L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Mathématiques, sciences humaines, anthropologie, écologie, biologie, génétique, médecine, ou encore philologie, linguistique, grammaire et autres. La vaste partie consacrée aux sciences dans leur ensemble, et dans leur unicité.
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madeleine
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L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par madeleine »

Antonio R. Damasio est chef du département de neurologie au Collège de médecine de l'Université de l'Iowa. Il est également professeur adjoint au Salk Institute de La Jolla. Il est aujourd'hui mondialement connu pour ses travaux sur le cerveau humain, dont il explore la complexité, notamment au regard de la mémoire, du langage et des émotions.

Avec sa femme, Hanna (professeur de neurologie exerçant aussi à l'université de l'Iowa , spécialiste de l'imagerie cérébrale) il a mis sur pied l'un des premiers centres de recherches sur les neurosciences au monde. Il est titulaire de plusieurs distinctions scientifiques, et a publié, outre ses livres, de nombreux articles.

Dans ses écrits, traduits en de nombreuses langues, ce chercheur mêle étroitement l'expérience clinique, les études neurologiques, une imagination créatrice et une sensibilité philosophique et humaine remarquables. Antonio Damasio est une référence, non seulement dans le domaine des neurosciences, mais pour tout ce qui concerne la simulation du moi et de la conscience sur des artefacts.

Antonio R.Damasio a mené ses études à l'Ecole de médecine de Lisbonne, ville dont il est natif, obtenant une agrégation en neurosciences en 1974. C'est apparemment en quittant l'Europe en 1976 pour y rejoindre l'Université de l'Iowa qu'il a trouvé l'environnement le plus favorable à l'ambition de ses recherches.
(copier-coller du site (génial par ailleurs !) automates intelligents)

S'ils avaient eu la bonté de résumer le livre que je voudrais vous présenter ici, je ne m'y risquerais pas, tant leurs résumés de lectures sont intelligents et référencés. Mais bon ...
L'autre moi-même est paru chez Pantheon books en 2010, sous le titre Self Comes to Mind. Constructing the Conscious Brain (trad. litt. : Le soi vient à l'esprit. Construire le cerveau conscient.) Il est dédié à sa femme, Hanna, et commence par deux citations :

Mon âme est un orchestre caché ; je ne sais de quels instruments il joue et résonne en moi, cordes et harpes, timbales et tambours. Je ne me connais que comme symphonie. Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité.

Ce que je ne peux construire, je ne peux le comprendre. Richard Feynman.

Les anglophones trouveront sans peine chez notre ami Google interviews de l'auteur et critiques autorisées de cet ouvrage, et même le texte original en pdf. Celui-ci est parfois très utile pour comprendre la traduction française...que l'on doit, chez Odile Jacob, à Jean-Luc Fidel.

Je mesure, en lisant les diverses critiques de cet ouvrage, combien je suis loin d'être suffisamment qualifiée pour me lancer dans cette aventure ( mais je vais le faire quand-même ), ce ne sera donc qu'une très simple restitution aussi fidèle que je le puis d'un livre très riche et passionnant qui, j'espère, vous donnera envie de le lire.
Table des matières :

Première partie - Redémarrage
Chapitre 1 - Réveil
Chapitre 2 - De la régulation de la vie à la valeur biologique

Deuxième partie - L'esprit dans le cerveau
Chapitre 3 - La fabrication de cartes et celle d'images
Chapitre 4 - Le corps dans l'esprit
Chapitre5 - Émotions et sentiments
Chapitre 6 - Une architecture pour la mémoire

Troisième partie - Être conscient
Chapitre 7 - La conscience observée
Chapitre 8 - Comment se construit l'esprit conscient
Chapitre 9 - Le soi autobiographique
Chapitre 10 - Quand tout est là

Quatrième partie - Longtemps après l'apparition de la conscience
Chapitre 11 - La vie avec la conscience
Appendice
Notes (20 pages ...)
Index
Remerciements
Première partie - Redémarrage
Chapitre 1 - Réveil


Dans cet ouvrage, A. Damasio propose sa réponse, remise à jour en fonction de nouvelles avancées dans les neurosciences et dans ses réflexions, à deux questions :

- comment le cerveau construit-il l'esprit ?
- comment le rend-il conscient ?

