Est-ce un guépard ? S. Tolan

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madeleine
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Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par madeleine »

La dernière lettre de l'AFEP nous a offert un chouette article de Stephanie Tolan, libre de diffusion, le voici :
EST-CE UN GUÉPARD ?
par
Stephanie S. Tolan

C’est très dur d’élever, d’éduquer ou d’être un enfant surdoué. Alors même que le terme «surdoué» et la capacité intellectuelle exceptionnelle à laquelle il se réfère deviennent de plus en plus politiquement incorrects, le système éducatif et les médias changent de terminologie et d’optique.
La douance, capacité globale d’intégration mentale, peut même être écartée pour être remplacée par des talents fragmentés qui présentent moins de menaces et sont théoriquement plus faciles à traiter par les écoles. Au lieu d’une réalité liée au développement interne qui affecte chaque aspect de la vie d’un enfant, «le talent intellectuel»
est de plus en plus perçu (et limité) comme synonyme de réussite scolaire. L’enfant qui travaille bien à l’école obtient de bonnes notes, des récompenses et s’il réussit au-delà des normes pour son âge, il est considéré comme doué. L’enfant qui travaille moins bien, peu importe ses capacités intellectuelles innées ou le niveau de son développement, est moins susceptible d’être identifié et donc moins susceptible d’être reconnu.
La métaphore du guépard peut nous aider à voir le problème avec un esprit orienté vers l’exploit. Le guépard est l’animal le plus rapide sur Terre. Quand nous pensons aux guépards, nous pensons instinctivement en premier lieu à leur vitesse. Elle est spectaculaire. Elle est impressionnante. Elle est unique. Cela rend l’identification incroyablement facile. Puisque les guépards sont les seuls animaux qui peuvent courir à 110 km/h, si vous chronométrez un animal courant à 110 km/h, c’est un guépard !
Mais les guépards ne courent pas toujours. En fait, ils sont capables de se maintenir à une vitesse de pointe seulement pendant une période très limitée, après quoi, ils ont besoin d’une période considérable de repos.
Il n’est pas difficile d’identifier un guépard quand il ne court pas, pourvu que nous connaissions ses autres caractéristiques. Il est de couleur or avec des points noirs, comme un léopard, mais il a aussi de singulières marques noires comme des larmes sous ses yeux. Sa tête est petite, son corps maigre, ses pattes exceptionnellement longues. Il a toutes les caractéristiques physiques spécifiques d’un coureur. Le guépard est le seul membre de la famille des félins à avoir des griffes non-rétractiles. D’autres félins rétractent leurs griffes pour les maintenir acérées, comme des couteaux à découper tenus dans une gaine. Les griffes du guépard ne sont pas conçues pour couper, mais pour la traction. C’est un animal biologiquement conçu pour courir.
Son alimentation principale est l’antilope, elle-même dotée d’une prodigieuse vélocité. L’antilope n’est ni grande, ni lourde, donc le guépard n’a besoin ni de force, ni de taille pour la maîtriser. Seulement de grande vitesse. Sur les plaines étendues de son habitat naturel le guépard est capable d’attraper une antilope simplement en la pourchassant.
Bien que sa conception physique réponde à ses besoins utilitaires, celle-ci crée également un besoin interne instinctif. Le guépard a un réel besoin de courir ! En dépit de sa constitution et de la nécessité de courir, certaines conditions cependant sont nécessaires pour qu’il puisse atteindre sa célèbre vitesse de pointe de 110 km/h. Il doit être pleinement développé. Il doit aussi être en bonne santé, en bonne condition physique et
parfaitement reposé. Il doit avoir l’espace pour courir. En plus de cela, il est plus motivé pour courir à ses
limites extrêmes lorsqu’il a faim et qu’il a des antilopes à poursuivre.
Si un guépard est enfermé dans une cage de 3 mètres par 4, bien qu’il puisse arpenter la cage en long et
en large ou même se jeter contre les barreaux dans une frustration sans fin, il ne courra jamais à 110 km/h.
EST-CE ENCORE UN GUÉPARD ?




Si un guépard n’a que des lapins à poursuivre à 30 km/h, il ne fera pas de sitôt 110 km/h en chassant. Si c’était le cas il doublerait tellement vite sa proie, un peu comme une fusée, ensuite il resterait affamé !!! Bien qu’il puisse courir tout seul pour s’entraîner, s’amuser et répondre à ses instincts, quand il n’est nourrit que de lapins, le guépard en chasse courra juste assez vite pour attraper un lapin.
EST-CE ENCORE UN GUÉPARD ?

