Je ne sais pas si ça vous sera utile, mais j'ai tout de même envie d'ajouter une perspective religieuse à cette tentative de définition, du moins pour l'orgueil et la vanité, peut-être pour la fierté aussi. Parce qu'il s'agit d'une vieille question dont le traitement théologique m'a toujours paru très cohérent.
L'orgueil pour commencer : c'est l'un des sept péchés capitaux, comme vous le savez, et pour mieux cerner l'orgueil il est important de ne pas perdre de vue ce que sont ces péchés. On les dit
capitaux parce que ce sont eux qui entraînent les autres, les irréparables, les mortels. Ils sont en somme les premiers pas vers la damnation. C'est pourquoi Dante place ceux qui sont coupables de ces seuls péchés (et non de ceux plus graves qui leur auraient fait suite) au Purgatoire, et non en Enfer. Si Satan, orgueilleux par excellence (envieux aussi, coléreux par-dessus le marché), est au fond du gouffre infernal, c'est parce qu'il ne s'en est pas tenu là : il a persévéré.
L'orgueil, de ce point de vue, n'est donc pas une tare morale qui consisterait à s'exagérer ses mérites ou ses réalisations : c'est le fait de croire que ce que l'on accomplit vient de soi, de sa volonté propre, quand tout, dans une perspective chrétienne, procède de la seule volonté divine. Autrement dit, l'orgueil, c'est le péché de celui qui croit être sa propre origine : l'artiste, le savant, conquérant, la perfection faite homme ou femme... Ou leurs parents. Leurs œuvres sont considérables, ou leur apparence est sublime, et en ce sens il ne s'agit pas de prétention ; mais ils commettent la faute de s'en attribuer exclusivement le mérite, oubliant par là de se reconnaître avant tout comme des créatures de Dieu, ne possédant qu'à un degré dérisoire les qualités qui Lui appartiennent.
Dans une perspective plus contemporaine, cela reviendrait à nier l'existence des influences diverses qui nous font ce que nous sommes, si grand que l'on soit ; et c'est d'ailleurs quelque chose qui peut exister en dehors du regard d'autrui : on peut être orgueilleux pour soi, sans se soucier d'écraser la concurrence - puisque de fait on l'a déjà écrasée, qu'il en existe assez de preuves, et que les autres ont conscience de cette supériorité. Dans l'esprit de l'orgueilleux, les autres, au fond, sont accessoires, parce qu'ils ont été réduits au silence. Celui qui désire prendre la place d'un autre, qui convoite ses biens, son statut social, ses réussites, se rend coupable d'un autre péché capital : l'envie.
Bosch, quand il peint les sept péchés capitaux, représente l'orgueil (
Superbia) par cette scène : une femme, vue de dos, dans l'intimité de sa chambre, regarde son reflet dans le miroir que lui tend un diable. Elle est enfermée avec sa propre image.
La femme au miroir, c'est aussi une illustration récurrente de la vanité.
La vanité, c'est le caractère de ce qui est vain ; et pour un Chrétien, est vain tout ce qui n'est pas promis à l'éternité. La vanité, c'est l'attachement au corps, à sa beauté, aux plaisirs des sens. On est vaniteux dans l'exacte mesure où l'on se soucie de gratifications passagères, quand on devrait œuvrer au salut d'une âme qui se tiendra nue devant Dieu : on s'attache par aveuglement à ce qui passe. On comprend dès lors pourquoi le miroir de la
Madeleine repentante de Georges de la Tour reflète seulement la flamme d'une chandelle : tout est voué à l'extinction.
Raison pour laquelle la vanité n'a pu que changer de sens à mesure que le poids du dogme religieux faiblissait : quand tout passe et que rien ne survit, le mal est moindre de tirer plaisir de ce qui est éphémère. Le vaniteux contemporain, c'est plutôt celui qui cherche
vainement à se survivre dans le regard d'autrui, qui est en recherche constante de reconnaissance, de cooptation - et de ce fait il n'est pas en concurrence avec
tous les autres, puisqu'il a besoin de pairs qui le rassurent sur son image, et auxquels il rendra le même service.
C'est pourquoi, si je peux concevoir un orgueilleux coupé du monde et seulement occupé de se célébrer dans ses œuvres, je n'imagine pas un vaniteux qui n'évolue pas au milieu des autres. Je ne sais même pas si un orgueilleux qui chercherait l'approbation d'autrui le serait encore.
Quant à la fierté, je suppose que je la définirais comme la conscience lucide de la valeur de ce qu'on accomplit : on sait ce qu'on a fait, et l'on sait aussi que cela ne s'est pas fait seul, parce que l'on n'est pas le fruit de soi-même et que par conséquent rien de ce qui vient de soi n'en vient exclusivement.
Hors-sujet
tl;dr : l'orgueilleux est un gros con qui a fait des trucs géniaux ; le vaniteux a besoin de ses potes pour kiffer sa piscine ; le fier remercie papa, maman et son prof d'art dramatique à la fin de son speech aux Césars.