Que lisez-vous en ce moment ?

[Invité]

Je viens à l'instant de terminer un remarquable roman : Les choses humaines de Karine Tuil.

Ta contribution donne très envie de le découvrir, je vais le faire et je posterai mon avis.

De mon côté, pas de lectures bien notables ces derniers jours : j'ai tout de même lu le nouvel Ishiguro, Klara et le soleil, que j'attendais depuis longtemps, mais je reste un peu dubitative. Je tiens Ishiguro pour l'un des plus grands romanciers vivants et c'est la première fois qu'un de ses romans me laisse autant sur ma faim (alors que j'ai même réussi à apprécier L'inconsolé, que la plupart des lecteurs détestent ). C'est extrêmement bien écrit, délicat et ingénieux, comme toujours, mais l'émotion n'a quasiment pas été au rendez-vous pour moi.
Du coup, je vais relire Auprès de moi toujours, une autre dystopie d'Ishiguro où la narration était conduite de façon assez similaire et qui m'avait bouleversée, pour voir si c'est moi qui suis en cause ou non.

[O'Rêve]

La légèreté de Catherine Meurisse
L’album est sorti en 2016 (environ un an après les attentats de Charlie Hebdo, mais à l’époque de sa sortie, je n’avais pas eu le courage de le lire). Je suis retombée dessus récemment, avec cette fois-ci l’envie de l’emprunter. Ça raconte une quête de la beauté, et un chemin qui ramène vers la vie. Par moment, c’est drôle et on sourit, à d’autres moments j’ai trouvé ça beau. L’album est prenant.

C'est bizarre de se citer soi-même , mais je parcourais ce midi le site de France Inter, et en cliquant sur l’émission Sous le soleil de Platon (j’étais bien tentée par l’émission du jour : Pourquoi avons-nous tant besoin de musique et de poésie), je m’aperçois qu’hier, l’invité de l’émission était Catherine Meurisse autour du sujet : Comment la beauté peut-elle nous sauver?
https://www.franceinter.fr/emissions/so ... -aout-2021
J’ai écouté le podcast ce soir. Il y est beaucoup question de son livre La légèreté. Mais ça donne aussi bien envie d’explorer son album Les grands espaces et de suivre la sortie de La jeune femme et la mer, le 17 octobre. Et l'émission est vraiment très chouette.

[Invité]

@O'Rêve j'aime beaucoup Catherine Meurisse, dont j'ai lu La légèreté et Les grands espaces. Merci pour la référence de l'émission, je l'écouterai si je le peux.

[Invité]

Le rire des déesses, d'Ananta Devi (Grasset 2021). Dans les bas-fonds de Calcutta s'entrecroisent spiritualité douteuse et marchandisation des corps. La très jeune fille d'une prostituée de basse caste est enlevée par un faux maître spirituel, adepte d'un pèlerinage ancestral où les cendres des morts sont versées dans le Gange en hommage à Shiva. La mère de l'enfant se lance à la poursuite du ravisseur, en compagnie d'une hijra, directrice d'un groupe d'eunuques qui a pris la fillette sous son aile.

Le roman se lit sans ennui mais avec un brin d'agacement : somptueusement écrit, il repose un peu trop visiblement sur des archétypes. Religiosité dévoyée et capitalisme brutal s'allient pour écraser un être sans défense, forces maléfiques auxquelles s'opposent les puissances inverses de la tendresse gratuite, de la sagesse et de la solidarité : chaque personnage incarne une tendance. Veera, la prostituée vouée à recevoir ses clients sans trêve, n'a plus pour sa fille ni lait ni émotion, tant la ronge son destin, tandis que Shivnath, le brahmane assoiffé d'un plaisir que ne peuvent lui donner que les femmes opprimées interdites à son rang, voit dans l'enfant une déesse qu'il entend s'approprier, sans pour autant savoir mieux l'aimer. C'est dans l'incarnation d'un juste milieu, Sadhana, qui n'est ni homme, ni femme, ni prostituée, ni brahmane mais vit en marge des castes, que la petite Chinti trouvera l'amour dont elle a besoin et l'espoir d'un monde vivable. Les connaisseurs de mythologie indienne reconnaîtront dans la narration certaines étapes des mythes de Kali et de Vishnou ; les autres pourront se laisser porter par la colère et l'empathie profondes qui émanent du livre et se délecter des horreurs et merveilles d'une Inde un peu conventionnelle, à condition de n'être pas trop exigeants.
Pour ne pas être trop dure, j'ajouterai qu'un trait réellement prenant du roman consiste dans son organicité. C'est dans les tribulations physiologiques des êtres que se joue le drame : brûlés, vendus, vénérés, mutilés, rachetés, les corps des personnages constituent la matière essentielle de l'écriture, le lieu du combat entre bien et mal et la métaphore d'un monde en proie aux affres d'une modernité monstrueuse. C'est un aspect récurrent des livres d'Ananda Devi (le précédent racontait l'histoire d'une jeune fille obèse qui portait en elle la malédiction d'une jumelle dévorée in utero) et il fonctionne ici plutôt bien.

