Au charbon ! (Un peu de patrimoine technique)

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Tamiri
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Au charbon ! (Un peu de patrimoine technique)

Message par Tamiri »

Au rang des passions parfois jugées incongrues : j'ai un gros faible pour le patrimoine technique et industriel et, au sein de cette discipline, en particulier, l'histoire des techniques minières. Bon, il est vrai que j'aime peut-être encore plus les chemins de fer, dans tout ça ; mais associé au célibat et à la passion des chats, ça chargerait un peu trop le portrait du cinglé asocial.

Et donc, voici un petit souvenir de mes vacances de septembre 2015. Il s'agit d'une reconstitution fonctionnelle de la "pompe à feu" de Newcomen, première machine à vapeur techniquement et économiquement viable du monde. L'engin filmé modestement avec un petit appareil photo tenu à la main (c'était un souvenir de vacances que je ne pensais pas partager, au départ) se trouve au sein du "Black Country Museum", vaste éco-musée près de Birmingham où se trouvent reconstitués plusieurs équipements miniers charmants.
Le site lui-même n'est qu'à quelques encablures de l'endroit où fut érigée la première pompe à feu en 1712. Comme j'aime aussi les Shadoks, j'ai bien dû passer deux heures, au cours de la journée, à tourner autour de la bête. Voici en résumé un peu plus de cinq minutes d'un plaisir que seuls comprennent les gens qui aiment pomper.
[BBvideo 425,350]http://www.youtube.com/watch?v=xsWZ6mNnoSk[/BBvideo]

Le but de l'engin, c'est l'exhaure, à savoir, le pompage continu de l'eau qui, sans cela, noierait rapidement les travaux du fond. Ce problème n'avait pas été résolu avant la toute fin du XVIIe siècle : les machines précédentes, à traction animale ou hydraulique (on trouve chez Agricola, notamment, des représentations particulièrement impressionnantes de roues à aubes actionnant des pompes) ne parvenaient qu'à des débits limitant fortement la profondeur des travaux. Or, dans le cas des veines de charbon exploitées dans l'ouest de la Grande Bretagne, en Belgique et dans le Nord de la France, il faut descendre résolument sous les nappes phréatiques.
La première solution moderne vient de la machine de Thomas Savery, précurseur direct de Newcomen. Ce dernier reprend des principes thermodynamiques connus depuis belle lurette et précédemment exploités pour des motifs plus futiles (tels le fonctionnement des fontaines d'agrément). En injectant de la vapeur dans un vase clos, puis en y provoquant une condensation par l'introduction d'eau froide, on obtient de l'eau tiède une dépression et donc une aspiration. Testée à grande échelle dans des fosses en Cornouailles, la machine que Savery commercialise sous le nom de "Miner's Friend" n'est pas viable. Son principe suppose d'élever une colonne d'eau aussi haute que la profondeur du puits jusqu'en surface. L'alternance de fortes pressions et dépressions tant dans le circuit de vapeur que d'eau est un défi à la métallurgie de l'époque. L'engin est breveté à la toute fin du XVIIe siècle et connait quelques applications peu durables.

Thomas Newcomen doit d'abord s'attirer les bonnes grâces de Savery car ce dernier a fait en sorte de déposer des brevets rédigés d'une manière suffisamment large pour s'assurer des droits pratiquement sur le principe de la pompe à vapeur dans son ensemble, et non uniquement sur le détail de son procédé. Ceci fait, Newcomen ajoute un piston à la machine, et met ainsi en mouvement un balancier relié lui-même à une série de pompes cylindriques traditionnelles à piston, réparties à plusieurs étages d'un puits, et auxquelles il suffit de transmettre un mouvement alternatif. Il fallait seulement y penser, au lieu d'une seule pompe surpuissante en surface, on revient au principe traditionnel en remplaçant seulement la force des chevaux ou des roues à aubes par un moteur d'une puissance inouïe pour l'époque.
Le prototype fonctionne, donc, dès 1712, et le procédé se répand sur le continent dans les années 1720. La Compagnie des houillères d'Anzin (Nord), l'une des premières très grandes entreprises minières, met ses premières machines en service dans les années 1730. La jolie expression "pompe à feu" est spécifique à l'Europe francophone ; elle désigne d'ailleurs la machine à vapeur en général pendant tout le XVIIIe siècle (les écrits de Jouffroy-d'Abbans sur les bateaux à vapeur parlent de naviguer "au moyen de la pompe à feu").

