Tout un cinéma !

enufsed
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Re: Tout un cinéma !

Message par enufsed »

Phantom of the Paradise / Part 2

Comme toujours ce sont des impressions et des fascinations personnelles qui n'ont pas la prétention de l'analyse objective ;)

La mise en scène de la violence d’une époque
Je reprends ici l’analyse de Jean-Baptiste Thoret que vous pouvez retrouver ici, je place le curseur sur le moment le plus intéressant de son analyse : l’assassinat de Kennedy et la guerre au Vietnam ont bouleversé la hiérarchie des images en plaçant l’invraisemblable du côté du réel pour reléguer l’image fictionnelle au rang de substitut dépassé. La violence crue de ces images du réel a déplacé la fascination jusqu’ici exercée par l’imaginaire des images fabriquées : le cinéma n’était plus à la hauteur de la réalité et il lui fallait répondre à ce nouveau paradigme en interrogeant cette fascination et la stupeur face à l'événement réel.
[BBvideo=400,225]https://youtu.be/tr0YVbWLHtg?t=3115[/BBvideo]
Je pense ici à la fameuse phrase faussement attribuée à André Bazin au début du Mépris de Godard : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Si tel est le cas on s’interroge alors sur le désir de violence ou d'assister à la violence.
C’est ce que Swan comprend dans le film en préparant l’assassinat en direct de Phoenix : « an assassination live on television coast to coast, that's an entertainment ! ». Phantom of the Paradise est la réponse de De Palma à ce qui est alors devenu une évidence : la récupération de la violence réelle par le cinéma serait celle du divertissement. La fascination morbide peut alors être dupliquée à l’envie, répétée ad nauseam sur des écrans multiples, split-screen typique du réalisateur qui met en abyme la situation voyeur/vu et écrans côte à côte préparant l’avenir du gavage industriel d’images propres à diluer le réel.
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Pour digérer la violence réelle il faut en inféoder la réalité aux images, le geste du cinéma après Kennedy sera de faire du réel une pâle imitation séquentielle et en retard du flux incontinent des images (cf. Guy Debord). Il ne s'agit pas tant d'inverser le rapport de force que de le phagocyter pour le rendre industriellement reproductible : répondre au désir de voir la violence par le gavage dans une pornographie du sang.
De Palma choisit de critiquer ce gavage en devenir en l’illustrant de manière absurde : déconstruire ces flux en les travestissant, comme Swan va travestir la musique de Winslow. Et au milieu de ce travestissement laisser surgir le chaos : c’est le rôle de la troupe de Schechner filmée dans Dionysus in 69, groupe théâtral et d’improvisation où s’exerce le talent de William Finley, l’acteur principal de Phantom in Paradise. Du réel à sa boursouflure bouffonne et absurde, la réutilisation des codes façon pop-art et la défiguration des oeuvres, des sons et des images.

On peut reprendre image par image la récupération par le cinéma de De Palma et le chaos du final de l'horreur fondatrice de la mort de Kennedy : comme le souligne Thoret, le basculement de la fascination, le moment où le cinéma est dépassé est celui de la frame 313, celui où une partie du crâne de Kennedy vole en éclat à l’image.
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Cette sidération sera et demeure le socle de l’incrédulité et des théories du complot. Cet instant est aussi celui dans le film du basculement de l’ordre diabolique instauré par Swan vers le chaos : le diverstissement échappe au diable non pas pour disparaître mais pour prendre son autonomie, la balle dévie, ne frappe pas Phoenix, mais la fascination reste et les spectateurs y prennent part totalement.
Le motif du tailleur rose de Jackie Kennedy est repris dans la corolle florale qui étreint le mariage truqué du diable et de l’innocence pervertie par le succès.
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Le cri de Winslow
Depuis un moment je m’intéresse au cri comme expression / expulsion, dans ce qu’il peut avoir de musicalité et la manière dont il fait matière, en musique en littérature et ici au cinéma. À partir de 4’33” deux cris vont se suivre, mise à mort double, du diable et de son esclave lié : d’abord Winslow un cri pur qui a l’obscurité de la mort dans un plan sur fond noir qui sépare l’instant, fige l’image, le tenant à côté du reste dans une dimension qui n’est plus celle des hommes. En hurlant Winslow se tient à la lisière, celle de la vie et de la mort, mais aussi celle entre lui et le monde, instant où va tomber le masque devenu inutile car tout est dit de Winslow et de cette souffrance endurée, fin d'un calvaire, libération sacrificielle.
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L’autre celui de Swan qui libère un corps de sa dimension diabolique, et fond ce cri dans la musique chaotique du spectacle : Swan assassiné est ainsi devenu partie matière tissée du spectacle et des images qu’il voulait posséder, l’image mange tout jusqu’à son créateur, et on entend se fondre ce cri, un râle, dans la matière musicale et devenir lui-même partition. J’adore cet effet qui m’avait profondément marqué dans deux morceaux :
Carlos Santana / Caravanserai / Every Step of the way (4’20)
[BBvideo=400,225]https://youtu.be/goMGdWr8NSA?t=255[/BBvideo]
Pink Floyd / Ummaguma / Careful with the axe Eugene (3')
[BBvideo=400,225]https://youtu.be/u9Q6qdR0Fvg?t=180[/BBvideo]
Assez bizarrement amoureux des mots, je poursuis ces cris qui sculptent l’espace sonore en expulsant de l’impensé, comme si en sortant du corps des noyaux d’énergie brute se déployaient dans l’espace en dessinant des formes complexes et insaisissables, formant comme des nappes de sens irraisonné qui se déposent sur nous et qui épousent plus ou moins bien nos sensibilités.
Cet extrait de Tree of life de Malick, reprend un motif classique des vols d’étourneaux qui, je ne sais pourquoi me vient à l'esprit pour décrire la géométrie et la dynamique de ce cri primordial
[BBvideo=400,225]https://youtu.be/ySeNb2j1SxI[/BBvideo]

Masques et difformités
Ce dernier aspect est un de ceux qui m’intéresse le plus et j’ai le sentiment depuis un moment qu’il y a là motif à écrire et penser en profondeur : que disent ces masques de Winslow et Swan, l’artiste et son double, tous deux liés par l’éternité d’un pacte de mort, tous deux à cet instant défigurés ?
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La défiguration est bien sûr symbolique, chez Winslow c’est non seulement son visage mais avant tout sa voix qui sont mutilés au point qu’un dispositif technique vient remplacer sa voix mutilée par celle de Swan (dans une scène de studio où l’on voit ce qui sera selon la légende la source d’inspiration du costume et du modulateur vocal de Darth Vader). Cette scène de studio marque déjà une soumission à l’autre pour espérer faire encore subsister un peu de soi dans le temps, phase qui aboutit dans le film au pacte signé de son sang.
Le visage méconnaissable grimé par ces masques d’artifice sont deux apparitions qui ne disent rien ni de Winslow, ni de Swan qui incarne le maléfice dans une reprise du Portrait de Dorian Gray. Que reste-t-il de ces êtres que l’on puisse recevoir sans tromperie ni erreur si ce n’est ce cri brut, immédiat, non ciselé, apprêté ou falsifié pour mieux être reçu ? Évidemment je ne peux que tirer un fil aussi fin soit-il entre ces identités faussées et certaines thématiques qui traversent le forum et la question des surdoués. Ce décalage souvent évoqué peut-il trouver une expression moins abrupte et irrecevable par autrui que ce cri hurlé ? Je me demande parfois (en fait poser la question c’est dans mon cas forcer et travestir la réponse) si l’alter ego n’est pas celui qui ouvrira grand ses yeux face à ce dévoilement brutal, comme si ce cri pouvait être une musique audible et compréhensible, formant une communion plus qu’une communauté, « ceux du cri » en somme.
Alors le masque comme la difformité ne sont plus des empêchements pour le vrai mais des artifices / sacrifices nécessaires à son dévoilement : quand l’œil cesse d’être distrait l’oreille entend l’être.

Pour finir je vous invite à jeter un oeil sur ces vidéos de rassemblements annuels anniversaires où des fans reproduisent les scènes du film, comme une répétition ironique qui emboîte le pas à la critique des images de Brian de Palma

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Je me lance avec le film où je crois trouver l’origine de ma cinéphilie : Barton Fink de Joel et Ethan Coen.


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Barton Fink, c’est d’abord des souvenirs intimes infiniment ordinaires : un été très chaud, une séance de cinéma nocturne à la campagne, dans la salle obscure d’un minuscule village, avec l’inévitable panne de projecteur au milieu de la séance, l’entracte improvisé passé à respirer l’odeur fraîche du ruisseau en contemplant les étoiles… C’est une version française ressentie comme ridicule et déformante (réécoutée depuis, elle a un peu regagné mon estime), des discussions de comptoir avec ma famille le lendemain au cours d’une balade en forêt… Bref, un concentré de délices estivaux lambda, rien à signaler.

Sauf une rencontre : j’avais rencontré les frères Coen, et ma vie allait en être changée (si si !).

J’avais déjà vu des films « d’art et d’essai » mais c’est la première fois, je crois, que j’ai entendu la voix des réalisateurs avec mes propres oreilles, et qu’elle a résonné en moi. Elle a résonné par le biais d’autres films, mais surtout, sur le moment, par celui de lectures ou d’ échos de lectures : pour moi, Barton Fink, c’est un prisme un peu déglingué où se reflètent pêle-mêle Kafka, Fante, Faulkner et Harold Brodkey. Les trois premiers comptent évidemment parmi les sources directes du film, le quatrième est probablement le fruit d’une association aléatoire de ma part : la prison intérieure de Barton et l’improbable hôtel où s’endort sa raison pour que naissent les monstres m’ont évoqué certains aspects des personnages des premières nouvelles de Brodkey. C’est probablement dû à la façon dont est matérialisée la dérive de l’esprit, le passage entre des états de conscience plus ou moins lucides : le plan de plongée dans la tuyauterie est devenu fameux à cet égard, mais il y aurait à dire sur l’usage des motifs de papier peint et après tout, le début du Temps Retrouvé de Proust, qui parle du pouvoir hallucinogène de ces motifs, a inspiré Brodkey : alors va savoir…
Bref, c’était la rencontre d’un film-cerveau (oui bon, j’étais très jeune :honte: ), et je crois que j’ai été naïvement émerveillée de voir à l’écran ce que je ne connaissais encore que dans les livres, l’immersion dans les strates les plus profondes du psychisme d’un individu perturbé, la restitution en images animées et montées des splendeurs horrifiques du rêve.