[Brunehilde]

celui-là me paraît une bonne première approche.

Pour moi, c'est le plus grand roman de Dickens, surtout par son rapport à la mémoire -toute la partie sur l'enfance est digne de Proust par la beauté et la complexité de la reconstitution des mécanismes mémoriels. Et puis cette galerie de personnages inoubliables, Miss Trotwood, Traddles, Mr Micawber, la famille Pegotty... J'espère que tu vas l'aimer.

Je viens de le finir (David Copperfield donc).
J'ai eu du mal au début car avec les audiobooks j'ai plus de mal à rester focus.
Mais quand j'ai compris que je pouvais bosser en même temps (pour les tâches répétitives c'est parfait ), il n'a fait que frire.

C'est un bijou de sensibilité dans l'Angleterre victorienne rigide divisée entre les classes sociales.

Ce que je trouve remarquable c'est cette description des émotions et des perceptions du personnage central, très naïf, qui voit tant de choses sans pour autant comprendre complètement ce qu'elles signifient.
On en vient à faire nous-même des déductions, mais on est quand même quelque fois surpris.

Mais peut importe si on devine où pas, c'est le genre de livre où le chemin est plus important que la destination

La qualité de l'audiobook est par ailleurs admirable, la petite musique entre les chapitres va ma manquer

[Invité]

Ce que je trouve remarquable c'est cette description des émotions et des perceptions du personnage central, très naïf, qui voit tant de choses sans pour autant comprendre complètement ce qu'elles signifient.
On en vient à faire nous-même des déductions, mais on est quand même quelque fois surpris.

Complètement d'accord. Quand je l'ai lu pour la première fois, j'étais jeune et je me suis complètement identifiée au personnage de David. Du coup, je ne saisissais rien à ce qui pouvait motiver l'attitude de la tante Trotwood, ni aux malheurs de la famille Micawber (le comique des allusions répétées de Madame Micawber à sa famille m'échappait, de même que tout ce qui touchait à la notion de billets à ordre ). Quant à l'étrange approche de M. Barkis envers Pegotty, alors là... "Dites-lui que Barkis veut bien." Le rôle de Littimer m'était également une énigme.
Il m'a fallu le relire adulte pour tout comprendre, et notamment pour goûter à la cruauté masquée de la fausse fin heureuse, où tous les "indésirables" sont expédiés soit dans l'autre monde, soit en prison, soit au-delà des mers. Dickens savait faire le ménage dans ses romans, à défaut de le faire dans sa vie.

[Olig]

Actuellement je lis Transparence de Marc Dugain.
Il s'agit d'un roman d'anticipation sur l'immortalité. Je suis arrivé à la lecture par la science fiction, j'aime y revenir régulièrement.

[Swinn]

Ce livre commence et se développe extrêmement bien, en revanche, le traitement de la fin, bien que tout à fait plausible est à mon sentiment totalement raté, c'est dommage.

[cherubim]

Je viens à l'instant de terminer un remarquable roman : Les choses humaines de Karine Tuil.

