Je boue intérieurement depuis ce matin, en cherchant désespéremment un moment pour écrire une réponse structurée, et maintenant que je trouve enfin le temps, beaucoup de choses ont été dites, mais tant mieux, ça met de l'eau à mon moulin.
Bon, je crois qu'il faut dépoussiérer le bureau de ce cher Sigmund parce qu'on a fait du chemin depuis ! Laissons lui un peu la parole, questions d'équité puis voyons un peu ce que "les restes de la psychologie" en disent...
Cassini a écrit :L'approche structurale, il me semble que c'est plutôt une école particulière dans le vaste domaine des approches possibles en psychologie.
C'est le moins qu'on puisse dire ! L'approche structurale est un concept psychanalytique Freudien. Le postulat de base est que tout le monde doit faire face à la crise du complexe d’œdipe, qui est en fait la compréhension de l'interdit de l'inceste et par extension l'acceptation d'une loi sociale qui contraint l'individu et l'éloigne de ses pulsions primitives, l'interdit de l'inceste est considéré comme le structurant social le plus fort et le plus ancien et il cristallise tout les autres. C'est la garantie d'une société humaine stable, c'est la loi du père (il y aurait beaucoup à en dire, mais on est déjà assez HS comme ça
). Selon la manière dont le sujet répond à cette révélation, il va fonder sa structure psychique :
- soit par un refoulement des pulsions par une instance psychique qui incarne cette loi du père, le surmoi. Le refoulé est caractéristique de la névrose qui s'exprime selon des modalités hystériques, où le symptôme qui signe un retour du refoulé est orienté vers le corps, obsessionnel, orienté vers la pensée ou phobique, orienté vers l'objet.
- soit par un déni de la loi du père qui amène l'individu à restructurer la réalité vers une forme délirante, c'est une structure psychotique (on dit que le sujet, en déniant la loi du père, renonce à tous les autres signifiants-, c'est la notion lacanienne de forclusion du nom du père), se privant de la fonction symbolique du langage, il n'a accès qu'à une version délirante, hallucinée du monde pour lier le réel et l'imaginaire. La psychose se définit en fonction de la nature du délire (paranoïde s'il est vraisemblable, schizoïde quand il est incohérent en très très rapide) et se caractérise par des idées délirantes qui ne peuvent être raisonnées, des hallucinations et des actions automatiques réalisées sans la pleine conscience de l'individu.
- Soit par un énorme YOLO, comme dirait Sylda
en décidant de jouir de la mère envers et contre tout, la pleine jouissance dans la déviance sociale est la marque de la perversion. On trouve ici les perversions sexuelles et narcissiques. L'individu recherche la jouissance réelle ou symbolique à travers un fétiche en objectalisant l'autre.
Au delà de ces trois structures névroses/psychoses/perversions il y a les personnalités limites ou borderline qui présentent une forme hybride de symptômes (idées délirantes+pensées obsessionnelles+perversions sexuelles mais sans hallucinations et sans sclérose du fétiche dans la perversion par exemple).
Dans tout ça, la psychose bipolaire est donc une psychose, avec alternance, comme cela a été dit de phase maniaques et mélancoliques, toutes deux délirantes puisque l'individu alterne entre des idées mégalomaniaques avec un délire de toute puissance et des idées noires extrêmes avec un aspect plus paranoïde et des passages à l'acte (suicide, souvent) pouvant être très violents et spectaculaires.
Bon.
A partir de maintenant, on sort de l'explication factuelle pour passer à ma propre analyse du problème. Parce que :
Hors-sujet
La psychanalyse freudienne est quand même un dogme philosophique qui n'a jamais été foutu de présenter la moindre justification ni de ses fondements théoriques ni de son efficience thérapeutique (là, on a même plutôt démontré le contraire, plein de fois, cf : le livre noir de la psychanalyse, le documentaire "Le mur", les recommandations de la HAS pour énormément de troubles psychiques, etc.).
Alors je voudrais commencer par dénoncé une réalité qui m'est assez insupportable. Quand on propose aux étudiants de commencer un cursus universitaire en psychologie, on leur ment par omission. Parce qu'ils ne vont pas commencer par apprendre la psychologie. Il vont apprendre la théorie psychanalytique, sous couvert de psychologie clinique et de psychodynamique (une psychanalyse policée qui ne dit pas son nom). Et je trouve ça juste hallucinant.
Et en effet, souvent, ils doivent attendre le M1 et la spécialisation pour se rendre compte de l'UNIVERS qu'on a omis de leur présenter. Alors, ça dépend des facs, le monopole de l'enseignement et la guerre d'influence sont plus ou moins aberrant, mais c'est très symptômatique de l'enseignement de la psychologie en France.
Donc pour ce qui est de la bipolarité, si on essayait de laisser tomber Papy Freud pour attaquer le problème sous un autre angle ? Au delà de la classification, quelle est la réalité du trouble, s'il existe ?
