Épisode spécial Noël : mes trois (et demie) idées pour les fêtes.
La petite boutique des horreurs
Musique d'Alan Menken (nouvelle version avec orchestre établie par Arthur Lavandier)
Livret d'Alain Marcel d'après Howard Ashman
Mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq
Direction musicale de Maxime Pascal
Paris, Opéra-Comique
Dernières représentations samedi 24 et dimanche 25 décembre et il reste des places. Viiiiite !
Festive, cette histoire de plante carnivore (et surtout anthropophage), liée par un pacte faustien avec un fleuriste ? Oui puisqu'il s'agit en l'occurrence d'un humour noir servi par une partition multicolore. L'œuvre est d'un presque illustre inconnu, Alan Menken, compositeur de nombre des films à succès du studio Disney depuis la fin des années 1980 et toujours actif de nos jours (notoirement :
La petite sirène, La Belle et la Bête, Aladdin, pardonnez du peu). Premier succès de Menken,
La petite boutique a fait des débuts aussi remarqués que formellement modestes (dans une toute petite salle à New-York, avec un orchestre réduit à quatre instruments !) avant de donner lieu à une adaptation filmée (par Frank Oz). La version scénique reste rare de notre côté de l'Atlantique. Cette nouvelle production de l'Opéra-Comique, reprenant un livret français conçu pour la première parisienne de 1986, est la plus ambitieuse à ce jour - avec orchestre, ballet et figuration, le compositeur ayant veillé lui-même à ce que l'ensemble conserve toutefois des proportions en accord avec son projet de départ.
Inspiré d'un petit film de Roger Corman, le livret d'origine situe l'intrigue au milieu du vingtième siècle et la partition de Menken est un brillant pastiche de styles évoquant ces décennies, empruntant au folklore juif, à l'opérette européenne, mais surtout à toutes les déclinaisons des musiques afro-américaines jusqu’aux années 1960 ; elle caractérise de plus chaque personnage par un style propre, des Trois Grâces évoquant les groupes vocaux féminins de l’après-guerre à l'extravagant Scrivello, le dentiste cinglé qui chante et se déhanche comme Elvis Presley.
Le spectacle de Valérie Lesort et Christian Hecq (habitués de la maison) assume un parti historicisant sans chercher à réinventer la roue, mais soigne particulièrement la lisibilité tout en ménageant nombre de petits gags visuels. Contrairement à leurs initiatives précédentes sur
Le Domino noir et
Ercole Amante (mais plutôt dans l'esprit de la récente
Périchole), ils n'ont donc pas appuyé outre-mesure ce qui, dans le livret, pourrait avoir vieilli (la caricature du commerçant juif) ou au contraire gagné une modernité fortuite (le sous-texte potentiellement écologique), laissant à chacun le soin d'y penser par la suite - de toutes façons, il y a fort à parier que d'autres metteurs en scène s'empresseront de le faire un jour, à charge pour eux d'éviter la lourdeur...
Autre habitué de la maison, le chef Maxime Pascal sert aux chanteurs un écrin sonore coloré, nostalgique et avec tout l'allant qu'il faut. Dans les deux rôles principaux, Marc Mauillon (Seymour) et Judith Fa (Audrey), jouent fort bien les naïfs - le premier, plus familier du répertoire baroque, est ici un amoureux aussi lunaire que possible. Les voix sont resplendissantes dans les parties chantées souvent acrobatiques qui leurs sont réservées. Aucune faiblesse dans les autres rôles avec une mention spéciale aux Trois Grâces (de fait, trois pipelettes du quartier qui font office de chœur antique) : Sofia Mountassir, Laura Nanou, Anissa Brahmi, à la fois fines musiciennes et confidentes du public.
Il faut enfin rendre hommage à la marionnettiste Carole Allemand et à l'équipe de manipulateurs qui donnent vie à "Audrey II", la plante au centre de l'histoire, personnage à part entière.
Lors de la représentation à laquelle j'assistai, Daniel Njo-Lobé (somptueuse basse, en charge de la voix de la plante ainsi que de plusieurs petits rôles), donna en bis
"Il en faut peu pour être heureux" du
Livre de la Jungle - il faut dire qu'il en est l'un des doubleurs francophones historiques. Un petit bonus avant de repartir dans le froid de la semaine dernière.
42nd Street
Musique de Harry Warren
Livret de Al Dubin
Mise en scène de Stephen Mear
Direction musicale de Gareth Valentine
Paris, Théâtre du Châtelet, jusqu'au 14 janvier. Attention, ça se remplit vite... dans cette salle où beaucoup de places ont une mauvaise visibilité, être mal placé est ennuyeux pour ce spectacle très visuel.
En attendant que le Châtelet retrouve une direction artistique stable et un brin de cohérence, cette brillante production de 2016 revient, et c'est toujours un plaisir. Voir mon ancien commentaire à dérouler ci-dessous.