Je l'ai lu aussi, et j'ai été happée par ce bouquin que j'ai eu du mal à refermer. L'auteur traite d'un thème complètement actuel et très polémique, et pourtant elle arrive à y apporter de la nuance et à ne pas en faire un manifeste, ce que je trouve assez courageux de sa part. Je me suis surprise moi-même à éprouver de la sympathie pour le personnage masculin et à souhaiter que ses ennuis prennent fin, alors qu'il a tout les attributs du phallocrate égocentrique. C'est qu'il n'est pas que cela, car quelque chose résiste, quelque chose cloche dans l'histoire et c'est tant mieux.
Pour ma part, entraînée par @Pascalita vers les cimes et les neiges éternelles, j'ai relu Premier de Cordée de Frison-Roche, qui m'avait beaucoup plu à l'adolescence. Il faut croire que je n'ai pas complètement vieilli parce que j'ai retrouvé le même plaisir à suivre les aventures de cette bande de montagnards un peu fous et idéalistes. Le côté un peu boy-scout du bouquin, qui a été écrit en 1941, peut en agacer certains, mais pour ma part, je trouve que c'est justement ce qui fait son charme, un peu comme quand on retrouve la collection de soldats de plomb de son grand-père dans un grenier.

[Invité]

La vie derrière soi : fins de la littérature, d'Antoine Compagnon (édition des Équateurs).

C'est la transcription de la dernière série de cours donnée par Antoine Compagnon au Collège de France.
Les cours partent de la polysémie du terme de "fin" (but, accomplissement, achèvement, terminaison, arrêt, etc.) et portent sur la question des fins de carrières littéraires mais aussi des rapports de l’œuvre et de l'âge tels qu'ils ont été diversement ressentis au fil des siècles et de la possibilité d'une existence pour l'écrivain après qu'il a cessé d'écrire. Compagnon y examine les cas de Barthes, d'Aragon, de Hugo, de Mallarmé et de bien d'autres, au fil d'une gracieuse méditation sur le rapport intime qu'il entretient avec les sujets douloureux de la fin, de la retraite et du renoncement mais aussi du deuil, puisque la rédaction et la prononciation des cours ont coïncidé avec sa propre retraite professionnelle et la mort d'une personne chère.
Comme toujours chez Compagnon, c'est élégant, d'une érudition sans faille et d'une grande finesse. Le ton élégiaque choisi par l'auteur accompagne à merveille, sans l'alourdir, l'acuité de sa réflexion. Je recommande comme lecture de rentrée.

On peut écouter les cours ici.

[Tortue]

J'ai commencé L'Idiot de Dostoïevski et Notre joie de Bégaudeau. J'ai atteint la moitié du journal de Jean-Luc Lagarce. Le diariste (je ne dis pas l'homme) ne semble s'intéresser ni au monde ni aux livres ni à soi ; j'ai davantage le sentiment de lire un agenda qu'un journal personnel. Le style est négligent, les notes de lectures se résument à un rapide jugement de valeur sans développement, le travail d'écriture est simplement rapporté à l'énoncé des difficultés rencontrées, et les sentiments qu'il éprouve ne font pas non plus l'objet d'une analyse approfondie. Quand à la vie extérieure, elle n'existe que dans ses rapports professionnels, amicaux ou amoureux : quoique limitée, c'est cette dimension qui me semble présenter le plus d'intérêt (narratif, psychologique, moral ?). J'apprécie rencontrer quelques noms de lieux familiers qui sont peu entrés jusqu'à présent dans la littérature. C'est une vertu des journaux personnels : la province y tient une place plus grande peut-être que dans aucun autre genre.

[Invité]

Un livre très intéressant de Josselin Tricou, Des soutanes et des hommes, PUF 2021.

