIRES

« Le blues est le plus grand mouvement de poésie populaire du vingtième siècle », Jean COCTEAU
La chanson appartient au sous-groupe de ce que l’on nomme poésie ou littérature orale. A l ‘inverse de nos sociétés occidentales modernes dans lesquelles l’écriture est reine, dans les civilisations archaïques et dans de nombreuses cultures marginales, les traditions orales sont essentielles à la transmission culturelle de génération en génération et au-delà au maintien de l’identité du groupe social ainsi qu’ à sa cohésion.

« Le chant exprimait la façon dont la communauté voyait le monde et comment elle s’y insérait. » James CONE in the spiritual and the blues ; an interprétation.1972.
Le « songster » ou chanteur de chansons va colporter ses ballades de village en village , de chantiers en exploitations agricoles véhiculant ainsi le vécu quotidien de la communauté noire.
Une voix rauque, parfois haut perchée, un chant plaintif, une guitare expressive, un rythme obsédant, une musique âpre et sensuelle à la fois ; c’ est le Blues.

LES GRANDS THEMES

Le Country blues:
C’ est le blues des origines appelé encore blues primitif. Profondément ancré dans la campagne du sud des États Unis, il décrit essentiellement les différents aspects de la vie rurale: en premier lieu, le travail aux champs et dans les plantations de coton, le laboureur, le planteur, la cueillette du coton.
Le deuxième aspect concerne la dureté de la vie quotidienne et la misère du peuple:

Extrait : Je me tenais au coin de la rue et j’ai failli me frapper la tête contre les murs,
Je n’avais pas réussi à gagner assez d’argent pour me payer une miche de pain.
Tin cup blues , 1929, Blind Lemon Jefferson

Un troisième aspect décrit les fléaux naturels: la sécheresse, la destruction des cultures par les insectes, les cataclysmes (tornades , cyclones ), les inondations (crues du Mississipi de 1927)

Extrait : L’Arkansas est sous les eaux, les gens hurlent dans le Tennessee,
Si je ne quitte pas Memphis, pauvre de moi je vais être englouti.
Rising high water blues, 1927, Blind Lemon Jefferson
Ils évoquent des héros réels ou mythiques :Joe Louis, Franklin Roosevelt, plus tard J F Kennedy, Stack-O-Lee…

Le Blues urbain:

Il reprend les thèmes traditionnels mais viennent s’y ajouter en particulier tous les thèmes liés à la difficulté d’adaptation à la vie urbaine pour les émigrés du Deep South:la dureté du climat des villes du Nord, mais aussi la dureté des rapports humains (moqueries, manque de solidarité….):

Extrait: Chicago vaut bien une visite mais je t’en prie n’y reste pas,
Tu y rencontreras des poules de luxe et des rois du baratin et aussi, mon vieux, tous ces mecs à la cool
Mais quand ta liasse de billets aura disparu, tu ne seras plus qu’un nigaud de plus qui vient d’arriver en ville.
Chicago Blues, 1947 Lonnie Johnson

En second lieu, le blues évoque la rigueur du travail dans les grands chantiers d’État et dans les grandes cités, les difficultés à trouver un emploi, le chômage, les problèmes de logement.

Extrait: Il y a un écriteau sur le bâtiment qui dit qu’il nous faut tous partir
Il va bientôt faire froid, je ne sais où aller:
Je vais retourner dans le Sud, où ces vents glaciaux ne soufflent pas.
Down South Blues, 1941, Jazz Gillum

La grande crise économique de 1929 va entraîner un accroissement du chômage, et accentuer les difficultés de la vie quotidienne, et donc le sentiment d’abandon et de solitude du campagnard en ville.
Extrait: Personne ne vous connaît plus quand vous êtes dans la dèche
"Nobody knows you when you are down and out "
1929, Bessie Smith

Tous les thèmes liés à l’injustice sociale, à la violence et à la prison sont très fréquents, ainsi que ceux de l’univers de la déchéance urbaine à travers le jeu, l’alcool, la drogue, le sexe ou la prostitution.