Si on donne la nourriture de zoos à un guépard, il peut ne plus courir du tout.
EST-CE ENCORE UN GUÉPARD ?

Si un guépard est malade ou si ses pattes ont été brisées, il ne marchera même pas.
EST-CE ENCORE UN GUÉPARD ?

Et finalement, si le guépard n’a que 6 semaines, il ne peut pas déjà être capable de courir à 110 km/h.
EST-IL DONC SEULEMENT UN GUÉPARD «POTENTIEL» ?

Un système scolaire qui définit le talent comme un comportement, un accomplissement et une performance, a autant de chance dans sa capacité à reconnaître ses étudiants surdoués et de leur donner ce dont ils ont besoin, qu’en aurait un zoo, si ce dernier devait reconnaître et sélectionner ses guépards en ne prenant en compte que la vitesse. Quand un guépard court à 110 km/h, ce n’est pas un exploit ! Même s’il fait ce qu’aucun autre félin ne peut faire, c’est tout à fait normal, pour un guépard...Pour les lions, les tigres, les léopards ou n’importe lequel des autres
grands félins, les caractéristiques biologiques du guépard sembleraient être des difformités. Loin d’être le meilleur félin, le guépard semblerait être à peine un petit chat. Il n’est pas assez lourd pour abattre un gnou, car ses griffes non-rétractiles ne peuvent pas être maintenues assez tranchantes pour déchirer la peau épaisse du gnou. Étant donné la tendance du guépard à l’activité, les félins qui passent la plupart de leur temps à dormir au soleil pourraient le
considérer comme étant un hyperactif.
Comme les guépards, les enfants surdoués peuvent facilement être identifiés. Si un enfant apprend le grec seul à 5 ans, ou bien lit à 6 ans au niveau équivalent à celui d’un élève de 8ème année, ou encore s’il pratique l’algèbre en 2ème année, nous pouvons sans risque supposer que cet enfant est un enfant surdoué ! Bien que l’on puisse considérer ces activités comme des exploits, ce n’est pas un enfant plus performant qu’un enfant qui fonctionne normalement, selon sa propre conception biologique, sa capacité mentale innée.
On a clairement donné à un tel enfant l’espace pour courir et quelque chose à pourchasser. Il est en bonne
santé, en bonne forme et ses capacités n’ont pas été endommagées. On n’a pas besoin de beaucoup de
connaissance des caractéristiques des enfants surdoués pour reconnaître cet enfant comme tel.
Cependant, les écoles sont aux enfants surdoués ce que sont les zoos aux guépards. Beaucoup d’écoles ne fournissent qu’une cage de 3 mètres sur 4, ne donnant aucun espace pour leurs cerveaux hors du commun, pour qu’ils puissent prendre de l’essor. Beaucoup d’enfants surdoués sont assis dans la salle de classe comme les grands félins
sont assis dans leurs cages, les yeux mornes d’ennui et silencieux. Certains sont incapables de résister à une forte envie intérieure, bien qu’ils ne puissent pas l’exercer et ils arpentent les cages, grondent et réagissent violemment envers leurs gardiens ou se jettent contre les barreaux jusqu’à ce qu’ils se blessent.
Même les écoles privées et d’avant-garde sont susceptibles de ne créer qu’un environnement qui, comme les enclos du guépard dans les zoos d’avant-garde, ne permet de courir que modérément, mais n’offrent pas l’espace nécessaire pour qu’un guépard en croissance puisse développer ses muscles, acquérir l’endurance nécessaire et devenir un coureur de 110 km/h.
Les enfants dans ces cages ou ces enclos, quelle que soit leur intelligence, ne vont probablement pas apparaître surdoués, empêchés pendant trop longtemps de faire travailler leur cerveau, ces enfants ne pourront jamais atteindre le niveau de fonctionnement mental pour lequel ils ont été conçus.
Un zoo, quelle que soit la place qu’il offre à ses guépards et qui ne les nourrit pas avec des antilopes, ne leur
donne pas le choix, soit de courir à pleine vitesse soit de souffrir de la faim. De la même façon les écoles
offrent trop peu de compétition pour le développement de ces cerveaux extraordinaires. Même un programme bien conçu ne peut offrir que l’équivalent intellectuel de lapins courants à 30 km/h (parfois étiquetant même de «sous performants» les enfants soupçonnés d’être surdoués, parce qu’ils ne vont pas à toute vitesse pour attraper ces lapins !). Sans programmes adaptés, les écoles offrent l’équivalent scolaire de la nourriture de zoos, une alimentation qui ne demande absolument aucun effort. Certains enfants refusent complètement une telle nourriture morte, non variée et si peu intéressante.
Pour développer non seulement sa capacité physique, mais aussi la stratégie nécessaire pour attraper une antilope dans la nature, un guépard doit avoir des antilopes à poursuivre, l’espace pour les poursuivre et un modèle à suivre pour apprendre comment faire. Sans instruction et sans entraînement il est peu probable, qu’il apprenne ce qui est essentiel, la technique de survie.