"Le but de ce livre est de réfléchir à ces conjectures et de présenter une grille d'hypothèses. Il est principalement consacré à la façon dont le cerveau humain doit être structuré et doit fonctionner pour que l'esprit conscient apparaisse. (...) Ce livre porte sur mes idées actuelles. Il porte aussi sur ce que nous ignorons encore, mais aimerions savoir."

Les premières pages de l'introduction s'appliquent à circonscrire les grandes notions évoquées : conscience, soi, esprit. " L'esprit conscient apparaît lorsqu'un processus du soi vient s'ajouter à un processus mental de base. (...) Le soi existe bel et bien, mais c'est un processus, et non une chose ". Dans une perspective évolutionniste, Damasio considère qu'est d'abord apparu un soi-matériel qu'il définit ainsi : collection dynamique de processus neuraux intégrés, centrés sur la représentation du corps vivant, qui trouve son expression dans une collection dynamique de processus mentaux intégrés. Il s'agit d'un soi élémentaire, qui permet de discriminer entre soi et non-soi à partir de sensations (feelings) agissant comme marqueurs, comme les prémisses d'une "sensation de savoir". Puis a émergé un soi-sujet, un Je, plus insaisissable que le simple moi avec lequel il n'y a pas dichotomie, mais continuité.
L'auteur définit la conscience comme "une organisation de contenus mentaux centrés sur l'organisme qui les produit et les motive". (...) Pour que le cerveau devienne conscient, il doit acquérir une propriété nouvelle : la subjectivité. (...) Dès lors, le pas décisif dans la formation de la conscience, ce n'est pas la production d'images et la création des éléments de base de l'esprit. Il consiste plutôt à rendre nôtre les images, à les attribuer à leur propriétaire, l'organisme singulier et bien délimité dans laquelle elles apparaissent.Dans la perspective de l'évolution et de sa propre histoire vécue, le propriétaire émerge par étapes : le protosoi et ses sensations primordiales; le soi-noyau orienté vers l'action; et enfin le soi autobiographique qui incorpore les dimensions sociales et spirituelles. Ce sont là des processus dynamiques et non des choses rigides; chaque jour, leur niveau fluctue - simple, complexe, entre les deux - et il peut s'ajuster aisément lorsque les circonstances le dictent. Une instance connaissante, quel que soit le nom qu'on veut lui donner - soi, expérimentateur, protagoniste - doit être engendré dans le cerveau pour que l'esprit devienne conscient. Quand il y parvient, alors la subjectivité suit.
Après avoir développé sur quelques pages les limites inhérentes à la neurobiologie de l'esprit conscient, et esquissé rapidement le fonctionnement et l'organisation des neurones (tout en renvoyant à un chapitre appendice de l'ouvrage, résumé très complet de l'architecture du cerveau que je résumerai un peu plus loin), Damasio définit ce qu'il appelle "le cadre" de son travail : davantage qu'une théorie, il s'agit d'articuler plusieurs composantes hypothétiques sur tel ou tel aspect du phénomène abordé. "Ce que j'espère expliquer est trop complexe pour se prêter à une seule et unique hypothèse et pour qu'un seul mécanisme en rende compte. J'ai donc opté pour le terme de cadre afin de désigner cette tentative.
