Des bribes de poésie

Avatar de l’utilisateur
GraineDeNana
Messages : 1888
Inscription : sam. 4 déc. 2021 07:52
Présentation : http://adulte-surdoue.fr/viewtopic.php? ... 66#p349066
Profil : En questionnement
Test : NON
Localisation : 51 allée Georges Perec
Âge : 51

Re: Des bribes de poésie

Message par GraineDeNana »

Un extrait des Châtiments de Victor Hugo, le souvenir de ce grand classique m'a doublement traversée ce matin, suite à la lecture du fil Ukraine du Monde (et un peu suite à l'ambiance actuelle du forum ? :clin: ).
► Afficher le texte
.


L'Expiation.

I
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre :
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours ! la froide bise
Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sur le ciel noir.
La solitude, vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense linceul ;
Et, chacun se sentant mourir, on était seul.
– Sortira-t-on jamais de ce funèbre empire ?
Deux ennemis ! le Czar, le Nord. Le Nord est pire.
On jetait les canons pour brûler les affûts.
Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
Ils fuyaient ; le désert dévorait le cortège.
On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régiments s’étaient endormis là.
Ô chutes d’Annibal ! Lendemains d’Attila !
Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,
On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières.
On s’endormait dix mille, on se réveillait cent.
Ney, que suivait naguère une armée, à présent
S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques.
Toutes les nuits, qui vive ! alerte ! assauts ! attaques !
Ces fantômes prenaient leurs fusils, et sur eux
Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,
Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,
D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves.
Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.
L’empereur était là, debout, qui regardait.
Il était comme un arbre en proie à la cognée.
Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée,
Le malheur, bûcheron sinistre, était monté ;
Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,
Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
Il regardait tomber autour de lui ses branches.
Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour.
Tandis qu’environnant sa tente avec amour,
Voyant son ombre aller et venir sur la toile,
Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile,
Accusaient le destin de lèse-majesté,
Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté.
Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
L’empereur se tourna vers Dieu ; l’homme de gloire
Trembla ; Napoléon comprit qu’il expiait
Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la neige semées :
– Est-ce le châtiment ? dit-il, Dieu des armées ? –
Alors il s’entendit appeler par son nom
Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit : Non.
Quand on arrive au monde, la vie est déjà commencée. C'est pour ça qu'on ne comprend rien à l'histoire.
Natacha de Pontcharra

Avatar de l’utilisateur
Miss souris
Messages : 4972
Inscription : jeu. 7 janv. 2016 16:20
Présentation : http://adulte-surdoue.fr/presentations/ ... t7027.html
Profil : En questionnement
Test : NON
Localisation : Les pieds au sud la tête à l'ouest ...
Âge : 52

Re: Des bribes de poésie

Message par Miss souris »

Je ne connaissais pas ce fil...merci à tous pour le voyage, et merci Graine de l'avoir ressorti des limbes.

En ligne
Avatar de l’utilisateur
Judith
Messages : 1319
Inscription : lun. 26 déc. 2022 11:07
Profil : Bilan +
Test : WAIS

Re: Des bribes de poésie

Message par Judith »

GraineDeNana a écrit : mar. 8 août 2023 08:49 et un peu suite à l'ambiance actuelle du forum ?
Rhohh, tu crois que c'est à ce point? 8o Remarque, tu as peut-être raison. :D
J'ignorais ce fil moi aussi. Je te relaie avec tout autre chose, en lien tout de même avec la Russie puisqu'il s'agit d'un poème d'Ossip Mandelstam (dans la traduction de Philippe Jacottet).
► Afficher le texte
Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)

Avatar de l’utilisateur
Fu
Messages : 2344
Inscription : dim. 4 févr. 2018 21:54
Présentation : viewtopic.php?f=9&t=9137
Profil : Bilan +
Test : WAIS

Re: Des bribes de poésie

Message par Fu »

Je ne vois pas le rapport entre le forum et ce (beau) texte de Hugo : où sont les carcasses de chevaux, les collines enneigées, les fûts de canons jetés, les compagnons morts de froid dans leur sommeil ? :blond:

En ligne
Avatar de l’utilisateur
Judith
Messages : 1319
Inscription : lun. 26 déc. 2022 11:07
Profil : Bilan +
Test : WAIS

Re: Des bribes de poésie

Message par Judith »

Ah, je me suis posé la question aussi, et puis j'ai pensé avoir trouvé un rapport (d'où ma réponse). J'attends l'explication de @GraineDeNana pour voir si j'avais raison ou non. C'est amusant, j'ai peut-être perçu tout autre chose que ce qu'elle a voulu signifier par ce rapprochement.
Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)

Répondre