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Tamiri a écrit : ↑dim. 15 oct. 2017 20:26
42nd Street au Châtelet, décembre 2016
Musique : Harry Warren
Livret : Al Dubin
Mise en scène : Stephen Mear
Direction musicale : Gareth Valentine
C'est le retour d'une partie de l'équipe qui avait fait l'excellent
Chantons sous la pluie l'année précédente, à ceci près que le chorégraphe, auparavant dans l'ombre d'une star de la mise en scène (Robert Carsen) est désormais seul aux commandes.
La filiation avec Carsen est assez claire : Stephen Mear sait assurer le spectacle sans jamais trop en faire, et la mise en abyme dont Carsen est le champion fonctionne ici à plein puisque c'est de toutes façons le propos de l'oeuvre elle-même. Les moyens sont souvent simples mais d'une efficacité imparable et d'une folle intelligence. La toute première image - le rideau qui s'entrouvre pour ne laisser apparaître que les pieds d'une horde de danseurs de claquettes - possède d'ailleurs une force d'évocation telle qu'à la représentation à laquelle j'assistais, des applaudissements ont salué immédiatement cette vision avant même le début de l'histoire. Pendant la fraction de seconde qui a précédé ces applaudissements, la salle a été parcourue de ce bruissement indescriptible, de ce "aaah" d'admiration muet des moments de magie qu'on ne ressent qu'au théâtre. Reste, également, que cette débauche de numéros de claquettes n'est pas un divertissement écervelé : la crise de 1929 est constamment présente à l'esprit, la frontière ténue entre gloire et misère est l'un des moteurs de la pièce, et le finale mettant en avant la solitude du metteur en scène est un des moments les plus forts de la mise en abyme.
C'est un vrai plaisir de retrouver ce chef anglais jusque-là inconnu sous nos cieux : avec une formation réduite aux proportions d'un big-band de jazz agrémenté de quelques instruments classiques (l'orchestre de
Chantons sous la pluie
était une formation symphonique complète), Gareth Valentine remplit littéralement la salle d'un déluge de sonorités charnues tout en gardant une précision et un mordant remarquables. Personnage principal, chanté autant que dansé, Monique Young affronte crânement un rôle absolument écrasant, certes un peu aidée par une légère amplification, mais tout de même... Tout ceci concourt à une lecture sans-doute spécifiquement européenne, un peu plus opératique sur le plan musical, que les productions américaines récentes (il suffit d'écouter les disques pour s'en faire une idée) mais qui fait école, puisque les spectacles du Châtelet, à leur tour, franchissent l'Atlantique...
Et je me réjouis de retrouver la reprise de
Chantons sous la pluie cet hiver, même si le Grand Palais n'offrira pas le confort acoustique d'un vrai théâtre...
Seuls "rescapés" pour cette reprise, le chef Gareth Valentine et le baryton Alexander Hanson (rôle de Julian Marsh), ce dernier vraisemblablement en petite forme ce 21 décembre (ce sont des choses qui arrivent). Commençons par ce qui fâche (un peu) : Emily Langham (Peggy Sawyer) et surtout Jack North (Billy Lawlor) n’éclipseront pas Monique Young et à Dan Burton, les triomphateurs de 2016. La première principalement sur le plan vocal, son timbre parlé et son chant un peu raide n'étant pas tout-à-fait à la hauteur du rôle ; on supposera que le second était dans un mauvais jour : danseur efficace mais moins aérien, et chanteur à la peine, quand la voix de Burton semblait ignorer la fatigue...
Ces réserves restent toutefois peu de choses devant l'ampleur et le luxe déployé tout au long de ce spectacle, où on en prend plein les yeux mais aussi plein les oreilles (quand Gareth Valentine "lâche les chevaux" d'un pupitre de cuivres somptueux : le bonheur est aussi dans la fosse). À (re)voir sans trop d'hésitation.
Le Roi Lion
Musique de Elton John et Hans Zimmer
Livret de Stéphane Laporte d'après l'original anglais (version parisienne de 2009)
Direction musicale de Dominique Trottein
Mise en scène de Julie Taymor
Paris, Théâtre Mogador. Pas d'inquiétude, le spectacle reste encore pendant plusieurs mois...
Il fallait une certaine confiance, à la fin des années 1990, pour réserver sa place pour une adaptation d'un film Disney, tant il pouvait être à craindre qu'il ne s'agisse que d'une énième gesticulation à base de costumes façon Disneyland, Holliday on ice ou Chantal Goya. La comédie musicale américaine traditionnelle, alors au creux de la vague, trouvait là contre toute attente une forme de renaissance et l'œuvre connut un succès mérité. Finalement, la recette fonctionne toujours à merveille en ce qu'elle aura probablement constitué l'initiation d'une bonne quantité de spectateurs néophytes attirés au départ par la référence à un grand succès cinématographique. Et les habitués un temps inquiets de voir Elton John à l'affiche, de se laisser agréablement surprendre par une vraie partition de théâtre musical intégrant certes les chansons du film dans une œuvre lyrique parfaitement autonome, avec la contribution de Hans Zimmer (auteur des musiques de fond du film) pour donner tout le lyrisme nécessaire, et de quelques autres compositeurs pour faire swinger les numéros chantés ou dansés.