Un récent documentaire sur les guépards dans le pays des lions a montré un fait très curieux de la vie dans la nature. Les lions tuent les petits du guépard. Ils ne les mangent pas, ils les tuent simplement. En fait, il semble que les lions travaillent plutôt dur pour les trouver et les tuer (bien que les guépards ne puissent en aucun cas menacer la survie de la lignée des lions). Est-ce de la méchanceté ? Un amusement ? Personne ne le sait. Nous savons seulement que les lions le font. Les mamans guépards doivent cacher leurs repaires et faire de grands efforts pour protéger leurs petits, allant et venant au repaire perdu au milieu d’un solide camouflage, au plus profond de la nuit
ou encore lorsque les lions sont loin.
Les enfants surdoués et leurs familles ressemblent souvent aux guépards dans le pays des lions !
Dans certaines écoles on demande à des enfants surdoués de faire, ce qu’ils n’ont jamais été conçus pour faire (comme si on demandait à des guépards d’ouvrir un gnou en déchirant sa peau avec ses griffes, puisque après tout, les lions peuvent bien le faire !), tandis que les caractéristiques qui révèlent visiblement une capacité mentale peu commune, comme l’intensité, la passion, la haute énergie, l’indépendance, le raisonnement moral, la curiosité, l’humour, des intérêts hors normes, l’insistance sur la vérité et l’exactitude sont considérés, comme des problèmes à régler plus tard.
Les enfants surdoués peuvent se sentir entourés par les lions qui se moquent d’eux ou les évitent, les mettent à l’écart, à cause de leurs différences. Ils peuvent même les blesser, leur briser les jambes, leur tendre des pièges ou les droguer pour qu’ils se déplacent plus lentement, à la vitesse des lions. N’est-ce pas étonnant qu’ils essaient d’y échapper et
qu’ils mettent souvent un habit de lion pour se dissimuler, pour éviter de se faire remarquer, pour passer inaperçus.
Ils résistent de toute leur force, comme ils le peuvent...
Cette métaphore, comme n’importe quelle métaphore, peut présenter quelques faiblesses. Les enfants surdoués n’ont pas d’inscriptions sur leurs corps, ni de griffes non-rétractiles qui les identifient lorsqu’ils ne courent pas. En outre, la capacité du guépard à courir à 110 km/h est une caractéristique de l’espèce, aisément mesurable. Les enfants surdoués sont tous très différents les uns des autres. Donc il n’y a pas de capacité propre «du» surdoué à rechercher, en plus de cela, les talents les plus remarquables d’un enfant, pourraient se manifester en dehors de la dé-
finition scolaire de la réussite et donc ne jamais être reconnus.
Même si cette vérité peut épargner à quelques enfants d’être tués sans raisons par des lions en maraude, elle les empêche aussi d’être reconnus pour ce qu’ils sont, des enfants avec des différences innées profondes et puissantes aussi importantes que les différences entre des guépards et d’autres grands félins.
Qu’ils ne puissent être immédiatement reconnaissables ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres moyens de les identifier. Cela signifie qu’il faut plus de temps et d’efforts pour le faire. Les éducateurs peuvent découvrir les formes d’une intelligence exceptionnelle et les observer suffisamment de près pour déceler ces formes individuellement chez ces enfants. Ils peuvent reconnaître non seulement que des enfants surdoués peuvent faire beaucoup de choses que
d’autres enfants ne peuvent pas faire, mais qu’il y a également des tâches que d’autres enfants peuvent faire que les surdoués ne peuvent pas.
Chaque organisme a une pulsion interne pour accomplir son dessein biologique. La même chose est vraie pour des enfants surdoués. De temps en temps, il faut enlever les barreaux, élargir les enclos. La nourriture des zoos, facile et
bon marché doit céder la place, au moins une partie du temps, au défi d’une proie mentale vivante.
En plus de cela, les écoles ont besoin de croire qu’il est important de faire l’effort, que ces enfants ont non seulement des besoins comme tout enfant à être protégé et que l’on s’occupe d’eux correctement, mais qu’ils ont autant de droits que les autres à faire respecter leurs besoins.
La diversité biologique est un principe fondamental de vie sur notre planète. Elle permet à la vie de s’adapter pour changer. Dans notre culture, les enfants surdoués, comme les guépards, sont mis en danger. Comme les guépards, ils sont ici pour une raison, ils remplissent une niche particulière dans la conception de la vie. Les zoos, quelques soient
leurs limites critiques, peuvent être très utiles à la survie de la lignée des guépards ;beaucoup font de leur mieux pour offrir à leurs captifs, ce dont ils auront éventuellement besoin pour survivre dans la nature. Les écoles peuvent faire de même pour leurs enfants surdoués.
Si on ne s’engage pas à sauver ces enfants, nous continuerons à les perdre et à perdre l’avantage unique, que leur existence pourrait offrir à l’espèce humaine dont ils sont une pièce essentielle.
Stephanie S. Tolan
Texte original en anglais ici
L’auteure autorise la diffusion de cet article, s’il vous a plu, ou que vous l’ayez trouvé intéressant, n’oubliez toutefois
pas de la citer.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par PointBlanc »

