Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Mathématiques, sciences humaines, anthropologie, écologie, biologie, génétique, médecine, ou encore philologie, linguistique, grammaire et autres. La vaste partie consacrée aux sciences dans leur ensemble, et dans leur unicité.
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Thalweg
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Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Xav' m'avait posé une question, il y a pas longtemps, sur la validité des estimations de dates de fin de ressources. Je vous mets ici la réponse que je lui ai écrit, d'où le style un peu direct.

Je vais essayer de te donner une explication plus complète : si tu regardes les dates de fin de ressources au cours du temps, tu remarques qu'elles varient souvent de 20 à 50 ans (en gros), et ce, quelle que soit la date à laquelle on les prend. Y a parfois des "pics" de ressources plus élevées pour certains éléments à certains moments, mais en gros, ça reste relativement constant. Donc, ces "périodes" de ressources ne varient pas au cours du temps (tout au plus du simple au double).

Alors, qu'est-ce qui joue ? Premièrement, il faut savoir que ces périodes sont liées à ce qu'on connaît des différents gisements existants. Si un gisement contenant de quoi "nourrir" la planète pendant dix ans est découvert, il va amener une augmentation significative de cette période, ce qui est logique. La découverte de ces gisements est fortement conditionnée par l'exploration des compagnies minière (t'explore pas, tu trouves pas). Cette exploration est plus forte en période de prix élevés (on gagne plus d'argent, on peut investir plus).

De plus, les compagnies minières voient rarement l'intérêt de planifier le futur à plus de vingt ans, ce qui fait qu'elles se "gardent" 20 ans de réserves sous le coude, puis vont réinvestir cinq ans après etc. A nouveau, si tu trouves un gisement de 50 ans, tu diras pas non. D'où, ces fameux vingt ans sont en gros la résultante d'un équilibre entre les investissements effectués, le prix des métaux et le conservatisme des compagnies minières.

Ca, c'était pour ce qu'on "sait". Tu sais qu'il y a autant de dizaines de milliards de tonnes de cuivre dans les gisements connus du monde, la demande est prévue pour être de autant de milliards par an (je simplifie, en réalité la demande augmente), tu divises, et tu as un nombre. C'est un premier nombre, qui est tout à fait correct, mais représente plus cet équilibre que ce qu'il reste vraiment.

Et donc, qu'est ce qu'il reste vraiment ? Pour répondre à ça, il faut comprendre ce qu'est un minerai. Il s'agit, selon futura-science et moi, "d'une roche, un minéral ou une association de minéraux contenant un ou plusieurs éléments chimiques utiles en teneurs suffisamment importantes pour permettre leur exploitation de façon économiquement rentable". Exemple ? Tu veux exploiter l'or dans ton jardin ? Tu peux le faire. Il y a à peu près deux grammes d'or dans ton jardin (1000 m², un mètre de profondeur, sol équivalent à la composition chimique de la croûte continentale). Tu veux gagner de l'argent en exploitant l'or de ton jardin ? Va falloir attendre que les prix grimpent, et méchamment. L'exploitation d'un gisement ne se fait que si il est rentable pour une compagnie de l'exploiter. C'est essentiellement une question de teneur et de volume, mais aussi de caractéristiques de la roche hôte, des possibilités pour le traitement du minerai (certaines techniques sont pas chères, mais réservées à un type de minerai particulier, d'autres sont plus générales et plus chères...), des régulations environnementales (ça coûte plus cher de tout remettre en ordre après...), de la stabilité politique de la région, de tout un tas de facteurs du style.