Extrait: Je pleure chérie, l’alcool à brûler est en train de me tuer,
S’il ne me tue pas, mon Dieu, je crois que je ne mourrai jamais
Canned heat blues, 1928, Tommy Johnson


L’amour:

Il constitue la trame dominante de tous les blues qui comme toute chanson, parle d’abord d’amour. Les rapports amoureux ne sont pas décrits de manière romantique mais sont au contact du quotidien : scènes, ruptures, bagarres, adultères, alternent avec des déclarations d’amour un peu frustres:
Extrait: Si vous êtes heureuses en amour, n’allez pas le crier sur les toits:
D’autres filles vous pigeonneront et vous vous retrouverez avec le cafard du lit vide
Empty bed blues, 1928, Bessie Smith

Assez fréquemment, l’artiste traite le sujet de manière humoristique:

Extrait: Il se trouve par exemple que vous ayez rendez vous avec quelqu’un dans un bar du voisinage, et personne ne vient: Blues triste.
Et puis d’autre part vous rentrez chez vous , vous êtes triste, et vous constatez que votre femme a fait ses valises et est partie: Blues gai

Beer Drinking woman, Memphis Slim, 1969

La contestation :

L’engagement idéologique dans la dénonciation du racisme, de l’exploitation ou de la guerre se retrouve également à toutes les périodes du blues. Son expression franche et politique demeure minoritaire mais on la rencontre cependant chez de nombreux chanteurs, malgré la censure des maisons d’éditions.
Le blues représente une tournure d’esprit propres aux Noirs américains qui se fonde sur la tradition orale et les principes fondamentaux qui en découlent: l’improvisation ,la participation, la banalisation du répertoire et le primat de la forme par rapport au contenu. Les auditeurs connaissent la majorité du répertoire de blues et leur plaisir vient davantage de la forme donnée au récit ou à la musique que de la nouveauté du contenu.
« Quand tu m’as dit bonsoir Mr Blues m’a dit bonjour.
Il sait que je ne l’aime pas, mais il ne veut pas partir.
Il est là avec moi,
Avec moi jour et nuit,
Il est là sans répit,
Mon copain Mr Blues
Avec moi depuis ton départ. »
My friend Mr.Blue Jimmy Rushing

LE BLUES : TEMOIGNAGE ET CONTESTATION

Le Blues est issu d’une tradition prenant ses sources dans la musique africaine. A travers le Blues, les esclaves noirs, puis les hommes libres expriment leurs sentiments profonds. Le bluesman étale sa frustration, sa tristesse, son désespoir, sa révolte . De ce fait, le blues va incarner un style musical d’une grande sensibilité.
Cette sensibilité va être tout d’abord le lieu d’expression du chanteur. Les paroles relatent ce qu’il ressent. Il chante ses propres expériences et son quotidien, c’est un moyen d’évasion personnelle.
Par ailleurs, ces paroles écrites par le bluesman ont une résonance profonde pour le public qui l’écoute. Elles s’adaptent avec justesse à toute une communauté, car elles traduisent les mêmes préoccupations et les mêmes désirs: elles se font l’écho de leur misère, l’écho de leurs douleurs, l’écho de leur exclusion. La vie du chanteur, c’est la vie de tout un chacun. Ces chansons sont là pour en témoigner.

Le témoignage permet au bluesman de relater en chansons les conditions de vie précaires auxquelles il doit faire face. Le fait de le poser sur papier, n’est-ce pas un moyen d’évasion, et de facilité ?
Le chanteur témoigne autant de sa vie de couple, que de sa vie personnelle, errance morale et physique, que de la misère de son peuple. En ce sens, le blues est le porte-parole de tout un peuple.
D‘autre part, l’aspect contestataire doit être lu au second degré. En effet, dans ses chansons, le bluesman utilise des procédés de dissimulation et d’ironie. Il n’écrira pas ouvertement ce qu’il pense, mais il exprimera sa révolte par le biais de métaphores et de comparaisons.

