Opéra et théâtre lyrique
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Re: Opéra et théâtre lyrique
[erreur de manip, à supprimer SVP]
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Merci pour la réponse très détaillée. Je crois que je vais renoncer à acheter Sacrificium, finalement.
Bon, est-ce que tu iras écouter La Vestale à Bastille? Je dois y aller la semaine prochaine et j'ai assez hâte.
De mon côté, un passage à Genève m'a permis d'entendre Roberto Devereux, un Donizetti que je n'avais jamais vu à la scène. Spectacle très réussi, mise en scène sobre et efficace. Elsa Dreisig était splendide, j'y reviendrai peut-être.
PS. J'espère que l'agonie du lave-linge a pu être abrégée dans des conditions humaines et que tu as fais ton deuil de Salomé. J'ai vu le spectacle et si ça peut te consoler, tu n'as pas perdu grand chose. La mise en scène de Lydia Steier était intéressante, très cohérente mais bien vulgaire et parfois trop explicite sur le plan sexuel. Le délire érotique des personnages est dans la musique, le plaquer sur scène m'a paru assez redondant. Au bout du dixième viol collectif, j'ai commencé à en avoir assez, je me demande pourquoi , et par moments j'ai carrément plaint les chanteurs de devoir jouer des scènes pornographiques à deux sous : déjà que vocalement, les rôles sont éprouvants... Bref. Johan Reuter était excellent en Yokanaan, et la direction d'orchestre pas mauvaise. Mais tout de même, hésiter 1 h 40 entre Beurk et Bof... J'ai connu mieux.
Bon, est-ce que tu iras écouter La Vestale à Bastille? Je dois y aller la semaine prochaine et j'ai assez hâte.
De mon côté, un passage à Genève m'a permis d'entendre Roberto Devereux, un Donizetti que je n'avais jamais vu à la scène. Spectacle très réussi, mise en scène sobre et efficace. Elsa Dreisig était splendide, j'y reviendrai peut-être.
PS. J'espère que l'agonie du lave-linge a pu être abrégée dans des conditions humaines et que tu as fais ton deuil de Salomé. J'ai vu le spectacle et si ça peut te consoler, tu n'as pas perdu grand chose. La mise en scène de Lydia Steier était intéressante, très cohérente mais bien vulgaire et parfois trop explicite sur le plan sexuel. Le délire érotique des personnages est dans la musique, le plaquer sur scène m'a paru assez redondant. Au bout du dixième viol collectif, j'ai commencé à en avoir assez, je me demande pourquoi , et par moments j'ai carrément plaint les chanteurs de devoir jouer des scènes pornographiques à deux sous : déjà que vocalement, les rôles sont éprouvants... Bref. Johan Reuter était excellent en Yokanaan, et la direction d'orchestre pas mauvaise. Mais tout de même, hésiter 1 h 40 entre Beurk et Bof... J'ai connu mieux.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Vestale il y aura car c’est une des choses que les chats n’ont pas le droit de manquer, mais pas tout de suite, d’abord Armide à Favart pour oublier les sottises vues à Versailles la dernière fois.
Je ne vois pas fondamentalement l’intérêt du projet de Lilo Baur de répéter le même spectacle que celui monté l’an dernier sur la version de Gluck, mais soit. C’est du reste une proposition globalement séduisante sur le plan plastique qui ne bénéficiait toutefois pas d’une direction d’acteurs très soignée et souffrait d’une anémie chorégraphique, on verra si cela a muri au contact de la version Lully qui, par essence, demande que la partie dansée soit traitée avec égard.
Sans être l’idée du siècle, cela n’a de toutes façons pas de peine à éclipser le spectacle navrant de Versailles qui alternait du rien, du lourdement didactique et du n’importe-quoi.
Et donc La Vestale plus tard, début juillet. Cela compensera en partie, en cette année d’économies pour la bonne cause, le fait de ne pas entreprendre de déplacement cet été. Or Aix annonce les deux Iphigénie de Gluck et le rare Samson de Rameau, et mon habituelle sortie de fin août (le festival de Christie en Vendée) propose Orphée en version 1774. Mais on ne peut pas tout voir et offrir un nouveau domicile à ses chatons en même temps. Mais en ce qui concerne Iphigénie x2 (par Tcherniakov) ça tombe vraiment mal même si Emmanuelle Haïm n’est pas la cheffe de mes rêves dans ce répertoire.
Je ne vois pas fondamentalement l’intérêt du projet de Lilo Baur de répéter le même spectacle que celui monté l’an dernier sur la version de Gluck, mais soit. C’est du reste une proposition globalement séduisante sur le plan plastique qui ne bénéficiait toutefois pas d’une direction d’acteurs très soignée et souffrait d’une anémie chorégraphique, on verra si cela a muri au contact de la version Lully qui, par essence, demande que la partie dansée soit traitée avec égard.
Sans être l’idée du siècle, cela n’a de toutes façons pas de peine à éclipser le spectacle navrant de Versailles qui alternait du rien, du lourdement didactique et du n’importe-quoi.
Et donc La Vestale plus tard, début juillet. Cela compensera en partie, en cette année d’économies pour la bonne cause, le fait de ne pas entreprendre de déplacement cet été. Or Aix annonce les deux Iphigénie de Gluck et le rare Samson de Rameau, et mon habituelle sortie de fin août (le festival de Christie en Vendée) propose Orphée en version 1774. Mais on ne peut pas tout voir et offrir un nouveau domicile à ses chatons en même temps. Mais en ce qui concerne Iphigénie x2 (par Tcherniakov) ça tombe vraiment mal même si Emmanuelle Haïm n’est pas la cheffe de mes rêves dans ce répertoire.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Nous pourrons échanger nos impressions.
Je n'irai pas écouter Armide pour des raisons d'emploi du temps mais j'espère que tu ne seras pas déçu.e.
En revanche, mes propres chatons possédant déjà un foyer acceptable, les Gluck aixois sont au programme chez moi : j'ai toute confiance dans Emmanuelle Haïm pour la direction, et la distribution est prometteuse (quoique Véronique Gens en Clytemnestre, euh... Bon.) J'ai assez peur de ce que va faire Tcherniakov ; je l'admire mais j'ai l'impression qu'il nous raconte encore et toujours la même histoire depuis un peu trop longtemps - tu me diras, les mythes grecs, c'est bien toujours les mêmes histoires donc il n'y a rien là de très étonnant. Disons que son projet tel qu'il l'a brièvement décrit en interview ne me semble pas bouleversifiant d'originalité - et esthétiquement, on peut s'attendre au meilleur comme au pire.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Oui je trouve que Tcherniakov est ennuyeux quand il se « calme ». J’avais trouvé sa Traviata à la limite de la banalité. Autre problème récurrent, sa direction d’acteurs qui fonctionne mieux de près, dans une salle de l’ampleur du théâtre de Provence c’est un peu 300€ ou rien. Consolation, c’est filmé, or généralement Tcherniakov passe bien à l’écran sous réserve que ce soit bien réalisé (or chez Arte, quand ce n’est pas confié aux équipes de François Roussillon, il existe quelque-part un réalisateur horripilant, qui ne comprend pas que c’est débile de filmer l’orchestre ou les coulisses en dehors de l’ouverture, pendant qu’il se passe des choses sur la scène).
Ci-production avec Paris oblige ça devrait en outre revenir dans un an ou deux.
Sur Haïm, j’ai beaucoup trop Minkowski dans la tête pour garder toute mon objectivité
Gens en Clytemnestre, oui ça ne va pas de soi, au moins vocalement (le grave va lui manquer), théâtralement ça devrait passer sans problème.
Corinne Winters, idem, ça m’a l’air d’un choix cohérent sur le plan scénique, en revanche je m’inquiète de la diction - le seul échantillon que j’en ai entendu étant un extrait de La Juive où ce n’est pas fameux. Et ça c’est un problème qui de mon point de vue est accentué par la captation et qui est en général moins gênant dans la salle.
(Et sinon : j’aurais assez aimé une intégrale avec Susan Graham, en son temps.)
Ci-production avec Paris oblige ça devrait en outre revenir dans un an ou deux.
Sur Haïm, j’ai beaucoup trop Minkowski dans la tête pour garder toute mon objectivité
Gens en Clytemnestre, oui ça ne va pas de soi, au moins vocalement (le grave va lui manquer), théâtralement ça devrait passer sans problème.
Corinne Winters, idem, ça m’a l’air d’un choix cohérent sur le plan scénique, en revanche je m’inquiète de la diction - le seul échantillon que j’en ai entendu étant un extrait de La Juive où ce n’est pas fameux. Et ça c’est un problème qui de mon point de vue est accentué par la captation et qui est en général moins gênant dans la salle.
(Et sinon : j’aurais assez aimé une intégrale avec Susan Graham, en son temps.)
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Il faut - déjà - dire adieu à Jodie Devos fauchée en plein vol, à 45 ans
Membre émérite de la nouvelle troupe Favart, je l'avais vue et entendue dans plusieurs des œuvres rares qui font souvent le sel de la programmation de mon théâtre favori : La Nonne sanglante, Les Mousquetaires au couvent, Le Timbre d'argent. Deux petits rôles dans Les Indes galantes à Bastille avaient marqué son entrée au panthéon du chant francophone.
Resteront les traces enregistrées...
https://youtu.be/lWNgQw4Fb8w?si=KYWUTSLvST5TzERN
Extrait capté en concert de La Fille du régiment (Donizetti)...
https://youtu.be/-5nfXmEdubA?si=kMQFEhEQ6XSQtH9V
Extrait de Robinson Crusoe (Offenbach). Il manque, dans cet enregistrement extrait d'un récital en studio et non d'une production scénique, les interventions du chœur :
D'un feu sacré l'horizon se colore,
Le Dieu t'attend, pourquoi tarder encore ?
On aurait préféré, en vérité, qu'elle ne parte pas aussi vite. Ce rôle lui tendait les bras, elle n'aura pas eu le temps de le jouer sur scène.
https://youtu.be/BJeGzujbLfQ?si=EkDxsnajMzCgJl1H
Dans le prologue des Indes galantes (Rameau) à Bastille, au sein d'une brillante distribution emmenée par Sabine Devieilhe.
Au revoir à cette passeuse de mots, d'imaginaires et d'émotions.
Membre émérite de la nouvelle troupe Favart, je l'avais vue et entendue dans plusieurs des œuvres rares qui font souvent le sel de la programmation de mon théâtre favori : La Nonne sanglante, Les Mousquetaires au couvent, Le Timbre d'argent. Deux petits rôles dans Les Indes galantes à Bastille avaient marqué son entrée au panthéon du chant francophone.
Resteront les traces enregistrées...
https://youtu.be/lWNgQw4Fb8w?si=KYWUTSLvST5TzERN
Extrait capté en concert de La Fille du régiment (Donizetti)...
https://youtu.be/-5nfXmEdubA?si=kMQFEhEQ6XSQtH9V
Extrait de Robinson Crusoe (Offenbach). Il manque, dans cet enregistrement extrait d'un récital en studio et non d'une production scénique, les interventions du chœur :
D'un feu sacré l'horizon se colore,
Le Dieu t'attend, pourquoi tarder encore ?
On aurait préféré, en vérité, qu'elle ne parte pas aussi vite. Ce rôle lui tendait les bras, elle n'aura pas eu le temps de le jouer sur scène.
https://youtu.be/BJeGzujbLfQ?si=EkDxsnajMzCgJl1H
Dans le prologue des Indes galantes (Rameau) à Bastille, au sein d'une brillante distribution emmenée par Sabine Devieilhe.
Au revoir à cette passeuse de mots, d'imaginaires et d'émotions.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Armide
Livret de Philippe Quinault
Musique de Jean-Baptiste Lully
Direction musicale de Christophe Rousset
Mise en scène de Lilo Baur
Paris, salle Favart, juin 2024
J’avais mal compris, Lilo Baur ne reprend ici qu’un seul élément de sa précédente production de l’Armide de Gluck, à savoir l’arbre constituant le principal élément de décor des actes 2 à 5 ; tout le reste est nouveau.