Pour prétendre à ce titre prestigieux, les idées présentées dans les chapitres à venir doivent remplir certains objectifs. Dans la mesure où nous souhaitons comprendre comment le cerveau rend l'esprit conscient et puisqu'il est manifestement impossible de traiter tous les niveaux du fonctionnement cérébral pour en former une seule explication, ce cadre doit préciser le niveau auquel l'explication s"applique. C'est celui des systèmes à grande échelle, où les régions cérébrales macroscopiques constituées de circuits de neurones interagissent avec d'autres régions semblables pour former des systèmes. Ceux-ci sont nécessairement macroscopiques, mais leur anatomie microscopique sous-jacente est en partie connue, tout comme les règles opératoires générales des neurones qui les constituent. Le niveau des systèmes à grande échelle se prête à des recherches recourant à de nombreuses techniques, anciennes et nouvelles (...)
Ce cadre doit relier des événements concernant le comportement, l'esprit et le cerveau. Puisqu'il repose sur la biologie de l'évolution, il doit replacer la conscience dans un cadre historique, comme il convient à des organismes en cours de transformation évolutive par sélection naturelle. De plus, la maturation des circuits de neurones dans chaque cerveau est aussi considérée comme sujette à des pressions sélectives liées à l'activité même des organismes et aux processus d'apprentissage. Les répertoires de circuits de neurones fournis initialement par le génome changent en fonction de cela.
Notre cadre indique l'emplacement des régions impliquées dans la formation de l'esprit, à l'échelle du cerveau tout entier, et suggère de quelle façon les régions cérébrales sélectionnées peuvent fonctionner de concert pour produire le soi. Il montre qu'un architecture cérébrale par convergence et divergence entre circuits de neurones joue un rôle dans la coordination à haut niveau des images et est essentielle à la construction du soi et des autres aspects du fonctionnement mental, à savoir la mémoire, l'imagination et la créativité.
Ce cadre doit diviser le phénomène de la conscience en composantes se prêtant à des recherches neuroscientifiques. Il en résulte deux domaines de recherches, à savoir les processus mentaux et ceux du soi. DE plus, il décompose le processus du soi en sous-types. Cette séparation présente deux avantages : on présume et étudie la conscience chez des espèces censées disposer de processus du soi modestes ; on jette un pont entre les niveaux supérieurs du soi et l'espace socio-culturel dans lequel les êtres humains opèrent.
Autre objectif : ce cadre doit aborder la question de savoir comment les macro-événements systémiques se forment à partir des micro-événements. Sur ce point, il postule l'équivalence des états mentaux avec certains états de l'activité cérébrale régionale. Il suppose que, à certaines intensités et fréquences d'allumage neuronal dans de petits circuits de neurones et lorsque certains d'entre eux sont activés de façon synchrone et que certaines conditions de connectivité sont remplies, il en résulte "un esprit doté de sentiments (feelings)" En d'autres termes, par suite de la taille et de la complexité de plus en plus grande des réseaux de neurones, "cognition" et "sentiment" s'étalonnent du niveau micro au niveau macro. Le modèle de cet étalonnage peut être emprunté à la physiologie du mouvement. La contraction d'une seule et unique cellule musculaire microscopique est un phénomène négligeable, mais la contraction simultanée d'un grand nombre d'entre elles peut produire un mouvement visible."
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par Zyghna »