Le blues exerce également une fonction de régulation sociale. Le chanteur n’abordera pas ou peu les questions du racisme, car il ne cherche pas à choquer mais plutôt à dialoguer. De ce fait, il laissera de côté certains domaines jugés trop polémiques. Mais l’expression par le chant sert de soupape de sécurité, de déversoir dans les moments trop cruels de la vie.
La musique de blues a une valeur profonde aussi bien pour celui qui la compose, que pour ceux qui l’écoutent. Elle témoigne, permet la contestation et tempère la vie de tout un peuple qui ne demande qu’à être écouté et respecté.

PORTE PAROLE DE LA MISÈRE D'UN PEUPLE

Le bluesman tente simplement dans ses paroles de relater les caractères constants de la vie des Noirs aux Etats-Unis. Comme tous les peuples opprimés, la solidarité est l’une de leurs armes les plus nobles. Malgré la misère, l’esclavage et les conditions de vie précaires, le bluesman a su développer un art à part entière. Le blues est un symbole d’union d’un peuple.
Si le blues a pris tant d’ampleur c’est parce qu’il est constitué à la fois de textes forts mais aussi et il est surtout accompagné d’une musique poignante. Le blues semble être à la fois l’unique forme de liberté, et de remédiation de tout un peuple. L’Histoire l’explique aisément. Il s’agit de la perpétuation de la culture orale: Les Noirs n’ont pendant longtemps pas accès à une culture écrite. Le blues véhicule alors les idées, sous une forme expressive commune. Il permet à chacun de s’y identifier. Il traduit les espoirs, les soucis, les déceptions du peuple noir.

Extrait : « Hard times here and everywhere you go,
Times is harder than they ever been before.
Sing this song and I ain’t gonna sing no more,
Hard times will drive you from door to door. »

Traduction : « Les temps sont durs ici et où que vous alliez,
Ils sont plus durs que jamais.
Je vais chanter cette chanson et je m’arrêterai de chanter,
Ces temps durs vous font errer de porte en porte. »
Tin cup blues, 1929, Blind Lemon Jefferson

Le bluesman est issu, comme la plupart des noirs américains, de familles pauvres et nombreuses. Il a été élevé dans des ghettos où la ségrégation raciale est souvent forte. Tout au long de son enfance, il va se forger une identité au contact de la difficulté. Lorsqu’il chante, il ne quitte pas son milieu, il en fait partie. Ce n’est pas une Star du Show bizness. Les disques de blues étaient réservés au public noir, (race record), qui les écoutaient également sur les stations radio noires. Comme nous l ‘avons vu dans la deuxième partie, les thèmes abordés seront ceux de la vie quotidienne.
La musique de blues a le pouvoir de traduire les problèmes d’un peuple, en l’occurrence le peuple noir. Grâce aux paroles , afin de toucher un public large, le chanteur de blues se libère de toute oppression intérieure tout en séduisant son public.

L’ERRANCE PHYSIQUE ET MORALE

Dans ce cadre, nous avons voulu souligner un aspect particulier: l’errance. Le chanteur exprime à ces moments-là les problèmes auxquels il est malheureusement confronté : le problème de l’emploi, l’errance, le milieu des prisons et le la dépression mentale.
L’errance reste un des thèmes les plus caractéristiques du répertoire blues. Comme la plupart des peuples migrants, les Noirs ont été forcés à de nombreux déplacements et déracinements. Ceci a certainement contribué au développement de cet esprit et à la force de ce répertoire.

