[Art] Blablas sur les esthétiques

Le lieu de Culture, comme le titre de la rubrique l'indique. Ici il s'agira d'Oeuvres et d'Auteurs du vaste paysage culturel. Textes, photos, vidéos...
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Chacoucas
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[Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Je relisais cet aprem "Le déclin du mensonge" de Wilde (petites courses à gibert joseph ce matin, ramené de la lecture), et je pensais à certains d' entre vous (haut les coeurs, les présents au wedaas), Point Blanc et Silène entre autres et pour ceux que j' ai "juste" lus sans échanger (salut d' ailleurs) qui auraient surement des choses à dire sur l' art, leurs conceptions, et ce que la critique est ou est sensée être.

Si Wilde ferait pour ma part un bon sujet pour commencer, à condition que tout le monde connaisse un peu son aspect "critique d' art", le topic pourrait être un petit espace de blablas divers avec l' idée que les auteurs, si bons ou mauvais soient ils selon les gouts propres à chacun sont avant tout des lecteurs (banalité...), voire des critiques encore plus intéressants qu' auteurs (ça arrive souvent je trouve, même si c'est méconnu), et donc discuter en tant qu' auteurs-lecteurs, ou en tant que lecteurs, d' esthétique. Ca peut bien entendu virer sur le cinéma ou les séries, théâtre, bd, voire les autres arts (éventuellement gamers aussi ^^ ).

Bon le sujet est aussi casse gueule que de parler mathématiques ou chaos puisqu' il sous entend un minimum de culture "classique" (disons "en commun"), mais j' ose espérer que nous puissions tous reformuler les idées de manière simplissime pour quiconque voudrait s' en mêler. Je n' ai moi-même pas grande culture. Et de fait le mot culture au singulier ne correspond plus à grand chose aujourd' hui.

Pour ma part j' ai même longtemps pensé que l' art était une notion qui correspondait à une société peu évoluée, que dans un "monde meilleur"(version conte de fée, pas version huxley) il serait un passe temps pour tout le monde, un outil de connaissance de soi, un outil de communication et de partage, voire thérapeutique (niveau critiques, les pères de la psychologie et de la psychanalyse sont pas en reste...), mais pas l' imbroglio académico-branletto-baratino-industriel qui le rend à la fois élitiste et si profondément inaccessible, vain, et vulgaire pour certains. Tout ça pour dire que "esthétique" est pris au sens très large avec tous les concepts qu' une pensée ouverte puisse lui trouver liés.

Un autre sujet intéressant serait "l' art total" (à la Nietzsche je crois quand il parlait de Wagner), et les dérivés modernes: le cinéma où certains auteurs font "tout" ou presque (de la musique au directing en passant par l' écriture et parfois le reste) ou le projet de Chouette masquée. L' intérêt, les limites, surtout les rapports d' expérience pour ceux qui auraient déjà tenté de chanter un univers avec divers mediums, dans un souci de cohérence. Et éventuellement trouver que la cohérence ça ne se calcule pas et que chaque "pluri artiste" ne fait finalement que ça (même, et ça serait très joli, les amoureux des maths ou des univers de raisonnement tragiquement séparés des "sciences humaines" à notre époque, d' ailleurs la musique elle-même est un bon témoin vu son changement radical de champ entre l' antiquité et notre contemporanéité). Enfin, y' a de quoi penser, nuancer, comparer, apprendre, s' enrichir, j' imagine. Sujet ouvert.

PS: Petite anecdote, il y a quelques années j' avais osé une dernière tentative de trouver ma place dans le système Universités en tentant un master "nouveau" intitulé "psychanalyse et esthétique", il y avait aussi une option "philosophie des sciences" pour remplacer esthétique, un truc sur la psychanalyse et l' esthétique en politique et lecture de société (appétissant, en soi). Je n' ai même pas participé finalement, un des cours principaux partant du principe que la marque d' une civilisation était le tabou d' inceste, ma représentation perso de l' académisme et d'une culture fondamentalement politisée et nationaliste étant justement une métaphore de foyer incestueux... J' ai compris que c'était pas pour moi (j' avais déjà morflé avec les inimitiés entre labos, et les formalismes relationnels et idéologiques à la fac, et vraiment pas eu le temps ni la liberté cette année là de retenter ma chance avec la souplesse...)... On peut donc forcément parler d' intégration, de psycho, neuro, politique (si vraiment il faut mais c'est mauvais signe selon cioran), méthodologie scientifique, robotique, éthique, économie, écologie... on trouvera bien des choses intéressantes à dire.