Il s’agit de la thèse de l’auteur, qui a travaillé sur la production, au sein de l’Église catholique, de diverses formes de masculinités. Les principales sont celle du laïc marié, illustration du discours de l’Église sur la vocation humaine à l’hétérosexualité et à la procréation dans le cadre de la complémentarité des sexes, et celle du prêtre voué au célibat. Si la première est facilement acceptable par le grand public, il n’en va pas de même de la seconde : atypique par rapport au modèle dominant de la masculinité qui valorise l’inclusion dans le couple hétérosexuel, elle est pourtant présentée comme idéal-typique de la virilité (et donc supérieure à la masculinité laïque), puisque le prêtre est l’image du Christ sur la terre.
Pour comprendre comment l’institution ecclésiale et les prêtres eux-mêmes composent avec ces représentations, Tricou a combiné diverses approches : travail de terrain auprès de plusieurs communautés très différentes, analyse d’entretiens avec des prêtres, étude d’un corpus filmique (diachronique) et d’une série de blogs (synchronique). Le cadre théorique est emprunté à l’école de Raewyn Connell, qui analyse les dynamiques des rapports de forces, toujours fluctuants, entre genres masculin et féminin et sexualités majoritaires et minoritaires.
Tricou montre dans son étude comment l’idéal du prêtre s’est construit sur plusieurs siècles, entre la réforme grégorienne du Xième siècle (qui lie sacerdoce et célibat) et l’élaboration, à la fin du XIXème siècle, d’une image du prêtre destinée à concurrencer sur le plan de l’autorité celle de l’époux bourgeois et républicain, citoyen-modèle de la IIIème République. Il étudie ensuite la disqualification progressive de cette image au cours du XXème siècle, liée à l’augmentation de la valence accordée à la sexualité conjugale et à la désertion subséquente des séminaires par les candidats à la prêtrise d’origine populaire. Le remplacement de ces derniers par des candidats homosexuels issus de milieux plus favorisés a contribué à un changement profond de la masculinité sacerdotale. Celle-ci s’est trouvée fragilisée, voire suspectée (en partie par confusion entre homosexualité et pédophilie) et gravement dévalorisée. L’institution y a réagi de différentes façons : tantôt, dans ses franges les plus réactionnaires, par la production d’un nouvel imaginaire hyper-virilisé du prêtre ou par un développement de milieux non-mixtes où le rapport du prêtre à la masculinité devenait celui d’un expert ; tantôt, dans des milieux plus ouverts, par un renforcement de certains aspects politiques de la prêtrise destinés à compenser sa dévaluation symbolique.
L’ouvrage se clôt sur un épilogue consacré à la dévalorisation du féminin dans les hiérarchies ecclésiastiques et sur les évolutions en cours liées aux scandales de mœurs ayant récemment frappé l’Église.

[enufsed]

Je viens de terminer Mérite d'Annabelle Allouch, opuscule d'une centaine de pages qui se penche sur la valeur de mythe qu'a prise cette notion de mérite dans la société française. Il ne s'agit pas de revenir sur l'échec de ce concept dont presque tous conviennent mais sur ce paradoxe que malgré cet échec nous continuons non seulement d'y croire mais surtout de dessiner notre cartographie sociale et nos trajectoires individuelles selon lui.
L'auteure envisage le concept de mérite à la fois dans sa dimension opérationnelle (qui conditionne l'action, par exemple mettre les étudiants au travail), son pouvoir de justification a posteriori pour les classes dominantes (elle revient ainsi sur le succès de l'expression "premiers de cordée") et sa capacité à mobiliser chez les autres, les déjà perdants du jeu social, une acceptation du jeu par la valeur morale que peu revêtir le mot "mérite" (il est méritant au sens de "il travaille dur").
En reprenant l'expression de Foucault "entrepreneur de soi" elle dessine une société néo-libérale où le savoir et l'école sont des marchandises et dont le mérite serait selon le mot de François Dubet "une fiction nécessaire" (au même titre que le dévoiement du concept de "résilience" devenu un mantra pour bête de somme au service du capital).
Je n'ai pas forcément trouvé les dispositifs de saynètes appropriés, j'aurais aimé un travail peut-être plus classique de recherche, mais cela a l'avantage d'ouvrir le sujet au plus grand nombre de lecteurs et l'abondante biblio permet ensuite d'orienter ses lectures futures.

Je commence ce jour : Être écoféministe / Théories et pratiques de Jeanne Burgart Goutal
Écologiste par conviction et par la force de mon expérience professionnelle, j'ai vu comme beaucoup surgir le concept d'écoféminisme à l'occasion de la primaire écologiste. Je n'ai pas soutenu la candidate qui portait cette vision parce que le concept me semblait alors incompréhensible, réservé à la sphère universitaire et surtout, démoralisé par l'échec cuisant de la campagne de 2012, je pressentais que ce concept serait irrecevable pour la plupart des électeurs dans une campagne où il s'agit de convaincre et non de dispenser un cours de philosophie. Cependant persuadé que l'écoféminisme était bien autre chose que les caricatures grossières (en bien ou mal d'ailleurs) qui en étaient faites, j'ai voulu prendre le temps de comprendre de quoi il s'agissait.
Dans son prélude, l'auteure se fait l'écho de la perplexité du philosophe Charles Taylor qui voit là un tissu de "contradictions troublantes" : je dois dire qu'après une trentaine de pages je suis conquis par l'attitude de Jeanne Burgart Goutal qui entend embrasser ces contradictions dans leur capacité à faire système plutôt que de chercher à leur appliquer des catégories conceptuelles qui leur sont étrangères. C'est une véritable posture philosophique que je trouve vraiment rafraîchissante...de là à dire que l'honnêteté intellectuelle est si rare qu'on peine à y croire qu'on on la croise...