Extrait : « I’m a stranger here, I just blowed in your town
If I ask for a favor, don’t turn me, don’t turn me down »
Traduction : « Je ne suis pas d’ici, je viens d’arriver,
Si je vous demande un service, ne me le refusez pas. »
No no blues 1927 , Willie Baker

De voyages en voyages, le peuple noir a du mal à s’identifier et à s’adapter à de nouveaux modes de vie. L’errance est omniprésente dans leur vie et le moyen de l’exprimer est de la chanter.
De plus, le problème de l’emploi est à mettre en relation avec ce sentiment d’errance. En effet, l’instabilité économique des années trente a développé le chômage qui est fortement ressenti chez les travailleurs noirs, toujours les premiers à être licenciés. Se développe alors un sentiment d’injustice
Le drogue est également un sujet abordé par les chanteurs de blues. Lorsque l’individu est rejeté par la société, la drogue devient un refuge. Un des bluesmen les plus connus dans ce registre se nomme Champion Jack Dupree. Il a écrit des chansons dont la drogue, plus particulièrement l’héroïne, est le thème principal :

Extrait : « My brother, my brother used the needle, and my sister sniffed cocaïne.
I don’t use no junk, I’m the nicest boy you ever seen ».

Traduction : « Mon frère, mon frère se shootait, et ma sœur sniffait de la cocaïne.
Je ne fume pas de joints, je suis le garçon le plus gentil que vous n’avez jamais vu. »

LES RELATIONS DU COUPLE

Il est bien connu que l’amour a toujours et inspirera toujours les chanteurs!!

L’amour dans le répertoire blues prend deux formes. Soit le chanteur évoque ses aspects positifs et jouissifs, qui l’inspirent à écrire des chansons romantiques soit, il évoque des années de malheurs et de déceptions :

Extrait : « Ah ! Ah ! Tu m’as brisé l’cœur !
Ah, si seulement j’m’étais rendu compte,
Avant qu’on s’colle ou même qu’on s’rencontre ! »

L’errance et la drogue rendent le chanteur dans un état de dépression ce qui se ressent inévitablement sur sa relation de couple.
Le chanteur de blues, dû à ses tournées est amené à se déplacer régulièrement et à faire des rencontres féminines. De ce fait il délaisse son foyer familial et se consacre à ces femmes le temps de ses tournées. Cette expérience est en un sens positive car ces femmes l’inspirent et il peut écrire des duos avec elles.

CONTESTATION

Même si le Blues évite le plus souvent la contestation franche et radicale, il ne constitue jamais une expression innocente. Musique de révolte et de douleur aux fortes implications politiques et sociales, il dénonce, souvent de façon détournée, les injustices de l’Amérique. Avec Poor Man’s Blues, 1928 (voir texte en annexe) Bessie Smith inaugure la contestation en dénonçant la misère des Noirs et l’ingratitude de l’Oncle Sam pour lequel de nombreux Noirs sont venus combattre en Europe durant la Grande Guerre.

L’exploitation est dénoncée sous une forme acceptable.

Exemple : « J’ était là à creuser ce tunnel pour 4 sous par jour,
Je savais pas que je creusais ma tombe, la silicose me dévore les poumons. »
Silicosis is killing me 1936 Josh White

Dans les années soixante avec la guerre du Vietnam la dénonciation de la guerre devient plus fréquente ; Korea Blues, Vietnam de JB Lenoir, Vietcong Blues de Junior Wells

La dissimulation

La protestation explicite occupe très peu de place dans les chansons de blues.
Le bluesman a choisi de dissimuler ses critiques faites majoritairement à la société, par le biais de métaphores et de comparaisons. Cela lui permet de passer outre les censures et de s’exprimer pleinement.
L’expression « Don’ say no mo’ wid yo’ mouf dan yo’ back kin stan’ » qui signifie : « N’en dis pas plus avec ta bouche que ce que tes reins peuvent supporter », traduit simplement le fait que la discrétion et la dissimulation sont de rigueurs. Si les paroles sont explicites, elles seront censurées par les maisons de disques alors que si elles sont cachées chacun les comprend comme il le souhaite.
Les phrases trop directes sont ressenties comme dépourvues de subtilité, alors que lorsque le bluesman parle à mots couverts, sa chanson est plus en harmonie avec la tradition.
Ainsi, le vocabulaire utilisé pour parler des chauffeurs de trains est repris pour parler des institutions: surnommés les « cruel ole firemen, mean ole enneiger, chauffeurs cruels, méchant mécanicien »par les noirs clandestins

