Korydween - Le 19 Sep 2013, 07:48 a écrit : Je m'explique avec un autre exemple qui a envahi la conversation IRL : celui des résistants pendant la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, on considère que les actes des résistants étaient emplis de morale et on honore ces résistants. Or, à l'époque, pour le gouvernement en place et une certaine partie de la population (j'ignore si cette proportion était majoritaire), ils étaient terroristes.
Si l'Allemagne nazie avait gagné la seconde guerre, considèrerions-nous toujours les résistants comme des héros ? Ou alors est-ce qu'on peut penser que l'Allemage nazie n'aurait jamais pu gagner la guerre car la morale commune réprouvait ses actes et que, tôt ou tard, elle aurait été défaite ?
Il me semble évident, Korydween, que dans un premier temps de ton premier post, par « morale », tu entends « la morale communément admise par la population dans une société donnée, et en particulier, par les autorités qui la gouverne ». Il s'agit donc bien d'une morale spécifique à une société donnée, et à son régime politique. ... C'est ce que l'on appelle la « morale officielle ». Grâce à tous les dieux passés, présents, et à venir, la « morale officielle » des pays occidentaux actuels n'a rien de commun avec la « morale officielle » de l'Allemagne nazie ! Oufff ! ! ! !
Mais la « morale officielle » d'une société n'est jamais partagée par chacun des individus qui la composent, du moins dans les sociétés d'une certaine ampleur. J'exclus ici le cas des micro sociétés comme les tribus primitives qui survivent encore de ci de là de par le monde. Et je dirais même, pour ces dernières, seulement jusqu'à un passé récent, lorsqu'elles étaient encore rigoureusement isolées, n'ayant subi en rien l'influence de la « civilisation », ignorant totalement qu'un autre mode de vie que le leur puisse exister ... Je crois que cela n'existe plus vraiment à l'heure actuelle ...
La « morale officielle » n'est jamais partagée que par une majorité, une immense majorité certes, sans quoi le régime de cette société commence à vaciller, mais il y a toujours des « divergents », qui divergent peu ou prou, et parmi lesquels certains en arrivent à devenir carrément des « dissidents ». On débouche là sur la notion de « morale individuelle », qui peut s'avérer éminemment différente de « l'officielle ». C'est bien ce qui fait la pluralité des partis politiques au sein de nos sociétés démocratiques, car enfin, la politique, ce n'est jamais que de la morale appliquée ... C'est la morale descendue dans l'arène de notre quotidien ...
Et donc, Korydween, dans ton exemple de l'Allemagne nazie, et des résistants politiques qui l'ont combattue, ainsi que dans le cas de figure hypothétique où les nazis auraient remporté la victoire, il faut distinguer la notion de « morale officielle » de « morale individuelle ».
Pour la « morale officielle » des nazis, et donc du gouvernement nazi, ainsi que de tous les individus qui étaient des nazis ou collaborateurs convaincus, les résistants étaient effectivement considérés comme étant des « terroristes ».
Mais ce n'était pas le cas de tous les individus ! Certains ne partageaient pas du tout cette « morale officielle », bien que ne rentrant pas dans la résistance, mais la subissant en silence et résignés pour cause de terreur, et d'autres se sont carrément décidés à la combattre en dépit des risques, les résistants. Et cela, même en Allemagne, où le nazisme rencontra pourtant l'assentiment, pire, l'engouement effréné, que l'on sait, dans une immense majorité de la population.
Les très fameux ouvrages « Le Meilleur des mondes » d'Aldous Huxley, « 1984 » de George Orwell, et « « Farenheit 451 » de Ray Bradbury, reposent entièrement sur le distinguo entre « morale officielle » et « morale individuelle » ... (Allons devant ces ouvrages, gardons néanmoins espoir pour l'avenir, forumeuses et forumeurs de tous pays, puisqu'en fait, ils glorifient la résistance à la servitude ! Même moi, sacré pessimiste de l'humanité, ne le perds pas complètement, cet espoir ... quoique il y a des moments où je ... ok, je m'arrête ! ! ! ... )
Une fois le distinguo « morale officielle », « morale individuelle » bien établi, répondre à ta question « Si l'Allemagne nazie avait gagné la seconde guerre, considèrerions-nous toujours les résistants comme des héros ? » n'est plus un problème.