Pour le coup, j'ai vraiment du mal avec cet article. Pas tant à cause de la métaphore animalière, dont l'auteure signale d'elle-même prudemment les limites (ce qui ne l'empêche pas de tirer sur la ficelle autant qu'elle peut), que parce que j'y lis cette idée que l'épanouissement intellectuel est en quelque sorte la destinée biologique de l'enfant HP.

Et là, je ne sais pas d'où ça sort.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par madeleine »

J'imagine bien que ça t'a un peu grattouillé ^^ mais il faut remettre tout ça dans le contexte étasunien, où l'approche de la douance est assez différente, et dans le fil de l'advocacy qui est celui de S. Tolan.
Je pense que cette métaphore -certes peu littéraire - parlera davantage aux parents qui voient avec amertume ce que certains font à leurs enfants (et dont je fais partie) .
Sans entrer dans un débat dessein/destin biologique, il me semble que l'épanouissement est le droit de chaque enfant, et qu'il consiste à utiliser ses possibilités librement. Je ne suis donc pas sûre de comprendre ce qui te gêne, peux-tu en dire plus ?
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par PointBlanc »

Oui, j'avais bien senti le côté ricain de la chose, et c'est peut-être ce qui me dérange le plus, cette idée d'un potentiel qu'on serait destiné à / sommé de réaliser.

Je suis confronté au problème dans le cadre du dispositif HPI de notre établissement, qui m'oblige en remettre en question pas mal de mes idées sur la douance et sur la façon dont les adolescents la vivent.
Il y a peu, je partais benoîtement du principe que si tu proposais à un HPI un défi intellectuel avec ce qu'il faut de diplomatie et d'enthousiasme, il allait se jeter dessus comme... mettons, comme un jeune et fougueux guépard sur une gazelle :)

En fait, non, du moins pas toujours. Franchement pas souvent, même. Les seuls qui réagissent de cette façon sont ceux qui vivent à travers le regard de l'adulte, à travers cette admiration qu'ils y lisent quand ils sont parvenus à incarner ce modèle de pertinence et de maturité qui n'est pas forcément ce à quoi ils aspirent. Je pense à un en particulier, qui justement se lasse un peu de ce jeu qui l'a comblé pendant deux ans. A présent qu'il grandit, les enjeux se sont déplacés de la salle de classe où il faisait ses exposés vers la cour de récréation. C'est frustrant pour nous, sans doute, mais pas pour lui, qui semble se trouver très bien d'employer son intelligence à vivre avec les autres, à faire rire, à tourner un peu autour des filles.
Et je me vois mal lui expliquer qu'il ne le fait au fond que par désir de conformité, qu'il a un besoin viscéral de cette nourriture intellectuelle que nous lui proposons, qu'il est né pour courir et non pour s'encanailler avec les lionceaux paresseux gavés de dinde en boîte. Je ne m'en sens pas le droit. Je ne me sens en particulier pas le droit de lui proposer même un panel un peu étendu de sujets supposés audacieux. Parce qu'après tout c'est à lui de voir.