Extrait : « Ask for a drink of water, she brought gasoline,
Now listen, tellin’ you, doin’ me mighty mean.
I wanna tell you, that’s no way to do. »

Traduction : « Je lui ai demandé de l’eau à boire, elle m’a apporté de l’essence,
Alors, dites, c’était de la méchanceté.
Moi, je vous dirais que c’est pas des façons. »

De même, le blues en argot des rues (street jive) était chanté dans l’esprit de protestation car il était à la fois un moyen de défense et un acte d’arrogance. Il servait autant de camouflage que de moyen d’unifier le peuple noir.

Extrait : « They arrest me for murder and I ain’t never harmed a man
‘Rest me for forger’ and I cain’t even sign my name.

That’s all right, baby, just any old way you do
Way you treat me, it’s comin’ back home to you. »

Traduction : « Ils m’arrêtent pour meurtre, je n’ai jamais fait de mal à personne,
M’arrêtent pour faux et je ne sais même pas écrire mon nom.

C’est pas grave, petite, tout ce que tu feras,
Tout ce que tu feras retombera sur toi. »

Cette strophe est une illustration de la valeur de camouflage de l’expression des tensions du couple et en particulier de mots tels que « baby » ou « mama ».
Pour donner le change aux Blancs et éviter les représailles, l’évocation du racisme (Jim Crow)est le plus souvent détournée, c’est ainsi que la femme se voit chargée de tous les maux que font peser les patrons et tous les oppresseurs blancs. Ce n’est que tardivement que la notion de racisme sera nommément dite dans des blues enregistrés en Europe

Plus tard JB Lenoir l’exprimera de manière plus subversive.

Extrait : « Je ne retournerai jamais en Alabama ce n’est pas un endroit fait pour moi,
Ils ont tué mon frere et ma sœur et le monde a laissé ces gens là-bas libres. »

L’Ironie

Quand la protestation n’est pas requise, l’humour et en particulier l’ironie prennent place.

Extrait : « Now I almost had a square meal the other day
But the garbage-man come and he moved the can away. »

Traduction : « Eh bien, l’autre jour j’ai failli manger à ma faim,
Mais l’éboueur est passé et m’a subtilisé la poubelle. »

L’humour contenu dans cet exemple est d’abord pour le chanteur un moyen de surmonter ses déboires et donc de s’en débarrasser. C’est ce que représente la formule traditionnelle : « I’m just laughing my blues away. » (« Si je ris, c’est pour oublier mon cafard. ») Elle est en fait une contestation subtile car elle renforce le moral de ceux qui en usent tout en incarnant une prise de conscience.
Parfois, l’ironie a une portée raciste envers les blancs mais elle est très indirecte.

Exemple : « Quand un Blanc a le cafard, il va jusqu’à la rivière et s’assied
Et si son cafard le rattrape il se jette à l’eau pour se noyer.
Quand un homme de couleur a le cafard, il va jusqu’à la rivière et s’assied;
Si son cafard le rattrape, il pense à sa femme et retourne à la ville.

My mobile central blues 1928 Jim Jackson

Mais la satire choisit aussi des victimes parmi la communauté noire, comme les femmes et les prédicateurs.
Le blues est loin d’être une musique résignée et triste. Il sait user d’un humour satire et réaliste.
Le blues a aidé le peuple noir à exprimer ses sentiments d’injustice et à prendre conscience de ses souffrances.
Sa technique de survie se conjugue entre la dissimulation et l’ironie. Deux aspects se dégagent de cette combinaison.
D’une part, cette musique prend place dans la tradition africaine qui valorise le ridicule et la satire. D’autre part, le camouflage est une fonction typique du blues américain.

