Judith a écrit : ↑dim. 10 avr. 2022 08:03
Je suis plutôt d'accord avec l'ensemble de ton message, pour ce que je connais du sujet (donc assez peu) mais j'ai une question sur ce point : comment, aujourd'hui, définirais-tu la notion de psychose en termes cliniques?
Un ou des délires constitué(s), des hallucinations, une perte de contact avec la réalité me semblent pouvoir être des symptômes dits "psychotiques", (pas nécessairement d'ailleurs). Il doit toutefois y avoir d'autres éléments, et surtout une théorie d'ensemble récente sur le sujet. Je sais qu'on parle parfois de "spectre psychotique" comme on parle de "spectre autistique" pour insister sur la diversité des phénomènes psychiques concernés, mais je n'en sais pas plus.
Je précise bien que je ne prends pas en compte dans ma question la notion de psychose au sens psychanalytique, que je connais assez bien, et où les TSA pourraient se trouver classés. Elle est obsolète et en discuter nous ramènerait du côté de l'épistémologie et non de la clinique actuelle.
Je redis bien que je ne suis pas psychiatre (mais je me forme et je lis souvent dans ce domaine).
Sur le point précis des "troubles du spectre psychotique", je pense qu'on parle plutôt de "troubles du spectre de la schizophrénie". Il existe d'autres psychoses (par exemple la très connue psychose paranoïaque, ou la mélancolie).
Concernant les signes cliniques de psychose, ils sont très différents dans ma pratique selon l'âge du patient :
* Le très jeune enfant (< 5-6 ans), dont la personnalité est en construction, présente parfois des signes très évocateurs d'un trouble sévère de la construction psychique, longtemps qualifié de psychose infantile, et actuellement comme je le disais pouvant répondre au TED non spécifié. Ces enfants vont présenter toute une série de signes pouvant les faire confondre avec un TSA "typique" ; ces signes sont liés à la lutte contre les angoisses (rituels, stéréotypies, rigidité). Comme chez l'enfant TSA, la représentation de l'enveloppe corporelle peut être très altérée, avec un dessin du bonhomme parfois très informatif (je me souviens d'un patient qui dessinait une tête, plus loin en dessous un corps et horizontalement sur le côté 4 bras et jambes bien alignés sans qu'ils touchent le tronc). Ces patients vont cependant avoir des interactions de meilleure qualité que les patients TSA (sauf lorsqu'on a laissé trop longtemps l'enfant seul face à ses angoisses et qu'il se trouve dans une déambulation désorganisée sans plus d'accroche au monde). Surtout, à l'inverse du jeune enfant TSA, ces enfants vont présenter un imaginaire riche et envahissant, avec une tonalité tournée vers l'agressivité (la guerre, les combats, les bagarres), les angoisses corporelles (l'hôpital, le sang, les blessures), la peur de l'autre, des monstres (les vilains messieurs, les monstres, les hommes noirs). Si l'enfant n'est pas trop déficitaire, c'est à travers le dessin que le diagnostic est le plus facilement évoqué. L'enfant TSA typique a un dessin souvent assez peu poétique, tourné vers les sujets qui l'intéressent (des objets, des machines, ou vers son centre d'intérêt exclusif), le dessin peut être très détaillé. L'enfant qui présente un trouble envahissant va faire un dessin beaucoup plus riche, moins bien organisé, où prédominent souvent des tonalités de rouge, de noir, de marron, des éléments pointus (des dents, des épées...). Tous les enfants qui font ce type de dessin n'ont pas un trouble envahissant, c'est bien sûr d'un faisceau d'argument que je parle. Par ailleurs, les troubles psychiques interfèrent plus dans mon expérience sur les apprentissages chez les patients TSA que chez les patients avec trouble psychotique (qui sont peu disponibles par moment mais à d'autres peuvent se tourner vers l'adulte pour apprendre) ; les troubles dys associés sont d'ailleurs nettement plus fréquents chez les patients TSA que les patients TED dans mon expérience.