Vaste tâche à laquelle tu t'es attelée, mais le bouquin en vaut largement le coup!
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par madeleine »

Avant d'attaquer le chapitre 2, je voudrais réparer
une (honteuse) omission de mon précédent post : voici la table des matières en premier message :)


Chapitre 2 - De la régulation de la vie à la valeur biologique

L'auteur expose ce qu'il considère comme un changement de perspective sur l'apport du cerveau, de l'esprit et de la conscience à la gestion de la vie. Ce chapitre foisonne d'idées et de rapprochements féconds, à travers lesquels il m'a fallu faire des choix cruels, je ne peux donc que vous conseiller de le lire, pour en tirer toute la substantifique moelle.

Partant de la complexité des compétences en matière de survie de la cellule, ou de l'organisme unicellulaire, des moyens mis en œuvre pour maintenir l'homéostasie et favoriser la reproduction, Damasio y voit clairement les prémisses des comportements dirigés par la notion de "valeur biologique", qui initient les stratégies élémentaires de réponse à l'environnement. Il fait de celles-ci le moteur de l'évolution qui, à terme, donnera les cerveaux primitifs, à travers deux axes de développement, l'un allant de l'intéroception à l'extéroception, l'autre allant de la mémorisation à l'action, et en particulier le mouvement (modèle du si ceci alors cela). La spécialisation des cellules qui donneront les neurones a été un facteur décisif qui a permis une réactivité bien plus rapide à l'environnement que l’inscription génomique de stratégies d’adaptation, en permettant des modifications en temps réel, au bénéfice de toutes les cellules de l'organisme. Toutefois, il existe dès le niveau cellulaire des mécanismes d'incitation à l'action en cas de déséquilibre de l'homéostasie, qui se retrouvent dans les organismes plus complexes sous forme de messages chimiques, qui sont la racine des sensations de douleur ou de plaisir que nous ressentons.
La majeure partie de l'activité du cerveau échappe à la conscience, elle gère l'homéostasie de l'organisme complexe que nous sommes individuellement. "En bref, les organismes unicellulaires dotés d'un noyau ont une volonté de vivre sans esprit ni conscience et gèrent assez convenablement leur vie, tant que certains gènes le leur permettent. Les cerveaux ont accru les possibilités de gestion vitale même sans produire d'esprit, et encore moins d'esprit conscient (cet article, cité en note, est particulièrement éclairant à ce propos ). C'est pour cette raison qu'eux aussi ont prévalu. Avec le temps, l'esprit et la conscience sont venus s'ajouter ; les possibilités de régulation ont alors été encore augmentées et ont ouvert la voie au type de gestion qui n'intervient pas seulement au sein d'un seul organisme, mais entre plusieurs, dans des sociétés. La conscience a permis aux hommes de répéter le leitmotiv de la régulation vitale grâce à une collection d'instruments culturels - échange économique, croyances religieuses, conventions sociales et règles éthiques, lois, arts, science, technologie. Pour autant, l'intention de survivre de la cellule eucaryote et celle qui est implicite dans la conscience humaine ne sont qu'une seule et même chose.
Derrière l'édifice admirable mais imparfait que les cultures et les civilisations on construit pour nous, le problème fondamental demeure la régulation de la vie. Et la motivation expliquant ce que les cultures et les civilisations humaines ont réalisé tient à ce problème bien précis et à la nécessité de gérer les comportements par lesquels les hommes le règlent. La régulation de la vie est à la racine de bien des points qu'il nous faut expliquer dans la biologie en général et à propos de l'humanité en particulier. (...) Pour le dire un peu autrement, la vie et les conditions qui y participent - le mandat impératif de survivre et le travail compliqué consistant à gérer cette survie dans un organisme ne comportant qu'une seule cellule ou bien des milliards - sont à la racine de l'apparition et de de l'évolution des cerveaux, lesquels représentent les dispositifs de gestion les plus élaborés qui aient été assemblés par l'évolution, ainsi qu'à celle de tout ce qui a suivi le développement de cerveaux toujours plus élaborés, au sein de corps toujours plus élaborés, vivant dans des environnements toujours plus complexes.
Si l'on considère la plupart des aspects des fonctions cérébrales à travers le filtre de cette idée - à savoir que le cerveau existe pour gérer la vie au sein d'un corps - , les étrangetés et les mystères de certaines des catégories traditionnelles de la psychologie - l'émotion, la perception, la mémoire, le langage, l'intelligence et la la conscience - deviennent moins étranges et bien moins mystérieux. En réalité, leur rationalité devient limpides, et d'une logique aussi imparable que séduisante. Comment pourrait-il en être autrement, semblent nous demander ces fonctions, étant donné le travail qui doit être accompli ?"
Deuxième partie - L'esprit dans le cerveau(What's in a brain that a mind can be ?)