Comme le dit justement Chacoucas :
Chacoucas a écrit :Hors-sujet
Ou dit autrement: comment considérer cette notion de "réel"? Si la plupart des gens me diront surement que je parle de simples "fissures": le réel est le même, je renvoie à l'idée qu'il n'y a pas de limite claire entre fissure et gouffre.
La limite est en effet floue, car tous les comportements humains s'inscrivent dans un continuum. Cette notion est souvent oubliée des classifications et on a tendance à penser que les profils sont clivés, mais les classifications sont un outil théorique, pas une réalité, et presque aucun sujet ne présente de trouble pur. On a bien plus souvent des intrications complexes de symptôme qui évoquent plusieurs tableaux cliniques. Parce que parmi toutes les caractéristiques du sujet, plusieurs dimensions de son fonctionnement peuvent être altérées d'une manière plus ou moins pathologique.
L'ensemble de caractéristiques de fonctionnement qui évoquent un tableau bipolaire sont elles-mêmes hybrides car il y a non seulement un rapport altéré à la réalité : un système de croyance et de représentation de soi-même et du monde qui ne remporte pas l'adhésion du plus grand nombre, mais surtout, un trouble sévère de l'humeur.
Les troubles de l'humeur, pour le coup, c'est une conséquence d'un déreglement hormonal et un fonctionnement pathologique de la chimie du système nerveux (la manière dont sont utilisés les neurotransmetteurs, ces petits messagers chimiques, dans les réseaux impliqués). Dans les troubles de l'humeur on retrouve principalement :
- la dépression
- les cyclothymies (c'est à dire les sautes d'humeurs rapides, à ne pas confondre avec la labilité émotionnelle secondaire à un autre trouble)
et les troubles bipolaires !
C'est associé à un déficit hormonal qui crée une alternance sur le temps long d'épisodes dépressifs majeurs et d'humeur excessivement haute entraînant des comportements à risque, au niveau sexuel et financier par exemple.
L'origine biologique du trouble est mise en évidence par une sensibilité héréditaire (il y a plus de chance de développer un trouble bipolaire si des membres de la famille proches en sont déjà atteint, des suicides violents dans l'histoire familiale sont d'ailleurs recherchés lors de la démarche diagnostique. C'est aussi vrai pour la schizophrénie) à mettre en lien avec le champs de recherche récent de l'épigénétique qui peut mettre en lumière les facteurs favorisant l'expression de cette fragilité génétique.
Les symptômes répondent bien au sel de lithium qui est un régulateur de l'humeur.
Voilà déjà deux approches : psychanalytiques VS neurologique. Mais est-ce que cela nous donne des arguments, dans un cas comme dans l'autre, sur l'étiologie du trouble ? Pas du tout. On peut tergiverser longtemps sur la question de l'oeuf ou de la poule. Tout notre corps communique avec la même syntaxe moléculaire. Des facteurs de stress se traduisent en pics hormonaux, les hormones influent sur la manière dont communiquent les neurones. Nos pensée, notre volonté, nos croyance influencent notre structure neuronale et l'équilibre chimique de notre système nerveux. Le cerveau est un organe incroyablement plastique. Se demander si l'origine du trouble est innée, acquise, biologique ou psychologique n'a pas beaucoup de sens pour moi car ne sont jamais que des étiquettes conceptuelles accolés à une réalité complexe.
Et ça n'a surtout pas beaucoup d'intérêt pour les gens qui souffrent de ces troubles.
Finalement, le réel enjeu selon moi, c'est encore de comprendre comment l'individu fonctionne dans son système et de lui offrir des outils adaptés à son fonctionnement, s'il en a besoin. Dans le cas d'une aide chimique, il faut bien sûr s'assurer de l'efficience du traitement. Mais au delà de ça, est il vraiment utile d'être sûr d'être dans la bonne case ? Le but de toute démarche thérapeutique est de trouver des solutions à une problématique personnelle. Est ce que je suis TDA/H, bipolaire, asperger, surdouée, tout ça à la fois !? Finalement, est-ce si important ? Ces considérations ne sont jamais que des constructions théoriques et elles ne suffisent pas à réduire la souffrance du sujet.
En tant que psychologue, j'essaye surtout de me former une palette de concepts rattachés au fonctionnement de l'individu ( l'humeur, l'efficience intellectuelle, les capacités attentionnelles, la motivation, l'estime de soi, etc.) d'évaluer et d'interroger pour comprendre ce qui fonctionne bien et moins bien et de proposer de l'aide en fonction des principales atteintes et surtout de LA DEMANDE DU SUJET, parce que c'est encore ça le plus important.
EDIT : zut, j'ai mis une heure à éditer mon message, je le laisse là
d'autant plus qu'il répond partiellement à la question initiale. Mais je veux bien en copier-coller un bout dans le nouveau topic
)
S'il y a autant de neurones dans un cerveau que d'étoiles dans la galaxie, on a pas fini d'avoir des idées brillantes !