[Invité]

je dois dire qu'après une trentaine de pages je suis conquis par l'attitude de Jeanne Burgart Goutal qui entend embrasser ces contradictions dans leur capacité à faire système plutôt que de chercher à leur appliquer des catégories conceptuelles qui leur sont étrangères.

Le livre est en effet stimulant sur ce point. Sur l'écoféminisme, si le sujet t'intéresse, il existe aussi une bonne anthologie coordonnée et préfacée intelligemment par Émilie Hache, une philosophe qui propose une approche un peu différente de celle de Burgart Goutal, mais complémentaire. Il s'agit de Reclaim, publié aux éditions Cambourakis. On peut lire un entretien avec son auteur ici, où elle fait le point sur l'histoire du concept et les mouvements très divers qui en ont procédé ou se le sont approprié. C'est un peu ancien (2016) mais instructif.

[Invité]

Je relis en français la Nouvelle histoire de la Guerre du Péloponnèse de Donald Kagan, à l'occasion de la parution du deuxième volume de cette tétralogie aux éditions des PUF, dans une bonne traduction d'Alexandre Hasnaoui.
Les deux volumes parus pour le moment en français sont donc : Le Déclenchement de la guerre du Péloponnèse, consacré aux prodromes de la guerre et à sa première phase, qui débute en 460 et s'achève sur la paix dite "Paix de Nicias", avant que la trahison du traité entre les cités belligérantes ne conduise aux crises de 433 qui relancent le conflit. Le deuxième volume, La guerre d'Archidamos, s'intéresse aux années 431-421, connues sous le nom de "Guerre des Dix ans", qui vit le roi spartiate Archidamos II mener contre Athènes une campagne complexe et longtemps efficace, jusqu'à ce que la prise massives d'otages lacédémoniens à la bataille de Sphactérie ne l'en dissuade.
L'immense intérêt de ces ouvrages, qui ont renouvelé en profondeur notre interprétation de l'un des conflits les plus fascinants de l'histoire européenne, consiste dans sa lecture critique des principale sources disponibles, à savoir Thucydide et les discours de Périclès. Kagan relit ces sources avec beaucoup de finesse pour montrer leurs partis-pris (elles procèdent toutes deux d'Athéniens), et notamment leur orientation téléologique : l'homme politique comme l'historien cherchaient à prouver le caractère inévitable de la guerre et la nécessité de ses différentes étapes dans le cadre d'une conception unificatrice du Péloponnèse. En les complétant par une autre documentation, notamment épigraphique, mais aussi en les mettant en perspective avec l'histoire militaire moderne, Kagan propose une relecture passionnante de la Guerre.
Je recommande chaudement, aux amateurs d'histoire grecque ou d'histoire militaire bien entendu, mais aussi à tout lecteur curieux des techniques modernes de la recherche historique, qui les verront mises à l’œuvre de façon extrêmement brillante et utile dans ces livres.

[Invité]

Après quelques Maigret (très bons mais vite répétitifs), je me relance dans un de mes écrivains préférés, Giono. C'est un peu pour le plaisir de me disputer avec mon compagnon, qui prétend n'y rien comprendre et s'y ennuyer : je ne l'ai pas encore traité de Béotien mais je sens qu'il n'y coupera pas et je ris d'avance rien qu'à imaginer sa tête .
Comme je n'avais pas envie des romans de la première période, j'ai repris à partir de 1947, donc avec Un roi sans divertissement. J'en suis à la moitié et je suis toujours aussi admirative devant l'art de Giono, surtout son refus de la psychologie classique et son usage presque diabolique de l'ellipse. Je pense qu'ensuite, je vais enchaîner chronologiquement les œuvres.