Pour Gluck, donc, le spectacle était globalement assez décoratif et jouait sur un orientalisme conventionnel mais agréable à l’œil ; par ailleurs, sans que cela n’ait une grande importance narrative, ledit arbre se présentait au fil des actes dans une « saison » différente, ce qui, en dehors du fait d’éviter la lassitude, présentait une réelle élégance plastique. L’ensemble m’avait semblé compenser une direction d’acteurs plutôt statique dans un spectacle globalement lisible – permettant, faute de rendre intelligible un concept spécifique, de suivre sans difficulté l’action au premier degré, sans inélégance et sans contresens, ce qui est en soi le minimum syndical.
Pour Lully : tenue banale noire pour tout le monde (sauf Armide qui a droit à un peu de rouge), prologue et premier acte joués devant des pendrillons dorés, arbre invariablement « hivernal » pour lequel seule une projection sur la toile de fond donnera parfois une impression visuelle flatteuse. Dans cette remarquable absence de prise d’initiative, seule une direction d’acteur spécialement caricaturale et stéréotypée se trouve investie de la fonction narrative. C’est peu, c’est moche et c’est inintéressant.
Les ballets ont été pour partie coupés (dont la quasi-totalité de ceux du prologue, partie dont le traitement est globalement expéditif) et ceux qui survivent ne décollent pas souvent. La faute à des éléments chorégraphiques tout aussi caricaturaux qui semblent conçus par des détracteurs de la danse contemporaine tant ils semblent en parodier les poncifs. Quand cela s’élève au-dessus de l’ordinaire, la petite équipe de six danseurs ne déméritent pourtant pas et certains passages se mettent à respirer (la passacaille au début du cinquième acte). Mais dans le genre navrant, à deux reprises on s’essaie à faire danser au chœur d’abord une sorte de Madison puis un trémoussement d’adolescents dans une surboum. Heu…
En accord avec ces choix sans intérêt, les protagonistes semblent avoir été priés de ne pas trop nuancer leur incarnation à l’image d’un Renaud lourdement vindicatif lors de sa première apparition (heureusement la seule où le texte autorise un tel débordement), et d’une Armide qui, en revanche, personnage oblige, semble régulièrement invectiver sur tout le monde.
Affreux gâchis au regard d’une équipe au fort potentiel.
Christophe Grapperon, le remarquable chef de chant des lieux, poursuit un travail remarquable sur la restitution de la diction française, à un niveau global sur lequel je ne me permettrais que de pinailler sur la proportion encore excessive à mon goût de liaisons éludées – proportion par ailleurs largement inférieure à ce qui se pratique généralement ailleurs.
En Renaud, Cyrille Dubois est donc, sur ce plan à chaque instant et sur celui du chant une fois passés les emportements de sa première apparition, exemplaire, et même ahurissant dans Plus j’observe ces lieux (d’une noblesse et d’une intégrité stylistique saisissantes). Probablement à cause de la manière dont on lui demande de jouer, Ambroisine Bré (Armide) n’atteint malheureusement pas de tels sommets ce soir, et la performance semble en outre en souffrir – des signes de fatigue vocale apparaissant assez nettement dès le début. Stridences et émission heurtée s’invitent de temps à autres tout en laissant clairement deviner, le reste du temps, à côté de quelle incarnation de premier plan cette direction d’acteurs nous fait passer. Autre gâchis, Edwin Crossley-Mercer (Idraot) se retrouve lui aussi cantonné à un jeu bourru et la brièveté du rôle ne lui donne pas l’occasion d’en sortir.
Se partageant la totalité des petits rôles successifs, Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal font honneur aux vers de Quinault jusque dans les détails (avec, à mon goût, avantage à la première). Ubalde et son compère danois sont bien servis par Lysandre Châlon et Enguerrand de Hys. Et la révélation de la soirée, Abel Zamora, fait de sa grande passacaille un moment magique.
Certains commentaires que j’ai pu lire regrettent le choix de Christophe Rousset de n’avoir pas renforcé l’orchestre d’une paire de trompettes au premier acte. Sauf inattention de ma part, il me semble qu’icelles ne sont pas mentionnées explicitement par la partition et c’est donc un choix légitime. D’ailleurs les pupitres de cordes bien fournis projettent dans la salle un son généreux. Cet orchestre un peu pataud ce soir-là dans l’ouverture sert le reste du temps fort bien une direction d’une théâtralité fiévreuse.
Au total, si je ne me plaindrai pas d’avoir passé un mauvais moment, ce n’est certes pas grâce à Lilo Baur, mais bien plus à celui de retrouver une écriture redoutable d’efficacité – les Lully de la maturité comme d’une manière différente les Gluck tardifs représentant à mon goût une certaine évidence en matière de tragédie classique. Beaucoup de choses, dans cette soirée, montraient à quel point la « nouvelle troupe Favart » et les orchestres fidèles à la maison (à défaut d’avoir retrouvé une phalange attitrée) ont reconquis leur territoire stylistique. De tels interprètes auraient constamment brûlé les planches si Baur ne les avait pas aussi souvent poussés au sur-jeu. Ce faisant, je ne recommanderais pas forcément ce spectacle à des personnes qui n’auraient pas, à la base, un intérêt particulier pour l’œuvre ou pour ses auteurs.
Dans la famille « pas toujours subtile » j’ai désormais rendez-vous avec Lydia Steier pour La Vestale dont j’espère qu’elle n’aura pas une fois de plus donné dans l’explication de texte lourdingue. En ce qui me concerne, la rareté de l’ouvrage est une raison suffisante pour y aller quoiqu’il arrive.
Livret de Philippe Quinault
Musique de Jean-Baptiste Lully
Direction musicale de Christophe Rousset
Mise en scène de Lilo Baur
Paris, salle Favart, juin 2024
J’avais mal compris, Lilo Baur ne reprend ici qu’un seul élément de sa précédente production de l’Armide de Gluck, à savoir l’arbre constituant le principal élément de décor des actes 2 à 5 ; tout le reste est nouveau.
Pour Gluck, donc, le spectacle était globalement assez décoratif et jouait sur un orientalisme conventionnel mais agréable à l’œil ; par ailleurs, sans que cela n’ait une grande importance narrative, ledit arbre se présentait au fil des actes dans une « saison » différente, ce qui, en dehors du fait d’éviter la lassitude, présentait une réelle élégance plastique. L’ensemble m’avait semblé compenser une direction d’acteurs plutôt statique dans un spectacle globalement lisible – permettant, faute de rendre intelligible un concept spécifique, de suivre sans difficulté l’action au premier degré, sans inélégance et sans contresens, ce qui est en soi le minimum syndical.
Pour Lully : tenue banale noire pour tout le monde (sauf Armide qui a droit à un peu de rouge), prologue et premier acte joués devant des pendrillons dorés, arbre invariablement « hivernal » pour lequel seule une projection sur la toile de fond donnera parfois une impression visuelle flatteuse. Dans cette remarquable absence de prise d’initiative, seule une direction d’acteur spécialement caricaturale et stéréotypée se trouve investie de la fonction narrative. C’est peu, c’est moche et c’est inintéressant.
Les ballets ont été pour partie coupés (dont la quasi-totalité de ceux du prologue, partie dont le traitement est globalement expéditif) et ceux qui survivent ne décollent pas souvent. La faute à des éléments chorégraphiques tout aussi caricaturaux qui semblent conçus par des détracteurs de la danse contemporaine tant ils semblent en parodier les poncifs. Quand cela s’élève au-dessus de l’ordinaire, la petite équipe de six danseurs ne déméritent pourtant pas et certains passages se mettent à respirer (la passacaille au début du cinquième acte). Mais dans le genre navrant, à deux reprises on s’essaie à faire danser au chœur d’abord une sorte de Madison puis un trémoussement d’adolescents dans une surboum. Heu…
En accord avec ces choix sans intérêt, les protagonistes semblent avoir été priés de ne pas trop nuancer leur incarnation à l’image d’un Renaud lourdement vindicatif lors de sa première apparition (heureusement la seule où le texte autorise un tel débordement), et d’une Armide qui, en revanche, personnage oblige, semble régulièrement invectiver sur tout le monde.
Affreux gâchis au regard d’une équipe au fort potentiel.
Christophe Grapperon, le remarquable chef de chant des lieux, poursuit un travail remarquable sur la restitution de la diction française, à un niveau global sur lequel je ne me permettrais que de pinailler sur la proportion encore excessive à mon goût de liaisons éludées – proportion par ailleurs largement inférieure à ce qui se pratique généralement ailleurs.
En Renaud, Cyrille Dubois est donc, sur ce plan à chaque instant et sur celui du chant une fois passés les emportements de sa première apparition, exemplaire, et même ahurissant dans Plus j’observe ces lieux (d’une noblesse et d’une intégrité stylistique saisissantes). Probablement à cause de la manière dont on lui demande de jouer, Ambroisine Bré (Armide) n’atteint malheureusement pas de tels sommets ce soir, et la performance semble en outre en souffrir – des signes de fatigue vocale apparaissant assez nettement dès le début. Stridences et émission heurtée s’invitent de temps à autres tout en laissant clairement deviner, le reste du temps, à côté de quelle incarnation de premier plan cette direction d’acteurs nous fait passer. Autre gâchis, Edwin Crossley-Mercer (Idraot) se retrouve lui aussi cantonné à un jeu bourru et la brièveté du rôle ne lui donne pas l’occasion d’en sortir.
Se partageant la totalité des petits rôles successifs, Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal font honneur aux vers de Quinault jusque dans les détails (avec, à mon goût, avantage à la première). Ubalde et son compère danois sont bien servis par Lysandre Châlon et Enguerrand de Hys. Et la révélation de la soirée, Abel Zamora, fait de sa grande passacaille un moment magique.
Certains commentaires que j’ai pu lire regrettent le choix de Christophe Rousset de n’avoir pas renforcé l’orchestre d’une paire de trompettes au premier acte. Sauf inattention de ma part, il me semble qu’icelles ne sont pas mentionnées explicitement par la partition et c’est donc un choix légitime. D’ailleurs les pupitres de cordes bien fournis projettent dans la salle un son généreux. Cet orchestre un peu pataud ce soir-là dans l’ouverture sert le reste du temps fort bien une direction d’une théâtralité fiévreuse.
Au total, si je ne me plaindrai pas d’avoir passé un mauvais moment, ce n’est certes pas grâce à Lilo Baur, mais bien plus à celui de retrouver une écriture redoutable d’efficacité – les Lully de la maturité comme d’une manière différente les Gluck tardifs représentant à mon goût une certaine évidence en matière de tragédie classique. Beaucoup de choses, dans cette soirée, montraient à quel point la « nouvelle troupe Favart » et les orchestres fidèles à la maison (à défaut d’avoir retrouvé une phalange attitrée) ont reconquis leur territoire stylistique. De tels interprètes auraient constamment brûlé les planches si Baur ne les avait pas aussi souvent poussés au sur-jeu. Ce faisant, je ne recommanderais pas forcément ce spectacle à des personnes qui n’auraient pas, à la base, un intérêt particulier pour l’œuvre ou pour ses auteurs.
Dans la famille « pas toujours subtile » j’ai désormais rendez-vous avec Lydia Steier pour La Vestale dont j’espère qu’elle n’aura pas une fois de plus donné dans l’explication de texte lourdingue. En ce qui me concerne, la rareté de l’ouvrage est une raison suffisante pour y aller quoiqu’il arrive.
Vous ne pouvez pas consulter les pièces jointes insérées à ce message.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Rien que pour un tel traitement des ballets, je renonce à mes derniers regrets concernant cette production (j'avais été tentée de louer). C'est typiquement le genre de pratique qui m'exaspère, autant les coupes que les mauvaises chorégraphies.Tamiri a écrit : ↑ven. 28 juin 2024 10:52 Les ballets ont été pour partie coupés (dont la quasi-totalité de ceux du prologue, partie dont le traitement est globalement expéditif) et ceux qui survivent ne décollent pas souvent. La faute à des éléments chorégraphiques tout aussi caricaturaux qui semblent conçus par des détracteurs de la danse contemporaine tant ils semblent en parodier les poncifs. Quand cela s’élève au-dessus de l’ordinaire, la petite équipe de six danseurs ne déméritent pourtant pas et certains passages se mettent à respirer (la passacaille au début du cinquième acte). Mais dans le genre navrant, à deux reprises on s’essaie à faire danser au chœur d’abord une sorte de Madison puis un trémoussement d’adolescents dans une surboum. Heu…
Aïe!
