3 août... 3 août 1914

[Colonel Moutarde]

Le 3 août 1914, après cinq semaines de tergiversations diplomatiques, l'Europe entre en guerre : l'Allemagne met en oeuvre le plan Schlieffen en entrant en Belgique, objectif : écraser dans un vaste mouvement tournant l'armée française concentrée le long de la frontière franco-allemande et emporter Paris pour finir la guerre "avant la chute des feuilles".

Les deux ennemis ont déjà leurs premiers morts. Alors que l'armée française a reculé à 10 km de sa frontière dans le but de laisser à l'Allemagne l'initiative du premier acte d'agression, celle-ci ne s'en est pas privée, une patrouille de uhlans (composée d'Alsaciens) qui a pénétré dans le Territoire de Belfort s'est heurtée, à Joncherey, à une escouade française. Le sous-lieutenant allemand Camille Mayer et le caporal Jules André Peugeot se sont entretués, premiers tués de leurs pays respectifs, avant même la déclaration de guerre.

La fiche "Mémoire des hommes" du caporal Peugeot

Le 3 août, les régiments français s'ébranlaient; finis les défilés la fleur au fusil; les pantalons rouges marchent à l'ennemi. Ils doivent foncer en Lorraine et en Alsace et reprendre les "Deux Provinces" perdues.

Sur cette photo prise apparemment avant le départ, figure peut-être mon arrière-grand-oncle Amédée C. La guerre le trouve au 133e RI de Belley où il effectue son service militaire depuis octobre 1913. Le 5, son régiment va entrer en Alsace.


Photo tirée de chtimiste.com

Combien d'entre eux sont revenus ?
Amédée n'en est pas.

[TourneLune]

Tu n'as aucun moyen de savoir si ton grand-oncle est sur la photo?

Je suis totalement ignare en histoire, je me suis dépêchée d'oublier ce dont on nous avait maladroitement bourré le crane à l'école. Mais j'ai visité Verdun avant mon retour dans le sud... Je ne comprends pas qu'on ne rende pas les choses plus concrètes à l'école... C'est si poignant de toucher du doigt le quotidien de ces hommes qui n'avaient rien demandé...

Une petite suite?

[Fabs le vaurien]

le monsieur Peugeot est il un parent ?

[Colonel Moutarde]

Tu n'as aucun moyen de savoir si ton grand-oncle est sur la photo?

Aucun : je n'ai aucune photo de lui. Tout ce que je sais de son parcours, je l'ai tiré de sa fiche de registre matricule.

Je suis totalement ignare en histoire, je me suis dépêchée d'oublier ce dont on nous avait maladroitement bourré le crane à l'école. Mais j'ai visité Verdun avant mon retour dans le sud... Je ne comprends pas qu'on ne rende pas les choses plus concrètes à l'école... C'est si poignant de toucher du doigt le quotidien de ces hommes qui n'avaient rien demandé...

En plus, c'est facile maintenant. Quand on a un nom de soldat, il suffit de demander sa fiche de registre matricule aux archives départementales du coin et on a tout son parcours. Et maintenant, il y a des masses de documents en ligne, notamment tous les Journaux des unités. Quand on ajoute les communautés comme le forum Pages14-18, on peut visualiser les choses d'une manière assez nette...

le monsieur Peugeot est il un parent ?

Celui qui a quelque chose à nous dire ?

[Fabs le vaurien]

oui celui là même qui a travaillé à l'effort de guerre de l'occupant quelques décennies après..

[Mlle Rose]

Classe ce topic! Je suis sûre que si je t'avais eu comme prof d'histoire je n'aurais pas eu 4 au bac... mais je suis trop vieille ou toi trop jeune, c'est con.
Comme TourneLune, moi l'Histoire ne m'a intéressée qu'à partir du moment où j'ai compris qu'il y avait des hommes en vrai derrière, et pas juste ce qu'on nous présentait à l'école, des suites de dates, des noms de batailles et des bilans humains d'un air détaché. J'ai aimé toucher les casques allemands dans la cave de ma mamie et l'entendre raconter.... Je crois que dans l'Histoire, d'un pays ou d'une famille, il existe des liens importants pour comprendre le présent... On est con quand on est ado souvent, difficile de comprendre ça.

[Cyrano]

J'aurais voulu t'avoir comme prof d'histoire colonel...

[TourneLune]

Peut-être aussi qu'il faut partir, s'éloigner un peu de ses racines, pour voir à quel point elles sont importantes....
Enfin même sans ça, même avec des ado cons, y avait moyen de faire mieux que ce qu'ont fait les profs que j'ai eu....