Le plus important étant la teneur. La teneur minimum récupérable a diminué au cours des avancées technologiques et du temps, alors que certains procédés étaient mis au point (flottation et lixiviation, si tu veux savoir), ce qui a permi d'aller rechercher des teneurs de plus en plus faibles. On va chercher du cuivre dans des roches à 0.5% Cu, voire 0.25% parfois sous certaines conditions. Ces diminutions ouvrent des toutes nouvelles classes de gisements à l'exploration (dans le cas du cuivre, ce qu'on appelle les porphyry copper) qui sont généralement plus volumineuses et ont plus de minerai, d'ou une augmentation de cette période (les "pics" dont je parlais, c'est souvent ça). A l'heure actuelle, pour le cuivre on est en plein dans l'exploitation de ces gisements là. Si tu veux une idée de la taille de ces monstres, Google "Chuquicamata" ou "Collahuasi" voire "Bingham Canyon".

Donc, certaines technologies arrivant à maturité, certains gisements disséminés deviennent exploitables. Jusqu'où ? Ben c'est un peu la question que tout le monde se pose, en fait. A partir de quel moment est-ce que cette teneur sera trop petite ? En théorie, cette teneur est ce qu'on appelle la limite minéralogique, qui est la limite inférieure à partir de laquelle un élément ne forme plus de minéraux propres (car ce sont ces minéraux qu'on va aller rechercher d'abord) et n'est plus présent que sous forme d'atomes distribués dans la roche hôte. Récupérer ces atomes amènerait à faire fondre la roche en entier, ce qui serait fort cher en argent et en énergie. Cette limite dépend beaucoup des métaux et d'autres paramètres, mais on la pense aux alentours de 0.1% (sans sources autres que "je l'ai lu quelque part").

Au final, il faut surtout savoir ce que tu mets dans ce chiffre : qu'est-ce qui reste et qui est connu ? Auquel cas c'est une interprétation d'un équilibre entre conservatisme et investissement dans les compagnies minières. Ou est-ce vraiment ce qu'il reste ? Alors il s'agit de spéculations sur ce qu'il nous reste à trouver et sur certaines classes de gisements qui nous sont pour le moment inaccessibles voire inconnues couplées à des processus technologiques évoluant assez lentement et à l'investissement qu'est prêt à faire le secteur minier.

J'espère avoir plus ou moins répondu à ta question, qui est plus complexe que ce dont elle a l'air.
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Le Renard »

Puisque Thalg copie/colle ses MP, je reste dans le ton et copie/colle moi-même un MP répondu tout à l'heure à Thalg justement.

Dans le pétrole oui c'est un peu pareil. Y'a un fort lien entre la durée des ressources et le prix qu'on est prêt à mettre pour presser les dernières gouttes et pour détailler l'exploration à petite maille.

Inversement les décennies qui passent amènent des technos nouvelles qui permettent de rendre exploitables, parfois à peu de frais, des trucs qu'on croyait inaccessibles, trop peu mobiles ou trop pauvres. Y'a aussi un truc qui est qu'on découvre des ressources à des endroits qu'on croyait avoir déjà explorés, simplement parce que les méthodes de prospection s'améliorent (notamment grâce aux bonds de géant des méthodes de traitement numérique du signal, et aux nouveaux patterns de navigation des navires sismiques). Comme les énormes gisemements sous les dômes de sel au large du Brésil qu'on découvre à la pelle depuis six ou sept ans, ou les fractures près des Féroé qui nous avaient échappées alors qu'on râtisse la Mer du Nord depuis des décennies.

Avec le facteur en plus que l'OPEP reste un acteur de poids et qui adore faire des surprises. Quand ils changent radicalement un prix, ils peuvent immédiatement invalider un pan entier d'industrie. Par exemple récemment ils ont tombé leur prix dans des proportions telles que les gars des schistes bitumineux font faillite. Quand l'outil industriel du schiste bitumineux sera suffisamment débandé, les USA auront perdu leur espoir d'autonomie énergétique d'ici 2020, et l'OPEP pourra tranquillement rehausser ses cours et recommencer à s'en mettre plein le turban et se faire offrir des F-15 gratos en prime. En attendant, les prévisions non-détaillées, celles qui ne tiennent compte que des technologies en cours d'exploitation, auront cessé de comptabiliser les schistes bitumineux.

