Le travestissement du réel: l'exemple d'Alamut

l'Humanité, L'Existence, la Métaphysique, la Guerre, la Religion, le Bien, le Mal, la Morale, le Monde, l'Etre, le Non-Etre... Pourquoi, Comment, Qui, Que, Quoi, Dont, Où...?
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lévidanse
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Le travestissement du réel: l'exemple d'Alamut

Message par lévidanse »

Bonjours à tous,

En ces temps qui courent, alors que nous nous prétendants être au sommet de notre évolution sur bon nombre de plans, je constate une régression de la part de mes contemporains à se "réfugier" dans des illusions.
La question sur le réel étant complexe, nous nous appuierons comme base ici, sur le roman de Vladimir Bartol: Alamut et son problème du rapport entre Connaissance (dans son sens 1er: Gnosis) et transfiguration du réel suivant la dynamique Créateur/Créature.
Le sujet est vaste et la littérature en abonde.

Je me suis pris la peine d'écrire un résumé du roman dispo ici:


► Afficher le texte
Ce sont les citations d'Hassan, le grand architecte et prophète charlatan et magicien (hum...rien k'sa?), ici qui nous intéresse:

Et celui-ci est particulièrement lucide
"Protagoras disait que l’homme est la mesure de toute chose. Ce qu’il perçoit existe, ce qu’il ne perçoit pas n’existe pas.Dans les jardins, nos trois garçons, leur corps, leur âme et tous leurs sens vont jouir du paradis. Le paradis existe donc pour eux. Toi, Buzruk Umid, tu t’indignes de la supercherie dans laquelle j’ai attiré les fedayin. Ce faisant, tu oublies que nous sommes nous-mêmes victimes des illusions de nos sens. Dans ce domaine, je ne serai en rien pire que cet être supposé au-dessus de nous qui, comme l’affirment les différentes religions, nous a créés. Démocrite savait déjà que nous sommes victimes de nos sens. Pour lui, il n’y a ni couleurs, ni sons, ni douceur, ni amertume, ni froid, ni chaleur mais seulement des atomes et de l’espace. Et Empédocle a constaté que seuls nos sens assurent la liaison avec notre savoir. Ce qui n’est pas en eux n’est pas non plus dans notre pensée. Si nos sens mentent, comment notre connaissance, qui procède d’eux, pourrait-elle être juste ? Regardez ces eunuques (hommes castrés) dans les jardins ! Ils ont les mêmes yeux que nous, la même bouche et les mêmes sens. Et pourtant ! Une petite mutilation de leur corps a suffi pour que leur image du monde change fondamentalement. Qu’est pour eux le parfum enivrant d’une peau de jeune fille ? une odeur repoussante de peau en sueur. Et le contact des seins fermes d’une vierge ? la sensation désagréable d’un membre étranger adipeux. Et l’accès secret au summum de la volupté ? un drain malpropre. Telle est, vous le voyez, la fiabilité de nos sens. L’aveugle n’a que faire de la beauté colorée d’un jardin en fleurs. Le sourd est inaccessible au chant du merle. Le charme des vierges n’excite pas l’eunuque. Et le nigaud se moque de toute la sagesse du monde.
"

"– Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui nous rendent heureux ou malheureux, dit Hassan à ses dais dans l’observatoire alors qu’ils étaient allongés sur des coussins, mais seulement l’idée que nous avons d’elles, le crédit que nous leur accordons. Prenons un avare qui enterre un trésor dans un endroit secret. En public, il joue au misérable ; en privé, il jouit de l’idée qu’il est riche. Son voisin découvre sa cachette et lui vole son trésor. L’avare se réjouira de sa richesse tant qu’il ne découvre pas le larcin. Et si sa mort survient avant, il expirera dans l’idée heureuse qu’il est riche. Il en est de même avec l’homme qui ne sait pas que sa maîtresse le trompe. S’il ne l’apprend pas, il vivra heureux jusqu’à sa mort. Examinons le cas où sa femme chérie est un modèle de vertu et où une mauvaise langue le persuade qu’elle lui est infidèle, il souffrira les tourments de l’enfer. Ni une chose vraie ni un fait vrai ne décident donc de notre bonheur ou de notre malheur, car nous sommes surtout et exclusivement dépendants de nos interprétations et de la conscience que nous en avons. Nous découvrons tous les jours combien ces interprétations sont mensongères ou erronées. Notre bonheur s’appuie sur des jambes frêles et notre tristesse est souvent injustifiée ! Quelle merveille que le sage soit indifférent aux deux ! Et si seuls les rustres et les imbéciles pouvaient jouir du bonheur ?"