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J’avais déjà exploré Polanski et ses appartements maudits, et un peu plus tard, pas beaucoup, j’ai découvert Cronemberg, bien sûr, autre grand maître en la matière, plus vaste et plus subtil que les Coen, puis Kubrick dont Shining (que je trouve raté 8o ) constitue l’une des sources majeures du film, qui pourrait presque en être vu comme une réécriture, voire une correction ironique - j’aime cette idée sans doute fausse ; mais sans les Coen, je n’aurais peut-être jamais pu les revoir, les comprendre et les aimer comme je l’ai fait : les frères ont vraiment été pour moi des passeurs, ils m’ont ouvert un monde. Cela leur a valu de conquérir mon cœur de cinéphile comme aucun autre cinéaste ne l’a fait par la suite.
A l’époque, le caractère douloureusement autobiographique du film (qui a servi à exorciser chez eux une panne d’écriture sur un autre de leurs films, Miller’s Crossing, en mettant en scène l’angoisse de la page blanche chez un scénariste qui, ironiquement, se trouve chargé d'écrire un film de catch et cauchemarde à la place un mauvais polar) ne m’a pas particulièrement touchée, faute d’être concernée : c’est venu plus tard quand j’ai dû à mon tour écrire…


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En revanche, tout ce qui a trait à la judéité comme sentiment d’étrangeté et de vulnérabilité particulière au monde, toujours rachetable par l’humour -fût-il le plus potache- m’est allé droit au cœur : ah là là, les noms des deux flics antisémites, mes côtes se souviennent encore de la rigolade qu’ils m’ont value… C’est peut-être, à la réflexion, la source du lien spontané fait avec l’univers de Brodkey.

Et puis, Barton Fink est aussi une formidable comédie satirique et l’alliance de l’horreur intime, du cauchemar et du rire était une autre découverte. Ce n’était pas ma première comédie noire, j’adorais Arsenic et Vieilles Dentelles et Tueurs de Dames, mais le film a élargi ma perception, y compris sur le plan littéraire : avant de le voir, par exemple, Kafka m’épouvantait et me plongeait dans un profond chagrin. Barton Fink m’a aidée à saisir comment La Métamorphose ou Le Château avaient pu être pensés avant tout comme des œuvres comiques.

Pour finir et ne pas écrire des heures, je terminerai par un mot d’amour à John Goodman : pour incarner le mythe fondateur d’un écrivain névrosé (l’ « homme ordinaire » avec qui et pour qui Barton rêve d’écrire) lorsqu’il devient, dans l’esprit ravagé de celui-ci, tour à tour son public, son meilleur ami, son personnage, son sauveur, sa bête noire, sa Nemesis et le révélateur de ses plus indicibles pulsions (je me souviens du temps passé à me demander avec délices : a-t-il tué les parents de Barton ou non ? :cheers: ) il fallait du génie, et Goodman en a eu.


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Et en conclusion : merci à Enufsed de m’avoir donné très envie de ressortir mon coffret Tarkovski –mais est-ce bien raisonnable ?

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Tamiri
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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

Merci à vous deux, j’ai toujours pas finalisé mon fantôme à moi qui est rédigé aux trois quarts, honte à moi.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil

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Re: Tout un cinéma !

Message par Bulle d'o »

oh merci pour cette qualité! je reprendrais le temps de lire, le temps de vivre la lecture, plus précisément.
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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Ah oui, j'ai hâte de lire la fin de la présentation du Fantôme de l'Opéra, très intéressante.
Il me faut maintenant voir le film de De Palma que je n'ai jamais osé regarder par peur de l'excès de violence : je suis parfois assez froussarde, j'avoue, mais Carrie et Scarface m'ont quelque peu traumatisée à cet égard. :honte:

Et je ne vois toujours pas les images chargées dans la galerie du forum, c'est dommage pour ce fil. Je ne sais pas si d'autres ont ce problème.

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Tamiri
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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

[mention]Judith[/mention], chez moi ton message sur « Barton Fink » apparaît illustré de quatre images. J’ai déjà rencontré des temps de chargement important avec les images chargées dans la galerie du forum, qui me laissaient penser que l’affichage ne fonctionnait pas du tout.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil

Invité

Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Il y a bien quatre images dans mon message (chargées sur Casimages). Ce sont les images du message d'Enufsed sur Phantom of the Paradise que je ne peux pas voir : je n'y suis pas autorisée.

enufsed
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Re: Tout un cinéma !

Message par enufsed »

Je voulais favoriser la persistance des images dans le temps : les stockages sur sites externes ont une durée de vie limitée. Je n'avais pas envisagé ta situation mais a priori si tu continues d'alimenter le site avec des posts de qualité tu changeras de statut et auras accès à tout ;)

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Ah, merci de cette réponse qui éclaire ma lanterne. J'ai l'intention de continuer à écrire dans le site, sur le cinéma et quelques autres sujets, donc on verra bien. Je transfèrerai les images le cas échéant.
J'ai regardé le Brian de Palma finalement : beau film, très marquant, merci pour la découverte. Il ne m'a pas spécialement parlé, mais je me suis sentie en désaccord avec ce que dit Thoret dans la vidéo au sujet de l'absorption intégrale de la personnalité du musicien dans celle du Phantom : il m'a semblé que le personnage conservait tout au long du film une part de son idéalisme et de sa pureté de cœur, au moins dans son amour pour Phoenix et son acharnement à la sauver. Et la fin m'a semblé ouverte à une interprétation partiellement positive : en perdant son masque, il retrouve son visage, certes mutilé mais reconnaissable par sa bien-aimée, et échappe au Mal. C'est ce qui arrive à Dark Vador lorsqu'il dépose son casque et dit à son fils "tu m'as sauvé". On pourrait presque dire qu'il retrouve son Visage au sens lévinassien du terme dans le regard du spectateur, même si j'ai bien conscience que tenter de lire de Palma au filtre de Lévinas est un peu exagéré.

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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

Le Fantôme de l’Opéra

3 - Hybridation sonore

Il est étonnant de constater à quel point une histoire somme toute récente a pu prendre un tour caricatural en peu de temps pour devenir, dans une certaine vision de la « culture générale », aussi schématique que la lecture de la Guerre des Gaules par le « petit Lavisse »... En l’occurrence, le passage au parlant a fréquemment été perçu comme une mutation rapide et radicale. Cette forme d’illusion rétrospective s’appuie, vraisemblablement, sur une représentation binaire selon laquelle y aurait deux formes d’art à la fois abouties et autosuffisantes, le muet et le parlant, et à quelques (notables) exceptions près, les nombreuses formes intermédiaires se sont généralement retrouvées au purgatoire.

À partir de 1925 environ, la phase de banalisation du cinéma sonore commence et s'étend, selon les lieux, sur une dizaine ou une quinzaine d'années. En 1929 est entreprise une refonte du Fantôme de l'Opéra dans le but de ressortir le film en salles l'année suivante, en tenant compte de l'arrivée du son enregistré, et surtout de la popularité grandissante de ce nouveau medium. Un nouveau montage est réalisé, le film perdant pour l'occasion environ un quart d'heure, certains plans sont totalement refaits, sans la participation de Julian, par deux réalisateurs « maison » dont le neveu de Laemmle, Ernst Laemmle. L'une des « substitutions » les plus importantes concerne Carlotta, la rivale de l'héroïne, dont le rôle initialement interprété par une comédienne traditionnelle est repris par une chanteuse, afin d'obtenir, avec son synchrone, l'une des scènes les plus célèbres du film : celle où le lustre s'écroule pendant l'air des bijoux. Il n'est pas certain que l'on gagne au change par rapport à la solution d'un play-back avec un disque existant, car la chanteuse ne maîtrise pas le français (ce qui aurait été rigoureusement inacceptable pour le vrai public parisien... mais le public américain ne s'en rend probablement pas compte). Pour l'anecdote, il est également décidé de faire parler la mère de Carlotta, et c'est alors la comédienne qui incarnait la cantatrice dans la version initiale qui s'en charge.
Dernier problème, il est envisagé de faire « parler » le personnage principal, Erik ; or l'acteur, Lon Chaney, avait entre-temps signé une exclusivité dans une maison concurrente (où il tournait d'ailleurs un film entièrement parlant pour Tod Browning : « Le club des trois »). Quelques plans où n'apparaît que la silhouette du personnage masqué sont refaits avec un autre acteur, qui enregistre également des répliques pour la scène où le Fantôme est hors-champ et s'adresse à Christine dans sa loge. Le reste du rôle, où Chaney ne peut pas être remplacé, reste muet.

C'est qu'il ne s'agit pas d'un film entièrement parlant ni entièrement muet. Certaines séquences, appartenant en majorité à la première moitié du film, sont « parlantes » au sens moderne du terme, avec son synchrone : la plupart des extraits de « Faust » pendant les représentations (mais il faut dire qu'il ne reste pratiquement plus que les deux airs principaux de Marguerite (« bijoux » et « roi de Thulé » qui ont été refaits dans ce but, le reste étant coupé dans la nouvelle version) ; les conversations dans le bureau du directeur ; les imprécations du Fantôme depuis les coulisses, déjà évoquées ; la séquence de la loge avec Christine, Raoul et Erik hors-champ ; la scène où les danseuses et les régisseurs parlent du Fantôme.
D'autres scènes sont dotées de quelques bruitages synchrones mais de dialogues muets (le système d'alarme de l'antre d'Erik) ; enfin, à de nombreuses reprises, le film comporte du son non strictement synchrone (bruits de foule notamment, mais aussi l'évocation de la scène finale de « Faust »).
La totalité du film possède une bande-son qui, quand elle ne comporte ni dialogue ou son synchrone ni bruitages, assure l'accompagnement des parties muettes de manière conventionnelle. Il s'agit donc d'un film entièrement sonore, (très) partiellement parlant : une configuration devenue exotique et pourtant parfaitement banale autour de 1930.

Outre le fait qu’elle comporte quelques séquences dialoguées et des séquences « muettes » traditionnelles avec intertitres, cette version 1930 fait alterner des plans totalement nouveaux dont certains avec son synchrone direct (la voix est enregistrée en même temps que l’image), des plans post-synchronisés (le comédien enregistre la voix sur l’image existante en essayant d’être le plus synchrone possible avec l’image) et des plans sans synchronisme.
On peut prendre pour exemple la séquence où les danseuses aperçoivent la silhouette du Fantôme, discutent entre elles, puis vont en faire part au régisseur Papillon, lequel les emmène écouter le récit de son collègue Buquet. Les cris et la conversation indistincte des danseuses (où l’on n’entend que des bribes de phrases) sont ajoutés après coup sans synchronisme, comme les bruits de foule. De nos jours cet effet semble exotique : une réverbération paraît avoir été ajoutée mais ne masque pas le fait que les voix ont l’air enregistrées de plus près que l’image. Le récit de Buquet a été refait en son synchrone direct, et les réactions du groupe entourant Papillon (ce dernier personnage, au jeu franchement « splapstick », étant pour ainsi dire la signature du second réalisateur, Sedgwick) ont été post-synchronisées.

Ne s’agit-il, dans cette forme hybride, que d’une transition (sous contraintes techniques et budgétaires) entre un langage artistique existant (le muet, parvenu à une fascinante maturité à la fin des années 1920) et un langage en gestation (le parlant, avec des films entièrement synchronisés parvenant à maturité vers 1931) ? Ce n’est pas mon avis, les formes intermédiaires méritent mieux que cette lecture abusivement téléologique de l’Histoire.