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Dubble
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Dubble »

Tiens, je pensais lancer un débat sur : que va-t-il se passer quand on arrivera justement au bout du bout ?
Ce sujet nous informe qu'en fait il y aura une transition qui ne se fera pas du jour au lendemain, car on aura une augmentation du prix qui amènera une augmentation des ressources économiquement rentables.

On fait ça ici ou dans un nouveau topic ?

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Tiens, tu m'amènes justement la transition qu'il me fallait pour la suite de l'exposé. Sans jeu de mots. J'avais prévu de laisser passer un peu de temps, mais tant qu'on y est... Je veux parler des métaux dits "critiques".

Qu'est ce qu'un métal critique ? En gros, intuitivement, on comprend qu'il s'agit d'une matière minérale qui dans le futur, pourrait poser problème pour une industrie, un secteur ou un pays, si jamais il venait à se raréfier ou à manquer. Donc, la première chose à comprendre, est qu'une matière première critique pour une industrie ne l'est pas forcément pour une autre. Pour reprendre l'exemple de notre ami à quatre pattes, si vous vous déplacez tout le temps à vélo, vous n'allez pas directement souffrir d'une pénurie de pétrole. Si vous êtes un transporteur routier, par contre...

Deux axes sont donc requis pour définir la criticité* d'un métal, et on peut les tirer de cette compréhension intuitive: "poser problème" et "se raréfier ou manquer". Le premier axe, "se raréfier ou manquer", est ce qu'on appelle le "risque d'approvisionnement". Il est essentiellement mesuré par un indice de Herfindahl-Hirschmann (HHI) modifié. Le HHI est utilisé en économie pour définir le degré de monopole dans un secteur commercial donné. En gros, vous prenez le pourcentage de parts de marchés de chaque société dans un secteur, vous l'élever au carré, et vous additionnez les chiffres de chaque société. Un indice de 10000 (100²) indique un monopole total, un indice de 0 indique une infinité d'entreprises ayant des parts de marchés infimes. Dans le cas des métaux critiques, ce ne sont pas des entreprises, mais des états, et chaque valeur est pondérée par un coefficient prenant en compte le risque de voir l'approvisionnement se tarir depuis le pays en question. Il s'agit d'un calcul complexe prenant en compte d'autres indices, style indice de développement humain, stabilité politique, liberté d'entreprendre...

Le HHI pondéré est donc utilisé pour donner une valeur de risque d'approvisionnement. Ce chiffre est comparé à celui des autre métaux et pour des raisons de simplicité est mis à l'échelle (entre 0 et 10).

Le "poser problème", maintenant. Le nom correct est l'impact économique. Pour calculer ce chiffre là, on fait, en très gros, la somme des pertes que pourrait amener une pénurie d'un métal (à l'échelle d'un pays ou de l'Europe). C'est également là qu'apparaissent les possibilité de substitutions (si il est possible d'avoir le même résultat avec un autre métal, l'impact est moindre...). A nouveau, ces chiffres sont mis à l'échelle entre 0 et 10.

Là, on a deux axes, et deux valeurs qui donnent un point dans le plan le la criticité. Sauf que tout ce que ça nous dit, c'est qu'un métal est plus critique qu'un autre, pas que tel ou tel métal est critique ou non. A partir de là, en général, on choisit une fraction significative (en général 1/e, e étant la constante mathématique, la base du logarithme népérien). On prend donc les x métaux dépassant un certain seuil et on les considère comme critiques.

En général, on se retrouve avec les terres rares, les métaux de haute technologie et deux ou trois autres assez exotiques.

Voilà, pour alimenter (un peu) le débat, même si il ne s'agit que d'un exposé factuel.