"Nous n'avons plus personne au-dessus de nous, excepté Allah et son ciel énigmatique. De l'un et de l'autre, nous ne savons presque rien, et n'en saurons jamais plus : autant donc fermer pour toujours le grand livre des questions sans réponse... J'entends désormais me contenter de ce monde tel qu'il est. Sa médiocrité me dicte la seule conduite à tenir : inventer des fables, aussi colorées que possible, que nous destinerons à nos fidèles enfants... en attendant dans cet asile le dénouement de la suprême énigme. Il est permis à un vieillard qui connaît le monde de s'adresser aux hommes sous forme de légendes et de paraboles. Que de travail ai-je encore devant moi ! Pour les croyants du commun, il me faut imaginer mille et une histoires rendant compte de la genèse du monde, évoquant le paradis et l'enfer, les prophètes, Mohammad, Ali, Al-Mahdi... Juste au-dessus du troupeau, les croyants combattants auront droit à comprendre le pourquoi et le comment des règles et des interdits qui nous gouvernent : je préparerai à leur intention un code et un catéchisme imagé.
Les fedayins, eux, seront introduits à un savoir secret : je leur enseignerai que le Coran est un livre énigmatique qui doit être interprété à l'aide d'une certaine clef. Mais aux deys, au-dessus d'eux, nous apprendrons que le Coran lui-même ne renferme pas les mystères suprêmes. Et s'ils se révèlent dignes d'accéder au grade ultime, nous leur révèleront le terrible principe qui gouverne tout notre édifice : rien n'est vrai, tout est permis ! "


Citations ici tirées de Babélio.fr



Inspiré d'une réalité historique mise en lumière par Marco Polo, Vladimir Bartol révèle les stratégies de travestissement du réel de son époque (ici, années 30 en Slovénie) représenté par le Totalitarisme, et son arme la plus optimale, fruit d'une remarquable ingéniosité sans limites: la "coloration" de toute Gnoses allant dans le sens du pouvoir du Super-Organisme...


En était il de même avec le Mythe du Wallalah Scandinave teinté de "Romantisme (mystique "pré-fabriquée", amour de la Nature, de la Terre...)" qui a inspiré le Pangermanisme ethno-génocidaire des années 30-40 ?

Et aujourd'hui, par rapport à la responsabilité des Institutions;
En est-il de même de l'influence de la publicité sur notre confiance des géants de l'énergie à gérer la crise écologique, tout en nous incitant par la consommation abusive en modelant de nouveaux archétypes "positifs", à vider les ressources naturelles de la Planète, au nom de la Croissance et Compétitivité ?
En est il de même de certains événements tragiques actuels, responsable d'une politique de la peur assumée et revendiquée par certains courants d'idées politiques ?

Et toutes formes de dérives populistes ?

"Ne prenons pas les gens pour des cons; mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont" disaient Les Nuls dans leurs personnages de directeurs artistiques publicitaires...


Les questions sur la capacité du Pouvoir à colorer et modeler les mythes et réalités à leurs images sont légions.
Et la technologie singulariste de la Communication tend à en amplifier leur puissance.



Ici, donc il y aurait deux phrases clés:
"Rien n'est réel, Tout est permis" de Vladimir Bartov interprétée par le personnage de Hassan ibn Sabbah, et dont sa portée est riche en interprétations, et entendue par tout le monde. Cette phrase vient de Dostoïevski qui avait inspiré Nietzsche : "Si Dieu n'existe pas, tout est permis", dans les frères Karamazov.

Il y a aussi cette phrase de Jean-Luc Godard qui fait brillamment écho "Il est temps que la pensée redevienne ce qu'elle est: dangereuse pour le penseur, et transformatrice du réel"

En tentant de combiner ces deux phrases-mères, rien ne saurait être réel d'après Hassan-Bartol, mis à part "le réel" de Godard, dicté par la pensée du penseur et "dangereuse pour celui-ci", ici la définition du réel pour celui-ci n'est pas exactement la même que Bartov, bien qu'ils soient contemporain.

Ces phrases sous-entendraient la réalité exclusive de nos pensées sur le réel, et leurs pouvoir sur nous-même.


La véritable question alors est:


"Comment ouvrir les yeux sur les différends plans du réel sans tomber dans toutes formes d'influences artificielles, que l'on peut recenser comme telles ? Et comment mettre en lumière ces artifices, selon les différents points de vues ?"