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arizona
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par arizona »

Chacoucas, je t'adore, mais j'ai pas tout compris.... :nesaitpas:
Tu proposes quoi ? Pardon, hein.
Si nous n'étions pas d'ici, nous serions l'infini.
D'une chanson.

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Dok
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Dok »

arizona a écrit :Tu proposes quoi ?
Chacoucas a écrit :"le sujet' art total"
:D
► Afficher le texte
Ce serait chouette si tu pouvais recentrer le sujet que tu inities. Car en l'état actuel, il faudra attendre d'être sous crack pour participer. ^-^ .

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Caligula
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Caligula »

Je dois dire que le but du sujet me parait en effet un peu abscons.
Mais je crois qu'en écrivant ça, je suis dans le sujet, parce que c'est beau d'en venir à écrire que quelque chose est abscons. Le mot se fait rare (la plupart des gens préférant considérer le concret et le normalisé), et il y a réellement une certaine beauté dans le fait de permettre de l'employer.

Du coup, le sujet ce serait de discuter de la critique et de l'esthétisme en général (dans l'art et en sciences dures) ?
"Les gens aiment bien inventer des monstres et des monstruosités. ça leur donne l'impression d'être moins monstrueux eux-mêmes." Andrzej Sapkowski

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par zwip »

Lorsque j'ai vu le titre je me suis dit "tiens, voilà qui promet d'être intéressant !", mais en l'ouvrant je me suis dit "c'est si large - tant mieux ! mais comment et par quoi (oser) démarrer ?"
Abscons* ? Je ne trouve pas ! Mais, Chacoucas, tu pourrais nous aider à nous lancer, en commençant par tirer toi même un fil parmi tous les possibles que tu suggères, et nous permettre de rebondir plus aisément :)

Et j'ajouterais : pourquoi avoir posté sur le divan, et donc dans une partie du forum réservée aux noirs ? Tu te prives ainsi de nombreuses participations potentielles... de même certain forumeur (je pense à Silène, qui n'est pas noirci à cette heure) à qui tu tends une perche aura bien du mal à s'en saisir ;)
Hors-sujet
* Edit :
Caligula a écrit :abscons. Le mot se fait rare (la plupart des gens préférant considérer le concret et le normalisé), et il y a réellement une certaine beauté dans le fait de permettre de l'employer.
Je me permets de te le reprendre, Caligula, pour étendre encore cette beauté-là :rock:
"Une pensée me traverse : Le dessin doit être juste puisqu'il est aussi confus que le modèle." (Roland Topor, "Portrait en pied de Suzanne")

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par W4x »

zwip a écrit :pourquoi avoir posté sur le divan, et donc dans une partie du forum réservée aux noirs ? Tu te prives ainsi de nombreuses participations potentielles... de même certain forumeur (je pense à Silène, qui n'est pas noirci à cette heure) à qui tu tends une perche aura bien du mal à s'en saisir ;)
Je me pose la même question, le jardin serait plus approprié il me semble.
Mathematics is a game played according to certain simple rules with meaningless marks on paper. D.Hilbert

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Chacoucas
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Hmm Arizona j' avoue je galère, Dok me semble avoir très bien cerné le "sujet total" :lol: Et je vais la garder celle du crack, pour les questions à la con ^^ t' imagines bien que c'est pas la première fois que j' ai une remarque équivalente.
Caligula je te remercie pour ce petit concentré d'enseignement esthétique ^^, on pourrait presque en tirer une superbe maxime. Et oui tu as cerné le sujet je pense.
Zwip (et W4x), je t' avoue que les questions de couleur m' ont toujours un peu échappé (hormis en termes esthétiques) et là, tu me mets le doigt dans l' oeil pile là où j'avais rien vu (tentative d' image absconse, pour la peine). Simplement parceque le divan sonne comme un espace détente où on peut dire ce qu' on veut sans se sentir limité par une officialité et une censure de mise, ni "entaché" par le sérieux de philo culture ou le stercoraire des WC.