*Le mot n'est pas de moi, c'est "criticality" en anglais, mais votre Assemblée Nationale en a décidé autrement pour le terme francophone. Oui, j'ai creusé jusque là ^^
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Dubble »

Pensez-vous que les états vont adopter des mesures sérieuses voire drastiques pour faire face aux diverses pénuries ?
Pensez-vous que les états prépareront la guerre et s'empareront des ressources par la force ?
Pensez-vous qu'on continuera à appliquer uniquement deux ou trois mesurettes qui nous mèneront dans le mur ?

Comment le mur se concrétise-t-il ?

Dans le scénario du droit dans le mur : le prix du pétrole augmente peu à peu, les gros consommateurs (avions, bateaux) se mettent à en utiliser de moins en moins, les stations services réduisent leurs stocks, etc.. Un jour, une raffinerie qui elle aussi tournait au plus serré (réduction des couts), pète, et l'approvisionnement en pétrole de toute une région est compromis. Les autres raffineries ne suffisent pas à compenser la demande. La région vide ses pleins de carburants en deux semaines. En deux semaines l'économie entière est paralysée. Cela entraine la chute du reste de l'économie du pays dans l'année qui suit.

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Le Renard »

Dubble a écrit :Pensez-vous que les états prépareront la guerre et s'empareront des ressources par la force ?
C'est déjà ce qu'on fait. Certes pas encore de manière directe.
Dubble a écrit :Pensez-vous que les états vont adopter des mesures sérieuses voire drastiques pour faire face aux diverses pénuries ?
Pensez-vous qu'on continuera à appliquer uniquement deux ou trois mesurettes qui nous mèneront dans le mur ?

Comment le mur se concrétise-t-il ? (...)
C'est une bonne question. A laquelle je doute que qui ce soit puisse répondre avec la moindre clairvoyance. On ne peut que spéculer. Ce que je pourrais écrire à partir d'ici serait forcément très partiel, subjectif, et mal renseigné. Autant ne pas l'écrire quoi. Par contre il y a des propositions qu'on peut poser qui me paraissent constituer des fondations valides pour la spéculation.

Proposition : tant qu'il y a du fric à se faire, on se fait du fric. Ca veut dire que tant que les gens sont prêts à se saigner pour remplir leur réservoir, les prix pourront continuer à grimper, et on ne fera surtout rien pour pousser une alternative.

Proposition : les gens qui ont le fric sont influents. Or ce sont les gens qui bénéficient du fait qu'on se saigne, et qui ont donc intérêt à ce que ça continue.

Proposition : il existe des sources d'énergie alternatives qui ne demandent qu'un saut technologique faible et n'impliquent pas de changement de paradigme économique, d'autant plus que ces sources sont déjà accessibles aux acteurs majeurs. Mais ces sources sont invraisemblablement sales, tant à l'exploitation qu'à l'utilisation, et si elles répondaient à la question énergétique, elles accentueraient la question écologique. Je pense aux schistes bitumineux, aux gaz de schistes et, pour aller un peu plus loin, aux hydrates de méthane qui abondent en démesure au pied des talus continentaux.

Proposition : un changement de paradigme demande une vision qui manque probablement aux gens de bonne volonté qui seraient en position de changer quoi que ce soit. Pas qu'ils soient teubés. Mais simplement parce que ces gens raisonnent en général en améliorations successives d'un existant. Encore une fois, non-pas qu'ils soient teubés. Mais parce qu'un changement radical porte toujours un risque énorme, et qu'on ne fera rien de radical tant que le risque d'échec ne sera pas au moins comparable au risque de laisser l'humanité se suicider passivement. Or on n'a pas inventé l'ampoule électrique en essayant d'améliorer la bougie.

Proposition : il reste dans le monde un bouillonnement constant d'invention et d'expérimentation à la marge. La solution viendra des marges, comme toujours lors d'un changement de paradigme. Et donc par définition il y a de bonnes chances pour que la solution ne soit pas visible d'ici.