On se souvient généralement surtout des premières fois : à l’été 1926 est présenté Don Juan d’Alan Crosland, premier long métrage avec accompagnement sonore enregistré de bout en bout (et quelques bruitages et effets de foule). Les courts-métrages sonores, y compris avec voix synchrones, sont pour leur part connus depuis le début du XXe siècle même si leur diffusion n’est pas massive. En octobre 1927 sort Le Chanteur de jazz du même Alan Crosland (avec le crooner Al Jolson déjà vedette de plusieurs « courts » sonores), premier long-métrage comportant quelques séquences synchronisées, et notamment une vingtaine de secondes de dialogue parlé. À l’été 1928, enfin, parait le premier long-métrage entièrement synchrone, abandonnant totalement les dialogues muets et les intertitres : « Les lumières de New-York » de Bryan Foy. On se souvient également facilement des résistances, surtout quand elles proviennent d’artistes de premier plan - le cas le plus célèbre étant Chaplin qui, pour avoir accepté de faire chanter Charlot dans Les temps modernes (1936 : un film sonorisé avec un texte non strictement synchrone - celui du phonographe ; une séquence de parole synchrone - le visiophone du directeur de l’usine ; et une chanson synchrone), ne se résoudra à le faire parler que dans Le Dictateur, par ailleurs dernière apparition du personnage au chapeau-melon.

La narration « muette » s’est sophistiquée, sa langue s’est enrichie, tout au long des trois ou quatre décennies de pratique. Des artistes imprégnés du théâtre académique (Méliès par exemple) importent la gestuelle ample et codifiée du théâtre du XIXe siècle, dont la mission initiale est de se faire comprendre de loin (et dans la disposition scénique peu intuitive du jeu frontal à l’avant-scène), et qui, au cinéma sert à se faire comprendre très vite sans le support du verbe. D’autres (Douglas Fairbanks, les expressionnistes...) iront chercher des ressources dans le langage chorégraphique. Pendant cette période, le cinéma sonore et parlant reste confiné au court-métrage, où il sert très souvent à mettre en vedette des comédiens, chanteurs ou orchestres connus. Quand le son synchrone (parole ou chant) apparaît dans un long-métrage de fiction, ce n’est que pour offrir à la vedette un morceau de bravoure, c’est-à-dire une tirade ou une chanson, et la technique ne permet pas d’excentricités. Là où, à la fin des années 1920, les séquences purement muettes atteignent un degré de sophistication du langage visuel rarement égalé, les séquences parlantes sont souvent filmées de manière bien plus conventionnelle - ce qui tient autant à une convention formelle (l’attraction de la séquence est le synchronisme, nul besoin d’y adjoindre d’autres moyens d’expression que le numéro de l’acteur), que des contraintes techniques, pour ce qui concerne la fin des années 1920.

C’est du reste strictement ce qui se passe dans une part des films « sonores mais partiellement parlants ». Les deux séquences synchrones du « Chanteur de Jazz » de Crossland qui consistent à faire entendre la voix de la star, Jolson : des séquences qui auraient tout autant pu être des « courts » autonomes, comme les autres tours de chant enregistrés par Jolson à la même époque, et dont l’une figurait d’ailleurs à la sélection de courts-métrages qui précédaient « Don Juan ». C’est ce qui se passe dans « Les temps modernes » où Chaplin, même s’il a interprété le seul personnage parlant du film (le directeur de l’usine), n’a consenti à ajouter le son synchrone à son personnage vedette que pour lui accorder un mémorable numéro de comédie musicale (« je cherche après Titine »).

Dans le « Fantôme » nouvelle mouture, ce n’est toutefois plus le propos principal des séquences parlées ou chantées : l’interprète des deux airs de Marguerite conservés dans le montage final n’est pas une star, c’est la première titulaire du rôle (Mary Philbin) qui reste créditée au générique ; et l’acteur vedette, Chaney, n’est pas disponible.
Les successeurs de Rupert Julian ne sont pas à la recherche d’une attraction sensationnelle pour leur film (les films entièrement parlant existent déjà quand le film ressort en salles), ils sont tout simplement en train de participer à l’élaboration patiente d’un langage spécifique pour le parlant, dans lequel les contraintes techniques encore lourdes et la disponibilité et l’aptitude des comédiens entrent en ligne de compte ; il en ressort l’obligation d’une certaine économie de moyens, et donc, le son synchrone ne viendra qu’une seule fois à l’appui du spectaculaire pour donner un côté « morceau de bravoure », à savoir l’air précédant la chute du lustre. Le reste du temps, ce sont principalement les scènes de la première partie du film, à la tension dramatique plus inégale et à l’aspect plus anecdotique, qui seront synchronisées. Au contraire, la majorité des scènes les plus intenses émotionnellement (toutes celles avec Erik à visage découvert) sont essentiellement muettes.
Cette période comporte d’autres exemples, très différents, d’une intense réflexion sur le juste usage de la parole synchronisée au cinéma. Pour « Vampyr » (1932), Carl Theodor Dreyer, contraint par la production à intégrer une bande son, se décide pour un usage parcimonieux de la parole (l’anecdote veut qu’à l’inverse, le même réalisateur avait été contraint de tourner en muet « La Passion de Jeanne d’Arc », qu’il destinait au parlant - et où on ne peut qu’imaginer l’impact supplémentaire que l’absence d’intertitres aurait conféré à ce film particulièrement original sur le plan visuel). On pourrait également prendre comme exemple le cas de « M » de Fritz Lang où la parole est économe jusqu’à ce qu’elle prenne au contraire le premier rôle au cours du procès final. La fin des années 1920 et le début des années 1930 constituent une période où l’on se demande si le parlant devra développer un langage totalement nouveau (ou non), et comment y parvenir. L’une des réponses de l’époque est de n’utiliser la parole qu’à bon escient, soit en conservant des séquences muettes et des intertitres, soit en produisant des films totalement synchrones mais... taciturnes ; une autre réponse, notoirement, est au contraire que la parole prenne une grande importance, que l’écriture du dialogue devienne une activité de premier plan pour l’auteur, et que le cinéma se rapproche du théâtre - non plus académique, mais cette fois du théâtre réaliste ou naturaliste, post-André Antoine. Au risque d’être schématique, c’est notamment l’approche de Pagnol. Or cette approche, parce qu’elle ne présente pas autant aux yeux de la postérité l’étrangeté des « hybrides », a survécu, quand les autres expérimentations n’occupent de nous jours plus que la case 1h du matin des diffusions télé...

L’on franchit un degré supplémentaire d’hybridation avec les conditions d’exploitation du film, et donc le fait que, comme nombre d’autres films de cette courte mais intense période, « Le Fantôme » est destiné à pouvoir être exploité tant en sonore qu’en muet, dans les salles non équipées. Encore une fois, la lecture conventionnelle de la chronologie tend à schématiser les choses ; en pratique, le raz-de-marée fulgurant du parlant n’est valable que pour les principales salles des grandes villes, et il faut attendre le milieu des années 1930 pour que les provinces profondes soient équipées de manière significative. Globalement, à partir de 1926-27, de nombreux films doivent être conçus pour fonctionner avec et sans son enregistré, en fonction de l’équipement des salles.
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Il va donc exister trois situations :
Des films tournés délibérément avec ou sans son ;
Des films où l’une des deux formules est imposée, soit par des contraintes techniques et financières (dans le cas d’un « muet forcé »), soit par un producteur exigeant le son pour des raisons commerciales (dans le cas inverse) ;
Et, finalement, une bonne proportion de films clairement écrits pour la formule « mixte », exploitables en sonore ou en muet, formule à la domination absolument éphémère mais intéressante pour l’évolution des formes. Le cas des films sonores sans dialogue synchrone nous semble, rétrospectivement, le moins exotique, puisque la partie visuelle des films est autonome et ne se distingue que peu, ou pas du tout, des films muets conventionnels. Ainsi « L’Aurore » de Murnau, délibérément conçu pour le sonore, possède cette caractéristique de rester intelligible sans la musique et les bruitages de sa bande-son, mais certaines séquences (par exemple celle des fanfares apparaissant en surimpression) sont clairement des illustrations de la musique avec laquelle le film a été pensé.

Il est donc avéré que la deuxième version du « Fantôme », pour en revenir à lui, a existé sous les deux formes :
La sonore partiellement synchrone, qui n’a donc plus d’intertitres dans certaines séquences ;
La Muette, avec intertitres à rajouter aux séquences parlées.

Enfin, Kevin Brownlow suppose l’existence d’une... troisième mouture, parfaitement plausible historiquement, à savoir une version sonore non synchrone. Cette dernière n’est pas une coquetterie esthétique, c’est une pratique attestée comme moyen économique d’exporter les films, dans les premières années de la sonorisation, sans avoir besoin de recourir à une postsynchronisation des dialogues et encore moins à une version multiple.
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Cette version internationale n’aurait donc pu comporter qu’une piste sonore « neutre » comportant les parties chantées, la musique de fond et les bruitages (dont les « impressions de foule »), la totalité des dialogues restant confiée aux intertitres. Cette hypothèse est parfaitement crédible du point de vue historique, mais l’existence de cette version n’est pas strictement attestée : il subsiste certes une copie du film qui pourrait correspondre à ce besoin, en revanche on ne possède pas la série de disques correspondante. Voir sur ce point ma dernière partie (à venir) sur l’état de conservation du film.
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Mikirabelle
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enufsed
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Re: Tout un cinéma !

Message par enufsed »

Merci Tamiri, je vais prendre le temps de lire ça à tête reposée. Je viens d'ailleurs de commander la version Bluray du film dans l'édition du British Film Institute, celle de Brownlow donc (j'en ai profité pour commander le Napoléon d'Abel Gance dans cette édition).
https://www.bfi.org.uk/blu-rays-dvds/phantom-opera

Invité

Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Merci pour la suite du sujet sur le Fantôme. Je lis ça dès que possible.

En attendant, j'enchaîne avec
Le Festin nu (David Cronenberg)

Image

C’est un film qui a contribué à nourrir mon imaginaire et qui demeure, pour moi, une formidable source d’inspiration par son mélange de rigueur et de folie. J'encourage vraiment à le voir malgré sa (relative) mauvaise réputation, car il s'agit d'un objet assez inédit dans le champ du cinéma.


Le roman d’origine est un monument de la Beat Generation et il est longtemps passé pour inadaptable : comment rendre justice à un objet littéraire aussi baroque et foisonnant sans l’appauvrir ? Comment transcrire à l’écran la monstruosité revendiquée d’un langage qui prétendait, selon la formule de Rimbaud, « changer la vie » en phagocytant, pour le meilleur et pour le pire, la pensée et l’imaginaire de ses lecteurs ?