Il est certain que si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre, sa « morale officielle » n'aurait pas changé, et donc celle de tous les nazis convaincus, et des collaborateurs, et qu'en conséquence pour eux, les résistants seraient restés des terroristes. Cependant, il y aurait toujours des gens qui ne la partageraient pas, et qui auraient leur « morale individuelle », des silencieux paralysés qui subiraient la chose pour cause de terreur, ainsi que des résistants qui prendraient tous les risques pour la combattre.
Les deux opinions, terroristes ou résistants, coexisteraient donc, comme cela a été le cas dans la réalité de la guerre, tout comme c'est le cas dans les trois ouvrages que j'ai cités ci-dessus.
Quant à savoir ce qu'il serait advenu alors de cette Allemagne nazie victorieuse au cours des années, et des décennies ... Je ne pourrais vraiment pas m'avancer avec quelque certitude que ce soit sur ce sujet-là, mais j'ai le sentiment que l'homme en arrive toujours à se libérer de la servitude, bien que le progrès technique aidant, cela ne puisse que devenir de plus en plus difficile ...
Depuis l'antiquité, l'histoire ne manque pas d'exemples de divergence entre « morale officielle » et « morale individuelle », tant à l'échelon individuel, entre autres par l'exemple fameux dans la littérature, de l'Antigone de Sophocle, déterminée à braver la loi pour enterrer son frère, qu'à l'échelon d'un groupe partageant la même « morale individuelle », comme par exemple la révolte des esclaves menée par Spartacus qui donna pour le moins quelque fil à retordre à la Rome antique avant d'être écrasée dans le sang. Au cours des siècles, bien peu de dissidents ont réussi à vaincre la « morale officielle » du pouvoir en place, mais il est un exemple éclatant de renversement des morales qui vibre toujours dans les mémoires ... la Révolution Française, qui ne révolutionna pas que la France, mais de proche en proche toute l'Europe, où disparut définitivement la monarchie absolue.
« Ou alors est-ce qu'on peut penser que l'Allemage nazie n'aurait jamais pu gagner la guerre car la morale commune réprouvait ses actes et que, tôt ou tard, elle aurait été défaite ? », dis-tu Korydween ...
« Morale commune », dis-tu ... Il me semble que tu veux parler là d'une « morale idéaliste », un « idéal moral » tel qu'il est répandu dans nos sociétés démocratiques actuelles mais qui existait déjà du temps de l'Allemagne nazie et encore bien auparavant ... En fait, depuis toujours ... l'histoire de l'antiquité fourmille d'exemples bien réels ... Il s'agirait donc de la « morale individuelle » des non-nazis paralysés pour cause de terreur, et des résistants ...
L'idéaliste mystique que je suis veut croire que tôt ou tard, le régime nazi aurait été renversé par la diffusion irréversible des « morales individuelles » refusant la servitude ... Mais il aurait fallu pour cela que les idées divergentes atteignent non seulement une grande proportion de la population, mais aussi, et je dirais surtout, qu'elles atteignent les niveaux élevés de la hiérarchie dans les instances gouvernementales, afin de s'assurer assez de moyens pour remporter la fin, sous peine d'être écrasée, comme tant d'autres rébellions au cours de l'histoire. Et pour autant que la malchance ne s'en mêle pas !
Un des meilleurs exemples de la difficulté du succès des oppositions à la « morale officielle » en est le nombre d'ébauches de complots contre Hitler, avant celui qui a été réalisé en juillet 1944, et qui a malheureusement échoué pour cause d'un minime déplacement de la serviette qui contenait la bombe, effectué de façon anodine, par pur hasard, par une tierce personne. ...
A propos de la Seconde Guerre Mondiale, il est certain que les résistants n'auraient pu renverser le régime nazi à eux seuls, mais ils y ont aidé, et n'ont d'ailleurs pu le faire avec efficacité que grâce au fait qu'ils n'étaient pas livrés à leurs seules possibilités matérielles, mais au contraire parce qu'ils ont été alimentés en armes de toutes sortes par les Alliés via l'Angleterre pour la partie occidentale du conflit, et via l'U.R.S.S. pour la partie orientale ...