Chapitre 3 La fabrication de cartes et celle d'images
Ce qui distingue notre cerveau, qui comme tous les autres sert avant tout à gérer la vie, c'est ce que Damasio appelle la faculté de créer, avec nos neurones, des cartes de l'interaction de notre corps avec l'environnement, ce qui en permet une gestion sophistiquée en codant des informations qui sont aussitôt traitées, la plupart du temps sans passer par la conscience, à des échelles de temps de l'ordre du millième de seconde ; en bon moniste, l'auteur considère que le cerveau et l'esprit étant faits de la même substance, ces cartes sont également ce que l'esprit perçoit sous forme d'image ou de structure mentale. Elles sont l'information que le cerveau se donne à lui-même. La structure en nappes et colonnes des cortex est particulièrement bien adaptée à la fabrication de ces cartes mouvantes, fluctuantes, (pour bien comprendre ce qu'implique ce chapitre, j'ai potassé les fondamentaux, et interactives. Mais l'information est d'abord traitée par les noyaux du tronc cérébral, qui produisent également des cartes plus sommaires, que Damasio met en relation avec la production des sentiments primordiaux.
Ces concepts sont illustrés par la description des fonctions visuelles et auditives ; l'auteur pose ensuite que l'esprit est la conséquence de cette incessante activité de cartographie dynamique (sans définir l'esprit davantage à ce stade de l'ouvrage), et que "outre la logique imposée par le déroulement de la réalité extérieure au cerveau - disposition logique que les circuits développés par la sélection naturelle dans notre cerveau préfigurent dès les premières étapes du développement -, les images dans notre esprit prennent plus ou moins de présence dans le flux mental selon leur valeur pour l'individu.". L'esprit peut être conscient ou bien non conscient.
Damasio passe ensuite en revue les régions cérébrales impliquées dans la production élémentaire de l'esprit, qu'on a pu déterminer au fil du temps par l'étude de patients lésés, essentiellement les cortex et en particulier les cortex sensoriels, mais également, selon lui, une bonne partie des noyaux du tronc cérébral, tout en mentionnant que cette hypothèse "est si peu conventionnelle qu'elle en est même impopulaire". Pour lui, ces noyaux produisent des cartes des états ressentis du corps. Il étaie son hypothèse en présentant en détail deux types de lésion et un noyau :
-après destruction des deux cortex insulaires, qui sont associés au traitement d'un large éventail de sentiments, des sentiments simples de douleur et de plaisir demeurent.
- certains enfants naissent avec les structures du tronc cérébral intactes, mais sans cortex cérébral, sans thalamus et sans ganglions de la base (hydrocéphalie). Ces enfants manifestent clairement des signes de processus mental, et des sentiments. La possibilité qu'ils aient un esprit conscient, quoique extrêmement modeste, est une évidence pour tous ceux qui s'en occupent (je l'atteste).
- les collicules supérieurs sont organisés en sept couches, reliées aux informations issues de la vision, de l'ouïe et des multiples aspects des états du corps, favorisant une intégration significative et un accès direct au système moteur via le noyau adjacent et via le cortex auquel ils sont reliés. "Selon toute probabilité, les cartes intégrées du collicule supérieur engendrent également des images, en aucune façon aussi riches que celles qui se forgent dans le cortex cérébral, mais des images tout de même. C'est probablement là qu'il faut chercher certains des commencements de l'esprit, ainsi que du soi. [...] Il faut encore ajouter un autre fait attestant la contribution des collicules supérieurs à l'esprit. Le collicule supérieur produit des oscillations électriques de type gamma, phénomène qu'on a relié à l'activation synchronique des neurones. Le neurophysiologue Wolf Singer a suggéré que ce serait corrélé à la perception et même à la conscience. A ce jour, le collicule supérieur est la seule région du cerveau située hors du cortex cérébral dont on sait qu'elle produit des oscillations de type gamma."."(pour creuser).
Si on commence à connaître les régions qui contribuent à la fabrication de l'esprit, on ne sait pas quel genre de signaux leurs neurones doivent produire pour y parvenir. Il faut une interconnexion massive entre ces régions, de sorte que la récursivité soit possible. Il faut enfin que la signalisation respecte un certain timing, il faut une synchronisation des taux d'allumage des neurones impliqués. "Lorsque le cerveau produit des images perceptuelles, les neurones qui appartiennent à des régions distinctes contribuant à la perception ont une oscillation synchronisée dans les fréquences gamma élevées. La "liaison" de régions distinctes pourrait ainsi s'expliquer par le temps, mécanisme que j'invoquerai pour expliquer l'action des zones de convergence-divergence (chapitre 6) et l'assemblage du soi (chapitres 8, 9, 10). Autrement dit, en plus de former des cartes en divers emplacements distincts, le cerveau doit les relier les unes avec les autres pour former des ensembles cohérents. Le timing pourrait être la clé de cette mise en relation.
Au total, l'idée d'entités discrètes comme les cartes cérébrales n'est qu'une abstraction utile. Elle cache le nombre extrêmement grand d'interconnexions neurales qui sont impliquées dans chaque région distincte et qui engendrent une signalisation extraordinairement complexe. Les états mentaux dont nous faisons l'expérience ne correspondent pas seulement à l'activité d'une région discrète du cerveau ; ils sont plutôt la résultante de l'échange récursif et massif de signaux qui a lieu entre les régions. Pourtant, comme je le montrerai au chapitre 6, les aspects explicites de certains contenus mentaux - un visage en particulier, une certaine voix - s'assembleraient au sein d'une collection particulière de régions cérébrales dont la configuration se prête à l'assemblage de cartes, non sans être aidées toutefois par d'autres régions. Autrement dit, la formation de l'esprit implique une spécificité anatomique et une différentiation fonctionnelle très fine dans le maelström que représente globalement la complexité neuronale.
"
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landemoisan
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par landemoisan »

madeleine a écrit : ven. 14 août 2015 19:06
Antonio R. Damasio est chef du département de neurologie au Collège de médecine de l'Université de l'Iowa. Il est également professeur adjoint au Salk Institute de La Jolla. Il est aujourd'hui mondialement connu pour ses travaux sur le cerveau humain, dont il explore la complexité, notamment au regard de la mémoire, du langage et des émotions.
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Grand merci pour cette référence qui me semble être au cœur de mes interrogations.