* L'enfant d'âge primaire présente très rarement des signes psychotiques. Si la pathologie est survenue précocement, il est pris en charge (par du soin psychique et éventuellement un traitement neuroleptique). L'apparition de signes psychotiques dans cette tranche d'âge est exceptionnelle, cependant il faut savoir diagnostiquer une schizophrénie de début très précoce (1 % des schizophrénies vont débuter avant l'âge de 10 ans soit une prévalence évaluée à 1 pour 10 000 au plus). Très souvent, des signes d'allure psychiatrique à cet âge vont signaler une pathologie organique (maladie de Wilson, tumeur cérébrale...).
* L'adolescent (à partir de 12-13 ans) peut présenter des symptômes qui vont alors fortement évoquer les troubles psychotiques des adultes. La pathologie a cet âge est dominée par deux grands tableaux : la bouffée délirante aigüe et l'entrée dans la schizophrénie (l'une étant parfois annonciatrice de l'autre, quand elle dure, se chronicise). Le ressenti d'étrangeté face au patient est moins souvent présent que chez l'adulte, mais il est souvent corrélé à un trouble d'évolution assez sévère (j'ai par exemple un patient qui me regarde avec une insistance qui n'est pas déplacée mais qui me fait immédiatement ressentir l'atmosphère intérieure de suspicion dans laquelle il vit). Les hallucinations auditives et visuelles sont possibles à l'adolescence. Dans ma pratique j'ai constaté qu'il faut se méfier des hallucinations visuelles chez l'adolescent, qui peuvent être une expression démonstrative chez un.e jeune plutôt hystérique (les murs dégoulinent de sang par exemple), ou même avoir une fonction symbolique (le/la jeune voit une ombre, qui symbolise par exemple le père absent ou incestureux). Les hallucinations auditives sont plus généralement corrélées aux symptômes psychotiques, souvent des voix, elles sont souvent rationnalisées ("ils me parlent à travers la radio). La bouffée délirante aigüe est un épisode inaugural très bruyant, très productif, survenant chez un.e jeune à la personnalité jusque là sans particularité, très mal vécu par la famille (je me souviens d'un jeune de terminale, fils unique, premier de la classe et plutôt coincé, que j'ai retrouvé couché à plat ventre sous son lit, attendant l'arrivée des martiens qui avait été commanditée par le proviseur de son lycée...); le traitement par anti-psychotiques va souvent permettre d'éteindre les symptômes en quelques semaines. Dans 15 % des cas le tableau évoluera vers une schizophrénie (récidive des bouffées délirantes, non retour à la normale), dans 30 % s'y associe un trouble de l'humeur et un risque de bipolarité. Dans de rares cas, le tableau va être celui d'un isolement progressif du jeune qui s'enferme dans sa chambre, se déscolarise, sans exprimer clairement de symptômes psychotiques (il va falloir le mettre en confiance et les rechercher longuement en entretien). A cet âge, il faut encore être vigilant à la pathologie organique, mais dans mon expérience, la pathologie psychiatrique est déjà bien présente et fréquemment rencontrée à l'adolescence.
Judith a écrit : ↑dim. 10 avr. 2022 08:03
Sinon, pour le peu que j'en comprends, la notion d'état-limite ou borderline correspondrait en gros à ce qui était autrefois appelé "parapsychose".
Il y a un petit livre qui me paraît bien fait à ce sujet,
Le manuel du borderline de Martin Desseilles, Bernadette Grosjean, Nader Perroud (2014). C'est de la vulgarisation claire et nuancée, dont le fond semble assez solide.
Dans ce cas, il s'agit d'une pathologie dont on ne peut pas parler avant l'adolescence, car ce type de personnalité s'installe assez tard, chez l'enfant plus jeune une réorganisation psychique est toujours possible si la personnalité est un peu fragile (ce qui est bien différent d'un trouble neuro-développemental avec substratum neurologique comme le TSA), même si on constate chez les patients border-line une hyperactivité de l'amygdale gauche et un volume cortical réduit de cette zone. Ou peut-être qu'avant l'adolescence les symptômes sont peu spécifiques et trop vite attribués au jeune âge; cependant les troubles de l'humeur sont assez rares chez l'enfant.