Bon, pour lancer un départ précis (mais je ne sais pas comment ça ne va pas tuer le topic en fait... son intérêt était son aperture globale...), voyons, je vais rester dans "le déclin du mensonge" puisque c'est encore sous la main. En gros il s' agit d' un dialogue entre deux amis (lettrés bien entendu, comme tous bon dandys qui se respectent), l'un d' entre eux tentant que convaincre l' autre que ce n' est pas l' art qui s' inspire de la nature (axe entretenu à l' époque chez la plupart des critiques, dont Ruskin, éminemment célèbre et une des inspirations de Proust), mais bien que la vie est fascinée par l' art, et la nature finit toujours par l' imiter. Qu'elle est toujours désuète et en retard. A garder à l' esprit que Wilde adore les paradoxes et jouer un brin sur les paralogismes en vue de choquer un peu et d' être toujours discuté ^^.

Donc dans la démonstration, "L' Art commence par la décoration abstraite, par un travail purement imaginatif et plaisant qui touche à ce qui est irréel et sans existence. C' est le premier stade. Ensuite, la Vie est fascinée par cette nouvelle merveille et demande à faire partie du cercle enchanté. L' Art inclut alors la Vie dans ce qui lui sert de matériau; il la recrée et lui donne des formes nouvelles; se moquant bien des faits, il invente, imagine, rêve et dresse entre la réalité et lui cette barrière impénétrable que constitue le beau style, l'exécution décorative et idéale. Au troisième stade, la Vie prend le dessus et amène l' Art à fuir dans un désert. C' est cela la vraie décadence et cela dont nous souffrons aujourd'hui.""La nature est toujours en retard sur l' époque. Quant à la Vie, elle est le solvant qui détruit l'Art, l'ennemi qui en saccage la demeure."

D' une part dans le contexte c'est une réaction au courant réaliste ("(...)les personnages de Mr Zola sont bien pire. Leurs vices sont d'un ennui mortel, leurs vertus d' un ennui plus mortel encore. Le récit d eleur existence ne présente pas l' ombre d' un intérêt.(...) Nous demandons à la littérature charme et distinction, beauté et pouvoir imaginatif. Nous n' avons pas envie d' être mis au supplice ou d' éprouver du dégoût au récit des activités des classes inférieures.") non sur le plan moral (argument public le plus répandu contre le courant et les oeuvres du sus-cité Zola)mais sur un plan de conception de l' art. On peut rapprocher ça éventuellement du scandale anglais quelques années plus tôt autour des "préraphaélites" qui peignaient des scènes oniriques et belles, inspirées d' oeuvres classiques ou de la bible, jouant sur la force et la masculinité des modèles féminins et sur le blème et la faiblesse des hommes dans les scènes, totalement à contre courant à la fois du réalisme et des valeurs du classicisme, recherchant justement finesse et imagination. Jugés immoraux eux aussi bien entendu, la morale étant vraiment un outil critique prostitué au plus offrant :lol:

D'autre part c'est aussi une sentence générale et une conception paradoxale qui est à considérer sur un spectre philosophique plus large que l' époque. (l' art du paradoxe comme une sorte de précédent à l' idée de "pensée complexe" d' Edgar Morin, ou de "pensée arborescente" peut être,ou de "pensée formelle" chez Piaget, comme suggérait Za ans un autre topic, je rapproche des choses pas rapporchables (domaines différents) hormis par leur schéma, à priori... pourquoi pas).

Dans un souci de garder des parallèles actuels à ces vues un peu spécifiques, je vais rapprocher très témérairement ça d' un article de jeunesse de Cioran qui disait qu'une société politisée n' avait plus de créativité. Selon lui en gros plus on parlait de politique et s'en préoccupait, moins il y avait d' esprit, d' intelligence, d' innovation et de dynamisme à espérer. Selon lui et avec mes mots, les questions véritables étaient métaphysiques, la politique, un tout petit champ de périphérie qui sans ce questionnement abstrait mais essentiel n' était que le symptôme d'un essoufflement de l' esprit et de l' intelligence d'une culture. Une maxime de Wilde disait "l'opinion publique n'existe que là où il n' y a pas d' idées", ce que Cioran n' aurait pas renié je pense... :) J' avoue être sensible à cette perspective, d' où ce choix pour commencer. On peut rajouter celle la:"L' éducation est une chose admirable, mais il est bon de se souvenir de temps à autre que rien de ce qui mérite d' être su ne peut s'enseigner". Ce que je comprends par exemple (par plaisir de déraper dans des domaines spécifiques) comme "la société diplômante, c'est la mort du savoir".