Les autres, ceux qui se passent de cette complicité avec l'enseignant, se satisfont amplement de réfléchir une fois de temps en temps à des questions un peu élevées, sans désir de les approfondir : c'est bon deux minutes - après quoi ce n'est pas qu'ils ont tout compris, simplement qu'ils se rendent compte que le sujet en soi ne les intéresse pas outre mesure au-delà de ce qu'ils en ont effleuré. Ils n'ont pas forcément envie de maîtriser quoi que ce soit, pas forcément envie de se lancer à corps perdu dans l'apprentissage d'une langue étrangère parce qu'on leur proposerait de l'aborder différemment. C"e n'est pas leur désir en somme.

Ce que je veux dire, c'est qu'autant je suis atterré par l'attitude de ces enseignants qui ne cherchent pas à comprendre - mais je le suis bien au-delà du cas des HPI -, autant je me sens mal à l'aise à l'idée d'imposer mon idée de l'épanouissement intellectuel à des gosses qui ne me demandent rien, sous le seul prétexte qu'ils ont été diagnostiqués et que donc il faut faire fructifier ce don de la nature. Je préfère, réflexion faite, être là au besoin, répéter régulièrement que je suis disponible, au lieu de me laisser hanter par cette crainte qu'ils finissent par retourner leur intelligence contre eux-mêmes.
Parce que quand cela arrive, l'intelligence n'est pas la cause, seulement l'amplificateur. La cause, c'est l'absence de bienveillance, qui flétrit n'importe quel gosse, pas seulement les HPI.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par madeleine »

Il ne me semble pas que Mme Tolan se focalise sur un épanouissement purement intellectuel, ni qu'il y ait dans ce texte d'injonction à "l'exploitation" du potentiel ; tu ne projettes pas un peu tes propres craintes, là ? La liberté de courir à 110kmh ce n'est pas la même chose que l'obligation de le faire :)
Être disponible, c'est déjà beaucoup, mais il faudra plus que ça pour que l'école fasse une vraie place aux enfants HP.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par PointBlanc »

Mais le petit guépard n'est pas libre de courir à 110 km/h : il est fait pour ça. De même qu'il est fait pour consommer de la gazelle, et non du lapin ou de la viande des zoos qui l'affaiblissent et le rendent malade.

C'est tout le problème avec cette métaphore : elle ne parle pas de liberté mais de déterminisme biologique. Le petit guépard n'est absolument pas libre de faire ce qu'il veut de son intelligence et de sa vie :
madeleine a écrit :Chaque organisme a une pulsion interne pour accomplir son dessein biologique. La même chose est vraie pour des enfants surdoués.
Et ce qui caractérise l'enfant surdoué, ce sont bien ses capacités intellectuelles hors-norme. Quand S. Tolan écrit que l'enfant qui a appris seul le grec à cinq ans est "en bonne santé, en bonne forme", que "ses capacités n’ont pas été endommagées", elle fait clairement le lien entre épanouissement intellectuel et épanouissement tout court : un surdoué est en "bonne forme" à condition de se servir de son intelligence.
Pas seulement d'être libre de le faire : "On a clairement donné à un tel enfant l’espace pour courir et quelque chose à pourchasser." On parle de stimulation, là. Pas de choix.

Alors bien sûr, donner envie de réfléchir, de s'interroger sur une foule de choses, c'est assez loin d'être un crime. Si on s'en tient là, c'est très bien. Si le petit surdoué peut hausser les épaules et dire : "Non, je préfère aller avec les autres", c'est encore mieux. Difficile de le laisser partir quand c'est l'accomplissement de son dessein biologique qui est en jeu. C'est ça, ce "c'est pour ton bien" sous-jacent, qui me hérisse dans cet article.

Je reviens aussi sur le système éducatif : il est inadapté pour tout le monde ou presque.
Il fait souffrir tout le monde ou presque.
Les escapades hors des sentiers battus, ça intéresse tout le monde ou presque.
Le rythme qui s'adapte à chacun, ça soulage tout le monde ou presque.
Les mots d'encouragement, le souci constant de justice, tout le monde ou presque y aspire.

Il n'y a pas de petit d'animal qui trouve le zoo formidable. Sauf le fils du gardien, et encore. Si le quotient intellectuel se mesurait au niveau de souffrance induit par la scolarité de la maternelle au lycée, les salles de classe seraient pleines de surdoués.

