Tout à fait, c'est pourquoi je respecte l'homme, l'intellectuelEuthyphron a écrit : Que la pensée de Kant soit datée, je le concède facilement. Il me paraît difficile en effet d'être totalement kantien aujourd'hui. Et effectivement, le contexte est bien celui d'une époque où l'on croyait que civilisation ne s'écrivait qu'au singulier, et où vérité impliquait universalité. C'est l'époque des Lumières, qui a abouti à la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen.
C'est là aussi qu'il y a malentendu... Ce qui me pose problème c'est l'aspect méritoire ou pas. Je ne conçois pas les choses ainsi. Nos actes n'ont pas à être méritoires ou non. Nous agissons moralement car c'est notre mode de vie, celui qui nous permet de vivre ensemble. La notion de mérite est totalement subjective, et n'est pas utile à mon sens.Euthyphron a écrit : Mais pour autant tout ce qui a été pensé à l'époque n'est pas périmé loin de là. La preuve en est que cette pensée a gardé son pouvoir de provocation à la réflexion, puisqu'elle résiste à la compréhension immédiate et apporte des points de vue encore nouveaux pour la majorité des étudiants qui la découvrent.
Il faut que j'insiste sur un point : si vous pensez que l'acte moral est accompli de façon désintéressée, ou, autre façon de dire la même chose, qu'agir moralement uniquement dans le but d'être récompensé n'est pas méritoire
Le plaisir ressenti par une action n'est pas une carotte mais un curseur... Je n'arrive pas à concevoir dans tout cela cette notion de mérite.Euthyphron a écrit : vous êtes kantiens. Vous ne pouvez pas aller plus loin que lui dans cette voie, car même le plaisir qu'il y a à se sentir utile, ou à avoir fait une bonne action, est pour Kant assimilable à une récompense, et donc si bien sûr il n'y a rien de mal à l'éprouver, il n'y a non plus rien de méritoire dans une action accomplie pour le plaisir, fût-elle bonne.
Pourquoi la récompense attendue dans l'au delà serait plus méritoire que celle ressentie immédiatement?
Oui il y a de l'injustice, de la justice. L'injustice nous amène du déplaisir, la justice du plaisir. Je trouve ça.... puéril? (je ne trouve pas le mot adéquat) d'espérer un monde plus juste dans l'au delà. Le monde c'est aussi en grosse partie ce qu'on en fait.Euthyphron a écrit : L'existence de Dieu n'est pas non plus une récompense, mais la promesse d'un monde juste (au passage, cela ne me paraît pas spécialement sinistre, mais tout simplement lucide, de signaler qu'en cette vie il y a inévitablement de l'injustice). J'ai déjà dit que je trouvais cela tordu, de ramener Dieu ainsi. Mais il ne faut pas caricaturer, c'est très clair que pour Kant si vous faites le bien pour gagner votre paradis votre conduite n'a rien de méritoire et donc vous ne gagnez même pas votre paradis.
Exemple: Une personne va subir une injustice: il a travaillé laborieusement toute sa vie pour construire sa maison et une nuit, une tempête emporte sa maison. C'est injuste! Son voisin dont la maison est toujours debout peut lui tendre la main, et accomplir un geste juste.
Oui la vie est injuste parfois, elle est dure et cruelle, mais nous pouvons aussi agir pour amener de la bonté et de la justice... Espérer que cela se produise dans l'au de là est pour moi un renoncement.
Les lois civiles et religieuses peuvent aller à l'encontre des lois morales. Donc non je n'hésite pas, je sépare totalement les deux.Euthyphron a écrit : Le noeud du débat subsistant me paraît mis en évidence par une contradiction (ou est-ce une hésitation?) que je constate dans ce que tu écris, emmanuelle47.
D'un côté tu dis que l'acte moral est accompli en vue d'un intérêt, celui de la société, ce qui veut dire que loi morale et loi sociale se recoupent nécessairement. De l'autre, tu reproches à Kant de confondre morale et loi civile ou religieuse, ce qui veut dire qu'il faut les distinguer.