Image


Préambule
Je limite l'illustration du sujet à l’image, que j’aime beaucoup, de Burroughs tapant sur l’une des monstrueuses machines du film, entouré de ses « mugwumps » (avatars difformes de son personnage principal) : je préfère renvoyer le lecteur curieux de se faire une idée du contenu visuel du film à cette brillante chronique de Dvdclassik, qui contient, outre une foule d’idées stimulantes, une belle série de captures d’écran, très supérieures à celles que je saurais faire moi-même.


http://www.dvdclassik.com/critique/le-f ... cronenberg


1. Du délire paranoïaque à la biographie

L’intrigue du film tient sur un ticket de métro. A New York, dans les années soixante, un exterminateur de cafards, Bill Lee, découvre que le produit qu’il emploie est une drogue hallucinogène : sa femme l’utilise en injection, et lui-même en est, par simple inhalation quotidienne, imprégné au point que la réalité se dissout dans des visions cauchemardesques. Peu de temps après cette révélation, Lee tue sa femme, qu’il sait adultère, au cours d’un jeu rituel et commence une longue fuite en avant dans l’univers des drogues.

Ce fil narratif, absent du roman, emprunte la plupart de ses éléments à la vie réelle de Burroughs (l’expérience de la toxicomanie, mais aussi le meurtre de sa femme et l’homosexualité) : il fournit de la sorte au spectateur quelques points de repère dans le flux chaotique des visions et des univers fictifs qu’il charrie. Ce faisant, Cronenberg obéit à des préoccupations différentes de celles de Burroughs et déplace l’enjeu de l’œuvre : il ne s’agit plus de déployer un continuum aléatoire de visions monstrueuses mais de décrire la genèse du roman, et plus largement la genèse torturée de tout acte créateur authentique. A cet égard, le bref dialogue entre écrivains qui prend place au tout début de l’intrigue, ou l’on débat sur le mode freudien des mérites respectifs de l’inspiration brute et de l’autocensure, fonctionne comme une grille de lecture essentielle de l’ensemble.

Imprégné de mélancolie et d’humour noir, le film embarque dès lors son spectateur dans une longue descente aux enfers, qui fut celle de Burroughs et devient la sienne le temps d’une parenthèse de deux heures de délire (et de délices) plus ou moins contrôlé.

2. Les cercles de l’Enfer

Cronenberg devient donc notre Virgile, guide des errances d’un nouveau Dante qui franchit un à un les cercles successifs de sa spirale infernale : enfer de la misère et de l’addiction, enfer du désir, de la misogynie, du deuil et de la culpabilité, enfer de la solitude. Toxicomane, homosexuel et meurtrier, trois fois paria, Bill Lee n’a qu’une chance de survie : la fuite dans un monde imaginaire, l’Interzone, que lui ouvre paradoxalement la poudre jaune dont il dépend. Il s’y rêve une activité d’enquêteur sur le trafic d’une mystérieuse substance baptisée « viande noire » (en réalité les entrailles d’un centipède géant mal identifié, dont on devine qu’il s’agit d’une forme de viande humaine, plus précisément féminine). Dans cet espace où New-York se mélange à Tanger, le puritanisme anglo-saxon, l’hiver et le bitume se craquellent pour laisser place aux amours masculines musulmanes, aux sables et aux souks d’une Afrique du Nord réinventée ; les machines à écrire deviennent de monstrueux insectes à la fois moralistes de bas-étage, protecteurs et pourvoyeurs d’une mission, donc d’un sens à la vie (l’écriture d’une série de « rapports » qui deviendront le roman) ; les rapports de pouvoir économique, violence de classe bourgeoise passant par l’exploitation sexuelle et l’organisation méticuleuse du manque et de la dépendance des subordonnés, sont finalement déjoués par la folie amoureuse au cours de retrouvailles défiant toute raison.

3. Un Orphée criminel

Si l’on est d’abord tenté d’assimiler Bill Lee à Dante, un autre mythe entre rapidement en jeu, celui d’Orphée. La quête de la femme aimée et perdue constitue un motif majeur dans la texture enchevêtrée du récit et permet l’incursion dans la tragédie : Orphée tuera une nouvelle fois son Eurydice réincarnée en épouse frustrée de notable homosexuel –la femme ne renaissant de ses cendres que pour être à nouveau victime dans un monde entièrement masculin ; mais ce ne sera que pour mieux réaliser sa condition d’artiste et passer d’un imaginaire à l’autre, d’Interzone à Annexia, car le monde des enfers est sans fin.

4. Les machines mutantes : du bas-corporel trop bavard au corps restructuré

En sus des aspects biographiques du film propres à Burroughs, Cronenberg a également opéré une fusion de son univers personnel avec celui du romancier : c’est souvent l’aspect du film qui est le moins bien reçu par le spectateur, à cause de la relative incohérence qu’il confère à l’ensemble, mais c’est aussi, peut-être, le plus intéressant. Le monde de Burroughs (la drogue, l’homosexualité, la violence sociale, le mythe de la femme perdue et retrouvée comme moteur de l’écriture) fonctionne en effet comme un révélateur des obsessions intimes de Cronenberg et le film, rempli d’autocitations plus ou moins explicites, peut être regardé comme une œuvre-somme, un parcours ludique au coeur des questionnements de Cronenberg sur la chair, ses tourments, ses limites et son irréductible puissance génératrice.
Je n'aborderai qu'un point, qui est celui qui m'a le plus séduite et qu'illustre partiellement l'affiche : le rôle des machines à écrire dans la genèse de l'écrivain et de son œuvre.


Les machines à écrire, objets de fétichisme dans le roman, acquièrent dans le film une dimension plus profonde : dans un premier temps, c’est de l’une d’entre elles que l’écrivain reçoit la « mission » qui le fait passer du statut de junkie pathétique et d’assassin en fuite à celui de créateur. Mais il s’avère que la machine, par sa capacité de mutation, constitue un objet complexe et formidablement vivant, une métaphore polysémique : si elle est, à un premier niveau de lecture, l’incarnation d’un cadre fictif limitant, instrument de la mécanisation du récit et donc de la censure de l’inspiration, elle peut également être déchiffrée comme figure du corps de l’écrivain, lieu premier de l’expérience littéraire, lieu de tous les dangers mais aussi de toutes les libertés. Son premier état, qui correspond à la prise de la première drogue (la poudre anti-cafard) est celui d’un cafard géant doté d’un anus bavard et autoritaire : on peut y voir tout ce que l’écrivain en devenir refuse de lui-même (le retour du refoulé en termes freudiens) ; après la prise de la « viande noire », une nouvelle machine, plus complexe, devient un androgyne en forme de scolopendre, image du corps fusionné à celui de la bien-aimée et à la drogue elle-même –on retrouve là comme un avatar ironique de Brundlefly, le héros d’un film antérieur de Cronenberg. Enfin, une dernière machine, qui sera celle par laquelle l’œuvre atteindra sa maturité, sera constituée de la tête d’une nouvelle matérialisation de la drogue sous forme d’un humanoïde vaguement reptilien (le mugwump), dispensateur d’une étrange semence par des protubérances crâniennes en forme de pénis. De l’anus à la tête, du sexe au cerveau, Bill Lee parcourt son propre corps et en exploite toutes les ressources via ces étonnants doubles mécaniques et organiques que constituent les machines réinventées par la drogue.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le film, dont la vision constitue une singulière expérience pour son spectateur, surtout non prévenu : on oscille perpétuellement devant son écran entre amusement et effroi, irritation (c’est une œuvre volontairement peu séduisante dont les défauts sautent aux yeux bien avant ses qualités ne touchent l'intellect :D ) et admiration. Le principal plaisir qu’on y prend, bien entendu, demeure celui de l’intense cogitation suscitée par son hermétisme, mais les joies esthétiques sont également au rendez-vous. Les monstres en particuliers, tous des animatroniques, y sont incomparables de beauté, de hideur et de folie, grâce à un travail extraordinaire des animateurs.

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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

Le Fantôme de l’Opéra, suite et fin

3. Le film de Frankenstein !

Une dernière forme d’hybridation, involontaire celle-là, tient à l’état de conservation du film : les versions visibles aujourd’hui sont toutes des assemblages (d’où l’allusion tentante à la créature de Frankenstein, autre « Universal Monster » à succès). En raison de la genèse compliquée du film, il était déjà difficile de parler d’une version finale, et encore plus d’une version idéale. L’œuvre n’ayant survécu que sous des formes altérées, la diversité des restitutions proposées actuellement par les éditeurs et les restaurateurs ajoute encore à la complexité de la situation.

Rappelons brièvement qu’entre l’absence de volonté de conservation des films chez certains distributeurs et producteurs, et l’utilisation de la pellicule nitrate chimiquement instable, la conservation du négatif original est un fait rare – et quand cela existe, jamais définitif. Par définition, les films d’avant la pellicule moderne sont condamnés à ne survivre, à long terme, que sous la forme de contretypes ou de numérisations d’une qualité que l’on espère pas trop dégradée.

Il y a des films pour lesquels la documentation permet de connaître l’état de départ et, si aléatoire que soit la recherche des éléments perdus, on peut progressivement les reconstituer avec l’espoir d’arriver un jour à retrouver l’intégralité du métrage ou presque. C’est ainsi que Metropolis de Fritz Lang, probablement le film encore incomplet dont la notoriété est la plus grande, est régulièrement « rallongé » au fur et à mesure que des fragments sont retrouvés et que de précieuses minutes ou secondes sont grappillées pour se rapprocher de plus en plus de l’état initial.

Dans le cas du Fantôme, rien ne peut être envisagé de manière aussi linéaire.

Si vous avez bien suivi, il existe tout de même deux montages du film qui ont réellement été présentés au public : la version totalement muette de 1925, et la version sonore de 1929-1930.

De la première version, on ne connaît actuellement plus qu’une source : des copies en 16mm destinées à un usage chez les particuliers ou dans les collectivités. Il en existe plusieurs exemplaires vraisemblablement tous incomplets, et les versions actuellement disponibles de la version 1925 sont donc la synthèse de tout le matériel retrouvé en la matière. Ces copies 16mm devaient être bon marché, aussi elles ne comportent pas de couleurs (pas de teinte, de virage, et encore moins de séquences Technicolor ou Handschiegl). Par ailleurs, en raison du format, la qualité de l’image est fortement en deçà de celle d’une bonne copie professionnelle.