[Fabs le vaurien]

j'ai eu au lycée un prof (sosie de sean connery) qui racontait l'histoire comme si c'était du cinéma (il était chroniqueur cinéma sur le quotidien local) et franchement , je n'ai jamais autant apprécié l'histoire que durant ces deux années là.
c'est une bonne idée ce topic mais se limitera t il à cette journée du 3 août 1914?
j'ai quelques récits familiaux sur les exploits de mon illustre arrière grand père, du moins de son évasion d'une prison allemande...je repasserai tantôt narrer cela.

[Cyrano]

J'ai une vraie passion pour la seconde guerre mondiale mais étrangement aucun souvenir du moindre cours sur le sujet.
Mes centres d'intérêt sont venus très tard à l'age adulte.
Je serais heureux de pouvoir lire ici les récits de vos aïeux !(les miens étaient de braves paysans sous l'occupation)

[TourneLune]

On aura peut-être droit à un récit par jour??

[Paille à son]

Aujourd'hui, ce serait la nuit du 4 août 1789!!

[Colonel Moutarde]

Si je fais vivre ce topic, ce sera plutôt réservé "Première guerre" que "un jour, un événement historique". Je n'ai pas la compétence pour pérorer doctement sur n'importe quelle époque !
On peut créer un autre fil et le faire vivre ensemble.

[Fabs le vaurien]

question idiote peut être mais comment peut il y 'avoir des premiers morts avant la déclaration de guerre?

[Colonel Moutarde]

La réponse est dans le récit de la mort du caporal Peugeot. C'est ce qu'on appelle un "incident de frontière". Quand tu es en situation de tension maximale, les deux armées se font face et inévitablement, il va se produire un incident où l'un des camps va faire le pas de trop. Dans le cas présent, côté français, on ne veut pas être en posture d'agresseur. Le gouvernement français a donc ordonné aux troupes de couverture de reculer de 10 km à l'intérieur du territoire, de quoi être automatiquement l'agressé sans prendre de risques stratégiques. L'incident mortel vient du fait que l'armée allemande a déjà décidé "d'y aller" et n'hésite absolument pas à engendrer un casus belli : elle envoie en territoire français des patrouilles qui en plus, ont l'ordre, ou la permission, d'avoir une attitude agressive : la patrouille allemande a chargé et tiré la première alors qu'elle aurait parfaitement pu rester à distance, noter la position des Français et se retirer.

http://www.joncherey.fr/pages/pages%20p ... cherey.htm

Et malgré cela, c'est quand même l'Allemagne qui déclare la guerre à la France et non l'inverse, alors que la France avait toutes les raisons de se déclarer attaquée et de facto en état de guerre, ayant eu un tué dans ses rangs, tué un soldat ennemi et fait des prisonniers (seuls 2 des 7 uhlans ont pu s'échapper) sur son propre sol.

Par ailleurs, les deux guerres mondiales ont vu des attaques surprises avoir lieu sans déclaration de guerre...

[Bélisaire]

A l'instar de Brassens et du Colonel Moutarde, sans militarisme aucun, la guerre de 14-18 c'est celle que je préfère, quoi que pressentant que je suis loin d'être aussi docte que vous Colonel Moutarde.

C'est d'ailleurs grâce à ses écrits sur la guerre de 14 (La main coupée) que j'ai eu le bonheur de découvrir Blaise Cendrars.

[Colonel Moutarde]

Peut-être que je ferai vivre ce topic avec le déroulé de la Première guerre et en filigrane le parcours du soldat Amédée.

[Colonel Moutarde]

Le 5 août 1914, des combats violents se poursuivent autour de Liège dont les forts sont réputés les plus puissants d'Europe après la place de Verdun.
Les Allemands, qui avaient escompté soit que les Belges leur ouvriraient le passage, soit qu'ils n'auraient rien à leur opposer, sont outrés par la forte résistance de la place de Liège et des troupes belges de manière générale. C'est le début des atrocités : la psychose des francs-tireurs (en réalité, il n'y en a aucun), le sentiment que la petite Belgique n'a pas "le droit" de s'opposer à l'Allemagne et encore moins de lui causer des pertes, amènent des exécutions de civils dans plusieurs villages belges.
Côté français, on s'en tient au plan initial sans comprendre qu'en Belgique, c'est le gros de l'armée allemande, la "forte aile droite" voulue par Schlieffen qui combat. L'armée se concentre dans le nord-est et se dispose à foncer en Alsace et en Lorraine. Le précieux temps gagné par l'héroïque résistance belge n'est pas mis à profit.

[Colonel Moutarde]

Le 7 août, le régiment d'Amédée est entré en Alsace annexée, précédé d'un bataillon de chasseurs.
On imagine facilement la fierté du cultivateur du Massif central.
Passé la frontière au col de Bussang, descendu en direction de Thann par Fellering, il a connu son premier combat aux abords de Saint-Amarin où la résistance allemande bloquait l'avancée des Chasseurs.