Le blues incarne différentes fonctions, ce qui rend cette musique complète et originale. En effet le blues est le symbole de médiation et de libération du peuple noir. La musique permet au chanteur de se libérer d’une pression intérieure qui envahit également sa communauté.
Il est le porte parole de la misère de son peuple.
Qu’est ce qui fait que le blues est si fort, si communicatif ? Du fait que le bluesman chante pour lui, mais aussi pour son peuple, les conditions de vie qu’il mène sont relatées dans ses paroles. L’errance, la drogue, l’alcool, les relations de couples sont mises en avant dans ses textes. Il lui sera plus facile de relater des évènements qu’il vit et qui le touchent. C’est pour cela que ces thèmes sont si récurrents, c’est parce qu’ils sont omniprésents dans la vie de cette communauté noire. Cette fonction de témoignage représente une facette importante du Blues.
Parallèlement, dans les textes du bluesman, deux techniques majeures les composent. D’une part, la dissimulation, elle permet, par le biais de comparaisons et de métaphores de dire exactement ce qu’il a envie, sans qu’il n’y ait de censure. Les chanteurs peuvent de ce fait s’attaquer aux institutions, aux autres peuples ou même à d’autres bluesmen. D’autre part, le principe de l’ironie est présent dans les écrits. L’ironie a pour fonction de surmonter les problèmes de la vie courante et de les prendre avec humour. Néanmoins, elle a aussi pour fonction, comme la dissimulation, de s’attaquer aux autres sans trop choquer. Bien que les chansons traitant du racisme soient peu nombreuses, avec l’ironie elles sont relativement mieux acceptées. Cette seconde facette a une fonction de contestation.
Face à l’oppression et la ségrégation la communauté noire a exprimé son mal-être de manière poignante: dans toutes les situations de la vie, le bluesman a su chanter avec son cœur la vie, la mort, la peine, la joie… Le rythme spécifique du Blues, envoûtant et original, simple mais non répétitif a permis à cette musique de traverser le temps et d’émouvoir des femmes et des hommes de toutes origines. Les musiciens tels que Muddy Waters, BB King, Lucky Peterson, en exprimant les sentiments de leur communauté, ont transmis ses valeurs, ses peines, ses espoirs et ont contribué au renouveau du Blues.
En exprimant l’expérience quotidienne et les sentiments des siens, le chanteur de blues est devenu leur porte-parole. Il véhicule l’histoire et la culture au sens large de ses frères de couleur et contribue à conforter leur sentiment d’appartenance à la communauté noire américaine.
« Là où le Noir ne peut aller, ces blues ont eu accès, affirmant une parenté humaine au sein d’une nation où s’affrontent les races, créant une unité et une solidarité là où régnaient les distances» Richard Wright

C’est parce qu’il est partie intégrante de la vie même du peuple noir, celui des campagnes comme celui des ghettos des grandes villes et qu’il ne doit rien au mode futile, ni aux impératifs des médias que le blues continue à s’épanouir et à s’enrichir sans cesse portant partout dans le monde son message de révolte et d’espoir.

Le blues aura d’une certaine manière permis une reconnaissance mondiale des Noirs. le blues a fortement influencé les musiques occidentales contemporaines.

Pour les plus courageux qui ont lu jusqu'au bout! un extrait de WHEN WIIL I GET TO BE CALLED A MAN? Big Bill Broonzy 1928

Quand aurai-je le nom d’homme?
Lorsque je suis venu en ce monde, voici ce qui m’est arrivé:
Je ne fus jamais appelé un homme, et maintenant j’ai cinquante-trois ans

Refrain
Je me demande quand j’aurai le nom d’homme
Ou dois-je attendre d’avoir quatre-vingt treize ans?

Lorsque l’oncle Sam fit appel à moi, je savais qu’on m’appellerait de mon vrai nom
Mais lorsque je fus à l’armée, on m’appela « soldat ».