Moyennant quoi, le mur peut revêtir toutes sortes de formes. Pour les catastrophes économiques, on peut s'inspirer de la crise allemande de 23 ou de la crise mondiale de 29. Mais pour les catastrophes énergétiques, on n'a pas tellement de précédents dequels apprendre. On ne peut que spéculer.

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Vlid_l_empileur »

Concernant ce thème extrêmement intéressant et inquiétant, je vous conseille le visionnage de la conférence intitulée "Face à la raréfaction des métaux : croissance verte ou low tech ?" par Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste des métaux. Il est le co-auteur d'un livre sur les ressources minières 'Quel futur pour les métaux ?' (2010) et l'auteur d'un autre 'L’âge des low techs' (2014).

Le 'low-tech' peut se définir par le refus que tout problème ait nécessairement une solution hautement technologique. Les solutions simples, économiques et populaires sont mises en avant. Le low-tech va de paire avec une lutte contre l'obsolescence, une production et une consommation locale, un recyclage optimisé. Ce qu'on peut résumer par l'idée de décroissance. Car l'idée de développement durable qui a la faveur du grand public ne serait finalement qu'un capitalisme vert : la croyance en une croissance infinie dans un monde limité en ressources couplé à des solutions high-tech pour sauvegarder l'environnement qui nécessitent de nombreuses ressources rares et non renouvelables. Au sujet de la décroissance, je viens de terminer la lecture de "Décroissance ou décadence" de Vincent Cheynet qui, même s'il est considéré comme un peu radical par certains "objecteurs de croissance", résume, semble-t-il, assez bien la problématique.
“There are two kinds of fools. One says, "This is old, and therefore good." And one says, " This is new, and therefore better.”
― John Brunner, The Shockwave Rider

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Le Renard »

Autant je te suis à 100% sur la conso locale, et progresse un petit pas après l'autre pour m'y tenir de mieux en mieux (à commencer par l'alimentation, le plus facile, surtout en région rurale), autant je crois qu'on gagne à aborder le low-tech avec circonspection.

On va dériver un peu mais le thème me paraît intéressant.



Déjà, c'est quoi, le low-tech ?
Avant tout c'est un buzzword. Demande à trois personnes partisanes, t'auras sûrement trois réponses différentes, et souvent mal assurées. Du coup, moi, je vais même pas essayer de répondre. :mrgreen:

Le point commun entre les réponses, par contre, est le constat selon lequel notre société confond la sophistication avec la complexité. C'est un fait, et il y a lieu de se demander d'où il vient. Moi, j'ai pas de réponse, à part la piste au bout de laquelle je vois que la complexité est difficile à maîtriser seul et se marie donc bien avec la consommation.

La complexité est souvent (mais pas toujours !) moins robuste que la simplicité, où qu'on l'applique : une mécanique, un système humain, un schéma de pensée... Pour aider à réfléchir comment l'éliminer, il existe une grille qui classe la complexité en trois familles :

- la complexité essentielle : c'est celle qui est absolument inhérente à un problème qui se pose.
- la complexité optionnelle : c'est une complexité qui n'est pas inhérente aux questions du jour, mais qu'on sous pèse et qu'on choisit d'accepter parce qu'on considère qu'elle est un prix raisonnable à payer pour une solution aux capacités accrues.
- la complexité accidentelle : c'est celle qui ne vient pas du problème qu'on traite, mais qui a été introduite par la solution qu'on applique.

Or le discours sur le low-tech dénonce le plus souvent la complexité sans discrimination, et ça je le lui reproche. La complexité est parfois inhérente à un problème. Rejeter la complexité revient alors à rejeter l'existence du problème.



Je prends l'exemple des bagnoles. Pas que ce soit le meilleur exemple, parce qu'il est facilement rétorquable en élargissant la réflexion au rôle de la voiture dans un mode de vie. Je l'utilise juste parce que c'est le premier qui me vient en tête, comme support illustratif avec une vue zoomée sur le raisonnement.