A savoir la Gnose Soufiste, travestie par l'exemple de la secte des Haschischins et présentée ici par V. Bartov comme base de réflexion, mais aussi chez nous par le "Monde de la Communication", sous entendu:
L' influence de la publicité, des médias main-stream et autres "télé-réalités", et conférences politiques sur nos émotions et notre perception du réel dont le livre "99 Francs" de F. Beigbeder nous offre une perspective aussi cynique que réaliste. Et toutes formes de travestissement du réel ordonnées par certaines institutions, influente sur son peuple, pour servir les intérêt du Pouvoir, qu'il soit manifesté par l'argent, par les armes ou par des mythes.
On connaît alors la volonté qu'on certains médias indépendants, tel "Politis" en exemple, de refuser toute forme de travestissement du réel servant le Pouvoir , en faisant appel aux dons à la place de notre bonne vieille pub aussi énervante qu'influente, voir même fascisante (pris uniquement dans son sens étymologique: créer un vif faisceau lumineux n'éclairant qu'une partie du monde, laissant le reste dans l'obscurité... L'oeil de Sauron, sauf qu'ici le "méchant" prend les habits de l'Ange ?)


Quelques interrogations annexes:

Est-il possible alors de considérer toute forme de travestissement du réel (Communication, Art, Culture, Religion...) comme de la "sorcellerie", figeant les esprits et les corps dans la reproductibilité de la représentation ?

Et de surcroît, est-il possible de sauvegarder notre liberté d'expression, d'action, de style de vie, tout en se prémunissant de toute forme d'influences artificielles sur la capacité de nos pensées et cognitions qui nous est propre à faire des choix et à représenter le monde ?

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Re: Le travestissement du réel: l'exemple d'Alamut

Message par Coralie352 »

lévidanse a écrit :Celle de Bartov à la beauté de se distinguer des traditionnels Huxley/Orwell/K. Dicks et de leurs univers steam/cyberpunks.
Pardon ? :tmi:
C'est un peu comme si tu disais "le drapeau français aux magnifiques couleurs vertes et jaunes" ou si je lisais "Bérurier noir au style si jazzy et classique à la fois"...
Pour certains ce sera juste un détail, pour moi c'est un argument "rhédibitoire" qui me fait m'arrêter pile net et fait que je n'irai pas lire la suite...

Excuse-moi si je te paraîs "dure", mais bon... :doh:
"Those who would give up essential Liberty, to purchase a little temporary Safety, deserve neither Liberty nor Safety."
Benjamin Franklin, 1755

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Re: Le travestissement du réel: l'exemple d'Alamut

Message par Grabote »

Coralie352 a écrit : "Bérurier noir au style si jazzy et classique à la fois"...
:D j'adore !
L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant. René char

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lévidanse
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Re: Le travestissement du réel: l'exemple d'Alamut

Message par lévidanse »

Coralie352 a écrit :
lévidanse a écrit :Celle de Bartov à la beauté de se distinguer des traditionnels Huxley/Orwell/K. Dicks et de leurs univers steam/cyberpunks.
Pardon ? :tmi:
C'est un peu comme si tu disais "le drapeau français aux magnifiques couleurs vertes et jaunes" ou si je lisais "Bérurier noir au style si jazzy et classique à la fois"...
Pour certains ce sera juste un détail, pour moi c'est un argument "rhédibitoire" qui me fait m'arrêter pile net et fait que je n'irai pas lire la suite...

Excuse-moi si je te paraîs "dure", mais bon... :doh:
Non ton objection est légitime.

Je vois Orwell et ses deux livres phares (Animal's farm et 1984) comme du steampunk directement inspiré de l'URSS.
Huxley et le meilleur des mondes à cheval entre les deux, et K Dicks (dans le cas d'Ubik) cyberpunk complet, après le "Neuromancien" de Gibson serait plus approprié.
Mes critères de références se limitent à l'omniprésence de la "machine de guerre" technocrate rendue possible, entre autre, par la thermodynamique dans le cas du steampunk et celle de la systémique/informatique qui rend possible le cyberpunk.
En fait, c'est plus selon une évolution historique et technologique de notre monde, qu'un "univers défini" selon tel ou tel critères, le pourquoi des termes.

Après, pour éviter la confusion, je vais éditer mon post. Le sujet n'est pas là.

Et si je l'ai utilisé, c'est pour mettre en lumière le contraste entre nos époques contemporaines et celle qu'a imaginé Bartol. En effet, un millénaire s'est écoulé entre les mondes et un Univers culturel nous sépare, et pourtant, le "principe dystopique" que j'essaie de mettre en lumière est toujours présent.





N’empêche que le bérurier noir remix en classique ça doit être classe ^^

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