Quand je revins de là-bas, cette soirée-là, il y eut une fête
Le lendemain , j’ai rencontré le patron qui me dit:
« mon gars, va mettre ta salopette »

J’ai travaillé aux digues, et travaillé aux chemins de fer
Un homme noir n’est qu’un gars pour un blanc,
Peu importe ce qu’il peut faire.

Ils disaient que je n’étais pas éduqué, mes vêtements étaient sales et usés
Maintenant, j’ai un peu d’éducation, mais je ne suis toujours qu’un gars.
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Re: L'histoire du Blues

Message par arizona »

Excellent, merci !
Si nous n'étions pas d'ici, nous serions l'infini.
D'une chanson.

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Loubel
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Re: L'histoire du Blues

Message par Loubel »

Extraordinaire et super intéressant!

J'aime beaucoup la partie sur l'histoire du esclavagisme et la distinction faite en ce qui concerne la culture populaire, sous cultures et contre cultures.

La meilleure partie reste pour moi les différents sujets abordés par le Blues et ta conclusion.

L'article m'a donné envie d'en savoir plus^^ Me renseignerai et vais certainement écouter les extraits fournis par tes soins.
Moi même, j'aime et j'ai souvent inclus/ou intégré dans ma playlist/musique des mélodies, paroles et rythmes du blues/jazz. Je trouve donc super intéressant d'en savoir plus. Ca permet de peaufiner et rendre plus "authentique" les choses.

Merci beaucoup (si j'avais été le directeur artistique d'ARTE, tu aurais mérité un réalisation d'un reportage^^)

***
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Thibaud
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Re: L'histoire du Blues

Message par Thibaud »

Loubel a écrit : Merci beaucoup (si j'avais été le directeur artistique d'ARTE, tu aurais mérité un réalisation d'un reportage^^)

***
Oh c'est très gentil ca ! :cheers: :cheers:
Le monde est sinistré, et moi j'écris ma sinistrose;
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Re: L'histoire du Blues

Message par Léo »

Merci Thibaud ! très précis et exhaustif :)

C'est Loubel qui m'a recommandée ton post... oui voilà, j'aime le blues, plus particulièrement le delta blues donc, pour résumer grossièrement : le vieux vieux blues :-)

Je ne sais pas si tu connais Alan Lomax... je me permets de venir ajouter ce lien vers cet ethnomusicologue/folkloriste que j'ai découvert il y quelques années et qui a entrepris, dans la lignée de son père (John) de collecter les chants, tous les chants possibles via, dans un premier temps, un coffre de voiture aménagé à cet effet. C'est ainsi qu'il a parcouru le sud des États-Unis (comme son père qui était surtout spécialisé dans le sud) et qu'il a enregistré les chants des esclaves dans les champs de coton mais aussi le chant des prisonniers... Aussi a t-il croisé la route de quelques fameux bluesmen, inconnus donc à l'époque. A l'époque du Maccarthysme, il a fui les États-Unis pour l'Europe. Il a été en Irlande, en Ecosse, en Espagne en Italie.... Il a également parcouru Haïti, les Caraïbes... Son travail est gigantesque. La quasi totalité de ses enregistrements sont réunis sous cette appellation : "Global Jukebox"... un jukebox énorme donc regroupant des musiques traditionnelles dont le blues :-)
Il est mort en 2002 :(

Sur wiki, tu trouveras sa biographie en plus détaillée... désolée mais je ne me sens pas de résumer sa vie, son œuvre aussi bien (et encore sur les sites en anglais c'est mieux que sur wiki...)
Et sur le site du "research center", le global jukebox : là je mets le lien vers le blues mais on peut trouver ses autres enregistrements en cherchant :-)

Alan Lomax-Archives-Blues

Je repasserai aussi pour parler d'un autre courant musical, le hillbilly blues (ce qui veut littéralement dire : le blues des péquenots...et qui correspondait aux "blues des blancs"... toute une histoire quoi :-) )
"Soudain, la jeune fille, le plus tranquillement du monde, entreprit de se curer le nez avec les doigts." Witold Gombrowicz

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