Mais bon, tu te feras ton avis par toi-même, je rebondirai sur ta critique si tu la postes ici. Spyres à lui tout seul vaut la peine, de toute façon.
Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)
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Re: Opéra et théâtre lyrique
La Vestale
Livret d’Etienne de Jouy
Musique de Gaspare Spontini
Direction musicale de Bertrand de Billy
Mise en scène de Lydia Steier
Paris (opéra Bastille), juillet 2024
Et donc, que n’aurait-on pas fait avec de tels protagonistes et dans d’autres lieux…
La pièce est on ne peut plus favorable à Michael Spyres (Licinius) dont elle flatte à la fois l’engagement dramatique sans réserve et le centre de la tessiture. On ne l’entendra certes pas se livrer à ses habituelles prises de risques, ce qui n’en met que mieux en valeur l’aisance insolente de l’interprète. Quant à la science, dont on sait qu’il ne manque pas : une petite poignée de syllabes vont lui échapper au cours de la soirée pour mieux montrer, par l’absurde, à quel degré de maîtrise de la déclamation tragique en est l’interprète.
Sur ce point, cependant, toute la soirée est au moins en théorie d’un niveau remarquable. Elza van den Heever (Julia) et Julien Behr (Cinna) couvrent un peu dans l’aigu et obligent çà et là à lire le surtitrage, mais j’aurais tendance à attribuer ce problème en bonne partie aux exigences de la salle. Difficile de reprocher à première, affrontant un rôle long et dense, de se protéger un peu ; dans le récitatif, tout va bien. Rien à redire pour les autres : en grande vestale, Eve-Maud Hubeaux en impose sans abuser d’effets ; les deux petits rôles du pontife et de l’aruspice (Jean Teitgen et Florent Mbia) s’avèrent particulièrement soignés.
Mauvais point au chœur généralement incompréhensible, consonnes flasques et voyelles couvertes de manière parfois caricaturale : bien sonnant, mais à quel prix ?
Enfin Bertrand de Billy anime le tout avec énergie au moins en ce qui concerne les tempi. Je lui accorde le bénéfice du doute sur le manque de vigueur et de diversité des attaques ainsi que sur les timbres en raison des caractéristiques du lieu. De ma place (premier rang de balcon), toutes les arêtes semblent émoussées ; les interventions des cors, élément important de la couleur orchestrale dans cette partition, se distinguent peu l’une de l’autre et tendent trop souvent à un joli fondu plutôt qu’à des angles vifs – mais il est possible que l’usage de cuivres « modernes » n’aide pas. Il devient plus difficile dans ce cas de percevoir le chaînon manquant entre Gluck et Berlioz que revendique la note d’intention du chef.
C’est encore vraisemblablement le lieu qui, imposant aux chanteurs une puissance et une endurance de tous les instants, les oblige à quelques concessions du côté du texte, tout en arrondissant exagérément les angles en raison du temps de réverbération.
Bref, qu’on mette tout ce petit monde sur la scène de Favart ou éventuellement de Garnier, et l’on pourra juger de manière optimale de la performance dont, à Bastille, on ne perçoit pas 100% du potentiel.
Bon. Pour le reste, j’ai séparé le cas Lydia Steier, parce qu’à ce stade, distinguer le fond de la forme me semble une option pour conserver la dignité de ceux qui n’ont pas démérité (sur le mode : ça aurait fait un bon disque mais une vidéo ridicule).
Au fil de l’ouverture, par un abus déjà caractérisé de rideau qui se lève et se baisse constamment pour masquer le fait qu’on ne peut pas réellement pendre des figurants, on sait déjà que ça se passe dans une dictature. Soit. Ça a toutes les chances de marcher, la république romaine du 1er siècle avant JC et ses soubresauts tantôt populistes, tantôt militaristes, tout ça.
Seulement : il faudrait expliquer à Lydia Steier qu’une dystopie, ça ne marche que si c’est crédible. Sinon c’est rigolo, et ce n’est certes pas le but recherché. Sauf que là, si c’était filmé, ça finirait sur le site Nanarland.
Et donc c’est une dictature où l’on torture des gens (jusque-là c’est normal) mais on le fait avec des effets spéciaux qui ratent même quand on les voit d’aussi loin que les balcons de l’opéra Bastille ; une dictature où, en dehors de ça, on a une passion de tous les instants : cracher sur les prisonniers, les cadavres et les supposés ennemis du peuple. Comme les figurants ne sont pas très nombreux, chacun crache et recrache, il faudrait compter (ça doit faire comme les morts dans Rambo II).
C’est une dictature où l’on parade en exhibant des suppliciés attachés à un poteau de torture ou dans une cage, suivis d’objets de dévotion en procession évoquant une sorte de catholicisme franquiste, la rareté et l’instabilité matérielle de tous ces bidules donnant principalement l’impression que ladite dictature manque surtout de matériaux autres que le carton bouilli. Du coup, on renforce l’ensemble avec une vidéo aux codes certes bien staliniens mais aux incrustations encore une fois dignes de Nanarland. Et donc : difficile d’y croire. La dystopie angoissante a un sérieux coup dans l’aile.
Bon. Essayons maintenant d’être plus pragmatique et moins potache. Lydia Steier semble avoir désespérément peur du vide et s’oblige toujours à faire quelque-chose, quitte à sur-interpréter tout ce qui passe à sa portée. Comme s’il ne suffisait pas d’accumuler les ficelles énormes de peur qu’on ne comprenne pas le message, elle tente, et réussit généralement, la sortie de route.
D’accord, le premier acte se tient (côté nanar mis à part évidemment) : notamment, oui, Julia entretient un rapport ambigu avec la Grande vestale ; c’est littéralement dans le texte, donc en faire des tonnes, ce n’est plus interpréter, c’est caricaturer.
Le deuxième acte, euh… Donc, si le feu sacré du culte de Vesta est entretenu en brûlant des livres : oui c’est toujours une dictature (au cas où on n’aurait pas compris). Mais dans le texte, tant Julia que Licinius n’en continuent pas moins, à ce stade de l’intrigue (et jusqu’au bout, en fait), à éprouver une foi sincère et à faire clairement la distinction entre une réelle légitimité de la divinité et les abus de pouvoir du clergé. Sauf que chez Lydia Steier, tout est affaire de fascisme dont tout est sombre foutaise. Là, le chat qui spoile se pose la question : comment, à la fin, va-t-on justifier que la déesse rallume le brasier pour récompenser les cœurs purs, si la norme reste de l’alimenter avec des livres ? Ou alors est-ce que Vesta va allumer un AUTRE feu, le vrai (des gentils), pour dire que celui des livres, c’est le faux (des méchants), et ainsi dénoncer le fondamentalisme ? Alors à ce stade, le chat, qui est essentiellement paresseux, prend la précaution de ne pas se faire de nœuds au cerveau parce que de toutes façons, le troisième acte s’apprête à dépasser ces éventuelles objections en érigeant un monument à la perplexité.
En attendant, nanar toujours : Lydia Steier n’assume pas l’une des conventions théâtrales les plus essentielles, à savoir le monologue, suspension de l’action et du dialogue. En conséquence de quoi : elle introduit à deux reprises au moins une suspension du temps parfaitement nanarde à coups de lumières verdâtres et d’immobilité plus ou moins bien tenue des autres protagonistes (parce que sinon, le spectateur ne comprendrait pas). Autre astuce astucieuse, une vidéo cotonneuse vient illustrer ce à quoi pensent les deux amoureux : alors oui, en général, il pensent à leur amour. Heureusement que Lydia nous le montre, parce qu’on s’en serait pas doutés. Les vidéos en question sont suffisamment mal réalisées pour qu’on y voie surtout, dans un halo vaporeux, les deux tourtereaux avec des airs de ravis de la crèche. Je ne sais pas pour van den Heever, mais le chat il a déjà vu Spyres de près (en étant dans les premiers rangs) ou filmé en gros plan (dans Fidelio) et le chat il confirme que Spyres ne joue pas comme un pied quand il est dirigé normalement. Donc là, c’est la réalisation qui est vraisemblablement coupable.
Et troisième acte, donc : jusqu’à présent c’était formellement mal foutu et narrativement un peu fragile. Maintenant ça va devenir n’importe-quoi : Cinna, personnage certes sans grand intérêt dramatique (forcément : c’est globalement le confident classique de n’importe-quelle tragédie), doit avoir tellement attisé la peur du vide de Steier qu’elle a décidé d’en faire un traitre. Parce-que : pourquoi pas. La Grande vestale, on la destitue, on l’arrête, on la remplace par une inconnue qui ne dit rien. Parce que : pourquoi pas. Le ballet final, auquel on a encore fait un sort (ah oui, il a été coupé pour l’essentiel, un bout a été recasé au premier acte pour soutenir l’un des épisodes verdâtres) et ce qu’il en reste devient une pantomime finale où : on fusille la Grande vestale (l’ancienne, pas la nouvelle) ; Cinna s’auto-couronne façon Napoléon. Entre-temps le nanar aura encore largement frappé avec un miracle final illisible et réalisé à l’économie (le chat a bien fait de renoncer à se poser des questions parce qu’il n’y a plus rien à comprendre, il n’y a plus d’autodafé mais il n’y a plus de feu non-plus) et une procession de l’effigie de Vesta façon Notre-Dame du Plastique Tremblotant.
Voilà, ça a failli marcher. Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne et en plus le chemin est très glissant, c’est ce qui fait qu’au lieu de Star Wars l’Italie a eu Star Crash, au lieu de Superman l’Espagne a eu Supersonic Man, et au lieu de Tcherniakov, Paris a eu Steier. Qui va sans doute nous dire : J’ai le droit passque y’a eu un Cinna méchant dans la réalité, alors camenbert.
Et : oui, je me défoule et je joue avec une souris morte, ça fait du bien parfois, vu que j’ai payé assez cher ma souris morte et que j’ai eu toutes les peines du monde à regagner mon lit ensuite par la faute de travaux que la SNCF avait omis de signaler sur ses différents sites et applications.
Livret d’Etienne de Jouy
Musique de Gaspare Spontini
Direction musicale de Bertrand de Billy
Mise en scène de Lydia Steier
Paris (opéra Bastille), juillet 2024
Et donc, que n’aurait-on pas fait avec de tels protagonistes et dans d’autres lieux…
La pièce est on ne peut plus favorable à Michael Spyres (Licinius) dont elle flatte à la fois l’engagement dramatique sans réserve et le centre de la tessiture. On ne l’entendra certes pas se livrer à ses habituelles prises de risques, ce qui n’en met que mieux en valeur l’aisance insolente de l’interprète. Quant à la science, dont on sait qu’il ne manque pas : une petite poignée de syllabes vont lui échapper au cours de la soirée pour mieux montrer, par l’absurde, à quel degré de maîtrise de la déclamation tragique en est l’interprète.
Sur ce point, cependant, toute la soirée est au moins en théorie d’un niveau remarquable. Elza van den Heever (Julia) et Julien Behr (Cinna) couvrent un peu dans l’aigu et obligent çà et là à lire le surtitrage, mais j’aurais tendance à attribuer ce problème en bonne partie aux exigences de la salle. Difficile de reprocher à première, affrontant un rôle long et dense, de se protéger un peu ; dans le récitatif, tout va bien. Rien à redire pour les autres : en grande vestale, Eve-Maud Hubeaux en impose sans abuser d’effets ; les deux petits rôles du pontife et de l’aruspice (Jean Teitgen et Florent Mbia) s’avèrent particulièrement soignés.
Mauvais point au chœur généralement incompréhensible, consonnes flasques et voyelles couvertes de manière parfois caricaturale : bien sonnant, mais à quel prix ?
Enfin Bertrand de Billy anime le tout avec énergie au moins en ce qui concerne les tempi. Je lui accorde le bénéfice du doute sur le manque de vigueur et de diversité des attaques ainsi que sur les timbres en raison des caractéristiques du lieu. De ma place (premier rang de balcon), toutes les arêtes semblent émoussées ; les interventions des cors, élément important de la couleur orchestrale dans cette partition, se distinguent peu l’une de l’autre et tendent trop souvent à un joli fondu plutôt qu’à des angles vifs – mais il est possible que l’usage de cuivres « modernes » n’aide pas. Il devient plus difficile dans ce cas de percevoir le chaînon manquant entre Gluck et Berlioz que revendique la note d’intention du chef.