Les voitures, on leur reproche d'être trop pleines d'électronique. Cela dit, historiquement, la première électronique complexe introduite dans les véhicules était l'électronique moteur. Pourquoi ? Parce qu'on ne sait pas répondre de manière low-tech aux exigences anti-pollution qui sont fixées à des niveaux tels qu'en général qu'au moment où les constructeurs découvrent les normes à venir, ils n'ont AUCUNE IDEE de la manière dont ils vont pouvoir s'y plier. Et donc on a maintenant des calculateurs qui optimisent l'injection au micropoil, font recirculer des gaz d'échappement dans l'admission après avoir mesuré leur taux d'oxygène, et il existe déjà des moteurs à soupapes pilotées éléctroniquement qui peuvent, sur chaque coup de piston, commander une circulation d'air de manière optimale. Tout ça pour quoi ? Pour consommer moins et polluer moins, à puissance égale. Et pour s'en convaincre, y'a qu'à comparer la couleur de l'air derrière un Berliet de 1950 et derrière le dernier long-routier Mercedes.

En automobile en tous cas, pas de frugalité sans complexité, sauf à rouler tellement lentement que l'idée même d'automobile s'autodétruirait.

A l'échelle économique, pareil, je pense qu'il existe des outils complexes qui peuvent mener efficacement à une meilleure frugalité collective, et les réseaux informatiques y figureraient au premier plan.



Constat suivant : notre démographie est galopante, on se pose des questions sur les ressources comme dans ce fil, et pour vivre il faut devenir plus frugal.

Beaucoup de gens au même endroit sont une forme de complexité en soi, mais surtout si je recoupe l'un avec l'autre, ça veut dire que tant qu'on n'est pas assez génial pour inventer une frugalité efficace dans la simplicité, soit on s'entre-extermine, soit on complexifie des trucs.

Le problème des partisans du low-tech c'est souvent qu'ils le sont sans mesure, et que si on les écoutait on retournerait au moyen-âg, à l'époque où 15 millions de personnes crevaient régulièrement la dalle en exploitant une surface agricole proche de celle qu'on a aujourd'hui.




Alors sûr, un raisonnement global digne de ce nom devrait un jour s'attaquer de manière humaine et réaliste à la question de la démographie.

Sûr, il y a des tas de trucs qui gagneraient à redevenir plus low-tech. Des tas. Et je m'en réjouirai, parce que malgré ma présence sur ce forum, mon QI est trop bas pour vivre heureux dans la complexité. Et que dans mon métier d'ingénieur, je porte tous les jours la simplicité en vertu.

Mais souvent, ce qui fait un poison, c'est le dosage, et selon cet adage je reste convaincu que n'importe quel extrémisme est une perversion, et que les plus grand maux ont souvent été causés au nom d'un hypothétique bien supérieur.
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Tiens, ça m'étonne, mais personne n'a encore abordé un concept qui, pour moi, forme une partie importante de la solution.

Je parle du concept d'économie circulaire, de ce qu'on appelle également les mines urbaines. Il s'agit d'un changement de paradigme qui consiste à considérer nos déchets comme les ressources de demain. Partant du principe qu'un atome de cuivre garde les mêmes propriétés au cours du temps (les atomes de votre ordinateur sont "nés" il y a des milliards d'années dans l'explosion d'une supernova et n'ont pas changé d'un angstrom depuis), alors on peut se dire que les traitements chimiques effectués n'altèrent pas les propriétés de l'atome de cuivre. Ainsi peut-on reprendre les métaux composant nos appareils usagés pour en refaire de nouveaux. Un gisement de smartphones contient pas loin de 50 grammes par tonne d'or, ce qui est pas loin de cent fois plus que certains gisements naturels en exploitation. Des initiatives sont en ce moment à l'étude pour développer des technologies permettant ce changement.