La situation de la seconde mouture est encore plus complexe.
La totalité des disques de la version sonore est conservée, tandis qu’il ne subsiste plus qu’une seule bobine correspondant spécifiquement à cette version (1).
Une copie positive muette conservée au musée George Eastmann à Rochester aux Etats-Unis, qui concentre l’essentiel des interrogations des chercheurs. Cette copie pose en effet plusieurs questions. Cette copie, sur pellicule moderne, aurait été tirée dans les années 1950 d’après des éléments négatifs originaux, vraisemblablement perdus depuis (et peut-être simplement désagrégés avec le temps).
Il s’agit, donc, d’une copie muette (donc avec tous les intertitres y compris pendant les séquences dialoguées de la deuxième version). Mais pour le coup, elle n’est pas représentative des copies d’exploitation convertibles muet/sonore, car si on enlevait les intertitres des séquences parlantes, la longueur desdites séquences ne correspondrait plus aux disques. Il ne s’agit vraisemblablement pas non plus d’une hypothétique version sonore exportable (donc sonore sans dialogues parlés) : d’une part la durée des bobines ne correspond pas à des durées de disques, d’autre part l’existence de ladite version d’export est plausible, mais pas attestée.
En revanche, les restaurateurs ont constaté un point intéressant : en comparant les plans communs aux versions 1925 et 1929 entre les copies 16mm et celle du musée Eastmann, il apparaît que cette dernière a été tirée à partir d’un second négatif – or celui-ci était généralement destiné au tirage des copies pour l’exportation (2). Mais comme la version Eastmann comporte tous les intertitres en anglais, ce n’est pas non-plus une version strictement muette destinée à l’exportation. Et donc, il se peut que cette copie ne corresponde en fait à aucun état « historique » du film. C’est pourtant désormais la principale source de données au niveau image, et c’est donc la version qui est exploitée de nos jours, et à partir de laquelle – en raison de sa qualité et de son degré de complétude – les restaurateurs successifs ont travaillé.

Sur le plan de la couleur, la majeure partie des plans en technicolor bichrome est perdue, il n’en subiste plus que la séquence du bal masqué.

Si l’on se penche maintenant sur les versions distribuées en DVD :

Les restaurations de Kevin Brownlow (distribuée par le British Film Institute) et Serge Bromberg (distribuée par Arte, malheureusement épuisée) reposent sur la copie Eastmann. Il s’agit donc, si vous avez suivi, d’une version muette de la version 1929 qui ne correspond pas exactement aux vraies copies muettes de l’époque…
Ces deux versions se distinguent par la musique (commandée spécifiquement à deux compositeurs distincts), par certains choix de teintes, par le procédé utilisé pour la colorisation en rouge de la cape du Fantôme dans la séquence sur le toit de l’Opéra Garnier (Brownlow a reproduit une colorisation Handschiegl quand le rendu choisi par Bromberg s’approche d’une colorisation manuelle), et par quelques différences de montage, dont celui des plans initiaux avec l’homme à lanterne dans les souterrains – au sujet desquelles subsistent beaucoup d’interrogations.
Le DVD de la version BFI / Brownlow possède l’intérêt supplémentaire de proposer également la version 1925 conservée sur 16mm, ainsi que l’unique bobine sonore conservée, dument synchronisée avec son disque ; et enfin la bande annonce sonore. De ce point de vue, c’est l’achat prioritaire pour découvrir le film, sous réserve de se débrouiller avec les intertitres anglais seulement (le DVD Arte permet pour sa part le sous-titrage français).

Il existe toutefois un DVD que je n’ai pu me procurer, distribué uniquement outre-Atlantique par l’éditeur Photoplay, comportant en bonus une curiosité : un remontage à partir de la copie complète existante avec les disques. Ça ne correspond à aucun état historique (il y a à la fois les dialogues enregistrés et les intertitres, redondants !), le son ou l’image ayant été ralentis selon les besoins pour que les durées correspondent et que les parties à synchroniser fonctionnent. Le visionnage de cette version fictive reste intéressant pour se faire une idée de la totalité du contenu des disques.
En raison de la différence de réglementation sur le domaine public en Europe et aux Etats-Unis, on trouve ce montage sur youtube, qu’en théorie, nous ne sommes pas censés regarder de ce côté de l’Atlantique (3).
https://www.youtube.com/watch?v=vElsIYXbhMU&t=1356s




_____________
(1) La version sonore, comme je l’avais évoqué, est initialement destinée au système Vitaphone qui est un procédé reposant sur la synchronisation du film avec des disques. Comme je le disais aussi, la question des procédés à disques est un point qui m’intéresse particulièrement et je lui consacrerai un texte séparé.

(2) Vraisemblablement inauguré par Méliès aux tout débuts de la production commerciale, l’usage voulait que l’on ait deux caméras côte à côte (parfois reliées mécaniquement pour tourner en parfait synchronisme). Il en ressortait deux négatifs, se distinguant par la légère différence d’angle de prise de vue. Un des principaux problèmes étant l’usure rapide des négatifs lors du tirage des copies d’exploitation, le second négatif était destiné soit à succéder à son jumeau, soit à tirer les copies d’exportation. Dans ce cadre, les européens envoyaient leur second négatif aux laboratoires de tirage américains, et vice-versa.
On connaît même une autre manière d’économiser les négatifs : tout simplement, on montait une copie principale (généralement pour le marché local) avec les meilleures prises… et on confectionnait d’autres négatifs à partir des prises moins réussies, non retenues par le réalisateur, pour tirer des copies destinées à des marchés secondaires ! De ce fait, pour certains films, on exportait des copies… moins bien jouées, filmées ou éclairées que le film « original ».

(3) On trouve également sur Youtube les versions Brownlow et Bromberg… de manière illégale cette fois puisque ni les interventions des restaurateurs, ni surtout la musique, ne sauraient être considérées comme relevant du domaine public, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis… À chacun de décider s’il veut les regarder ou non.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Dans un autre fil, j’ai parlé de « misogynie » chez Cronenberg, ce qui a suscité un étonnement bien compréhensible. Je reviens brièvement sur le sujet pour expliquer ce que j’ai voulu dire.
Cronenberg est, profondément, un cinéaste du corps, et plus spécialement du corps sexué : or ce corps sexué, lorsqu’il est féminin, semble lui poser des problèmes particulièrement douloureux qu’il résout (narrativement et/ou visuellement) par des moyens que je qualifierais de peu aimables. Bien entendu, tout le cinéma de Cronenberg est « peu aimable », c’est même une part majeure de sa grandeur : le corps chez lui est toujours un corps mutant, un corps malade, un corps trompeur, le lieu intrinsèque du mal. Le(s) corps féminin(s) ne font pas exception dans cet univers, mais ils me paraissent relever d’un traitement différent de celui des corps masculins, révélateur de peurs particulières. Je ne prends que quelques exemples pour ne pas infliger un pensum aux malheureux qui auront la patience de me lire.

Je diviserai mon propos en trois points :
- Il y d’abord chez Cronenberg, toute une thématique de la figure féminine comme pur objet de terreur : c’est surtout le cas dans les premiers films, où la littéralité propre à l’horreur est le plus présente. Dans Rage, une jeune femme est à la fois victime (elle est l’objet de manipulations médicales après un accident de voiture) et vectrice du mal : son corps, jeune et beau, sexuellement très désirable, se révèle un redoutable piège puisqu’il est porteur d’une forme de virus qui en font une prédatrice nymphomane et sanguinaire ; il finira sous forme de déchet. Dans Chromosome 3, le corps féminin apparaît plus nettement encore comme la matrice physiologique du pulsionnel. La très belle scène de l’enfantement des monstres à la fin du film l’exprime dit clairement : le mal est si profondément ancré dans le corps de la femme que la seule façon de vaincre ce mal est de la tuer.
- En filant le thème de la femme monstrueuse, on trouve le thème de la femme-obstacle à une relation inter-masculine fusionnelle et féconde. C’est dans Faux-semblants que le sujet est le plus complètement traité : dès l’ouverture, les jumeaux tentent d’imaginer un mode de reproduction où les femmes n’interviendraient pas. Leur génie naît de cet évitement du féminin, et ils se développent ensuite comme un couple fusionnel parfait : c’est l’irruption d’une femme qui brise ce couple, d’abord en révélant cruellement la faiblesse de sa part déjà féminine (Beverly, avec son prénom de fille et sa passivité), ensuite en le déséquilibrant et en le menant à la déchéance et à la mort.
- Enfin, il y a le thème de la femme-leurre : dans M. Butterfly, une figure féminine romantique (et fantasmée par des hommes) se révèle être le masque de tout autre chose. On retrouve l’idée dans Le Festin Nu, où la gouvernante lesbienne est en réalité un déguisement, celui du médecin trafiquant de drogue qui tient le personnage principal en son pouvoir : moins réussie que d’autres images de cauchemar chez Cronenberg, la scène où le médecin déchire son corps féminin factice et en émerge dans toute sa laideur est très révélatrice de cette idée du féminin comme enveloppe, à la fois masque et matrice d’un danger.

Bien entendu, il y a des figures féminines plus positives chez Cronenberg, ou des traits positifs chez ses figures féminines monstrueuses, mais ce n’est pas une positivité très féministe, si j’ose dire :D . La jeune amante de Brundlefly est adorable, mais passive face au malheur et ne saura, au final, qu’apporter la mort à l'homme qu'elle aime ; la douce fillette de Chromosome 3 n'est que larmes et mutisme (quand elle n’est pas dupliquée dans les monstres qu’enfante sa mère) ; l’épouse dévouée de History of violence est très marginalisée par le récit et sexuellement infantilisée quand elle n’est pas réduite à la peur et à l’impuissance, Claire Niveau aime certes Beverly d’un amour sincère mais elle est trop infantile, masochiste et dépendante pour avoir quelque pouvoir que ce soit.

C’est aussi, pour rejoindre le début de mon propos, le cas dans le traitement de Sabina Spilrein dans A dangerous Method : certes, le film la met en lumière alors qu’elle avait été occultée dans l’histoire de la psychanalyse, et majore même probablement un peu son importance réelle. Mais le récit ne lui permet jamais de quitter véritablement l’enfance psychique : c’est au fond une autre Claire Niveau. Elle est la cause de la rupture entre deux hommes géniaux, Freud et Jung, elle est hystérique et surtout, elle est masochiste et infantile. Sa névrose est un blocage au stade sadique-anal, un fantasme puéril de soumission sexuelle à une figure de Père Fouettard trop séduisant, que le transfert ne lui permet pas de guérir mais aggrave : à peine débarrassée d’une figure paternelle encombrante, elle retombe dans la dépendance d’une autre : Jung, puis Freud. Certes, elle apparaît à la fin du film sous une forme qui paraît mûrie, mais c’est pour disparaître aussitôt du récit, vouée à l’assassinat par les nazis.

J’arrête là et je m’excuse pour le pavé un peu indigeste. En l’écrivant, j’ai bien conscience de la partialité de mon exposé :honte: , et qu’il y a matière à un contre-argumentaire qui passerait notamment par une description de l'empathie, voire de l’identification de Cronenberg à certaines des figures les plus noires de son « enfer des femmes » pour emprunter la formule de Rimbaud. Donc à la question de départ : « est-il misogyne? », en définitive je répondrais « non » ; un vrai misogyne ne serait capable ni de la complexité qu’il déploie dans ses personnages féminins, ni d’empathie envers eux.