C’est encore vraisemblablement le lieu qui, imposant aux chanteurs une puissance et une endurance de tous les instants, les oblige à quelques concessions du côté du texte, tout en arrondissant exagérément les angles en raison du temps de réverbération.
Bref, qu’on mette tout ce petit monde sur la scène de Favart ou éventuellement de Garnier, et l’on pourra juger de manière optimale de la performance dont, à Bastille, on ne perçoit pas 100% du potentiel.
Bon. Pour le reste, j’ai séparé le cas Lydia Steier, parce qu’à ce stade, distinguer le fond de la forme me semble une option pour conserver la dignité de ceux qui n’ont pas démérité (sur le mode : ça aurait fait un bon disque mais une vidéo ridicule).
Au fil de l’ouverture, par un abus déjà caractérisé de rideau qui se lève et se baisse constamment pour masquer le fait qu’on ne peut pas réellement pendre des figurants, on sait déjà que ça se passe dans une dictature. Soit. Ça a toutes les chances de marcher, la république romaine du 1er siècle avant JC et ses soubresauts tantôt populistes, tantôt militaristes, tout ça.
Seulement : il faudrait expliquer à Lydia Steier qu’une dystopie, ça ne marche que si c’est crédible. Sinon c’est rigolo, et ce n’est certes pas le but recherché. Sauf que là, si c’était filmé, ça finirait sur le site Nanarland.
Et donc c’est une dictature où l’on torture des gens (jusque-là c’est normal) mais on le fait avec des effets spéciaux qui ratent même quand on les voit d’aussi loin que les balcons de l’opéra Bastille ; une dictature où, en dehors de ça, on a une passion de tous les instants : cracher sur les prisonniers, les cadavres et les supposés ennemis du peuple. Comme les figurants ne sont pas très nombreux, chacun crache et recrache, il faudrait compter (ça doit faire comme les morts dans Rambo II).
C’est une dictature où l’on parade en exhibant des suppliciés attachés à un poteau de torture ou dans une cage, suivis d’objets de dévotion en procession évoquant une sorte de catholicisme franquiste, la rareté et l’instabilité matérielle de tous ces bidules donnant principalement l’impression que ladite dictature manque surtout de matériaux autres que le carton bouilli. Du coup, on renforce l’ensemble avec une vidéo aux codes certes bien staliniens mais aux incrustations encore une fois dignes de Nanarland. Et donc : difficile d’y croire. La dystopie angoissante a un sérieux coup dans l’aile.
Bon. Essayons maintenant d’être plus pragmatique et moins potache. Lydia Steier semble avoir désespérément peur du vide et s’oblige toujours à faire quelque-chose, quitte à sur-interpréter tout ce qui passe à sa portée. Comme s’il ne suffisait pas d’accumuler les ficelles énormes de peur qu’on ne comprenne pas le message, elle tente, et réussit généralement, la sortie de route.
D’accord, le premier acte se tient (côté nanar mis à part évidemment) : notamment, oui, Julia entretient un rapport ambigu avec la Grande vestale ; c’est littéralement dans le texte, donc en faire des tonnes, ce n’est plus interpréter, c’est caricaturer.
Le deuxième acte, euh… Donc, si le feu sacré du culte de Vesta est entretenu en brûlant des livres : oui c’est toujours une dictature (au cas où on n’aurait pas compris). Mais dans le texte, tant Julia que Licinius n’en continuent pas moins, à ce stade de l’intrigue (et jusqu’au bout, en fait), à éprouver une foi sincère et à faire clairement la distinction entre une réelle légitimité de la divinité et les abus de pouvoir du clergé. Sauf que chez Lydia Steier, tout est affaire de fascisme dont tout est sombre foutaise. Là, le chat qui spoile se pose la question : comment, à la fin, va-t-on justifier que la déesse rallume le brasier pour récompenser les cœurs purs, si la norme reste de l’alimenter avec des livres ? Ou alors est-ce que Vesta va allumer un AUTRE feu, le vrai (des gentils), pour dire que celui des livres, c’est le faux (des méchants), et ainsi dénoncer le fondamentalisme ? Alors à ce stade, le chat, qui est essentiellement paresseux, prend la précaution de ne pas se faire de nœuds au cerveau parce que de toutes façons, le troisième acte s’apprête à dépasser ces éventuelles objections en érigeant un monument à la perplexité.
En attendant, nanar toujours : Lydia Steier n’assume pas l’une des conventions théâtrales les plus essentielles, à savoir le monologue, suspension de l’action et du dialogue. En conséquence de quoi : elle introduit à deux reprises au moins une suspension du temps parfaitement nanarde à coups de lumières verdâtres et d’immobilité plus ou moins bien tenue des autres protagonistes (parce que sinon, le spectateur ne comprendrait pas). Autre astuce astucieuse, une vidéo cotonneuse vient illustrer ce à quoi pensent les deux amoureux : alors oui, en général, il pensent à leur amour. Heureusement que Lydia nous le montre, parce qu’on s’en serait pas doutés. Les vidéos en question sont suffisamment mal réalisées pour qu’on y voie surtout, dans un halo vaporeux, les deux tourtereaux avec des airs de ravis de la crèche. Je ne sais pas pour van den Heever, mais le chat il a déjà vu Spyres de près (en étant dans les premiers rangs) ou filmé en gros plan (dans Fidelio) et le chat il confirme que Spyres ne joue pas comme un pied quand il est dirigé normalement. Donc là, c’est la réalisation qui est vraisemblablement coupable.
Et troisième acte, donc : jusqu’à présent c’était formellement mal foutu et narrativement un peu fragile. Maintenant ça va devenir n’importe-quoi : Cinna, personnage certes sans grand intérêt dramatique (forcément : c’est globalement le confident classique de n’importe-quelle tragédie), doit avoir tellement attisé la peur du vide de Steier qu’elle a décidé d’en faire un traitre. Parce-que : pourquoi pas. La Grande vestale, on la destitue, on l’arrête, on la remplace par une inconnue qui ne dit rien. Parce que : pourquoi pas. Le ballet final, auquel on a encore fait un sort (ah oui, il a été coupé pour l’essentiel, un bout a été recasé au premier acte pour soutenir l’un des épisodes verdâtres) et ce qu’il en reste devient une pantomime finale où : on fusille la Grande vestale (l’ancienne, pas la nouvelle) ; Cinna s’auto-couronne façon Napoléon. Entre-temps le nanar aura encore largement frappé avec un miracle final illisible et réalisé à l’économie (le chat a bien fait de renoncer à se poser des questions parce qu’il n’y a plus rien à comprendre, il n’y a plus d’autodafé mais il n’y a plus de feu non-plus) et une procession de l’effigie de Vesta façon Notre-Dame du Plastique Tremblotant.
Voilà, ça a failli marcher. Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne et en plus le chemin est très glissant, c’est ce qui fait qu’au lieu de Star Wars l’Italie a eu Star Crash, au lieu de Superman l’Espagne a eu Supersonic Man, et au lieu de Tcherniakov, Paris a eu Steier. Qui va sans doute nous dire : J’ai le droit passque y’a eu un Cinna méchant dans la réalité, alors camenbert.
Et : oui, je me défoule et je joue avec une souris morte, ça fait du bien parfois, vu que j’ai payé assez cher ma souris morte et que j’ai eu toutes les peines du monde à regagner mon lit ensuite par la faute de travaux que la SNCF avait omis de signaler sur ses différents sites et applications.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil
- Tamiri
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Iphigénie en Aulide
Livret de François-Louis Gand Le Bland du Roullet
Musique de Christoph Willibald Gluck
Direction musicale d’Emmanuelle Haïm
Mise en scène de Dimitri Tcherniakov
Aix-en-Provence, juillet 2024 (streaming Arte Concert)
Quand on est un chat qui tente d’être raisonnable et de mettre des sous de côté, c’est dommage quand une nouvelle production d’œuvres correspondant particulièrement au goût des chats (du moins de certains chats), bien que plusieurs fois repoussée, tombe l’année où le chat doit économiser. Et donc, ce chat, de regarder faute de mieux la diffusion d’Arte, heureusement sur une télé assez grande et non sur l’ordinateur.
Et par ailleurs, ce chat qui s’avère être moi-même (comment aviez-vous deviné ?) n’a pas reproduit l’expérience des vrais spectateurs qui ont eu droit aux deux pièces dans la même soirée (donc Iphigénie en Tauride en deuxième partie), parce que sur écran cela fatigue plus vite ; par ailleurs, pour mieux se réveiller au milieu de la nuit, ce genre de chat se couche tôt. Le deuxième volet sera donc pour plus tard, et je ne m’exprimerai qu’à ce moment sur la part de l’exercice consistant, pour l’équipe artistique, à relier les deux tragédies.
En attendant, sans rien révolutionner, cette première Iphigénie (dans tous les sens du terme puisque, par ailleurs, elle devance également l’autre dans la carrière parisienne de Gluck) se laisse à mon sens agréablement regarder, en raison de son caractère de sobriété efficace : sans attrait visuel particulier, ce spectacle cohérent sert le texte avec fluidité.
Certes Tcherniakov désacralise le propos en expurgeant pratiquement la scène de tout attribut de la royauté, puis (spoiler alert !) évacue le premier degré de l’apparition finale de Diane en l’assimilant à un rêve d’Agamemnon tandis que la « vraie » Iphigénie vient en fait tout juste d’arriver ; ce seront là les deux seules entorses à la lettre, qui ne mettent pas en danger la compréhension du drame.
En Clytemnestre, Véronique Gens est d’ailleurs la seule à recevoir des tenues à l’esprit un peu plus aristocratiques – qui ne font qu’entériner l’aisance dramatique habituelle de l’interprète dans ce type de personnage (c’est du reste une passation de témoin puisque Gens, plus jeune, jouait Iphigénie). En attendant, la tessiture ne lui pose manifestement aucun problème et il semble que le naturel fasse le reste, y compris quand la désacralisation voulue par Tcherniakov en vient à la concerner et qu’elle passe l’une de ses colères sur la literie.
L’Iphigénie nouvelle génération, donc, c’est Corinne Winters incarnant ici une princesse à peine sortie de l’adolescence, idée qui colle plutôt bien avec la ligne de conduite « fermement décidée à se résigner » du personnage. La diction sent un peu l’effort, au début la plupart des nasales tombent à côté, cela s’améliore par la suite et, sachant l’exercice d’endurance qui lui est réservé (enchainer les deux pièces avec une heure et demie de pause entre les deux), il est difficile de lui en vouloir pour quelques flottements sur ce point.
Le bouillant Achille, bouillant Achille, bouillant Achille est ici une vraie tête à claques, ce qui constitue une proposition viable pour faire passer les rodomontades, le côté possessif et les débordements de mansplaining que le texte attribue au personnage. Alasdair Kent a donc la tête de l’emploi tout en étant, globalement, bien chantant (avec des aigus clairs et sans détimbrage). En Agamemnon, Russel Brown m’a en revanche semblé pâtir d’un large vibrato et donne une interprétation un peu univoquement furibonde d’un personnage qui passe pourtant par la plus large palette d’émotions contradictoires de toute la pièce. Le Calchas en costard, raide et à lunettes incarné par Nicolas Cavallier m’a immédiatement fait penser à… Erich Honecker (mais avec la barbiche d’Ulbricht). Ce qui, en l’occurrence, va bien au personnage… Quant aux deux petits rôles de « confidents » (Arcas et Patrocle), le fait que personne n’ait pris le temps de leur faire corriger des accents à couper au couteau dans leurs quelques phrases m’interroge, ont-ils été castés au dernier moment ou est-ce le retour de la mauvaise habitude de ne pas soigner les rôles les plus secondaires ?