Or :
madeleine a écrit :Même si cette vérité peut épargner à quelques enfants d’être tués sans raisons par des lions en maraude, elle les empêche aussi d’être reconnus pour ce qu’ils sont, des enfants avec des différences innées profondes et puissantes aussi importantes que les différences entre des guépards et d’autres grands félins.
Et ça, ça ne passe pas. Rien qu'à la relire, cette phrase, je bous sur place, littéralement. Pas à cause de je ne sais quel souci d'égalitarisme bien français, mais parce que je pense aux HPI du dispositif, que je vois constamment avec d'autres qui ne le sont clairement pas (pour de bon, test négatif), qui trouvent avec eux tout un tas de moyens d'interaction plus ou moins intelligents, qui peut-être, un jour lointain, se marieront avec, en auront des enfants, ce qui arrive plutôt rarement entre les lions et les guépards. Ils ne se font pas particulièrement casser la gueule à la récré - ni J. avec sa tête d'ampoule et qui dit "putain, merde, quoi !" comme à Passy, ni B. qui, en plus de porter un prénom ridicule, ressemble à un grand poulet sous amphètes, ni A. qui s'entraîne à avoir une belle gueule...
Non, tous ne sont pas "en réussite".
Tous s'ennuient dans certains cours, moins dans d'autres.
Le club robotique en a amusé quelques-uns pendant trois séances, et maintenant ils trouvent ça pesant. C'était pourtant un bel espace où faire des pointes, avec un enseignant hors-norme lui aussi. On leur en a proposé d'autres, pas forcément plus populaires.
Ils n'ont pas non plus un besoin irrépressible de se confier à un adulte qui comprend leur problématique. La possibilité existe, ils le savent, mais ils préfèrent déconner avec lui entre deux portes.
"Ils ont leur vie".

Faut-il voir dans la modestie de leur curiosité intellectuelle l'effet d'un formatage nécessaire à la survie au milieu des lions ? L'article en parle aussi.
Moi je ne crois pas. Je crois que c'est la même humanité, et qu'il n'y a pas tant de différence entre celui qui se pose tout le temps une tonne de questions et celui qui ne s'en pose pas beaucoup.
Prends ce forum : il est plein de surdoués. Pour autant ce n'est pas Normale Sup à tous les étages. Il s'y trouve des trucs qui font rire un tas de gens, que des tas de gens pensent, bien en-deçà des 2%.

C'est un espace de liberté pourtant.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par Zyghna »

Merci pour ce coup de gueule PointBlanc, parce qu'il correspond vraiment à ma façon de concevoir les choses, parce que c'est ce qui fait que j'étais mal à l'aise avec la ligne de conduite de l'AFEP (ou l'enfant précoce DOIT avoir un parcours adapté, doit croulé sous les activités, doit voir des spécialistes, etc).
On oublie que c'est un enfant, on oublie de l'écouter LUI. Alors peut être qu'il se trompera, mais c'est comme cela aussi qu'on grandit. Il suffit de lui laisser la possibilité ouverte, de parler avec lui, de le laisser être ce qu'il veut, et de l'aider à aller où il veut.

Si l'enfant a un réel besoin de stimulation intellectuelle, il faut lui offrir. S'il a besoin de lien social, il faut l'aider à le tisser et l'entretenir.

Je crois que sinon on risque trop de voir des enfants ériger des barrières, s'enfermer dans le faux-self, le perfectionnisme, la solitude.

Avant d'être des surdoués, ce sont des individus à part entière. Ils ne se résument pas à la seule douance, et la douance ne s'expriment pas de la même façon chez tous les individus.

Alors si l'enfant a envie d'être une gazelle plutôt qu'un guépard, autorisons le à l'être. Si un jour il veut changer, il pourra le faire parce qu'on lui aura laissé l'espace pour le faire et qu'il saura avoir les capacités de faire ce qu'il veut.
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Re: Est-ce un guépard ? S. Tolan

Message par Pandore »

Je débarque sur ce sujet et j'en trouve les échanges fort passionnants. Je ne peux pas m’empêcher de penser au film "Good Will Hunting" de Gus Van Sant, qui est exactement dans cette question que relève PointBlanc : être heureux, est-ce exploiter à fond son potentiel ?
C'est au final l'enjeu du film où s'opposent les vues du psy, joué par Robin Williams, et de l'éminent prof de math, joué par Stellan Skarsgård.
Plus que de l'aveugle. Du muet fait le malheur. La vue de la lune.
Kyoraï

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