En réalité, je pense que ce qui pose problème à Cronenberg, ce n’est pas tant les femmes que la sexuation de l’humanité et l’existence même de la sexualité : autrement dit la nécessité biologique de passer par l’union à un être sexuellement différencié pour accéder à la reproduction, ou, plus largement, à la création. Pour finir sur une note optimiste, il y a dans ExistenZ, un de ses films les plus légers et les plus drôles, une scène très intéressante, où l’on assiste à un jeu sexuel entre une programmatrice de jeux vidéo dominatrice et un jeune homme naïf. Un « pod », visuellement proche d’un sexe féminin, y est connecté au système nerveux du garçon, par un orifice en forme d’anus, et lui « injecte » les données d’une nouvelle forme de « jeu », c’est-à-dire de sexualité. C’est très drôle, très délirant, et un peu l’antidote de la greffe de l’appendice phallique dans Rage : peut-être le rêve d’un retour à une différence sexuelle ludique et positive ?

enufsed
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Re: Tout un cinéma !

Message par enufsed »

Merci pour ton texte intéressant, argumenté et nuancé (ça je n'en doutais pas). Pour ma part j'ai une lecture un peu différente de ce mal lié au corps. Souvent il indique chez ces femmes le refoulé d'une douleur infligée par les hommes ou dans la relation aux hommes : dans Chromosome 3 on parle des enfants de la colère et chez Sabina Spielrein le plaisir issu des flagellations est une répétitions des sévices du père.
En ce sens c'est l'homme qui est mis en accusation. Ces hommes sont aussi dessinés dans leur démesure : celle de la morbidité néolibérale de Pattinson dans Cosmopolis, celle scientifique de La mouche et de Faux-semblants, celle intellectuelle de Freud et Jung, ou encore d'une manière plus trouble le rapport à la mort, comme une tangente, chez le personnage de Vaughan dans Crash (sa fascination perfectionniste pour les accidents et celui de James Dean en particulier).

Dans A dangerous method, le sort fait aux femmes est celui de l'époque, là-dessus le film ne laisse rien derrière un voile pudique. Trois figures féminines sont confrontées, toujours dans une soumission : d'abord "les" femmes de Freud, c'est-à-dire cette tablée hallucinante où femme et filles sont rassemblées autour du patriarche (de mémoire, pas le film sous les yeux), puis la femme de Jung qu'on montre d'abord comme un simple corps qui enfante, enfin Sabina Spielrein sexuelle et folle (parce que libre ?, parce qu'elle veut être une femme indépendante ?). Ceci dit, la charge sexuelle est surtout investie par Jung, Spielrein est d'abord dans l'émulation intellectuelle (scène du bateau que j'adore) et la prédation sexuelle s'insinue plus ou moins chez Jung par le biais du personnage de Cassel (figure de satyre égrillard et lubrique). Au final c'est un équilibre lors du premier baisé où Spielrein fait l'hypothèse d'une dualité homme-femme en chacun.
D'ailleurs ce trouble lié à la prise d'initiative sexuelle se retrouve dans Existenz avec l'expérience de la pénétration de Jude Law menée par Jennifer Jason Leigh.
A dangerous method à mon sens montre surtout une remise en question de la masculinité : relation trouble entre Freud et Jung qui n'arrive pas à trouver sa ligne, Jung qui finit prostré rongé par l'intuition de la guerre, de l'autre côté Spielrein et la femme de Jung qui finissent dans la lumière (je me souviens de cette phrase "your children are glorious").

À l'opposé il faut aussi regarder des portraits lucides de femmes : toujours la même actrice Sarah Gadon joue Elise dans Cosmopolis, une poétesse bien moins détruite par ce monde dont elle regarde (dans mon souvenir) la décadence de manière éthérée. Il y a aussi le merveilleux rôle de Mia Wasikovska (actrice que j'aime tant même si ses choix de rôles ou propositions la desservent parfois) dans Maps to the stars, adolescente qui vient insuffler cette humanité douce et mélancolique dans un univers hystérisé, adossée à cette répétition du poème d'Éluard.

https://www.youtube.com/watch?v=bHJTXtAZTGc

Il faudrait creuser bien-sûr, mais je vois surtout chez Cronenberg une porosité entre hommes et femmes, une dialectique catalysée par le sexe et en négatif quelque chose qui relève de l'hybris (de ce point de vue le personnage de Julianne Moore dans Maps to the Stars est bien gratiné). Discussion passionnante sur un réalisateur que j'aime tant. Et pour ma part le film que je considère comme le chef d'oeuvre de Cronenberg et que j'ai peu cité : le très mal aimé Crash, concentré de tout ce que je viens d'écrire (quoiqu'on y cherche encore la lumière)

:)

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Merci d’avoir précisé ta pensée en retour de la mienne. Nous portons sur le cinéma de Cronenberg des regards différents mais c’est le propre d’un grand artiste de produire une œuvre assez polysémique pour supporter des interprétations divergentes.

Je reviens juste sur deux points.
J’aime ton analyse des figures masculines chez Cronenberg comme marquées par l’hubris car elle permet de voir dans certaines figures féminines l’incarnation de leur némésis : la femme porteuse de la destruction de l’homme orgueilleux n’a rien de neuf (Eschyle et Sophocle y avaient déjà pensé) mais c’est un bon schéma. C’est intéressant dans La Mouche, où la némésis de Brundle serait alors d’abord l’insecte, puis la machine, deux images féminines assez terrifiantes, la première dans son étrangeté radicale, la seconde dans son caractère faussement rassurant (l’habitacle en forme d’uterus) ; dans M. Butterfly, Gallimard est miné de l’intérieur par la geisha imaginaire qu’il a projetée sur un autre homme pour se créer une compagne idéale - à noter que dans ce film, les deux femmes biologiques sont soit systématiquement écartée du récit (l’épouse) soit réduite à un être asexué et manipulateur (la fonctionnaire maoïste). C’est dans Map to the Stars que ce schéma hubris/némésis fonctionne le mieux. Le personnage que joue Wasikowska, que Cronenberg a qualifié de « psychopathe joviale » et en qui je ne vois absolument pas une figure mélancolique contrairement à toi, détruit de fond en comble la famille incestueuse et cynique dont elle est issue, que cette famille soit les Weiss ou plus largement, bien sûr, Hollywood. Son association au feu et à la folie en fait un bon ange exterminateur.

Un autre point sur lequel j’ai plus de réticences c'est quand tu parles d'osmose (on pourrait retomber d'accord sur la notion de dialectique). Pour moi, c’est surtout la séparation entre masculin et féminin qui structure la pensée de Cronenberg sur la sexualité et se situe à la source de son angoisse, la femme étant souvent carrément associée à une autre espèce (la mouche, le papillon, mais aussi le scolopendre, à travers la « viande noire » du Festin nu, qui est une métaphore du féminin que le film explicite un moment, je ne sais plus lequel). La bisexualité psychique, que Cronenberg en lecteur assidu de Freud connaît bien, est alors vécue par et dans les corps comme une greffe monstrueuse, une mutation, un virus ou un travestissement macabre. On est loin du paradis perdu et de l'androgyne originel, mais c'est un bon moteur narratif, et c'est ce qui compte en définitive.


Mais bref, bonne discussion en effet, merci encore du retour. Moi aussi j’aime beaucoup Crash et j’y verrais volontiers le meilleur Cronenberg, mais je n’ose pas en discuter sans l’avoir revu. Si j’ai le temps…

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Tamiri
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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

Puisqu'il a eu l'heur de laisser perplexes les participants du jeu des images, quelques mots sur :

Pavel Klushantsev (1910-1999) qui me semble occuper une place intéressante dans le cinéma d'anticipation et de science-fiction. Je le pensais plus connu, je l'avais découvert sur Arte dans les années 90 me semble-t-il mais il est vrai qu'il n'y a pour l'instant pas d'éditions DVD vendues en France, j'ai deux DVD allemands (avec uniquement le doublage allemand, sans la VO) et plus récemment j'ai commandé "La planète des tempêtes en Russie car l'éditeur a eu la bonne idée de fournir un sous-titrage anglais. Tout ça se trouve facilement sur internet pour peu qu'on n'ait pas de scrupules à enrichir Jeff Bezos :violent:
ImageImage

Klushantsev, donc, est né et mort à Saint-Petersbourg et il y a fait l'essentiel de sa carrière. En tant que cinéaste, il n'a réalisé qu'un seul long-métrage de fiction (La planète des tempêtes, Планета бурь). L'essentiel de sa production, en dehors de quelques films de propagande (il faut bien vivre...) concerne des documentaires de vulgarisation scientifique majoritairement tournés vers l'astronomie, sujet qu'il illustre en développant une réelle affinité avec le trucage optique, l'animation image par image, l'utilisation de maquettes et plus généralement toute la grammaire de ce qu'on n'appelle pas encore les effets spéciaux.


Le grand-oeuvre arrive en 1957 avec Le chemin des étoiles, Дорога к звездам. Ce film d'environ cinquante minutes est ce qu'on appellerait de nos jours un "docu-fiction" avec :
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Des reconstitutions,

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Des acteurs incarnant des personnages historiques (ici, Tsiolkovski),

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Des animations didactiques.

Il n'y manque que les interviews de scientifiques, qui n'étaient pas encore la règle dans les documentaires de l'époque, et que Klushantsev introduira plus tard dans sa carrière.

Cette partie historique occupe la première moitié du métrage. Elle est d'une facture conventionnelle et s'étend des premières recherches du pionnier Constantin Tsiolkovski jusqu'au lancement du Spoutnik. Cet événement étant survenu vers la fin du tournage, Klushantsev rajoute son évocation au tout dernier moment. De manière plus surprenante pour le spectateur d'aujourd'hui, il passe totalement sous silence les travaux de Wernher von Braun (qui travaille pour les américains) et de Sergei Korolev, dont l'identité est alors maintenue secrète en Russie.

C'est beaucoup plus la seconde partie qui, en quelque sorte, marque l'Histoire. Dans la deuxième moitié du film, Klushantsev adopte une démarche d'anticipation pure et dure tout en continuant de distiller des informations scientifiques à destination d'un large public. Il imagine successivement le premier vol orbital habité, la première station orbitale permanente, la construction d'un vaisseau en orbite à partir de cette station, la première sonde photographiant la Lune, et enfin les premiers pas sur le satellite naturel.
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Se projetant dans un futur proche, Klushantzev se montre extrêmement optimiste quant à l'ampleur des moyens déployés... et quant au design des engins spatiaux. Il imagine d'emblée que fusées, stations et pas de tir feront l'objet d'une recherche esthétique, à la mode du temps (voir ci-dessus : c'est la tour de montage de la fusée du premier vol habité !). En pratique, ce type d'intention ne s'est finalement réalisé que très récemment avec les cockpits épurés de la capsule Crew-Dragon... Dans le même temps, les trois premiers cosmonautes, tel que le cinéaste les imagine, portent des tenues de cuir qui, de nos jours, évoquent plus Mermoz que Gagarine.
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Toujours très loin de la réalité actuelle de l'ISS, Klushantsev rêve pour l'avenir d'une immense station en orbite dont la partie habitée est un anneau tournant reconstituant la pesanteur. Les scientifiques qui y travaillent disposent d'appartements individuels où on peut amener son chat !
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Du coup, comme y'a un chat, c'est de loin la séquence la plus intéressante, en toute objectivité.
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D'autres idées sont d'une surprenante naïveté, comme cette séquence de préparation d'une sonde en plein air !