Il ne s'agit du reste pas d'une machine à vapeur au sens actuel du terme, exploitant la pression et les capacités d'expansion de la vapeur d'eau, mais d'une machine utilisant la pression atmosphérique.
Si nous suivons tout le cycle de fonctionnement de l'appareil :
Une chaudière rudimentaire (le foyer chauffe une surface plane, le fond d'un réservoir d'eau) est surmontée du cylindre unique de la machine, disposé verticalement et ouvert à son extrémité haute. La tige du piston qui le parcourt est reliée à une extrémité du balancier en bois, l'autre, à l'extérieur du bâtiment, étant reliée à la série de tiges métalliques qui s'enfoncent dans le puits et actionnent les pompes proprement-dites à différents étages.
Au repos, sous l'effet du poids des tiges et des pompes, le piston est en position haute. On introduit de la vapeur par le bas du cylindre, puis de l'eau froide (un réservoir d'eau froide se trouve au dessus du cylindre et alimente ce dernier par gravité, l'eau y étant pour sa part élevée par une petite pompe secondaire actionnée par le balancier).
L'injection d'eau provoque une condensation brutale de la vapeur dans le cylindre, la dépression qui en résulte fait descendre le piston sous l'effet de la pression atmosphérique (puisque le cylindre est ouvert en haut). C'est là que se produit l'effort principal de la machine, car par l'effet du balancier, le mouvement fait remonter les pistons des pompes du puits et donc l'eau. La descente du piston chasse l'eau du cylindre. On admet de nouveau de la vapeur à la base du cylindre, le piston remontant à la fois par la légère surpression de la vapeur (un peu) et par le poids des tiges et des pompes du puits (beaucoup).
Sur les images, on voit également le mécanisme de distribution assurant la séquence d'ouverture et de fermeture des différentes valves. Il s'agit d'un système de bascules actionnées par des cames mises en mouvement par le balancier principal. Ce système rudimentaire est suffisant pour cette machine à simple effet et sans nécessité de réglage de la vitesse de fonctionnement.
En comparaison d'une machine à vapeur conventionnelle, le rendement est très faible et, en conséquence, la consommation de charbon très importante. Cela tient déjà à la conception basique de la chaudière (nous sommes un siècle avant les chaudières tubulaires), mais aussi aux déperditions thermiques engendrées par le principe même.

En dépit de ce fait, par sa robustesse et sa simplicité, mais aussi parce qu'il n'y a pas encore de concurrence, la pompe a feu reste pendant tout le XVIIIe siècle l'unique moteur non animal des houillères en Europe de l'ouest. Jusqu'au début du XIXe siècle en effet, les machines d'extraction (remontant le charbon au jour par le puits principal) restent actionnées par des chevaux sur le principe du "baritel" et de la "machine à molettes" (un manège actionnant un tambour vertical, sur lequel s'enroule un câble, guidé vers les profondeurs du puits par des poulies verticales dites "molettes"). Ce n'est que dans les premières années du XIXe siècle qu'arrivent, dans le but d'accélérer les déplacements dans le puits, les premières machines d'extraction à vapeur : il aura fallu pour cela que la machine de Watt (à vapeur sous pression, à double effet et aux mouvements alternatifs suffisamment réguliers pour actionner une manivelle et produire une rotation continue) soit au point, fiable et robuste. Ces premières machines d'extraction se trouvent d'ailleurs désignées sous le vocable "machine de rotation" par opposition aux - désormais - vieilles pompes à feu à mouvement alternatif.

Entre-temps, la pompe à feu aura eu les honneurs de plusieurs planches de l'Encyclopédie où elle est la seule machine motorisée. Elle survit un bon siècle durant presque sans changement, avant d'être remplacée dans la première moitié du XIXe siècle par des procédés qui, pour leur part, auront une durée de vie bien inférieure - accélération technologique oblige.

Il n'en reste pas moins qu'aller observer l'une ou l'autre des reconstitutions actuelles de la pompe à feu est l'une des très rares occasions de revivre un peu de l'univers minier, pour le reste pratiquement disparu, du XVIIIe siècle : un univers où, la pompe exceptée, les techniques restaient presque aussi primitives qu'à la Renaissance, alors que l'échelle des exploitations relevait déjà de l'ère industrielle.

Comme toutes les machines anciennes, comme un grand voilier, une locomotive... la pompe à feu, c'est un univers de sensations, dominé par une respiration, des soupirs, un animal colossal bruissant d'une vie infernale et merveilleuse à la fois. Le mélange des odeurs d'une forge, du souffle brûlant du foyer et de l'air frais de l'extérieur, une charpente en bois qui craque comme un moulin à vent ou comme la coque d'un vieux navire, et toujours la respiration de ce dragon fabuleux au milieu du cliquetis de la distribution, du flux et du reflux des eaux remontant des profondeurs.

Et pour une passion de cinglé, c'est une passion de cinglé ; mais je n'ambitionne pas spécialement de descendre moi-même, un jour, dans une mine du XVIIIe... ça se fait par des échelles, et j'ai le vertige !
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