Ainsi, avant, on pensait les cycles de vie des matériaux en "cradle to grave", du berceau à la tombe. On pense maintenant en "cradle to cradle", du berceau au berceau. L'économie circulaire est pour moi une partie nécessaire de la solution à mettre en place.

Mais il faut des idées. Et des esprits ayant la volonté de les appliquer.
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Dubble »

Pour moi la solution c'est la culture en masse d'algues. Et là on pourra revenir au bon vieux carburateur qui mélange correctement sans faire des merdes genre CO NOx particules etc..
Etant donné que toute le CO2 issu d'essence synthétisée dans des usines à base d'algues, on s'en tamponne :D

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Dubble a écrit : Etant donné que toute le CO2 issu d'essence synthétisée dans des usines à base d'algues, on s'en tamponne :D
Il doit te manquer un verbe quelque part, ta phrase n'a pas de sens telle qu'écrite.

De plus, on parle de pétrole ou de métaux, là, parce que la discussion a un peu tendance à s'éparpiller ? Et je suis moins fan de "une solution sauvera tout le monde".

Parce que tes algues, par exemple, il leur faut de la lumière pour grandir, ce qui fait que si tu veux que ça soit rentable (point de vue énergétique, hein, pas argent), tu dois le faire dans un pays où y a du soleil. Sinon, tu créées une lumière artificielle, ce qui nécessite de l'électricité, qui vient de centrales électriques (charbon, gaz, nucléaire...), donc tu ne fais que déplacer le problème. Sachant qu'une part significative de l'électricité au monde est produite à partir de combustible fossile, tu relâches quand même du CO2 dans l'atmosphère, ce qui est ennuyeux.

Donc, les solutions, pas si faciles que ça. Le principe de Lavoisier est valable aussi pour l'énergie (grâce à la formule d'Einstien, qui dit que l'énergie est égale à la masse multipliée par une constante), ce qui implique que si tu veux "fabriquer" de l'énergie, elle doit venir de quelque part.

Quant à ton scénario catastrophe, je n'y crois pas trop, mais Le Renard en sait peut-être plus que moi. Tout simplement parce que les normes de sécurité sont hyper drastiques et qu'une raffinerie coûte des milliards de dollars. Indépendamment de la sécurité, tu as pas envie de perdre ton investissement, et en général on plaisante pas là-dessus. En plus ça ferait de la mauvaise pub. Regarde ce qui vient de se passer en Chine.
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Dubble »

Non, il y a juste un e en trop :D

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Zyghna »

[mod="Zyghna"]Il ne manque pas qu'un "e" dans la phrase, il n'y a effectivement pas de verbe. La relecture n'est pas une option sur le forum, sinon on se retrouve vite avec de telles phrases qui n'ont guère de sens.

Et merci de ne pas rebondir sur ce message.[/mod]
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De Re Metallica
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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par De Re Metallica »

Bonjour,

Thalweg, j'ai compris en quoi consistent les deux axes HHI / impact économique, mais pas la fraction significative ni le seuil.
Thalweg a écrit :A partir de là, en général, on choisit une fraction significative (en général 1/e, e étant la constante mathématique, la base du logarithme népérien).
Que désigne concrètement la "fraction significative" ? Est-elle liée à une valeur de HHI ? Une valeur d'impact économique ? Est-ce la proportion de métaux que par convention on considère comme critique ? Ou autre chose encore ? Une fraction significative de quoi ?
Thalweg a écrit :On prend donc les x métaux dépassant un certain seuil et on les considère comme critiques.
Il y a deux facteurs, le HHI et l'impact économique : le seuil de criticité est-il calculé d'après une formule les faisant intervenir tous les deux ? A moins qu'il n'y ait deux seuils, un pour chaque facteur ?