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O'Rêve
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par O'Rêve »

Merci Madeleine pour le résumé et pour le lien vers http://www.automatesintelligents.com (très intéressant). J’y ai découvert le résumé de « Spinoza avait raison », livre qui me fait de l’œil. J’avais entendu parler de Damasio, mais je n’avais pas ressenti le besoin d’approfondir jusqu’à récemment. Étrange parfois de constater que certains auteurs nous échappent pour plus tard nous interpeller.
Madeleine a écrit :
« Partant de la complexité des compétences en matière de survie de la cellule, ou de l'organisme unicellulaire, des moyens mis en œuvre pour maintenir l'homéostasie et favoriser la reproduction, Damasio y voit clairement les prémisses des comportements dirigés par la notion de "valeur biologique", qui initient les stratégies élémentaires de réponse à l'environnement. Il fait de celles-ci le moteur de l'évolution qui, à terme, donnera les cerveaux primitifs, à travers deux axes de développement, l'un allant de l'intéroception à l'extéroception, l'autre allant de la mémorisation à l'action, et en particulier le mouvement (modèle du si ceci alors cela). »
En découvrant ce résumé, et quand je lis la notion de « valeur biologique », je ne peux m’empêcher de faire un lien avec la conception de norme (du vivant) de Canguilhem.
► Afficher le texte
On est assez proche de la notion « d’impératif homéostatique », évoqué aussi ici (à propos du dernier livre de Damasio): https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-ba ... ng-culture

Et puis il y a aussi leur questionnement sur l’émergence de la subjectivité.
Pour Canguilhem, c’est lorsqu’il prend conscience de sa fragilité, vulnérabilité que l’individu se comprend en tant que subjectivité.
Pour Canguilhem, ce qui est à l’origine de la subjectivité, c’est la construction du sens que l’individu donne à cette perception initiale (se sentir malade) et par laquelle il s’éprouve comme sujet de la maladie. La subjectivité naît de l’expérience d’une maladie, parce que la pathologie crée une conscience accrue de soi et de ses incapacités. La subjectivation provient de la douleur provoquée par la maladie, ainsi que de la douleur de la rupture vis-à-vis de la vie normale (l’expérience de la précarité de la vie).
Chez Damasio, « Pour que le cerveau devienne conscient, il doit acquérir une propriété nouvelle : la subjectivité. »
Damasio « fait reposer le soi sur une prise de conscience des émotions les plus fortes, c'est-à-dire aussi de certains des facteurs déclencheurs de ces émotions, ainsi que des modifications corporelles qu'elles entraînent. L'état de conscience en ce cas est d'abord une conséquence des émotions qui le précèdent »(d’après http://www.automatesintelligents.com/bi ... masio.html)
Mais chez Damasio, l’origine de la subjectivité ne semble pas reliée à l’unique état de maladie.

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VictorMenard
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par VictorMenard »

Non, elle ne l'est pas. Je viens de finir L'ordre étrange des choses, et la notion de maladie n'est pas même abordée. J'essaierai d'écrire quelque chose sur le livre, mais je ne sais pas quand (WAIS vendredi et trop de boulot). Il y a à boire et à manger, je soupçonne la traduction d'être très nulle, beaucoup de redites qui font que le raisonnement est assez difficile à suivre.

Il insiste beaucoup sur la notion de sentiment, qui est l'image (la carte) dans un cerveau d'une émotion, elle strictement nerveuse. La subjectivité est à peu près la somme des cartes des sentiments, qui sont eux-même la somme des cartes de plusieurs sous systèmes nerveux, etc. Et le système n'est pas unilatéral : chaque système va du cerveau au corps et inversement. Les deux notions ne sont d'ailleurs que conceptuelles : pour lui il y a une continuité essentielle, dans les deux sens

L'approche est très clairement émergentiste : chaque niveau est plus que la somme de ses parties, et la causalité réciproque.

Note assez jouissive : il taille un costard en règle aux illuminés de la Silicon Valley qui croient être à deux doigts d'informatiser la conscience, précisément parce que la notion qu'ils s'en font est bien trop réductrice, justement parce que la subjectivité est indissociable du corps.

