Coucou Madeleine
Bah j'étais pas super loin, mais apparemment juste assez pour rater le sujet, désolé pour la redite.
Pas perdu le talent de mettre les pieds dans le plat en retard par contre.
Bah Jacquard utilise au moins deux conceptions de l'intelligence, d'une part une qui se base sur la compréhension, et en effet la vitesse est un peu secondaire, mais il conçoit cette vitesse non pas dans le sens de ce qu'un test de Raven teste, mais à plus long terme, construction du savoir, réflexion, et utilisation de données/savoirs complexes (bien plus que ce qui est demandé dans un test de QI). Donc en soi il parle de choses différentes. Et il utilise une autre conception, celle qui "nous échappe" (intelligence multidirectionnelle etc.. en gros pour traduire, une intelligence qui par définition "ne peut se définir" en tout cas aujourd'hui, et à notre époque non plus... il se sert justement de "ce qu'on ne peut pas savoir" pour appuyer son propos).
On peut très bien critiquer sa rhétorique, mais en revanche elle est cohérente avec son message, qui en soi n'est pas de détruire le concept de neurodiversité, mais de ramener à une problématique humaine ce que la recherche amène de vocabulaire et concepts dans la culture populaire. Quelque part son discours n'est pas de nier une différence, mais de reposer la question de l'acquisition du savoir et du rôle intellectuel de chacun dans le groupe humain. Et dans ce cadre, il y a des "dangers" évidents dans la rhétorique de la "douance" (en fait les rhétoriques, parce que les rares spécialistes ne sont pas tous sur la même longueur d'onde, au niveau des spécialistes, on ne sait guère beaucoup mieux que dans le grand public ce que peut être "l'intelligence"... et de toute façon la communication scientifique repose plus sur des questions que sur des affirmations, c'est la complexité de la vulgarisation et de l'éducation). On peut donc comprendre qu'il prenne cette position, quelque part "revenir aux questions fondamentales pour le groupe humain dans son ensemble".
(aparté: je m'éloigne un peu du sujet mais pour les besoins de la démonstration. Pour justifier, je me souviens avoir vu un documentaire qui mettait en évidence chez certains primates et cétacés des groupes faisceaux de neurones qu'on avait observé que chez l'être humain et semblent liés à "la conscience sociale", celle du groupe. Donc on peut légitimement parler de groupe pour tenter de définir l'intelligence...)
Je pense qu'il y a une maladresse dans son approche (même si j'apprécie beaucoup son discours global), qui le dessert. Mais c'est une question philosophique liée à la conception du "groupe". De manière générale, on pense en "norme" et "hors norme". Pour caricaturer, je vais utiliser ici un mot emprunté à Cioran pour parler de "ce qui n'est pas dans l'humanité", le "monstre". Religions, nations, royaumes, esthétiques etc... jusque dans la notion même de "neurodiversité" pourtant géniale pour dépasser cette idée normative, on parle beaucoup trop de "neurotypiques", on en reste à établir un code normatif pour décider qui appartient ou n'appartient pas au groupe, et il y a des "monstres". Auxquels on attribue un lexique "politiquement correct" qui est supposé expliquer et reconnaitre leur différence mais garde en fait une référence normative.