Petite note personnelle pour, disons : Lydia Steier. Quand on fait apparaître sur scène le rêve ou la pensée d’un personnage, ou quand on se plie à l’exercice de l’air (monologue) qui représente la convention la plus élémentaire du genre tragique : même fait sobrement, ça marche et on comprend. Donc pas besoin d’en faire des tonnes avec du sur-jeu et des lumières verdâtres comme pour une apparition de zombies dans un film Hammer. Merci de votre attention.
Et donc, même s’il n’y a pas de quoi crier au génie,
cette première partie de la soirée déroule une narration efficace qui ne nécessite pas d’étudier la note d’intention du programme pour tenter de sortir de la perplexité, ce qui devrait être le minimum. Bien-sûr, la relative austérité du plateau et le dispositif concentrant l’action dans une succession de petits espaces font que cela passe plutôt bien par l’intermédiaire d’une captation privilégiant les plans moyens et les gros plans, j’imagine que le spectacle pouvait être franchement frustrant pour les spectateurs au fond de la salle (le théâtre de Provence n’étant pas petit…).
Le tout est soutenu par un orchestre qui (par le truchement de l’enregistrement tout au moins) m’a paru riche en couleurs et aux moyens expressifs conséquents, animé par une cheffe (Emmanuelle Haïm) qui ne semble pas éprouver la moindre difficulté à se fondre dans la langue de Gluck alors que ce n’est habituellement pas son répertoire.
J’aurais assez aimé, pour le coup, l’entendre dans toute la partition ; cependant j’imagine que c’est la longueur cumulée des deux pièces associées en une seule soirée qui a motivé la coupure du « divertissement » du deuxième acte (ballet, un air chanté et un chœur à la gloire de Chichille), ainsi que le choix de ne pas donner le ballet final. Pour sa propre réalisation sur le même principe (avec Véronique Gens en Iphigénie, mais uniquement pour la première partie), Pierre Audi avait fait à peu près les mêmes suppressions comme en atteste la captation disponible en DVD.
Néanmoins, puisque l’on découvre au tomber de rideau que le metteur en scène a visiblement décidé de ne pas y aller de main morte sur la dénonciation de la guerre de Troie censément intercalée entre les deux ouvrages (avec le mot GUERRE projeté en gros caractères), peut-être une solution moins artificielle et faisant honneur à la plume de Gluck aurait-elle été de jouer le surprenant chœur final proposé par la partition en appendice « après le troisième acte » (et même après la passacaille finale traditionnelle si l’on fait référence aux conventions du genre). Ce chœur bref et franchement sinistre (« Volons à la victoire », rustique unisson des voix et de l’orchestre accompagné seulement par les timbales) évacue tout ce que le « finale traditionnel » portait d’optimisme de convention. Ramenant au premier plan la seule intention présente depuis le début et portée bien plus par un « peuple » revanchard que par le roi, à savoir aller casser du troyen, ce surprenant appendice semble désamorcer tout le potentiel propagandiste des dizaines de joyeux départs pour la guerre dont le répertoire (antérieur comme postérieur) regorge. Et lu sous l’angle intemporel et donc transposable à l’infini de Tcherniakov, il aurait fait plus froid dans le dos que n’importe-quel procédé extérieur au texte original, à mon humble avis (de chat). Mais bon.
Et donc, la guerre de Troie aura lieu pendant que je dors, et je vous donne rendez-vous sous peu pour la suite.
Livret de François-Louis Gand Le Bland du Roullet
Musique de Christoph Willibald Gluck
Direction musicale d’Emmanuelle Haïm
Mise en scène de Dimitri Tcherniakov
Aix-en-Provence, juillet 2024 (streaming Arte Concert)
Quand on est un chat qui tente d’être raisonnable et de mettre des sous de côté, c’est dommage quand une nouvelle production d’œuvres correspondant particulièrement au goût des chats (du moins de certains chats), bien que plusieurs fois repoussée, tombe l’année où le chat doit économiser. Et donc, ce chat, de regarder faute de mieux la diffusion d’Arte, heureusement sur une télé assez grande et non sur l’ordinateur.
Et par ailleurs, ce chat qui s’avère être moi-même (comment aviez-vous deviné ?) n’a pas reproduit l’expérience des vrais spectateurs qui ont eu droit aux deux pièces dans la même soirée (donc Iphigénie en Tauride en deuxième partie), parce que sur écran cela fatigue plus vite ; par ailleurs, pour mieux se réveiller au milieu de la nuit, ce genre de chat se couche tôt. Le deuxième volet sera donc pour plus tard, et je ne m’exprimerai qu’à ce moment sur la part de l’exercice consistant, pour l’équipe artistique, à relier les deux tragédies.
En attendant, sans rien révolutionner, cette première Iphigénie (dans tous les sens du terme puisque, par ailleurs, elle devance également l’autre dans la carrière parisienne de Gluck) se laisse à mon sens agréablement regarder, en raison de son caractère de sobriété efficace : sans attrait visuel particulier, ce spectacle cohérent sert le texte avec fluidité.
Certes Tcherniakov désacralise le propos en expurgeant pratiquement la scène de tout attribut de la royauté, puis (spoiler alert !) évacue le premier degré de l’apparition finale de Diane en l’assimilant à un rêve d’Agamemnon tandis que la « vraie » Iphigénie vient en fait tout juste d’arriver ; ce seront là les deux seules entorses à la lettre, qui ne mettent pas en danger la compréhension du drame.
En Clytemnestre, Véronique Gens est d’ailleurs la seule à recevoir des tenues à l’esprit un peu plus aristocratiques – qui ne font qu’entériner l’aisance dramatique habituelle de l’interprète dans ce type de personnage (c’est du reste une passation de témoin puisque Gens, plus jeune, jouait Iphigénie). En attendant, la tessiture ne lui pose manifestement aucun problème et il semble que le naturel fasse le reste, y compris quand la désacralisation voulue par Tcherniakov en vient à la concerner et qu’elle passe l’une de ses colères sur la literie.
L’Iphigénie nouvelle génération, donc, c’est Corinne Winters incarnant ici une princesse à peine sortie de l’adolescence, idée qui colle plutôt bien avec la ligne de conduite « fermement décidée à se résigner » du personnage. La diction sent un peu l’effort, au début la plupart des nasales tombent à côté, cela s’améliore par la suite et, sachant l’exercice d’endurance qui lui est réservé (enchainer les deux pièces avec une heure et demie de pause entre les deux), il est difficile de lui en vouloir pour quelques flottements sur ce point.
Le bouillant Achille, bouillant Achille, bouillant Achille est ici une vraie tête à claques, ce qui constitue une proposition viable pour faire passer les rodomontades, le côté possessif et les débordements de mansplaining que le texte attribue au personnage. Alasdair Kent a donc la tête de l’emploi tout en étant, globalement, bien chantant (avec des aigus clairs et sans détimbrage). En Agamemnon, Russel Brown m’a en revanche semblé pâtir d’un large vibrato et donne une interprétation un peu univoquement furibonde d’un personnage qui passe pourtant par la plus large palette d’émotions contradictoires de toute la pièce. Le Calchas en costard, raide et à lunettes incarné par Nicolas Cavallier m’a immédiatement fait penser à… Erich Honecker (mais avec la barbiche d’Ulbricht). Ce qui, en l’occurrence, va bien au personnage… Quant aux deux petits rôles de « confidents » (Arcas et Patrocle), le fait que personne n’ait pris le temps de leur faire corriger des accents à couper au couteau dans leurs quelques phrases m’interroge, ont-ils été castés au dernier moment ou est-ce le retour de la mauvaise habitude de ne pas soigner les rôles les plus secondaires ?
Petite note personnelle pour, disons : Lydia Steier. Quand on fait apparaître sur scène le rêve ou la pensée d’un personnage, ou quand on se plie à l’exercice de l’air (monologue) qui représente la convention la plus élémentaire du genre tragique : même fait sobrement, ça marche et on comprend. Donc pas besoin d’en faire des tonnes avec du sur-jeu et des lumières verdâtres comme pour une apparition de zombies dans un film Hammer. Merci de votre attention.
Et donc, même s’il n’y a pas de quoi crier au génie,
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Le tout est soutenu par un orchestre qui (par le truchement de l’enregistrement tout au moins) m’a paru riche en couleurs et aux moyens expressifs conséquents, animé par une cheffe (Emmanuelle Haïm) qui ne semble pas éprouver la moindre difficulté à se fondre dans la langue de Gluck alors que ce n’est habituellement pas son répertoire.
J’aurais assez aimé, pour le coup, l’entendre dans toute la partition ; cependant j’imagine que c’est la longueur cumulée des deux pièces associées en une seule soirée qui a motivé la coupure du « divertissement » du deuxième acte (ballet, un air chanté et un chœur à la gloire de Chichille), ainsi que le choix de ne pas donner le ballet final. Pour sa propre réalisation sur le même principe (avec Véronique Gens en Iphigénie, mais uniquement pour la première partie), Pierre Audi avait fait à peu près les mêmes suppressions comme en atteste la captation disponible en DVD.
Néanmoins, puisque l’on découvre au tomber de rideau que le metteur en scène a visiblement décidé de ne pas y aller de main morte sur la dénonciation de la guerre de Troie censément intercalée entre les deux ouvrages (avec le mot GUERRE projeté en gros caractères), peut-être une solution moins artificielle et faisant honneur à la plume de Gluck aurait-elle été de jouer le surprenant chœur final proposé par la partition en appendice « après le troisième acte » (et même après la passacaille finale traditionnelle si l’on fait référence aux conventions du genre). Ce chœur bref et franchement sinistre (« Volons à la victoire », rustique unisson des voix et de l’orchestre accompagné seulement par les timbales) évacue tout ce que le « finale traditionnel » portait d’optimisme de convention. Ramenant au premier plan la seule intention présente depuis le début et portée bien plus par un « peuple » revanchard que par le roi, à savoir aller casser du troyen, ce surprenant appendice semble désamorcer tout le potentiel propagandiste des dizaines de joyeux départs pour la guerre dont le répertoire (antérieur comme postérieur) regorge. Et lu sous l’angle intemporel et donc transposable à l’infini de Tcherniakov, il aurait fait plus froid dans le dos que n’importe-quel procédé extérieur au texte original, à mon humble avis (de chat). Mais bon.
Et donc, la guerre de Troie aura lieu pendant que je dors, et je vous donne rendez-vous sous peu pour la suite.
Vous ne pouvez pas consulter les pièces jointes insérées à ce message.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil
Re: Opéra et théâtre lyrique
Et alors? Qu'as-tu pensé de la mise en scène de Tcherniakov après avoir vu Iphigénie en Tauride? Pour ma part, j'ai trouvé l'ensemble remarquable d'intelligence, comme toujours, légèrement décevant sur le plan esthétique, très prenant dans ses analyses psychologiques approfondies (avec un Oreste particulièrement bien caractérisé) et questionnable sur le plan politique, mais bref : il faut envisager les deux volets du diptyque pour s'en faire une idée correcte, me semble-t-il.
Sur le plan vocal, j'ai détesté l'Achille d'Alasdair Kent mais en te lisant, je me dis que je devrais lui redonner une chance.
Je vais essayer de revenir un peu sur Lydia Steier : tu la démolis avec tant de jubilation que ça m'a donné envie de la défendre (Donquichottisme ou esprit de contradiction? Va savoir. )
Sinon, je suis allée écouter la "recréation" de la cinquième Symphonie de Mahler par Philipp von Steinaecker et le Mahler Academy Orchestra à la Philharmonie, et c'était passionnant. J'en dirai un mot un peu plus tard ; je ne sais pas si je peux le faire dans ce fil ou s'il y a un sujet dédié à la musique orchestrale.
Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)
- Tamiri
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Re: Opéra et théâtre lyrique
IPHIGENIE II : LE RETOUR DE L’ULTIME VENGEANCE FINALE
Même équipe artistique que l’épisode 1 et même endroit, c’est-à-dire : dans ma télé.
Oui, et donc effectivement, même si en pratique j’ai coupé la soirée en deux, c’est un tout cohérent. Et pour tout dire j’ai préféré la deuxième partie et donc je valide l’ensemble. Je ne reviens pas sur la concession faite à la complétude de la partition (coupe des ballets), nécessaire pour faire tenir le tout dans une seule soirée.