Par ailleurs, l'impact économique tient-il compte des effets de "synergie" (deux métaux ou plus qui viendraient à manquer en même temps) ?

Bien cordialement,

De Re Metallica

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par De Re Metallica »

De Re Metallica a écrit :Bonjour,

Thalweg, j'ai compris en quoi consistent les deux axes HHI / impact économique, mais pas la fraction significative ni le seuil.
Thalweg a écrit :A partir de là, en général, on choisit une fraction significative (en général 1/e, e étant la constante mathématique, la base du logarithme népérien).
Que désigne concrètement la "fraction significative" ? Est-elle liée à une valeur de HHI ? Une valeur d'impact économique ? Est-ce la proportion de métaux que par convention on considère comme critique ? Ou autre chose encore ? Une fraction significative de quoi ?
Thalweg a écrit :On prend donc les x métaux dépassant un certain seuil et on les considère comme critiques.
Il y a deux facteurs, le HHI et l'impact économique : le seuil de criticité est-il calculé d'après une formule les faisant intervenir tous les deux ? A moins qu'il n'y ait deux seuils, un pour chaque facteur ?

Par ailleurs, l'impact économique tient-il compte des effets de "synergie" (deux métaux ou plus qui viendraient à manquer en même temps) ?

Bien cordialement,

De Re Metallica

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Mh, de fait. Alors, le coup de la fraction significative, je l'avais pas compris non plus, c'est pas très clair. C'est arbitraire et laissé à l'appréciation de l'estimateur. En gros, 1/e, ça correspond à 36,6% des matériaux évalués. les 36% "scorant" les plus hauts sur les échelles sont repris. Il y a effectivement un seuil par facteur.

L'évaluation de l'UE, par exemple, est représentée à la figure 1.
Image
Figure 1: Matières premières critiques selon la Commission Européenne
Voilà, j'espère que ça éclaire un peu.

Les effets de synergie ne sont pas pris en compte, non. De base, on peut se dire que le "plus critique" agira de toute façon comme facteur limitant.
¬ ʻʻ … ʼʼ . ʻ … …ʻ … ; ʼʼ , ʻ

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par De Re Metallica »

Merci Thalweg, c'est plus clair maintenant.

Ce graphique m'apporte aussi des éléments de réponse par rapport au pic de production de phosphate provenant du phosphate de calcium minéral dont j'avais plusieurs fois entendu parler. Selon la Commission Européenne, les roches phosphatées font bien partie des minéraux critiques, bien qu'elles se situent à la frontière. Si l'on s'en remet à l'analyse de ce graphique, on en déduit que ce n'est pas ce minéral qui risque le plus de poser des problèmes importants à l'avenir (nombreux minéraux associés à un HHI et à un impact économique plus important).

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Oh, Techniques de l'Ingénieur. Ca faisait longtemps, tiens.

Il faut également se dire que la Commission effectue le calcul pour elle-même, pas pour le voisin (la Chine, par exemple). Ce qui peut être critique pour l'Europe ne l'est pas pour d'autres pays/entités.

La Commission, j'ai vu, a mis en ligne en septembre 2014 (soit deux mois après que je me sois penché sur le sujet) un résumé des scores de HHI pour les différentes matières premières qui donnent les scores "bruts". C'est intéressant à lire aussi et se trouve ici. Dans le bas, annexe 1.
Hors-sujet
Tiens, qui c'est qu'on retrouve deux lignes plus haut ? Le TTIP...
¬ ʻʻ … ʼʼ . ʻ … …ʻ … ; ʼʼ , ʻ

invité123

Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par invité123 »

Merci pour la discussion. C'est un sujet qui m’intéresse et j'ai apprécié lire vos échanges.

Je continuerai à suivre le sujet :)

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Re: Comment estime-t-on les dates de fin de ressources naturelles ?

Message par Thalweg »

Invité 123, c'est avec plaisir !

Hésite pas si tu veux participer ou poser des questions !
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