Passionnant
J'ai le même handicap et en effet "rien n'y fait". Je l'explique ainsi: en écoutant de la musique, je "vois" dans mon esprit des vibrations, surtout sur des notes qui m'évoquent une émotion, elles font un peu comme une pierre dans l'eau: des ondes divergentes, et ça "trouble" ma sensation du rythme, chaque onde ralentit/accélère la sensation. Et je suis incapable de reprendre les repères indépendants de mes émotions.
Pour jouer je me mets en mode demi émotion, je ne sens pas tout, 70 pour cent de mon attention est dans un mouvement métronomique à la noire (à la croche c'est plus compliqué à suivre, question de visualisation écrite en quelque sorte). Par exemple danser en jouant, hanches ou jambe, quelque chose qui fasse repère.
Ca devient beaucoup plus complexe (mais je préfère aussi, étrangement) en jouant des musiques syncopées, genre le funk, les repères rythmiques ne peuvent pas vraiment être le temps, donc un peu comme la clave en salsa, je choisis une pulsation basée sur un leitmotiv plus que le bête temps métronomique. Autrement plus complexe, mais aussi plus simple pour "se laisser aller" puisqu'on n'a pas à traduire la pensée "écrite" en "feeling": on est déjà dans un feeling. Le temps est plus théorique, ça demande souvent une traduction (en musiques syncopées).
Parfois il m'arrive d'imaginer/jouer dans ma tête le coup sur le temps, ça aide aussi. (à penser comme une ghost note par exemple, étouffé/silence, un indice dans ton esprit mais pas envoyé vers tes mains pour le "sonoriser", ça devient une danse intérieure, un jeu en parallèle))
Exemple: même sur un reggae j'ai le pouce qui vient buter sur la basse de l'accord un temps sur deux, mauvaise habitude en groupe, faut apprendre à la "taire" mais bien pratique en solo: tu perds pas le temps et tu suggères la basse.
Ce qui sera le plus difficile dans ce cadre c'est de passer d'un feeling rythmique à un autre, par exemple binaire en ternaire, ou 3/4 en 4/4 (ou simplement un rythme d'accompagnement très différent) tout en gardant le tempo.
Mais je me rends compte aussi que l'obsession du tempo métronomique n'est pas baroque ou classique en soi: c'est lié aux musiques modernes aussi. Les tempos variaient souvent selon feeling avant. Rien n'est perdu à soi de trouver son équilibre (en s'enregistrant pour entendre quand nos feelings nous trompent trop par exemple).
Et pour un solo vraiment lâché: ben faut un groupe derrière sinon je perds le tempo ou la carrure presqu' à chaque coup (genre solo en solo... et hop un temps qui saute, et hop un temps de plus). Grossièrement le temps est dans tes hanches ou ton ventre, c'est encore ce qui fonctionne le mieux si jamais. La locomotive intérieure qui égrène des notes sur son passage, mais va plus vite que les ronds dans l'eau.
Si ça te parle
Je pense qu'en fait la manière d'avoir appris/pensé la musique joue beaucoup. l'aller retour en gratte/basse et son coup vers le bas considéré comme un repère essentiel par exemple, ou la musique écrite contre la musique orale (les trucs percussifs afrique/afro cubains par exemple)? Qu'on l'ait "pensée" avant d'apprendre à "danser" ou l'inverse etc.
Et éventuellement une sensibilité plus mélodique/harmonique que rythmique, aussi. Tout ça doit jouer dans ce handicap. Sorte de mauvaise habitude/mauvaise conception, ou en tout cas pas adaptée à tout style de musique.
Edit: Petit conseil supplémentaire si tu as pas testé, c'est travailler quelques temps un instrument totalement différent, par exemple un vent. Dans les solutions pas chères et qui offrent des pertes de repères extrêmes disons l'harmonica (tu inspires ou aspires en jouant: le "haut/bas" du médiator ne vaut plus rien, et les notes des vents sont soufflées, pas percussives, ça s'attaque vraiment différemment) ou le didgeridoo (mêmes raisons, si tu travailles des trucs rythmiques avec le souffle continu: ton haut/bas ne sert plus à rien). Enfin, ça aide à beaucoup de choses tester d'autres instruments (trompette, flute, clavier, MAO/mixage etc.).
Et/ou des beufs de percus en ensembles, par exemple tu prends la clave et tu attends que le feeling remplace la pensée, puis tu écoutes chaque percu une à une tout en tenant ta clave: excellent exercice. Très loin d'être facile, mais simpliste à souhait
Dans ce genre d'exercice, tu peux aussi demander à chacun d'arrêter de jouer une mesure ou deux et tu chantes leur partie (en onomatopées) tout en jouant ta clave: monstrueux comme effort d'attention. Mais si tu y arrives un jour, le rythme devrait poser moins de blèmes ^^
Dans les livres, "le rythme" de Daniel Goyone est pas mal du tout, beaucoup d'exercices très simples pour solidifier et progressif ad infinitum. (genre main gauche temps, main droite contretemps, chacun sur une cuisse, et tu chantes que des notes précises: 1 "
et" 2 et "
3" et "
4 et", et tu fais toutes les possibilités à tempo croissant, puis en changeant les mains etc. puis en rajoutant des accents ( 1 "
et" 2 et "
3" et "
4 et" ) beaucoup plus efficace quotidiennement que les exercices compliqués genre binaire une main, ternaire une autre main... à faire bien plus tard, sinon ça ne développe pas autant la conscience et l'attention que l'automatisme: c'est pas ce que tu veux)