Là je suis d'accord, il y a des situations où il faut désobéir à la loi civile pour rester moral... Et c'est là que je ne comprend pas: il dit que nous obéissons aux lois morales (civiles et religieuses aussi???) pour accéder à la récompense dans l'au delà, mais d'où sortent ses lois morales si l'empathie n'a rien à faire dans l'histoire?Euthyphron a écrit : Or, non seulement Kant n'est pas victime de cette confusion, mais au contraire il tranche si nettement que c'est cela qui peut déranger le lecteur, ou le réveiller. Il y a des situations où il faut désobéir à la loi civile (ou religieuse, cela va de soi) au nom de la loi morale. Quant toute une société veut procéder à un lynchage, par exemple, celui qui agit moralement s'y oppose. Et si l'esclavage a été aboli, c'est parce que certains ont pensé qu'il y avait des préoccupations plus importantes que l'intérêt de la société. Il se trouve d'ailleurs que c'est essentiellement chez Kant (et chez Rousseau) que les anti-esclavagistes ont puisé de quoi fonder théoriquement leur combat.
A la loi sociale alors, pas la loi civile ou religieuse car cette dernière peut être facteur d'oppression.Euthyphron a écrit :La moralité est donc obéissance à la loi en soi, oui, mais en même temps, de façon aussi inséparable que le recto et le verso d'une même feuille, capacité de résistance à toute forme d'oppression.
Comment établir une morale en se coupant de notre sensibilité? D'où vient cette morale? D'où vient la volonté? Qu'est ce qui permet d'affirmer que la sensibilité ne fournit aucune loi?Euthyphron a écrit :La morale reste complètement extérieure à la sensibilité de l'individu (j'emploie ce mot, comme Kant ou plutôt ses traducteurs, dans son sens premier de capacité à recevoir des impressions par les sens, mais on pourrait aussi le comprendre au sens actuel). Mais pas à la volonté, qui la reconnaît comme sa norme (de même que l'intelligence reconnaît le vrai comme sa norme).
L'autonomie, qui est le maître mot, signifie étymologiquement la loi qu'on se donne à soi-même. Il suffit de comprendre que la sensibilité ne fournit aucune loi pour qu'il devienne possible de penser une autonomie morale sans souci de satisfaction sensible.
Faut il séparer sensibilité et raison? Je comprend la notion d'empathie comme étant justement l'union des 2. Ressentir une émotion peut rester totalement anarchique, il lui faut la raison pour lui donner un sens, et entrainer une action utile.Euthyphron a écrit :Puisque la loi doit commander de telle sorte que ce qui s'impose à moi s'impose à tous, sans quoi elle n'est pas la loi mais une simple maxime, c'est à la raison qu'il revient, non pas de manifester ses préférences (ce que suggère fâcheusement à mon avis le mot "valeur"), mais de déterminer ce que ma volonté reconnaît elle-même comme sa norme.
"Agis de telle sorte que la maxime de tes actions puisse être érigée en loi universelle" est la formulation de ce que Kant appelle l'impératif catégorique. C'est à ce critère que nous pouvons juger la valeur morale de nos actions. Puis-je vouloir sans contradiction l'esclavage universel? Il est évident que non. Je peux vouloir l'esclavage de tous sauf moi, en établissant une exception. Mais si je fais ainsi je ne respecte pas l'impératif catégorique et je peux donc vérifier ce que je savais déjà, réduire autrui en esclavage est immoral, même pour un misanthrope.
L'être humain ne se concoit pas seul, mais dans un groupe, et le langage permet d'ajuster les raisonnements et d'ainsi de dessiner des lois morales.
Pour l'exemple de l'esclavage... un autre angle de vue: pourquoi le refuser pour soi même? car notre sensibilité ne l'accepte pas. Notre raison nous permet de formaliser ce refus. Pourquoi ne pas l'accepter pour les autres? car notre empathie nous montre que c'est une situation inadmissible pour l'autre et nous fait également ressentir sa souffrance, ce qui nous conduit à rejeter l'esclavage pour tous.
Le biais est notre capacité à inhiber notre empathie pour ceux que nous ne considérons pas comme nos semblables.
Ce qui revient au même que d'adopter une loi universelle tout en excluant des êtres humains de l'universalité en les dénuant de leur humanité.
Avec un raisonnement différent nous arrivons aux même conclusions, enfin je trouve.