Et j'ai commencé le nouveau Goncourt. C'est un peu un roman de fort en thème désireux d'exhiber son savoir et sa technique, mais ça se laisse lire pour le moment.
Quelqu'un d'autre le lit-il?

[Rune]

Je n'ai pas le nouveau Goncourt, mais j'avais dans l'idée de le lire éventuellement car l'histoire me disait bien, ton avis m'intéresse donc !

Le seul livre de la rentrée littéraire que j'ai réussi à lire cette année, c'est Klara et le soleil, d'Ishiguro.
Je n'avais encore rien lu de cet auteur, et j'ai vu ici ou là que certains de ses lecteurs habituels trouvait ce livre-là un peu décevant...
Pour ma part, j'ai trouvé le style intéressant (l'histoire est racontée du point de vue d'une ''amie artificielle'', c'est-à-dire un robot avec une grande intelligence artificielle chargé de tenir compagnie à une adolescente malade, et le style rend bien une sorte ''d'étrangeté'' liée à une intelligence qui n'est pas strictement humaine, je trouve...), et il m'a laissé une sensation de tristesse diffuse (liée à la fin de l'histoire, je crois... Mais ce n'est pas un roman très ''ensoleillé'', j'ai trouvé, contrairement à ce que son titre pourrait laisser supposer. Mais je ne déteste pas être triste à cause d'un livre, ceci dit, et ici cette ''amertume'' ne m'a pas semblé gratuite.)

[Invité]

j'ai vu ici ou là que certains de ses lecteurs habituels trouvait ce livre-là un peu décevant...

Je fais partie des déçus, j'en ai parlé plus haut. Il y a plusieurs éléments dans le livre qui m'ont empêchée de le trouver à la hauteur de certains autres Ishiguro : par exemple l'intrigue parallèle des amours adolescentes de Josie, la jeune fille malade, avec son voisin frappé de relégation sociale m'a paru traitée avec une certaine faiblesse et un peu inutile (quoique sa narration par l'IA serve en partie à mieux cerner les limites de cette dernière, qui ne comprend pas toutes les implications de ce qu'elle voit). Mais tout est relatif, ça reste un très beau livre. J'aurais voulu être plus bouleversée par la fin, mais c'est peut-être moi qui ai manqué de sensibilité. Tout ce qui a trait au "destin" sacrificiel du robot est tout de même remarquable. Les expérimentations littéraires autour de sa perception de l'espace m'ont également beaucoup plu.
Je le relirai dans quelques temps pour le réévaluer, et ce sera probablement à la hausse.

[Rune]

Je fais partie des déçus, j'en ai parlé plus haut

Ah oui, en effet ! (...et je pense que j'avais déjà vu ton message, mais sans trop retenir puisque je n’avais pas lu le livre à ce moment là... Mais tu n'es pas la seule dans ce cas, j'ai vu ton avis partagé ailleurs ! ;-)

J'aurais voulu être plus bouleversée par la fin, mais c'est peut-être moi qui ai manqué de sensibilité.

Mais en fait je l'ai ressenti comme toi, d'où mon idée de tristesse ''diffuse".

Attention, c'est un vrai spoiler, hein, pour ceux qui ne veulent pas savoir exactement la fin !

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J'ai eu l'impression qu'Ishiguro rendait justement la mort de Klara assez ''machinale'', avec un peu l'idée que ''ce n'est qu'un robot'' après tout, et il nous empêche ainsi d'être vraiment touché par cette mort... tout en provoquant une sensation de malaise face à ce ''non-bouleversement'' ressenti, car on devrait en effet se sentir plus triste... Il m'a semblé que c'était une façon habile de nous faire réaliser notre ambivalence d'humain face aux machines, de nous faire réfléchir à la notion d'humanité etc. C'est mon impression, en tout cas.

Quoiqu'il en soit, cela m'a donné envie de découvrir davantage Ishiguro : lequel conseillerais-tu en priorité ?

[Invité]

lequel conseillerais-tu en priorité ?

Les vestiges du jour, sans hésiter.
Mais tous ses romans méritent amplement d'être lus.