Après cette escarmouche, le régiment occupe Thann le 7 dans l'après-midi, puis le 8 août, se porte sur Cernay sans rencontrer l'ennemi. Que fait-il donc ?

Il est en Belgique et toujours arrêté dans sa marche par les forts de Liège. Quelques troupes se sont glissées dans la ville où elles ont défilé en bon ordre, dans un gros coup de bluff destiné à obtenir la reddition. Elles sont dispersées par la garde civique !... Les forts tiennent bon mais des unités allemandes ont réussi à s'installer dans les intervalles, rendant la défense plus difficile. Surtout, des troupes considérables se massent devant la place.
Et les atrocités continuent : Herstal, Herve, Francorchamps...

Il est en Moselle et franchit déjà la frontière dans le secteur de Longwy et Briey. L'ordre est ici de tenir sur les meilleures positions possibles. Il faut couvrir le flanc de l'attaque qui se prépare depuis Nancy en direction de Metz.

Côté français, on ne réagit à l'attaque en Belgique que par l'envoi du corps de cavalerie Sordet qui s'avance à travers le Luxembourg belge. Il se heurte rapidement à la cavalerie allemande déployée pour couvrir l'aile marchante de l'armée. Les premiers engagements lui sont favorables. Mais personne n'a encore réalisé que le gros des troupes allemandes est là, juste derrière, que les Allemands vont attaquer à l'ouest alors que les Français foncent à l'est et que, l'armée belge ne pouvant soutenir longtemps une pareille pression, l'armée française est en train de s'enfoncer encore plus dans le mouvement tournant qui est censé la piéger et s'ouvrir la route de Paris.

[Fabs le vaurien]

suspens !!!!

[Colonel Moutarde]

Dans quelques jours seulement, la suite... (Y'aura du rattrapage...)

[Colonel Moutarde]

Me revoici.
En attendant la suite, je vous livre cette anecdote lue sur la fiche de registre matricule d'un canonnier de Haute-Loire :

"Le 16 avril 1910 à 8h 30, a reçu un coup de pied de la jument "Brioche" pendant une promenade de chevaux. A été atteint d'une contusion de la jambe gauche au tiers inférieur sans fracture apparente."

Moralité : il est dangereux de prendre de la Brioche avant l'âge.
Moralité 2 : en temps de paix, on peut s'amuser à en consigner, des choses. C'étaient encore des jours "heureux".

[Cyrano]

Tu mollis Colonel...

Même si je ne participe pas, (par méconnaissance de la période) je trépigne en attendant la suite.

[Colonel Moutarde]

Du 8 au 15 août, l'aile marchante allemande est toujours immobilisée devant Liège. Les forts sont attaqués et réduits les uns après les autres au mortier de 420 (la "vraie" Grosse Bertha, disons la Bertha des Allemands).
Le 15 août, des éléments français appuient les troupes belges dans les Ardennes et notamment à Dinant. Le résultat est tragique. Des troupes allemandes imprudemment avancées se font prendre en écharpe par des éléments français invisibles, placés en embuscade. Ne pouvant imaginer avoir commis une erreur aussi grossière, les Allemands s'imaginent avoir été attaqués par des "francs-tireurs" belges et massacrent des dizaines de civils en "représailles". Le consul d'Argentine, bien que s'étant dûment identifié, fait partie des victimes.
L'armée française déplace lentement des éléments vers le nord, mais l'essentiel reste l'offensive prévue en Alsace et en Lorraine. Cette dernière n'a pas encore eu lieu, car il faut d'abord concentrer les forces et notamment les réservistes, ceux qui n'étaient pas sous les drapeaux au jour de la mobilisation générale.
Dès le 8 août, d'importantes forces ennemies se sont portées sur Cernay à la rencontre du régiment d'Amédée. Un violent combat est livré dans des conditions très difficiles, au beau milieu des hautes vignes, qui isolent les unités, peloton par peloton. L'artillerie allemande se met en batterie. Une erreur de commandement ramène une partie du régiment sur une hauteur, d'où elle domine le champ de bataille mais surtout s'expose aux tirs d'artillerie.
Le régiment doit décrocher tout en combattant et finit par se replier jusque derrière la frontière pour se réorganiser. L'infanterie française n'a nullement démérité, mais l'artillerie allemande a emporté la décision.

[zebrunette]

Colonnel tu es d'où géographiquement ?
J'ai été attiré par le titre du post parce que mon mari est né le 3 août (pas 1914 hein ^^), bref très très intéressant surtout que je suis de Belfort moi !!!!
Quel plaisir de lire le nom de communes voisines connues, familières ...
Bref tout cela pour dire quoi ... étant belfortaine et ayant un peu beaucoup de temps à moi en ce moment, je peux donc aller faire un tour aux archives départementales ... bref si cela te dit // à ton grand père ... n'hésite surtout pas.