Du reste la pause de quelques jours que j’ai prise entre les deux visionnages ne doit pas avoir été beaucoup plus déstabilisante que la longue coupure proposée aux spectateurs « live », si l’on imagine que l’on serait alors alléˑe casser la croûte par exemple, ce qui constitue nécessairement un retour à la réalité la plus prosaïque, sauf à vouloir pousser la synesthésie jusqu’à se trouver un repas d’une intensité émotionnelle atridienne.
Ce n’est d’ailleurs qu’en rapport avec cette pause de grand format que l’on comprend le but de ces statistiques guerrières projetées sur le rideau. Les téléspectateurs qui regarderont la captation d’Arte d’un seul tenant pourront y voir une explication de texte lourdingue censée remettre les pendules à l’heure pour quiconque ignorerait encore que la Guerre de Troie, pas plus que les conflits antérieurs et postérieurs, n’a pas été une opération militaire spéciale propre et nette et encore moins une partie de plaisir. Qu’ils se disent dans ce cas que cette projection n’est tout simplement pas pour eux, mais plutôt pour le festivalier qui vient de pique-niquer et qu’il faut replonger rapidement dans la brutalité du sujet.
Et donc, au début de la Tauride on aurait pu se demander pourquoi l’on renonce au déplacement géographique induit ne serait-ce que par les deux titres, et donc à l’exil de l’anti-héroïne : problème en fait vite résolu, car la nouvelle unité de lieu – tout se passe dans le palais du début, désormais sombre et glacial – constitue un exil immobile à mon sens bien plus terrible au milieu des ombres et des ruines. A cette initiative près, cette seconde partie (en réalité constituée, donc, d’une seconde pièce qui n’était initialement pas du tout prévue pour faire suite à la première) est traitée d’une manière à la fois littérale et réduite à l’essentiel. Avec la fascination que j’ai personnellement pour la déclamation lyrique selon Gluck et ses associés et ma familiarité avec les vers de cette tragédie, je ne remercierai jamais assez le metteur en scène d’avoir ici assumé son rôle de passeur et de conteur.
Et si l’allusion aux guerres contemporaines est certes une facilité dont je puis comprendre qu’elle fasse hausser quelques épaules, j’apprécie en revanche qu’il ne nous soit pas servie une énième variation sur le dossier Pylade + Oreste. En l’occurrence, la version bourrue d’une « amitié virile » où l’on n’hésite pas à se donner des coups de poings et à se livrer à un concours d’héroïsme constitue en elle-même une toxicité auto-entretenue qu’il me semble de nos jours beaucoup plus urgent d’interroger que, mettons, une homosexualité qui, heureusement, ne dérangerait plus grand-monde. Et donc, c’est très bien vu.
Cette peinture d’un après-guerre sans le début d’un espoir de reconstruction, ce peuple de mendiants, de soldats traumatisés aux corps parcourus de spasmes, ces regards perdus errant dans le squelette d’un palais, tout cela m’a entrainéˑe dans un degré de terreur presque absolue parce que presque réaliste. Le rituel coloré, outrancier, les gesticulations du troisième acte de l’Aulide, qui ne semblaient avoir aucun intérêt au premier abord, deviennent alors la réminiscence, préalable au cauchemar, d’une première vie, plus futile et absurde qu’heureuse.
Ah oui, au fait, autre difficulté potentielle contournée avec une insolente simplicité : l’absurdité et le degré d’aliénation censément produit par la guerre contemporaine sur les individus parviennent même à éviter que l’on ne s’appesantisse sur la question de cohérence centrale (si personne ne croit Iphigénie sacrifiée*, comment expliquer les meurtres d’Agamemnon et de Clytemnestre ?), puisque dans le contexte de la transposition, le pire ne surprend même plus.
Et donc, au final, c’est en faisant confiance au texte (surtout celui de la Tauride) plutôt que d’accumuler les nœuds au cerveau, que l’on compose un spectacle hautement lisible, prenant. Que je ne recommanderais certes pas à qui veut en avoir plein les yeux ou à qui recherche plus de réflexion que d’émotion, mais qui embarquera sans problème les gens qui n’aiment rien tant que de se faire raconter des histoires. Et donc, à certains chats.
Les interprètes maintenant : au final, mes appréhensions quant à la technique autrefois assez sommaire d’Emmanuelle Haïm s’avèrent heureusement inutiles. La mise en place est sans problème, la variété des couleurs et des allures est bel-et-bien là et le geste quelque-peu anguleux de la cheffe n’affecte apparemment pas la souplesse du phrasé.
Si l’épreuve d’endurance est à l’évidence un exploit notable, je reste sur ma réserve en ce qui concerne Corine Winters qui, face à la tessiture différente, à l’écriture plus dense et plus dramatique tant dans la musique que dans les vers caractérisant la Tauride, semble notablement moins à l’aise, avec une telle dégradation de la diction que je me demande vraiment ce que les spectateurs d’Aix ont bien pu comprendre. En revanche la captation d’Arte dont le cadrage plus serré ne pardonne rien met parfaitement en valeur la présence et la crédibilité scénique sans faille – la direction d’acteurs de Tcherniakov étant d’ailleurs, comme à son habitude, franchement télégénique.
Pylade tout en force par Stanislas de Barbeyrac, à la diction également pâteuse (mais pas autant que Winters), pas agréable à entendre quand on a messieurs Beuron et Alagna dans l’oreille, lesquels auraient été probablement moins convaincants dans l’approche ici choisie du personnage, donc comme pour Winters, on n’entendra pas spécialement bien déclamer les vers mais l’incarnation prend aux tripes. Florian Sempey (Oreste) et Alexandre Duhamel (Thoas) déroulent un français beaucoup plus naturel tout en jouant les personnages les plus ravagés nerveusement et physiquement, voici qui impose le respect. Dans le petit rôle de la prêtresse, Laura Jarell, qui n’a certes rien à jouer qui relève des mêmes extrémités expressives de ses collègues, fait entendre une ligne de chant et une déclamation fantastiques.
Au total, donc, en considérant l’ensemble : une bien belle (et bien terrifiante) soirée que je regrette bien d’avoir manquée, même si Corine Winters, l’héroïne du moment, n’a pas totalement réussi le pari.
__________________
* Précisions à toutes fins utiles qu’Iphigénie en Aulide, par une concession au modèle antérieur de la tragédie lyrique, possède un « presque happy-end » dans lequel Iphigénie et Achille se marient (mais sont censés partir à la guerre dans la foulée).
Même équipe artistique que l’épisode 1 et même endroit, c’est-à-dire : dans ma télé.
Oui, et donc effectivement, même si en pratique j’ai coupé la soirée en deux, c’est un tout cohérent. Et pour tout dire j’ai préféré la deuxième partie et donc je valide l’ensemble. Je ne reviens pas sur la concession faite à la complétude de la partition (coupe des ballets), nécessaire pour faire tenir le tout dans une seule soirée.
Du reste la pause de quelques jours que j’ai prise entre les deux visionnages ne doit pas avoir été beaucoup plus déstabilisante que la longue coupure proposée aux spectateurs « live », si l’on imagine que l’on serait alors alléˑe casser la croûte par exemple, ce qui constitue nécessairement un retour à la réalité la plus prosaïque, sauf à vouloir pousser la synesthésie jusqu’à se trouver un repas d’une intensité émotionnelle atridienne.
Ce n’est d’ailleurs qu’en rapport avec cette pause de grand format que l’on comprend le but de ces statistiques guerrières projetées sur le rideau. Les téléspectateurs qui regarderont la captation d’Arte d’un seul tenant pourront y voir une explication de texte lourdingue censée remettre les pendules à l’heure pour quiconque ignorerait encore que la Guerre de Troie, pas plus que les conflits antérieurs et postérieurs, n’a pas été une opération militaire spéciale propre et nette et encore moins une partie de plaisir. Qu’ils se disent dans ce cas que cette projection n’est tout simplement pas pour eux, mais plutôt pour le festivalier qui vient de pique-niquer et qu’il faut replonger rapidement dans la brutalité du sujet.
Et donc, au début de la Tauride on aurait pu se demander pourquoi l’on renonce au déplacement géographique induit ne serait-ce que par les deux titres, et donc à l’exil de l’anti-héroïne : problème en fait vite résolu, car la nouvelle unité de lieu – tout se passe dans le palais du début, désormais sombre et glacial – constitue un exil immobile à mon sens bien plus terrible au milieu des ombres et des ruines. A cette initiative près, cette seconde partie (en réalité constituée, donc, d’une seconde pièce qui n’était initialement pas du tout prévue pour faire suite à la première) est traitée d’une manière à la fois littérale et réduite à l’essentiel. Avec la fascination que j’ai personnellement pour la déclamation lyrique selon Gluck et ses associés et ma familiarité avec les vers de cette tragédie, je ne remercierai jamais assez le metteur en scène d’avoir ici assumé son rôle de passeur et de conteur.
Et si l’allusion aux guerres contemporaines est certes une facilité dont je puis comprendre qu’elle fasse hausser quelques épaules, j’apprécie en revanche qu’il ne nous soit pas servie une énième variation sur le dossier Pylade + Oreste. En l’occurrence, la version bourrue d’une « amitié virile » où l’on n’hésite pas à se donner des coups de poings et à se livrer à un concours d’héroïsme constitue en elle-même une toxicité auto-entretenue qu’il me semble de nos jours beaucoup plus urgent d’interroger que, mettons, une homosexualité qui, heureusement, ne dérangerait plus grand-monde. Et donc, c’est très bien vu.
Cette peinture d’un après-guerre sans le début d’un espoir de reconstruction, ce peuple de mendiants, de soldats traumatisés aux corps parcourus de spasmes, ces regards perdus errant dans le squelette d’un palais, tout cela m’a entrainéˑe dans un degré de terreur presque absolue parce que presque réaliste. Le rituel coloré, outrancier, les gesticulations du troisième acte de l’Aulide, qui ne semblaient avoir aucun intérêt au premier abord, deviennent alors la réminiscence, préalable au cauchemar, d’une première vie, plus futile et absurde qu’heureuse.
Ah oui, au fait, autre difficulté potentielle contournée avec une insolente simplicité : l’absurdité et le degré d’aliénation censément produit par la guerre contemporaine sur les individus parviennent même à éviter que l’on ne s’appesantisse sur la question de cohérence centrale (si personne ne croit Iphigénie sacrifiée*, comment expliquer les meurtres d’Agamemnon et de Clytemnestre ?), puisque dans le contexte de la transposition, le pire ne surprend même plus.
Et donc, au final, c’est en faisant confiance au texte (surtout celui de la Tauride) plutôt que d’accumuler les nœuds au cerveau, que l’on compose un spectacle hautement lisible, prenant. Que je ne recommanderais certes pas à qui veut en avoir plein les yeux ou à qui recherche plus de réflexion que d’émotion, mais qui embarquera sans problème les gens qui n’aiment rien tant que de se faire raconter des histoires. Et donc, à certains chats.
Les interprètes maintenant : au final, mes appréhensions quant à la technique autrefois assez sommaire d’Emmanuelle Haïm s’avèrent heureusement inutiles. La mise en place est sans problème, la variété des couleurs et des allures est bel-et-bien là et le geste quelque-peu anguleux de la cheffe n’affecte apparemment pas la souplesse du phrasé.
Si l’épreuve d’endurance est à l’évidence un exploit notable, je reste sur ma réserve en ce qui concerne Corine Winters qui, face à la tessiture différente, à l’écriture plus dense et plus dramatique tant dans la musique que dans les vers caractérisant la Tauride, semble notablement moins à l’aise, avec une telle dégradation de la diction que je me demande vraiment ce que les spectateurs d’Aix ont bien pu comprendre. En revanche la captation d’Arte dont le cadrage plus serré ne pardonne rien met parfaitement en valeur la présence et la crédibilité scénique sans faille – la direction d’acteurs de Tcherniakov étant d’ailleurs, comme à son habitude, franchement télégénique.
