L'Egalité

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Lem
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Re: L'Egalité

Message par Lem »

Bonjour,

c'est difficile d'arriver au débotté dans une discussion sur un sujet si vaste mais de ce que j'ai pu lire, je suis globalement assez d'accord avec chaoucas sur sa dernière intervention.
Dans la pratique, égalité et liberté sont des termes en partie contradictoires et pour une part incompatibles.

S'il y a égalité en droit, alors faire un cas particulier dans la législation pour garantir une forme d'égalité économique vient attaquer cette égalité en droit (tout le monde n'est pas traité de la même manière).
Récemment, l'actualité s'est fait écho d'une amende salée payée par un richissime finlandais. Là bas, les amendes sont proportionnées au revenu: est-ce juste ou injuste? Ce n'est pas à moi de juger, seulement on voit bien que c'est un arbitrage différent entre égalité de droit et égalité économique.

De même, la liberté a pour effet que les trajectoires individuelles partent dans tous les sens: garantir la liberté semble aller à l'encontre d'une égalité économique (les pays qui insistent prioritairement sur la notion de liberté, comme les Etats-Unis d'Amérique, ont de fait des niveaux d'inégalité plus élevés; à l'inverse, un pays comme la Suède, bien que très en avance sur des questions sociétales ou de moeurs, est plutôt plus contraignant économiquement et est globalement moins inégalitaire).

Si on suit René Girard (je me réfère à ce que j'ai lu dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, assez inbuvable sur la forme mais passionnant sur le fond) et son analyse du désir mimétique, liberté et égalité sont intimement liées et opposées dans leur nature. D'après Girard en effet, le désir est avant tout mimétique, c'est-à-dire que c'est en grande partie le désir attaché à un objet qui rend celui-ci désirable (René Girard pose même que le désir est systématiquement mimétique et que l'objet du désir n'est en fait jamais recherché pour lui-même, mais pour le désir qu'il éveille chez l'autre; personnellement, je trouve cette position de Girard intenable, il faut bien que le désir naisse quelque part; son analyse est à mon avis plus pertinente en considérant que ce n'est qu'une des composantes du désir).
Si on sort de la position extrême de Girard, je vais souvent vouloir telle chose parce que d'autres l'ont, au moins en partie (effet "mode", curiosité du neuf...). Cette mécanique du désir est d'ailleurs tout à fait compatible avec la fixation des prix comme résultat de l'offre et de la demande: "ce que je désire est d'autant plus précieux qu'il est désiré par d'autres". Du coup si la liberté est le fait de poursuivre ses propres désirs indépendamment de l'autre et l'égalité le fait d'avoir accès chacun aux mêmes choses. L'égalité se comprend alors comme une "liberté d'abolir la liberté de l'autre", en lui déniant un accès particulier à certaines choses. Liberté et égalité ainsi comprises, poussées à leur extrême, s'entredévorent.

Faire cohabiter liberté et égalité dans la même devise suppose donc de renoncer à avoir l'idéal de chaque côté: la liberté est limitée et l'égalité l'est aussi. Sur le plan économique, j'ai ainsi l'impression que l'égalité en droit vise moins à limiter les inégalités qu'à essayer de garantir un minimum vital à chacun. De fait, les droits qui sont défendus ne sont pas tant des droits monétaires que des droits fondamentaux (nourriture, logement, éducation, santé...) auxquels on estime que chacun devrait avoir droit (et même si c'est encore perfectible, on n'est pas si mal loti que ça en France). Aller beaucoup au-delà reviendrait à sacrifier une partie de la liberté de chacun pour accroître l'égalité économique.

Liberté et égalité en perpétuelle tension, c'est le choix de la devise française. Les fondateurs de la devises étaient bien conscients des enjeux, et c'est pour donner du liant à ces deux termes incompatibles que sont l'égalité et la liberté, que le dernier terme de la devise, la fraternité, pourtant souvent oubliée dans la devise, est essentielle. Sans elle, pas de différence qui puisse n'apparaître comme une injustice. La fraternité appelle à un dépassement de ce qui peut paraître emprisonnement pour les uns, injustice pour les autres dans les limitations de la liberté et de l'égalité respectivement, pour tenter de faire société quand même, et de manière apaisée. Ca ne veut pas dire toute accepter, mais accepter qu'il y ait une certaine limite aux deux.

Toute limite n'est d'ailleurs pas illégitime: par exemple, la loi contraint à ne pas tuer et les impôts fixés sont plus que proportionnels aux revenus, faits qui contreviennent à la liberté et à l'égalité de tous devant la loi. Liberté et égalité ne sont pas, je pense, évoqués comme des absolus à atteindre, mais comme un compromis à trouver.

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