[sandrinef]

Merci pour le partage, je ne connais pas Ishiguro mais ça me donne envie de le lire... (J'ai une pile monstrueuse qui m'attend déjà, je voudrais avoir plusieurs vies...)
Sinon j'ai terminé la lecture des misérables, honte à moi, je ne l'avais jamais lu. Et bien je n'avais rien lu avant. J'en suis bouleversée. Et je suis toujours dans cet état de stupeur, mélange d'admiration, de dévotion presque et d'incrédulité, à me dire que c'est à peine imaginable que de tels génies aient pu exister. Voilà, c'était ma minute d'illumination, dans tous les sens du terme...

[Invité]

J'en suis bouleversée. Et je suis toujours dans cet état de stupeur, mélange d'admiration, de dévotion presque et d'incrédulité, à me dire que c'est à peine imaginable que de tels génies aient pu exister.

Oui, c'est extraordinaire. Moi ça me fait ça avec Hugo, bien sûr, mais aussi avec Balzac et avec Faulkner (et quelques autres mais passons). Chaque fois que je (re)lis un de leurs grands romans, j'en sors KO pour plusieurs jours et les gens dans la rue me regardent d'un drôle d'air.
Ishiguro ne te fera peut-être pas le même effet : c'est moins colossal, mais c'est génial tout de même à beaucoup d'égards.

[Rune]

@Judith : je note pour Les Vestiges du jour.

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Miam, l'Angleterre et les grandes histoires d'amour contrariées

@enufsed : je note aussi pour ta référence (et celle de Judith) au sujet de l'écoféminisme. Autant je suis relativement renseignée sur l'écologie, sur le féminisme aussi, mais la croisée des deux, bizarrement, ça manque !

@sandrinef : je me souviens d'avoir vibré aussi lors de la lecture des Misérables.

Hors-sujet

Après, au sujet de la ''honte'' de ne pas avoir lu tel ou tel ouvrage, je trouve toujours ça dommage comme sentiment : tu peux aussi être fière de l'avoir lu MAINTENANT, ce qui n'est pas le cas de tout le monde non plus ! Comme tu le dis, on n'a qu'une vie, qui plus est pas toujours autant dédiée à la lecture qu'on le souhaiterait !
Par exemple, vu mon métier, j'aurais ''dû'' avoir lu la totalité des grands classiques. Ben non. A l'occasion de la sortie du film Les Illusions perdues, j'ai réalisé que je n'avais jamais vraiment lu le livre.
J'en connais bien plusieurs extraits, j'en connais l'histoire, mais je ne l'ai jamais lu. Et bien même pas honte ! Éventuellement j'ai le regret de ne pas l'avoir fait encore, l'envie de le faire un jour, mais c'est tout.
Je trouve que c'est un peu comme l'écologie dont on parle dans un autre sujet : à partir du moment où on voit quelque chose comme un ''devoir'', une ''obligation'', il me semble que cela enlève une partie de l'envie et du plaisir, et pourquoi donc faire cela à la lecture ?

[Invité]

Miam, l'Angleterre et les grandes histoires d'amour contrariées

Là, je sens que tu risques d'être déçue...
Si par hasard tu as vu le film, ne t'attends pas à la même chose : c'est une adaptation intéressante et bien jouée, mais qui passe à côté de son matériau d'origine de façon magistrale.

[Rune]

J'avoue, j'avais en tête la bande-annonce du film !

Hors-sujet

(...que je n'ai pas vu ! Je pense que je pourrais presque écrire un de ces pseudos succès de librairie, du genre ''Parler des oeuvres que vous ne connaissez pas comme si vous les connaissiez''. J'imagine d'ailleurs bien mettre en sous-titre private-joke ''Seule Judith sera capable de vous démasquer'' . Je te soupçonne en effet d'être une de ces rares personnes à avoir effectivement lu TOUS les grands classiques de la littérature ! Quand je vois que tu es en train de RElire tous les Giono... Ça me fait penser : il y a un fil sur les livres / oeuvres qui laissent une ''impression'' particulière, presque physique, qui ne s'explique pas vraiment de façon rationnelle, mais par une sorte ''d'épaisseur'' du texte qui résiste à l'analyse ? Un roi sans divertissement est de ceux-là pour moi.)

Pour Ishiguro, ça me plait de prendre le risque d'être ''déçue'' !