Plus généralement, Klushantsev, qui n'anticipe pas le développement des satellites automatisés et la réalité bien plus prosaïque des décennies à venir, imagine que les météorologistes et les astronomes iront dans l'espace pour réaliser leurs observations, avant de rejoindre, donc, leur cabine privée où les attend la télé (qui diffuse les ballets du Bolchoï) et, surtout, leur chat.

Ce sont toutefois les séquences des cosmonautes en impesanteur,
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Puis celles de la sortie extra-véhiculaire,
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... qui vont fonder la réputation internationale de Klushantsev comme le plus grand spécialiste de l'époque en ce qui concerne les effets spéciaux... spatiaux. Kubrick, qui reprend l'idée de la station spatiale avec son anneau rotatif, dira plus tard à quel point 2001 doit aux techniques développées par son ainé.
Ces effets d'apesanteur, en particulier, sont alors totalement inédits et d'une précision qui semble inatteignable - à tel point qu'une partie du public, oubliant les avertissements de la voix off qui dit pourtant clairement qu'il s'agit d'une anticipation, va parvenir à croire qu'il s'agit d'images réelles.
En pratique, Klushantsev a totalement renoncé à suspendre ses acteurs à des fils ou à utiliser des surimpressions multiples, qui auraient été perceptibles. Il développe des bras articulés reliés à un baudrier dissimulé dans les combinaisons des cosmonautes et il parvient, pour chaque plan, à faire en sorte que ce matériel soit dissimulé par le corps du cosmonaute lui-même, ce qui, avec le recul, reste un travail d'une virtuosité saisissante.
La légende raconte que les gens de la Nasa eux-mêmes en auraient été bluffés au point d'analyser les images pour savoir si leurs rivaux n'auraient pas tout simplement filmé de vrais cosmonautes, plusieurs années avant les premiers vols habités réels. Évidemment, ceci reste une supposition que l'on trouve un peu partout sans qu'elle ne soit attestée historiquement.

Après la parenthèse que représente La planète des tempêtes, authentique film de fiction, Klushantsev réalise deux autres documentaires-fiction comparables, l'un sur la Lune en 1965 et l'autre sur Mars en 1968, toujours avec le principe d'une seconde moitié sous forme d'anticipation.
S'agissant de la Lune, il poursuit l'idée d'une base lunaire habitée en permanence, initialement évoquée dans Le chemin des étoiles sous la forme d'une maquette que contemplent les habitants de la station orbitale. Il y reprend l'idée d'une occupation permanente pour la recherche, mais y ajoute l'exploitation des ressources minérales (dont l'absurde supposition de la présence de pétrole...) et, pour finir, une colonisation permanente et massive où pourraient naître des enfants... S'agissant des premières explorations, et toujours sans évoquer Korolev ni von Braun, il donne une vision plutôt réaliste des choix techniques, alors en pleine élaboration tant aux Etats-Unis qu'en Russie, pour les premières missions lunaires, notamment le "train spatial" avec son vaisseau restant en orbite, son module lunaire qui abandonne sa partie basse et s'en sert de plate-forme de décollage au retour. Fidèle à ses conceptions poétiques, il propose toutefois que la première expédition lunaire se compose d'un physicien, d'un ingénieur et d'une artiste, à laquelle il fait dire que les futures constructions lunaires devront être belles.

Le film sur Mars lui permet d'aller encore plus loin (au propre comme au figuré) et de retrouver certaines des visions fantastiques de son film de fiction, situé sur Vénus. Le cinéaste s'appuie sur les connaissances du temps pour imaginer des formes de vie martiennes et, tout en proposant des bases scientifiques, il les illustre de visions colorées et oniriques.

Bon, la suite pour plus tard.
Vous ne pouvez pas consulter les pièces jointes insérées à ce message.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Très intéressant (et magnifiques images, celle qui anticipe -si j'ose dire :) - le fameux plan de Kubrick est vraiment étonnante). Merci beaucoup.

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Tamiri
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Re: Tout un cinéma !

Message par Tamiri »

Concernant Le chemin des étoiles, on trouve l’intégralité sur YouTube, dans des conditions juridiques que j’imagine... variables.

https://www.youtube.com/watch?v=NQz0bZRsJMk
La version allemande, celle que j’ai en DVD. La personne qui l’a mise en ligne ne se cache d’ailleurs pas de l’avoir extraite dudit DVD. Bon, moi, vu que je l’ai déjà, j’ai le droit de le regarder :huhu: mais l’image est meilleure sur le DVD, justement.

https://www.youtube.com/watch?v=FKi2Wtzfllw
La version russe originale. Oui, je la regarde en toute illégalité, donc. Mais vu que je ne parle pas russe, c’est plus pour l’ambiance sonore (j’aime beaucoup la sonorité du russe) et à force de voir des films russes, je reconnais un mot par ci, par là :huhu:

https://www.youtube.com/watch?v=9CX0oSjwLqI
La seule chose que j’ai trouvée pour celles et ceux qui ne sont familiers ni du russe ni de l’allemand, mais qui lisent l’anglais : la bande son russe (malgré le générique allemand...) avec un sous-titrage anglais. malheureusement, la bande son est désynchronisée de quelques secondes, donc les passages où un personnage parle sont bizarres. Et il manque une minute à la fin.
Il existe un décalage entre les mentions d’une large diffusion du film d’une part (et le nombre de cinéastes non russes qui se réclament de son influence, au premier rang desquels on trouve notoirement Kubrick), et le fait qu’apparemment seul le distributeur allemand (la DEFA, dont l’Etat soviétique était actionnaire) s’était fendu d’un doublage.
Il y a 20 ans et quelques, Arte l’avait diffusé, doublé en français à la va-vite, en « voice-over »... C’était assez pénible.


Je prépare quelques mots sur « La planète des tempêtes », donc à suivre.
Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil Poil

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Merci pour les liens, j'ai regardé la version allemande. Vraiment très intéressant, j'aime beaucoup : c'est une vraie découverte!

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Je rebondis sur une ébauche de discussion entre [mention]enufsed[/mention] et moi sur le fil des images de films, à propos du cinéma « gore ».
C’est un type de cinéma dont j’ai été friande à une période de ma vie : ce n’était pas l’adolescence contrairement à plein de gens, mais une période de deuil survenue au début de l’âge adulte. J’ai vu à cette époque des dizaines de films gore, peut-être davantage (je n’ai probablement pas dépassé la centaine, je ne sais plus ; j’ai vu tous les classiques du genre et pas mal d’autres choses). Je pense avoir compris pour quelles raisons j’en regardais, ce qu’ils « soignaient » chez moi – ils canalisaient probablement une certaine colère et introduisaient de la liberté dans une existence qui tendait à se rétrécir exagérément autour d’un travail passionnant mais très cérébral.

Aujourd’hui, quand j’en revois, je reste davantage à distance et j’ai appris à raffiner mes goûts (si l’on peut parler de raffinement pour un type de produit caractérisé par l’extrémisme visuel). Je conserve une vraie appétence pour le gore lorsqu’il est de qualité et bien utilisé : l’œil coupé d’Un chien andalou, les transformations monstrueuses des loups garous de Hurlements ou celles de Brundelfly (la plus inoubliable pour moi), la flaque de sang dans la Féline de Schrader, la naissance contre-nature du monstre d’Alien et tant d’autres grands moments du gore à l’écran me restent chers. Inventivité visuelle, traduction en images de thèmes terribles voire vertigineux (l’absurdité du monde, la maladie, la violence sexuelle, l’imprévisibilité du vivant, etc.), effet cathartique...
Mais pour le reste, je n’arrive quasiment plus à en regarder. 8o :honte:

Le gore, c’est fondamentalement le dévoilement de l’implicite ou de l’indicible : on montre ce qui reste généralement hors-champ (champ de l’écran et champ de la pensée) en lui donnant une forme qui permette justement de le voir, fût-ce au prix du dégoût, de le désocculter et donc de le penser, notamment lorsque les mots n’y suffisent pas. L’humour en est une composante essentielle, en favorisant le recul et la libération par le rire qui tiennent à distance l’horreur du monde, sans pour autant la nier.
Peut-être n’ai-je plus vraiment besoin de ces processus ? (Bonne nouvelle! :D ) Peut-être ai-je tout simplement vieilli ? (Mauvaise nouvelle! :pale: ).
Maintenant, je perçois surtout, dans la majorité de mes tentatives pour renouer avec le genre, la vulgarité des procédés employés et la brutalité des discours sous-jacents.
D’où ma question à ceux d’entre vous qui aiment le gore : qu’en est-il pour vous ? Pourquoi en regardez-vous? Est-ce une madeleine de Proust, avez-vous du goût (parfaitement légitime) pour une esthétique du malaise, y trouvez-vous une utilité psychique, ou bien est-ce un pur divertissement ? Ou tout à la fois…
Merci de vos éventuels retours, et pardon pour le message un peu trop long.

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Léo
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Re: Tout un cinéma !

Message par Léo »

Est-ce que le gore implique la violence crue...réaliste, quasi insoutenable ou s’arrête aux têtes grossièrement décapitées d’où jaillit le sang tout aussi grossièrement ? Je pense à Tarantino que j’apprécie beaucoup, friand et coutumier du genre dans ses réappropriations. Je n’ai pas de soucis avec le traitement de la violence dans ses films, au contraire même. En dehors, je ne regarde pas vraiment de films gores; je n’ai pas une grande culture de ce côté mais si j’apprécie quelques films de zombies (Romero par exemple ) je n’accroche pas du tout aux choses comme walking dead ou « cannibale machin »... ce genre de trucs ne m’intéressent tout simplement pas. Visuellement, esthétiquement, intellectuellement, le gore, je trouve ça souvent très « mal fait » et ridicule sur toute la ligne ou, si ça se rapproche d’une violence plus réelle, je trouve ça insoutenable.