Dit autrement, on garde cette conception qu'il y a une normalité et des gens différents. On se tire simplement dans le pied en faisant ça. Je pense que pour considérer le groupe on ne doit pas chercher ce qui est "normal" et y ressembler pour s'intégrer. Simplement parce qu'il semble évident que ça n'a jamais fonctionné. Je me suis demandé ce qu'était "l'humain". C'est un code génétique, ça c'est indépendant de soi. Et au delà, j'ai eu envie de considérer que ce qui faisait l'individu, c'est la "monstruosité". C'est la différence systématique avec une notion de ressemblance. Les guerres, rejets etc... ne me paraissent pas liés à "la différence" mais à "la ressemblance". A la croyance que l'humanité ou l'appartenance au groupe se fait au prix d'une ressemblance. A la croyance que l'on "peut" et que l'on "doit" se ressembler. Qu'il faut une "ressemblance" pour faire une unité de groupe. Et systématiquement il y a des monstres à rejeter ou combattre. Si on prend le problème à l'envers, que l'on reconnait simplement que la seule "norme" c'est la différence, la "monstruosité", on n'a plus peur au sein même de notre structure identitaire, ou de notre "savoir" de ce qui est "différent". Et on se méfie éventuellement avec objectivité de toute tendance élitiste ou oligarchique (à terme ce sont les petits groupes qui définissent les majorités et les minorités). Il n'y a guère de malaise à être différent et moins ce besoin identitaire dévorant de poser un terme sur une différence qui nous permettrait "enfin" de se rattacher à un groupe de "ressemblants". Et on perd aussi cette réaction de colère voire de haine face à quelqu'un qui voudrait "détruire" le fondement même de ce nouveau groupe qui nous donne enfin une vague chance au "social" "comme les autres", qui reconnaitrait notre "différence" et en ferait un accès à la "ressemblance".
Bon expliquer ça n'est pas évident, parce que j'utilise encore l'antagonisme "ressemblance" et "différence". L'idée n'est pas de dire que la notion de ressemblance n'existe pas, mais qu'on perd l'accès au "groupe" (que ce soit "homo sapiens" ou "être vivant", "être conscient" etc...) en continuant à l'utiliser comme repère. Dans un autre extrême rechercher à être différent coûte que coûte n'apporterait pas grand chose de positif. Mais au sein de nos conceptions d'appartenance au groupe il y a un déséquilibre évident entre les deux notions qu'il me semble sage de penser et de dépasser. Et Jacquard (dans les discours que je lui connais), il me semble, se bat un peu maladroitement dans cette dichotomie. Il est conscient d'un problème, mais hésite dans ces conceptions.
Pour en revenir à définir l'intelligence, dans une telle configuration, l'élitisme forcené ou le tri en fonction de "réussite" perdrait énormément de pertinence. En fait, les conceptions hiérarchisées et pyramidales du "savoir" et de "la culture (au singulier... quelle horreur) seraient remises en question, voire disparaitraient au profit d'une conception un peu plus arborescente. Et certains des traits de l'intelligence proposés dans le sondage du sujet seraient à reconsidérer, soit nuancés, soit simplement impertinents. D'autres probablement apparaitraient.
Comme je précisais dans mon post précédent, il est important il me semble de définir un cadre social, philosophique, économique, politique, historique, identitaire aussi, pour avoir une chance de parler d'intelligence sans patauger dans des paradoxes qu'il sera extrêmement complexe de démêler. (ou pire, tomber dans des points godwin...)
Edit: la conception de ressemblance prise comme origine d'un groupe affirme l'existence d'une expérience "type", "modèle" qui serait nécessaire pour "faire partie", donc pour "exister". C'est exactement la création d'un mythe et d'une culture pyramidale, une culture unique qui excluerait toutes les autres. Partager cette expérience définit donc un certain nombre de choses dans la perception de l'individu, la structure du savoir et de l'apprentissage, la structure identitaire, les critères de jugement et d'évaluation etc... Et donc aussi les capacités retenues comme "critères" pour s'y adapter et y être efficace. Voire simplement y avoir un rôle. On voit combien c'est important dans la définition de l'"intelligence". Peut être ça demandait un peu de précision, ce lien.
Edit: Et pour finir, le point que je préfère dans l'intervention de Jacquard c'est justement cette idée que "chercher à comprendre" fait la "différence" entre "intelligence" et "stupidité" (j'aime beaucoup moins ces deux mots). Quelque part d'ailleurs ça me semble relativement en accord entre psychologie "du surdoué" et "faits" neurologiques ou psychométriques. Le "surdoué" n'a pas justement tendance "malgré lui" parce qu'il ne peut pas vivre autrement, que de creuser et se poser des questions? En cela, le concept de douance et le discours qu'il tient sous forme "anti douance" me semblent être tout à fait compatibles.