Pylade tout en force par Stanislas de Barbeyrac, à la diction également pâteuse (mais pas autant que Winters), pas agréable à entendre quand on a messieurs Beuron et Alagna dans l’oreille, lesquels auraient été probablement moins convaincants dans l’approche ici choisie du personnage, donc comme pour Winters, on n’entendra pas spécialement bien déclamer les vers mais l’incarnation prend aux tripes. Florian Sempey (Oreste) et Alexandre Duhamel (Thoas) déroulent un français beaucoup plus naturel tout en jouant les personnages les plus ravagés nerveusement et physiquement, voici qui impose le respect. Dans le petit rôle de la prêtresse, Laura Jarell, qui n’a certes rien à jouer qui relève des mêmes extrémités expressives de ses collègues, fait entendre une ligne de chant et une déclamation fantastiques.
Au total, donc, en considérant l’ensemble : une bien belle (et bien terrifiante) soirée que je regrette bien d’avoir manquée, même si Corine Winters, l’héroïne du moment, n’a pas totalement réussi le pari.
__________________
* Précisions à toutes fins utiles qu’Iphigénie en Aulide, par une concession au modèle antérieur de la tragédie lyrique, possède un « presque happy-end » dans lequel Iphigénie et Achille se marient (mais sont censés partir à la guerre dans la foulée).
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil
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Re: Opéra et théâtre lyrique
LES BRIGANDS
Livret de Ludovic Halévy et Henri Meilhac
Musique de Jacques Offenbach (version 1869)
Direction musicale de Stefano Montanari
Mise en scène de Barrie Kosky
Paris, opéra Garnier, 27 septembre 2024
Trois points généraux à signaler d’emblée avant d’en venir au détail :
1. Sur le plan vocal, la prestation de Marcel Beekman me casse les oreilles, à peu près autant que dans sa récente prestation en Platée (dans le disque dirigé par William Christie, reflet d’un spectacle de Robert Carsen). Voix outrancièrement nasalisée et attaques systématiques des notes par le bas : Beekman coasse dans le rôle de Falsacappa comme dans celui de la grenouille de Rameau. La seule excuse envisageable pourrait être l’ambigüité sexuelle, puisque d’une part Platée est une grenouille femelle jouée par un ténor, et que d’autre part le metteur en scène Barrie Kosky a choisi de faire de Falsacappa un sosie de la drag-queen Divine, égérie du cinéaste John Waters. Sauf que c’est le seul point commun et que je ne vois pas en quoi Divine devrait coasser, et que par ailleurs même dans Platée, surjouer vocalement est déjà une aberration puisque le décalage de tessiture ainsi que les assonances du livret se chargent du côté batracien du personnage. De sorte que les grands interprètes modernes du rôle (Michel Sénéchal, Paul Agnew…) n’ont jamais eu besoin d’enlaidir leur voix pour être drôles…
2. Toujours sur le plan auditif : le chef Stefano Montanari, ce 27 septembre (troisième représentation du spectacle) n’aura pas passé un seul ensemble ou chœur sans qu’interviennent des décalages entre l’orchestre et le plateau. Nul besoin de connaître la partition pour s’en rendre compte en particulier dans les passages vifs et rythmés – or ceux-ci abondent dans cette pièce. Les ensembles un peu complexes, avec chant simultané du chœur et de plusieurs solistes, étant l’une des signatures de l’opéra français, ne pas savoir les gérer est plus que regrettable dans ce répertoire. Pour le reste, l’orchestre sonne vif, précis, riche de timbres, donc c’est dommage.
3. Enfin remarque d’ensemble : l’un des principes de base de l’œuvre comme de nombreuses autres est de faire la satire du monde « contemporain » sous les traits d’un sujet « historique ». Certaines allusions figurent dans les parties versifiées et chantées et ne peuvent donc plus être actualisées (par exemple la référence au lobbying espagnol autour de l’impératrice Eugénie), il est donc loisible d’arranger les parties dialoguées pour remplacer certaines références datées par de nouvelles. Sauf que : le principe reste l’allusion ou l’anachronisme, non la référence directe. Or, ici, Antonio Cuenca Ruiz, l’adaptateur des dialogues, s’asseoit dessus et ne cesse de nommer Barnier, Hidalgo, les JO ou la RATP, avec pour conséquence que tout sent le réchauffé.
Et donc, si l’un de ces trois points vous semble rédhibitoire, fuyez ce spectacle. Dans le cas contraire, à peu près tout le reste est admirable.
Et d’abord la réalisation exemplaire de Barrie Kosky, mise en place virtuose qui organise une anarchie apparente et réaliste, et donc en réalité absolument millimétrée, à chaque apparition de la horde foutraque des brigands. On retrouve même une gestion très Jacques Tati des groupes dans lesquels tout le monde parle en même temps et où se détachent quelques mots précisément choisis par-dessus le borborygme de fond. Le plateau est fréquemment surpeuplé sans jamais que la confusion ne s’installe, et surtout les parties dialoguées parviennent à un équilibre rare : aucune perte de rythme et ce faisant aucune impression de surcharge ni de précipitation, en bonne partie justement grâce à cette gestion des voix de « la foule », mais aussi des profils vocaux individualisés (ton, timbre et débit). Et donc, même s’il serait franchement pénible dans un disque, Marcel Beekman tient bien son rôle, personnage extravagant autant que chefˑfe de bande légèrement dépassé par les événements.
L’une des caractéristiques de l’œuvre étant la pléthore de petits rôles chantants, la distribution ressemble à un luxueux catalogue parmi lesquels se bousculent plusieurs spécialistes reconnus d’opéra français (Yann Beuron, Laurent Naouri, Philippe Talbot, Eric Huchet…) auxquels se joignent plusieurs autres gosiers illustres mais moins associés à ce répertoire (Doris Lamprecht, Adriana Bignagni Lesca…), des gens que l’on a recrutés pour chanter un air au maximum, pour les mieux lotis. Autant dire que l’Opéra de Paris met les petits plats dans les grands pour ce retour d’une pièce relativement rare et qui n’avait pas résonné dans les murs de l’institution depuis trente ans (et qui n’avait d’ailleurs jamais été jouée à Garnier puisque la précédente production avait pris place à Bastille).
Aux côtés de Beekman, Antoinette Denenfeld (Fragoletto) et Marie Perbost (Fiorella) assument le jeu très appuyé demandé par Kosky sans dommage pour leurs parties chantées, preuve que cela n’est pas une fatalité ; la triomphatrice de la soirée restera pour moi Dennefeld parfaitement à l’aise d’un bout à l’autre de la tessiture. Perbost, en revanche, passe un peu à côté de son air d’entrée. Admettons que l’exercice n’est pas facile, il faut alors se lancer dès l’entrée en scène, dans ce personnage archétypal d’aventurière romantique que le compositeur campe comme il se doit au moyen d’un air vigoureux avec cors, bois et chœur masculin.
Des trois principaux groupes sociaux – brigands, espagnols et italiens, les deux premiers offrent l’occasion au metteur en scène de donner dans le grand spectacle, avec le concours de la costumière Victoria Behr qui n’a pas économisé les effets. Les tableaux avec les brigands sont, on l’a dit, joyeusement foutraques puisque Kosky les a voulus queer, décalés, maladroits et débonnaires. Leurs allusions fréquentes à la géographie parisienne (et leur incapacité à envisager le reste du monde, puisque pour eux, pour aller en Italie, on se rend Place d’Italie…) en font manifestement les français de l’histoire, ce à quoi répond leur comportement querelleur et braillard qui semble clairement sorti du village d’Astérix. Les espagnols, au contraire raides et cassants, composent un somptueux tableau de Velasquez avec procession de crucifix et robes à paniers. Les italiens écopent d’un cliché moins spectaculaire visuellement, costumes XXe siècle entre La dolce vita et Le Parrain dans un palais baroque décrépit.
En dépit de tous les partis-pris (très) interventionnistes, la narration reste parfaitement intelligible, à une exception près : la séquence initiale de l’enlèvement des jeunes filles par Falsacappa déguisé en ermite est illisible. La lecture du synopsis distribué aux spectateurs m’en a donné ultérieurement la clef (connaissant déjà l’œuvre, je n’avais pas pris la peine de le lire) : Barrie Kosky a décidé que cette séquence n’était qu’un simulacre, un jeu de rôles auquel se livrent les brigands pour passer le temps. Accordons-lui cette unique sortie de route : un petit écart n’est pas grand-chose quand d’autres prennent un malin plaisir à composer des spectacles ne suscitant que perplexité pour qui n’a pas lu leur note d’intention…
Pour le reste, et malgré l’intrigue elle-même compliquée à l’envi et multipliant les déguisements, c’est la lisibilité qui l’emporte.
A voir, donc, en espérant aussi que les problèmes de calage entre la fosse et le plateau seront résolus lors des prochaines représentations. Une seconde série est prévue en juin 2025 avec un autre chef, Michele Spotti, qui y mettra peut-être plus d’ordre.
Livret de Ludovic Halévy et Henri Meilhac
Musique de Jacques Offenbach (version 1869)
Direction musicale de Stefano Montanari
Mise en scène de Barrie Kosky
Paris, opéra Garnier, 27 septembre 2024
Trois points généraux à signaler d’emblée avant d’en venir au détail :
1. Sur le plan vocal, la prestation de Marcel Beekman me casse les oreilles, à peu près autant que dans sa récente prestation en Platée (dans le disque dirigé par William Christie, reflet d’un spectacle de Robert Carsen). Voix outrancièrement nasalisée et attaques systématiques des notes par le bas : Beekman coasse dans le rôle de Falsacappa comme dans celui de la grenouille de Rameau. La seule excuse envisageable pourrait être l’ambigüité sexuelle, puisque d’une part Platée est une grenouille femelle jouée par un ténor, et que d’autre part le metteur en scène Barrie Kosky a choisi de faire de Falsacappa un sosie de la drag-queen Divine, égérie du cinéaste John Waters. Sauf que c’est le seul point commun et que je ne vois pas en quoi Divine devrait coasser, et que par ailleurs même dans Platée, surjouer vocalement est déjà une aberration puisque le décalage de tessiture ainsi que les assonances du livret se chargent du côté batracien du personnage. De sorte que les grands interprètes modernes du rôle (Michel Sénéchal, Paul Agnew…) n’ont jamais eu besoin d’enlaidir leur voix pour être drôles…
2. Toujours sur le plan auditif : le chef Stefano Montanari, ce 27 septembre (troisième représentation du spectacle) n’aura pas passé un seul ensemble ou chœur sans qu’interviennent des décalages entre l’orchestre et le plateau. Nul besoin de connaître la partition pour s’en rendre compte en particulier dans les passages vifs et rythmés – or ceux-ci abondent dans cette pièce. Les ensembles un peu complexes, avec chant simultané du chœur et de plusieurs solistes, étant l’une des signatures de l’opéra français, ne pas savoir les gérer est plus que regrettable dans ce répertoire. Pour le reste, l’orchestre sonne vif, précis, riche de timbres, donc c’est dommage.
3. Enfin remarque d’ensemble : l’un des principes de base de l’œuvre comme de nombreuses autres est de faire la satire du monde « contemporain » sous les traits d’un sujet « historique ». Certaines allusions figurent dans les parties versifiées et chantées et ne peuvent donc plus être actualisées (par exemple la référence au lobbying espagnol autour de l’impératrice Eugénie), il est donc loisible d’arranger les parties dialoguées pour remplacer certaines références datées par de nouvelles. Sauf que : le principe reste l’allusion ou l’anachronisme, non la référence directe. Or, ici, Antonio Cuenca Ruiz, l’adaptateur des dialogues, s’asseoit dessus et ne cesse de nommer Barnier, Hidalgo, les JO ou la RATP, avec pour conséquence que tout sent le réchauffé.
Et donc, si l’un de ces trois points vous semble rédhibitoire, fuyez ce spectacle. Dans le cas contraire, à peu près tout le reste est admirable.
Et d’abord la réalisation exemplaire de Barrie Kosky, mise en place virtuose qui organise une anarchie apparente et réaliste, et donc en réalité absolument millimétrée, à chaque apparition de la horde foutraque des brigands. On retrouve même une gestion très Jacques Tati des groupes dans lesquels tout le monde parle en même temps et où se détachent quelques mots précisément choisis par-dessus le borborygme de fond. Le plateau est fréquemment surpeuplé sans jamais que la confusion ne s’installe, et surtout les parties dialoguées parviennent à un équilibre rare : aucune perte de rythme et ce faisant aucune impression de surcharge ni de précipitation, en bonne partie justement grâce à cette gestion des voix de « la foule », mais aussi des profils vocaux individualisés (ton, timbre et débit). Et donc, même s’il serait franchement pénible dans un disque, Marcel Beekman tient bien son rôle, personnage extravagant autant que chefˑfe de bande légèrement dépassé par les événements.