Si on peut classer cette violence dans le gore, j’ai été traumatisée par le premier Alien... car je n’avais absolument pas l’âge requis et depuis je déteste toute la série alors que je sais que ce sont, pour certains, de bon films... Sinon, plus récemment’, le film Hérédité du réalisateur Ari Aster contient une scène que je n’ai pas supporté qui a confirmé mon aversion pour une certaine violence, trop crue; soit une gamine qui fait un œdème de « quick » qui essaie de reprendre de l’air à la fenêtre d’une bagnole lancée à toute vitesse et splash, la tête rencontre un poteau .... :saigne:

S’il existe une forme plus hybride du gore, comme tu cites un chien andalou, elle revêt un caractère plus surréaliste, poétique, artistique (à mon sens)... Je n’ai pas pris le temps de creuser de ce côté en répondant mais j’ai vu quelques autres films de cet ordre... Je vais les retrouver... mon cerveau a beaucoup de mal en ce moment à se rappeler des choses de la vie intellectuelle et à construire des phrases complexes (déficit cognitif maternel que ça s’appelle)

Voilà

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Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Je pensais au gore en tant que sous-genre du cinéma d'horreur.
Le gore en tant qu'ingrédient (si j'ose dire étant donné le sens du mot) de films appartenant à un autre genre ne me pose pas de problème, au contraire lorsqu'il est bien employé je l'apprécie beaucoup. Dans les films d'Ari Aster, c'est un élément que j'ai trouvé mieux employé dans son deuxième film, Midsommar, ou disons plus intelligemment mis au service du propos d'ensemble, que dans le premier, Hereditary : j'ai été intriguée par ce dernier film, j'en ai apprécié des passages mais je l'ai trouvé fourre-tout (défaut commun des premières œuvres en général) et les multiples références puisées dans une culture cinéphilique encyclopédique où l'on passe de Bergman à Argento m'ont paru affaiblir le traitement du sujet. C'est un type de film où le gore m'a semblé mal utilisé : la tête arrachée, puis filmée en gros plan, dévorée par des fourmis, trouve assez facilement un sens symbolique dans la structure du film, mais l'auto-décapitation finale, par exemple, m'a paru inutilement plaquée et je n'ai pas vu ce qu'elle ajoutait à l'histoire.
Bref, tout ça pour dire que ma question portait sur le genre spécifique du gore.
Léo a écrit : dim. 10 janv. 2021 23:21 Visuellement, esthétiquement, intellectuellement, le gore, je trouve ça souvent très « mal fait » et ridicule sur toute la ligne ou, si ça se rapproche d’une violence plus réelle, je trouve ça insoutenable.
C'est propre au genre : à la fois laid, bête, mal fichu, grotesque et très difficile à supporter. Avec le temps, ma position se rapproche de la tienne, je n'arrive plus à trouver de vertus réelles à ce type de films (que j'ai consommés en masse dans une période particulière de ma vie) et c'est pour ça que je posais la question.

enufsed
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Re: Tout un cinéma !

Message par enufsed »

Pour rester dans le cadre de la question de [mention]Judith[/mention] et dans l'esprit de ce topic, je vais aborder mon rapport intime, du moins personnel, au cinéma gore. Et pour cela il faut remonter à la fin des années 80, à cette période trouble qu'est l'adolescence.
Perdu dans une campagne proche de la grande ville, un quotidien boutonneux entre errance dans les champs déserts, après-midi à taper la balle contre un mur d'entraînement sur le terrain de tennis municipal derrière la maison et tours en vélo chez les copains pour glander sur un Amstrad. Et au milieu une transition entre collège et lycée qui eut tout d'une disparition, d'un effacement assez proche de celui de la famille de Marty McFly.
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À l'époque je courais au cinéma tous les dimanches dans le bled d'à côté me gaver de ce qui passait et en particulier de films américains, une époque où il y avait vraiment un entracte pendant Ben-Hur pour aller manger un éclair au chocolat. Mon imaginaire d'alors c'était cette jeunesse de banlieue middleclass qui prenait des bus jaunes, une maman avec des bigoudis, un père qui lavait sa voiture et regardait le baseball à la télé avec une canette de bière, une grande soeur vacharde qui gueulait derrière la porte de la salle de bain en se faisant les ongles en rose pétant assorti à ses guêtres comme celles-ci
Cette enfance fantasmée parce que si proche de la mienne c'était celle d'Elliott dans E.T. : Donjons et Dragons et BMX
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Et puis à cette époque deux événements majeurs se produisirent dans ma vie de gamin dont les parents travaillaient 7 jours sur 7 et qui traînait livré à lui-même une partie du week-end : la création de Canal+ en 1984 et l'arrivée progressive de la musique metal dans ma cour de collège puis à la TV via l'émission Métal Express sur M6 à partir de 1991. Décennie charnière donc que je vais centrer autour des année 85-92 (année du bac) et deux sources de son et d'images transgressives dont je me suis totalement emparé pour exprimer à ma manière mon mal être d'ado.

D'abord la musique: mes camarades écoutaient les Iron Maiden et Metallica, les plus pointus citaient Anthrax et Megadeth, très vite je me plongeais dans les plus extrêmes du Big Four, Slayer. Délectation le jour où j'ai fait écouter War Ensemble au fils d'amis de mes parents, tout heureux en sortant de la chambre nous avons senti un flottement chez les parents, les siens. Je l'avais mon sentiment de transgression. Mais à cette époque apparurent des groupes encore plus radicaux et choquants, le genre qui faisait de vous un "cas" dans la classe, on devenait le gars qui écoute des mecs qui font du bruit avec des pochettes dégueux :

Obituary - Slowly we rot (1989)
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Carcass - Reek of putrefaction (1988)
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Cannibal Corpse - Butchered at Birth (1991)
[le premier album Eaten back to life (1989) était déjà dans la même veine]
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Ces pochettes empruntaient clairement au genre du gore, plusieurs furent censurées aux Etats-Unis et ailleurs (l'Allemagne ne rigolait pas avec ça), les groupes voulaient choquer et bousculer l'Amérique puritaine, pudibonde et conformiste. Et parce que ce fantasme d'Amérique avait envahi mon imaginaire propre, je voulais être de ce mouvement de provocation, probablement pour exister aux yeux des autres et de mes géniteurs.

Et puis il y avait aussi Canal+ et son film du vendredi à 23h (l'autre transgression beaucoup plus classique avait lieu en catimini, parfois, quelques minutes le samedi en coupant le son, mais celle-là on ne s'en vantait que devant les copains). J'ai goûté pendant des années la déferlante de l'horreur et du gore cinématographique qui tranchait d'un coup d'un seul avec mes représentations de l'extrême visuel (qui se cantonnait aux films de SF et d'épouvante de la Dernière Séance, quand du haut de mes 8 ans j'avais attendu avec impatience la diffusion de L'étrange créature du lac noir en 1982 avec mes lunettes 3D sur le nez, la déception avait d'ailleurs été à la hauteur de l'attente). Mais quelques années plus tard, plus besoin de lunettes en carton pour entrer dans la peur, c'est l'horreur qui me sautait à la figure avec ses figures tutélaires que sont pour moi :
Jason Voorhees / Vendredi 13 (1980)
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Freddy Kruger / Les griffes de la nuit (1984)
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Les Cénobites / Hellraiser (1987)
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À l'époque pas de réseau internet, chaque vendredi c'était la découverte enthousiaste, et ensuite soit par téléphone, soit le lundi dans la cour du collège, il y avait le partage, à ces âges où on mime jamais assez bruyamment les choses. Et le gore se propageait en cours, quand on abordait l'anatomie et le fonctionnement des organes. On aurait aimé être de sales gosses, mais nous étions, j'étais en tout cas un petit gars de la campagne, poli et mal dans sa peau à qui un monde extérieur, outre-Atlantique la plupart du temps, offrait des visions d'un monde tellement étranger, grotesque, vulgaire, drôle, choquant. Je ne saurais dire si j'avais peur des fois, oui, certainement. Est-ce que j'étais choqué ? c'est ambigu, car la violence immédiate était compensée par la satisfaction de voir un sacré truc et de me sentir comme privilégié (et c'était un privilège bourgeois d'avoir C+ à cette époque, le démembrement d'une bande d'ados en randonnée forestière avait un prix), et puis au bout d'un moment on connaissait les trucs, on savait ce qui allait se passer (mais oui, tout le monde à vu Scream, et pourquoi ils finissent toujours par se séparer ? Et de toute façon c'est la fille aveugle avec son genre girl next door qui va survivre...).
Pour clore mon histoire, il est évident que tout cela tient à une forme de nostalgie, pas une période que je regrette car j'étais pas forcément très épanoui, mais une période riche de découvertes où j'ai expérimenté dans le cinéma et la musique les limites de ce que l'environnement dans lequel j'évoluais (pas seulement familial mais aussi social et scolaire) considérait comme conforme. Ce besoin de transgression s'est tari, j'ai toujours autant de plaisir devant les classiques mais les films actuels (dont une bonne partie est composée de remakes) ne m'attirent pas, en musique mes goûts ont évolué vers des musicalités extrêmes ou plus lourdes, mais pour des motifs qui ne tiennent plus de la provocation, c'est une expérience intérieure et intime.
Mais si je dois résumer en une phrase ce rapport au gore, je dirais "ah mais c'est dégueux votre truc !" qui était la récompense ultime de toute représentation.

Invité

Re: Tout un cinéma !

Message par Invité »

Merci de cette réponse très riche.
enufsed a écrit : lun. 11 janv. 2021 23:08 quand du haut de mes 8 ans j'avais attendu avec impatience la diffusion de L'étrange créature du lac noir en 1982 avec mes lunettes 3D sur le nez, la déception avait d'ailleurs été à la hauteur de l'attente
Raah, j’ai exactement le même souvenir : la surexcitation préalable, l’attente et au final, la déception. Je crois que ç’a été l’une de mes premières expériences des méfaits de la publicité. :D

Pour le reste, je me rends compte que nos expériences du genre ont été très différentes. A l’adolescence, mon besoin de transgression et de révolte est passé par la littérature et (un peu, dans la mesure où je pouvais y avoir accès) par les arts plastiques, mais pas par le cinéma ni par la musique, pour des raisons qui me semblent essentiellement sociales : j’étais une fille, donc plus surveillée qu’un garçon, je n'avais pas accès à des disques, et ma famille n’avait pas les moyens d’avoir Canal +. Comme j’étais abonnée à une excellente bibliothèque municipale, j’ai très vite lu Bataille, Sade, Lautréamont, les polars américains ultra-violents et trash style Ellroy, etc. Je n’y ai pas compris grand-chose sur le moment, mais ces textes lus en vrac ont probablement joué pour moi le rôle qu’ont joué pour toi les films gore : c’était très violent, cela contrevenait extrêmement à la morale rigoriste qui m’était enseignée, bref c’était terrifiant, formidable et libérateur.

Je n’ai pas eu non plus le groupe de copains avec qui partager la révolte et la consommation rigolarde de produits culturels illicites : mon frère l’a eu, et je suppose qu’il a dû, lui, passer en gros par les mêmes étapes que toi (il n’est plus là, malheureusement, pour que je lui pose la question, sinon je l’aurais fait avec intérêt). Du coup, dans ce domaine j’ai tout découvert en retard, et une fois acquis des moyens de mise à distance qui ont dû en estomper les effets roboratifs, et empêcher que ces films deviennent des objets romantiques de nostalgie. C’est un peu dommage…
enufsed a écrit : lun. 11 janv. 2021 23:08 les films actuels (dont une bonne partie est composée de remakes) ne m'attirent pas
Pareil pour moi, j’en vois de temps en temps et je suis toujours déçue. C’est peut-être un genre qui n’a plus rien à offrir. Le dernier opus intéressant en la matière que j’ai vu, bien que ce ne soit pas entièrement un film gore, est Grave de Julia Ducournau, dont j’ai dû parler dans le fil dédié du forum. Il y a peut-être de ce côté l’amorce d’un renouvellement… Espérons.

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