Bon, je vous le fais en tas, pardon, mais ça me démangeait trop.
Autrefois j'étais indécis, mais à présent je n'en suis plus aussi sûr.

landemoisan
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par landemoisan »

Bonjour,
"L'autre moi-même" étant indisponible chez ce libraire, j'ai acheté "L'ordre étrange des choses" que je viens de terminer. VictorMenard a tout dit ou presque:
- Une traduction douteuse, hésitante, suspecte;
- Pour Damasio, oui , des notions embrouillées, mal définies. A mon avis tout cela n'est pas très "scientifique" mais pas sans intérêt pour moi:
* D'abord un retour sur l'évolution en présentant les invariants selon lui.
* L’émergence de la conscience, le lien entre le cerveau et le corps.
* La mémoire comprise comme "représentation" dessin, plan...
* Les représentations associatives avec toute l'histoire de chaque individu et en permanence réactualisée par les nouvelles informations. Les sentiments s'inscrivent comme des éléments d'informations les plus subtiles et contributeurs de la conscience.
- Il disserte longuement et revient sur la notion d'homéostasie. A mon avis cette notion est mal définie chez Damasio, ce n'est que par les reprises du mot que l'on finit par comprendre ce qu'il y met. Est-ce vraiment un concept essentiel ? A mon avis : non.
L'homéostasie est tout simplement la régulation d'un ensemble de paramètres, par exemple les paramètres du corps comme : pression artérielle, rythme cardiaque composition du sang etc... On peut y ajouter des paramètres plus subtiles relevant de la psychologie, des croyances en général. C'est tout simplement pourrait-on dire la "stabilité" des éléments de la vie. Pour ma compréhension des choses, il n'y a pas d'actions pour satisfaire l'homéostasie mais plus simplement on peut constater la stabilité des constituants de la personne. Quand il y a instabilité sans réinstallation d'une autre stabilité, il y a la mort. La stabilité c'est la vie mais la vie avec ses mystères.
Je ne pense pas qu'il y ait un organe ou une partie du cerveau qui soit spécialisé pour contrôler cette stabilité, c'est sans doute plus complexe.
Ce serait long à discuter mais c'est aussi le mérite de cet auteur et de ses livres.

Ensuite je viens de commencer "L'autre moi-même", j'y retrouve les mêmes thèmes mais mieux présentés et mieux détaillés, justifiés.

landemoisan
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par landemoisan »

J'avance "péniblement" dans "l'autre moi-même" de Damasio. Un style approximatif, une traduction difficile ( pauvre traducteur, il lui a fallut du courage).
Bon ! Je n'ai pas terminé. J'ai tout de même trouvé de l’intérêt à cette lecture :
- Tout d'abord les analyses sur les accidents cérébraux et les conséquences comportementales qui en résultent. Il me semble que c'est cette démarche qui donne les meilleurs informations aux chercheurs en neurologie ??? Ainsi Damaso rapporte les avancées qui permettent des localisations de fonctions dans le cerveau, il insiste sur l'idée que ces localisation ne doivent pas être comprises comme trop spécifiques.
- Il insiste aussi sur les aspects concernant la globalité, l'unité de l'humain : corps, esprit... Il revient souvent sur cette question. Je le trouve convaincant.

Je le trouve décevant par ailleurs, c'est sûrement de ma faute, j'attendais autre chose... C. que je suis !
Par exemple ce que j'ai dit sur l'homéostasie, il semble avoir emprunté à l'actualité efficace en d'autres sciences ou secteurs pour transposer dans son domaine, pourquoi pas me direz-vous, oui mais je ne le trouve pas convaincant. Autre exemple ses écrits sur les boucles de rétro-action, je crois qu'il y aurait des emprunts possibles , mais là encore il faudrait mieux digérer et prendre ce qui est nécessaire.
C'est un livre à lire lentement dans lequel il faut beaucoup trier , à mon avis. Je continue.

J'aimerais beaucoup échanger sur ces idées, ici.

landemoisan
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Re: L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, A. Damasio

Message par landemoisan »

Bonjour,
J'arrive à la fin de "L'autre moi-même", tout essoufflé.
Grâce à lui je me suis demandé ce qu'apportait cet outil d'analyse, l'IRMf. J'ai à peu près compris mais il m'a fallut chercher ailleurs.
C'est un outil efficace pour l'analyse des domaines et fonctions associées, dans le cerveau.
Pour le reste, inutile je crois ?, de développer ici.

Merci pour cette référence du bouquin, comme toujours chaque livre apporte une brique à la construction.

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