L’une des caractéristiques de l’œuvre étant la pléthore de petits rôles chantants, la distribution ressemble à un luxueux catalogue parmi lesquels se bousculent plusieurs spécialistes reconnus d’opéra français (Yann Beuron, Laurent Naouri, Philippe Talbot, Eric Huchet…) auxquels se joignent plusieurs autres gosiers illustres mais moins associés à ce répertoire (Doris Lamprecht, Adriana Bignagni Lesca…), des gens que l’on a recrutés pour chanter un air au maximum, pour les mieux lotis. Autant dire que l’Opéra de Paris met les petits plats dans les grands pour ce retour d’une pièce relativement rare et qui n’avait pas résonné dans les murs de l’institution depuis trente ans (et qui n’avait d’ailleurs jamais été jouée à Garnier puisque la précédente production avait pris place à Bastille).
Aux côtés de Beekman, Antoinette Denenfeld (Fragoletto) et Marie Perbost (Fiorella) assument le jeu très appuyé demandé par Kosky sans dommage pour leurs parties chantées, preuve que cela n’est pas une fatalité ; la triomphatrice de la soirée restera pour moi Dennefeld parfaitement à l’aise d’un bout à l’autre de la tessiture. Perbost, en revanche, passe un peu à côté de son air d’entrée. Admettons que l’exercice n’est pas facile, il faut alors se lancer dès l’entrée en scène, dans ce personnage archétypal d’aventurière romantique que le compositeur campe comme il se doit au moyen d’un air vigoureux avec cors, bois et chœur masculin.
Des trois principaux groupes sociaux – brigands, espagnols et italiens, les deux premiers offrent l’occasion au metteur en scène de donner dans le grand spectacle, avec le concours de la costumière Victoria Behr qui n’a pas économisé les effets. Les tableaux avec les brigands sont, on l’a dit, joyeusement foutraques puisque Kosky les a voulus queer, décalés, maladroits et débonnaires. Leurs allusions fréquentes à la géographie parisienne (et leur incapacité à envisager le reste du monde, puisque pour eux, pour aller en Italie, on se rend Place d’Italie…) en font manifestement les français de l’histoire, ce à quoi répond leur comportement querelleur et braillard qui semble clairement sorti du village d’Astérix. Les espagnols, au contraire raides et cassants, composent un somptueux tableau de Velasquez avec procession de crucifix et robes à paniers. Les italiens écopent d’un cliché moins spectaculaire visuellement, costumes XXe siècle entre La dolce vita et Le Parrain dans un palais baroque décrépit.
En dépit de tous les partis-pris (très) interventionnistes, la narration reste parfaitement intelligible, à une exception près : la séquence initiale de l’enlèvement des jeunes filles par Falsacappa déguisé en ermite est illisible. La lecture du synopsis distribué aux spectateurs m’en a donné ultérieurement la clef (connaissant déjà l’œuvre, je n’avais pas pris la peine de le lire) : Barrie Kosky a décidé que cette séquence n’était qu’un simulacre, un jeu de rôles auquel se livrent les brigands pour passer le temps. Accordons-lui cette unique sortie de route : un petit écart n’est pas grand-chose quand d’autres prennent un malin plaisir à composer des spectacles ne suscitant que perplexité pour qui n’a pas lu leur note d’intention…
Pour le reste, et malgré l’intrigue elle-même compliquée à l’envi et multipliant les déguisements, c’est la lisibilité qui l’emporte.
A voir, donc, en espérant aussi que les problèmes de calage entre la fosse et le plateau seront résolus lors des prochaines représentations. Une seconde série est prévue en juin 2025 avec un autre chef, Michele Spotti, qui y mettra peut-être plus d’ordre.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Ah, c'est intéressant : je n'ai pas compris la mise en scène comme toi, ou du moins, pas totalement.
Plus important.
Là j'ai perçu la même chose que toi (ouf) et je suis d'accord : la masculinité toxique étant l'un des grands thèmes de la mise en scène, il était logique qu'elle touche le seul couple un peu solide de l'histoire ; on pourrait discuter, d'un autre côté, sur la représentation d'Achille, assez attendue en termes d'ambiguïté de genre. En revanche, je ne crois pas que la relation Oreste-Pylade, pour être brutale, en soit nécessairement moins amoureuse (je parie que Tcherniakov a lu Genet) mais c'est sans importance. La façon dont les deux hommes partent ensemble à la fin en laissant Iphigénie au milieu du désastre m'a bien dérangée. Quant à la passation du flambeau de victime sacrificielle entre la grande sœur et le petit frère, elle m'a paru intelligemment traitée.
Pour le reste, je suis d'accord avec toi donc je n'ergoterai pas.
Je n'avais pas pensé à ce rôle possible de piqure de rappel pour spectateurs en goguette. C'est ingénieux et plausible : de mon côté j'y avais plutôt vu une forme de maniérisme du metteur en scène (on avait un procédé assez similaire de données chiffrées terrifiantes dans la Tétralogie) mais ça ne m'avait pas dérangée, j'aime les maniérismes.
Plus important.
Ah bon? Heureusement que tu es intelligent.e, parce que je n'avais pas compris, moi. Bien entendu, c'est globalement la même structure, transformée en squelette phosphorescent très réussi, mais je pensais que le second décor se situait en Tauride où les survivants du conflit étaient allés porter leurs névroses, cauchemars et autres stress post-traumatiques. Là encore, j'avais en tête une autre mise en scène de Tcherniakov, le diptyque des Troyens où la seconde partie montrait des rescapés dans un hôpital psychiatrique. Comme quoi, remettre mon cerveau à jour de temps en temps pour ne pas appliquer la même grille de lecture à toutes les productions d'un artiste serait sans doute une bonne idée.
Tamiri a écrit : ↑lun. 30 sept. 2024 15:58 j’apprécie en revanche qu’il ne nous soit pas servie une énième variation sur le dossier Pylade + Oreste. En l’occurrence, la version bourrue d’une « amitié virile » où l’on n’hésite pas à se donner des coups de poings et à se livrer à un concours d’héroïsme constitue en elle-même une toxicité auto-entretenue qu’il me semble de nos jours beaucoup plus urgent d’interroger que, mettons, une homosexualité qui, heureusement, ne dérangerait plus grand-monde. Et donc, c’est très bien vu.
Là j'ai perçu la même chose que toi (ouf) et je suis d'accord : la masculinité toxique étant l'un des grands thèmes de la mise en scène, il était logique qu'elle touche le seul couple un peu solide de l'histoire ; on pourrait discuter, d'un autre côté, sur la représentation d'Achille, assez attendue en termes d'ambiguïté de genre. En revanche, je ne crois pas que la relation Oreste-Pylade, pour être brutale, en soit nécessairement moins amoureuse (je parie que Tcherniakov a lu Genet) mais c'est sans importance. La façon dont les deux hommes partent ensemble à la fin en laissant Iphigénie au milieu du désastre m'a bien dérangée. Quant à la passation du flambeau de victime sacrificielle entre la grande sœur et le petit frère, elle m'a paru intelligemment traitée.
Pour le reste, je suis d'accord avec toi donc je n'ergoterai pas.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
Je n’affirme pas, je suppose en allant au plus simple vu que c’est la même architecture. Peut-être que la similarité des formes n’est que dans la tête et les cauchemars des protagonistes, ça fonctionnerait effectivement aussi bien.Judith a écrit : ↑mar. 1 oct. 2024 17:10Ah bon? Heureusement que tu es intelligent.e, parce que je n'avais pas compris, moi. Bien entendu, c'est globalement la même structure, transformée en squelette phosphorescent très réussi, mais je pensais que le second décor se situait en Tauride où les survivants du conflit étaient allés porter leurs névroses, cauchemars et autres stress post-traumatiques. Là encore, j'avais en tête une autre mise en scène de Tcherniakov, le diptyque des Troyens où la seconde partie montrait des rescapés dans un hôpital psychiatrique. Comme quoi, remettre mon cerveau à jour de temps en temps pour ne pas appliquer la même grille de lecture à toutes les productions d'un artiste serait sans doute une bonne idée.
Achille, je ne lui trouve pas d’ambiguïté spécifique, quand on considère la première dès eux tragédies dans sa position « normale » de pièce autonome ; dans l’Aulide c’est littéralement un amant héroïque à l’engagement un peu univoque qui va casser la figure à quiconque s’en prendra à Iphigénie, et que l’on loue essentiellement pour ses qualités guerrières comme dans le chœur (ici coupé) figurant dans le divertissement du deuxième acte.
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N’empêche qu’il resterait lisible au premier degré, je me souviens d’avoir lu quelque-part (sans retrouver où) que lors de la première, de jeunes hommes debout au parterre, enthousiasmés par le personnage, auraient tiré leur épée pour « encourager » Achille. Rétrospectivement conforme, donc, à la plus connue de ses incarnations lyriques Combattant un contre mille, un contre mille, un contre mille.
En conséquence, je trouve que la version « masculinité toxique » lui va tout à fait et désamorce toute velléité d’identification de la part de spectateurs raisonnables (ou alors ceux qui continueraient de le trouver sympathique seraient des masculinistes incurables). Or, dans le cas présent, je ne me souviens pas que Tcherniakov le fasse clairement sortir de ce côté tête-à-claques plein de suffisance. Cette lecture du personnage aurait été tout aussi intéressante dans une production traditionnelle de l’Aulide seule, sous réserve d’accepter de jouer l’ambiguïté du happy-end.
En l’occurrence il n’y a pas encore de sujet dédié au domaine symphonique, on peut le créer mais en ce qui me concerne je n’aurai pas d’occasions fréquentes d’y contribuer, ce n’est pas / plus très important dans mes propres centres d’intérêt. Il y a un sujet « musique classique » qui, à l’image du concept même, est nécessairement un fourre-tout (http://adulte-surdoue.fr/viewtopic.php?t=27), et d’autre part j’imagine que du répertoire symphonique a été évoqué ailleurs dans des fils thématiques, par exemple celui des musiques de films dès lors que l’on y évoque des Hans Zimmer, James Horner et autres John Williams…Judith a écrit : ↑ven. 27 sept. 2024 13:47Sinon, je suis allée écouter la "recréation" de la cinquième Symphonie de Mahler par Philipp von Steinaecker et le Mahler Academy Orchestra à la Philharmonie, et c'était passionnant. J'en dirai un mot un peu plus tard ; je ne sais pas si je peux le faire dans ce fil ou s'il y a un sujet dédié à la musique orchestrale.
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Re: Opéra et théâtre lyrique
J'ai dû mal m'exprimer. Il n'y a pas d'ambiguïté concernant Achille dans le livret de l'opéra ni dans la musique. Mais dans la mise en scène de Tcherniakov, j'ai l'impression qu'il y en a une. Ses vêtements rose, sa coiffure apprêtée, ses déhanchements (ce que Le Monde appelle joliment son "jeu de hanches et de pelvis" ), son dégoût manifeste lors des deux baisers et même lors de tout contact physique avec Iphigénie m'ont paru conférer au personnage un profil légèrement queer, ou même camp, vu les clichés et le mauvais goût assez nettement revendiqués. Et vu le public visé, qui est censé connaître son Iliade (enfin, vaguement) et donc associer la vie amoureuse d'Achille à Patrocle et non à Iphigénie, le tout me paraît faire sens.
Je surinterprète peut-être les intentions du metteur en scène et du chanteur, mais si comme je le pense Achille a un profil queer, cela ne l'empêche nullement d'être un parfait exemple de masculinité toxique comme tu l'as bien développé. On pourrait même ajouter qu'en épousant une jeune fille pour des raisons politiques alors qu'il aime un homme, il participe à une forme de violence patriarcale et se rend complice d'un des aspects du "sacrifice" d'Iphigénie.
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Merci de me le rappeler, Mahler y trouvera mieux sa place qu'ici.
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