Bien entendu on nage ici dans de la philo et les Lettres, (et du délirium libre éventuellement), d' une façon générale il ne faut pas prendre les mots au pied de la Lettre et plutôt percer le raisonnement qui s 'y cache, et en garder le schéma, à plaquer librement sur des concepts éloignés, dans un champ ou un autre; sinon les paradoxes et contradictions étoufferaient la pensée... C' est souvent le problème à la base des embrouilles entre critiques d' art ou philosophes d' ailleurs. Il faut sortir librement de la dualité et de l' idée de lien absolu entre symbôle (le mot) et objet (le concept représenté).



En surplus: Je me pose beaucoup de questions sur la science fiction et ses potentialités, n'en ayant jamais lu, mais percevant bien qu'elle est un équilibre entre le "vrai" et la manière de prendre de l' avance sur lui. De rendre cette beauté à la Vie qui semble t'il dans une époque assez sombre faite de crises multiples (le 20ème siècle et notre début 21ème) aurait peut être justement besoin de ces quelques petits coups de pensée abstraite et d'enjolivements libérés des carcans de la normalisation.

On peut aussi s' amuser par exemple avec l'idée de chaos comme étant l'espace nécessaire à la création de formes. ( et en termes de courants artistiques et d' histoire des idées il y a des choses marrantes à dire, le chaos ayant souvent été malaimé en termes esthétiques et étant aussi une critique récurrente faite à l' art occidental du 20ème) Si l' humain est chaotique, il est aussi un sacré moteur (abstrait puis réalisant) de formes de plus en plus évoluées et adaptatives.

Vous voyez un peu mieux ce que je proposais comme divan? Je doute que lancer d' autres pistes de réflexions soit nécessaire pour le moment, mais je n' ai pas envie de vous garder dans une gangue de discussions sur "classicisme contre réalisme" ou un truc trop précis. Simplement improviser au fil des feelings avec un axe thématique pour se repérer (consigne: associations au feeling et pouvoir ramener les idées à des conceptions esthétiques et tracer leurs interactions avec le reste de la pensée ou des comportements humains/sociétaux; but pour lecteurs et participants: apprendre et penser).

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PointBlanc
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

Ce qui suit est l'énoncé d'un point de vue personnel. Il y a donc des AMHA partout, cachés entre les branches.

Je vais vite, parce que j'ai faim et que je n'aime pas faire long.

Ce que tu rapportes des propos de Wilde relève clairement d'un art pour l'art qui doit conserver son avance sur le réel. Ce n'est pas une observation neutre qu'il fait là : son point de vue est profondément partisan.

On peut très bien, d'un autre côté, poser que le propos de l'art est justement de rendre compte de la réalité, de ses évolutions, de traduire tout cela dans le but, non d'inviter la vie à saccager la demeure (entendre : le Temple), mais bien de rendre la vie "habitable", de donner au réel des points cardinaux - qu'il faudra d'ailleurs constamment repositionner, siècle après siècle, décennie après décennie. Il ne s'agit pas de morale : il s'agit de tenter de dire quelque chose du monde depuis le point où l'on se trouve.

Ni Cioran dans sa jeunesse, ni Wilde de façon générale n'étaient de grands démocrates : l'art qui se corrompt au contact de la vie, les idées au contact de la politique, le savoir au contact des écoles... ce sont des positions de traditionalistes plus ou moins ouvertement favorables à une société aristocratique, ou carrément à une société de castes. Tu retrouves ça chez certains tenants de l'ésotérisme à la même époque ou un peu plus tard (Evola, Guénon...).

De mon point de vue ces gens sont incapables de penser le monde - puisque leur choix est de ne pas l'accompagner. Ils n'ont rien à en dire, sinon que son évolution correspond à la destruction effective de celui qui donnait un cadre à leurs idées. L'art n'est pas dévoyé aujourd'hui : il a changé de voie. Il existe toujours, toujours difficile d'accès, toujours profondément intelligent, profondément exigeant. Toujours adoré par les cuistres. Toujours vomi par la réaction. Les oeuvres en tout cas ne manquent pas qui disent quelque chose de l'homme, de la science, du langage, de la nature, qui n'est plus celle de Rousseau, mais une autre, une bête à la fois blessée et âpre, sale et belle...