Il faut aussi se rendre compte que, contrairement à une vision angélique que l'on essaie à tout prix de nous faire avaler, ce n'est certainement pas une « belle morale », qui a fait intervenir les U.S.A. dans la guerre, ben non, aussi lamentable que soit cette réalité
, mais bien plutôt l'attaque de Pearl Harbour, sans déclaration de guerre, par les Japonais, ce qui entraîna la déclaration de guerre des U.S.A. à leur endroit, cette dernière entraînant à son tour Hitler à déclarer la guerre aux U.S.A., par « obligation » de solidarité envers son allié japonais ... Tout cela pour le plus grand plaisir des industriels américains, qui ne pouvaient que se réjouir des invraisemblables quantités de production à pourvoir, sans être nécessairement motivés par quelque morale que ce soit, mais bien uniquement par les immenses profits qu'ils en retiraient ... Pensez-vous ... un rêve d'industriel ... "aussitôt sorti de l'usine, aussitôt démoli ! ! ! "
Et il faut aussi se rendre compte que la guerre contre Hitler, par seulement les U.S.A. et l'Angleterre, aurait duré bien des années en plus, si en 1941 l'U.R.S.S., qui avait auparavant signé un pacte de non-aggression avec Hitler, n'avait été attaquée par celui-ci, contre l'avis insistant de ses généraux, ne laissant plus de choix à l'U.R.S.S. ... Mais il faut aussi savoir que Staline, ayant eu la bêtise de croire en la validité du pacte de non-agression, n'avait qu'un armement non seulement réduit, mais aussi obsolète au début, et n'avait alors en fait qu'une innombrable chair à canon, de par l'immensité de son territoire ... Il ne dut de pouvoir tenir, et ensuite vaincre successivement les nazis, que grâce aux montagnes d'aides financières et de matériel en tout genre largement octroyées par les U.S.A. En fait, le fondement, au sens de l'origine, de la victoire des Alliés consiste en l'incroyable capacité tant financière qu'industrielle des U.S.A. à l'époque.
En quelque sorte, on pourrait dire, pour la Seconde Guerre Mondiale, que la Liberté a triomphé grâce à l'acharnement même de ses adversaires, qui a entraîné leur propre perte ...
Bon, j'en reste là pour l'instant, et je n'ai abordé que la question de "LA morale", qui doit immédiatement se subdiviser en "LES morales", dès qu'on veut se pencher sur la question ... Je n'ai même pas abordé le problème de qui engendre l'autre, "des morales" et de l'Histoire ... probablement écrasé par le caractère inextricable de la chose ... mais je suis bien proche de partager le point de vue de Manithil, à savoir que cela se résumerait probablement à l'histoire de l'oeuf et de la poule ...
P.S.1 = Toi aussi tu fréquentes ce « CNRTL » ? Héhé ... tu connais aussi les bons coins, donc ! Décidément, ce forum est peuplé de gens bien ! Ce CNRTL, avec ses différentes possibilités de recherche, je l'a-do-re ! ! Il m'arrive de lire au hasard des pages de leur dictionnaire, comme quand je lisais dans les gros dictionnaires quand j'étais gosse ... Quand je dis que je n'ai pas vieilli dans ma tête ....
P.S.2 = Complètement superfétatoire
, mais que ton topic m'a donné envie d'ajouter. Je suis obsédé par l'histoire du nazisme, de son éphémère succès, je suis obsédé par la capacité d'abjection de l'humanité dans toutes ses réalisations, nazisme, Kmers rouges, Rwanda, et compagnie ... La raison butte contre un mur d'incompréhension ... Aujourd'hui encore, dans l'Est du Congo de Kabila, le viol est pratiqué en masse, les femmes sont réduites au rang de simple objets sexuels, soumises aux pires atrocités, dans lesquelles beaucoup trouvent la mort ... Quant aux survivantes, on ne compte plus les véritables mutilations génitales qu'elles ont subi, et que de dévoués chirurgiens tentent, de réparer tant bien que mal ... Quant aux traumatismes psychologiques, il n'est pas difficile d'imaginer que ces malheureuses sont marquées à vie ... Subir dans sa chair l'enfer de l'humanité, cela ne s'oublie jamais ...
Lorsque je me penche un peu sérieusement sur une question qui fait intervenir les abjects errements dont sont capables certains représentants de l'humanité , toujours cela me prend à la gorge ... L'idée du viol me donne véritablement la nausée ... Je la ressens chaque fois ... Et quand je vois des jeunes de ton âge se pencher sur ces problèmes, je suis émerveillé, je suis heureux, car dans ces moments-là, je me dis qu'il y a de l'espoir pour l'avenir de l'humanité ... Mon noir scepticisme, engendré par toutes les récentes atrocités du vingtième siècle tend à s'effacer devant ces petites lumières que je vois poindre ici ou là ... Je suis très content que tu aies ouvert un tel topic, Korydween !