C'est toujours la production initiale, quoique révisée, qui sert de base au spectacle parisien de cette année, confirmant la justesse de l'approche de Julie Taymor, qui refuse d'emblée de "déguiser" ses acteurs en animaux - il faut dire que la manière dont on pouvait jouer
Chantecler ou
Cats il y a cinquante ou cent ans risquerait de nos jours fortement de ressembler à une plaisanterie involontaire, la faute, justement, au style qui fait le quotidien des figurants de Disneyland...
Pour ma part, je ne connaissais alors du travail de Julie Taymor que son
Œdipus Rex (Stavinski) dans sa version filmée et m'attendais donc tout à fait à retrouver son usage des extensions et autres prothèses ainsi que ses inspirations plastiques venues des "arts premiers", je ne suis donc pas en terrain inconnu, mais il s'y ajoute cette fois un recours spectaculaire à la marionnette contemporaine. De toutes tailles et de toutes natures, mais toujours manipulées à vue sans parti-pris illusionniste, pour évoquer d'une part une partie de la faune africaine et d'autre-part les personnages cartoonesques : Timon et Pumba ainsi que les trois hyènes. Le parti de ne réduire aucun comédien à l'imitation relève finalement, pour nos sensibilités de 2022, d'une approche étonnamment respectueuse des autres espèces, et assure ainsi probablement une remarquable espérance de vie à cette proposition scénique qui ne cède en outre jamais à la tentation du gadget technologique et exploite plutôt tout le registre des moyens scénographiques conventionnels (la perspective forcée du tableau de la charge des gnous ne déparerait pas dans un théâtre baroque).
Pour parvenir à tenir une aussi longue série de représentations, à l'ancienne (on joue le même spectacle presque tous les jours tant qu'il y a du public), comme du temps des troupes permanentes mais dans les conditions économiques actuelles, des concessions ont été nécessaires, et c'est l'orchestre qui a été sacrifié : on joue ici une réduction pour deux claviers électroniques auxquels s'ajoute une poignée d'instruments, seul le pupitre de percussions semble conservé dans son intégralité. Réduction de qualité toutefois, aidée par une amplification parfaitement réalisée qui évite constamment que cela ne sonne trop étriqué ; ce sont tout de même les quelques pages purement symphoniques, au premier rang desquels la charge des gnous, qui souffrent de la raideur des sonorités de synthèse remplaçant les
tutti. Réserve mineure toutefois car le chef Dominique Trottein, dirigeant entre autres les percussionnistes répartis au-dessus de la fosse dans les loges d'avant-scène (!) assure une précision irréprochable et ne laisse jamais la tension retomber.
Sur le plan vocal, ce soir de novembre, ces messieurs n'étaient pas forcément au meilleur de leur forme - j'attendais beaucoup d'Olivier Breitman (Scar), dont la diction parfaite est un régal dans les dialogues, mais curieusement en retrait dans ses parties chantées. Gwendal Marimoutou (Simba adulte) ne me laisse pas un souvenir impérissable ; Noah Ndema (Mufasa), gagnerait à soigner prononciation et projection (mais la présence en scène est indéniable). Triomphe des dames, donc. Avec Ntsepa Pitjeng-Molebatsi (Rafiki) à laquelle revient la célèbre phrase introductive en zoulou (avec toute l'autorité nécessaire) ainsi que bien d'autres passages non francophones lancés avec puissance et assurance - ce qui, pour le coup, rattrape quelques moments dialogués peu compréhensibles. Et surtout : Lynn Mancel (Nala adulte), voix somptueuse en tous points, timbre chaud et riche, à coller des frissons.
Et voilà pourquoi "trois et demie" :
L'Auberge du Cheval Blanc
Musique de Ralph Benatzky
Livret de Lucien Besnard et René Dorin d'après l'original allemand
Mise en scène de Gilles Rico
Direction musicale de Didier Benetti
Opéra de Marseille : jusqu'au 4 janvier.
Parce que ça me faisait envie mais que je n'irai pas, faute d'avoir su m'organiser (et contraintes perso qui font que cette année le nombre de déplacements est réduit, je voulais aussi voir le nouveau cycle Wagner à Berlin et me contente finalement de la télé). En revanche quelqu'un de ma connaissance ira et nous livrera peut-être quelques impressions.
Cette production arrive de l'Opéra de Lausanne avec une réputation flatteuse. Gilles Rico semble avoir transposé l'ensemble dans les années 1930 (époque de création de l'œuvre qui, selon le livret, se situe en revanche du temps de l'Empire Austro-hongrois). Cela devrait bien aller avec la salle Arts-déco de Marseille (c'est aussi le cas à Lausanne), et donc, je pourrais espérer une venue au Théâtre des Champs-Elysées, si c'était là le critère...
S'agissant de l'œuvre, alternant les clichés folkloriques, le swing du Berlin des années 1930 et la crème fouettée des opérettes viennoises, la version française ici retenue rajoute une composante marseillaise bien kitsch. Ah oui, et c'est garanti sans foulage de neurone.