La science-fiction, c'est bien. Et c'est effectivement un discours sur le présent. Quand elle se donne pour autre chose (mettons un moyen d'évasion) elle n'a pas plus d'intérêt que n'importe quel autre moyen d'évasion, l'art pour l'art y compris. On ne comprend pas le monde en regardant ailleurs.
Vous qui vivez qu'avez-vous fait de ces fortunes ?

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Chacoucas
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Point Blanc, par rapport à ton second paragraphe, je pense que ce que tu dis correspond au second stade qu' il décrit. Dans l' article mentionné il fait même des compliments sur Balzac l' opposant à Zola en des termes comme "La différence qu'il y a entre l' assommoir de Zola et les Illusions perdues est celle qui différencie un réalisme sans imagination d' une réalité pleine de fantaises". En fait, nulle part dans ton discours je n' ai trouvé quelque élément qui de fait contredise sa démonstration. Eventuellement des nuances, mais il en suggère aussi. Mais le propos n' est pas de défendre Wilde ou une esthétique précise, simplement de flirter avec leurs aboutissants. De toute manière l' école nous a appris à tous deux que c'était de l'"art pour l'art" et c'est un autre fait que Wilde est un trublion aimant faire parler ^^.

Ton troisième paragraphe, je ne le renierai pas, c'est déjà chez moi un éternel chamboulement des visions que de considérer les avantages de la caste et les intérêts idéaux du socialisme théorique disons rousseauiste. Considérer l' individualité avantagée contre la justice du plus grand nombre (et d'ailleurs la question de douance comme la présence à long terme sur le forum posent rudement et lourdement ces questions...). Simplement pour moi la question est hypocrite dans les aboutissants: je suis pauvre et d' aucune caste. Ca simplifie les jugements. Au pire je suis un con traditionaliste (ce qui est tout aussi contradictoire d' ailleurs). Mais pour faire lien avec la révolution française, je pense que couper les têtes (et on en a coupé de belles, pour les féministes par exemple, on a coupé Olympe de Gouges) était presque un outil d' abrutissement. Au début du 20ème on a eu Pierre de Coubertin qui défendait une éducation basée sur les valeurs communautaires, l' entraide et le sport contre une vision de l' éducation qui se faisait en mode assis. C' est certes un vieux débat, mais si le débat moderne était "créativité contre conformisme", des points seraient à retenir. D' un point de vue éducation la noblesse avait le loisir de l' éducation. Ca nous a manqué. Elle avait aussi le voyage comme base de l' éducation. De là à penser que la révolution clairement bourgeoise et entreprenariale à tué les idéaux Rousseauistes en cherchant à faire des comptables compatissants assis plutôt que des hommes libres et indépendants, il y a un abus que je ne franchirai pas mais qui reste mentionable je pense. En mode dérapage idéologique et franchement biaisé certes, mais démonstratif. Pour moi le seul problème de la noblesse est que ses avantages n'étaient pas partagés. Et qu' elle fonctionnait sur un mode quasi incestueux et patriarcal (prendre ces deux termes comme synonymes) Quant à l' aristocratie, de toute façon on revient à un mode de survie communautariste. Ces vieilles notions ont été un peu détournées je pense pour un discours moderne. Encore une fois je ne dis pas ça pour les défendre (ni monarchie ni noblesse ou aristocratie n' ont de sens aujourd'hui, et même à l' époque j'aurais surement été "contre"), mais pour faire ressortir les valeurs et ce qui les catégorisait. A mon sens les coupages de tête de la révolution et les républiques ont fait perdre au concept d' éducation l'expérience, la richesse correspondante aux moyens ce qu'elle a gagné en laïcité et "pour tous" (idéaux qui tu le vois bien en tant que prof sont simplement désuets, dépassés par une nouvelle esthétique et de nouveaux besoins). C'est à relativiser bien entendu, d'autant que je suis loin de maitriser ce sujet. Mais dans les deux sens je pense.

Evola, Guenon, inconnus, je regarderai, merci de la référence.

Ton paragraphe sur leur incapacité à penser le monde (en effet je citais Wilde et la critique historique parce que pour moi c'est un plaisir un peu coupable, mais très didactique: rien de tel que la prose un peu cynique et engagée d'un type pour me donner envie de checker ses références...positives ou négatives), je réagirais juste ainsi: si on sort les citations que j' ai faites de leur contexte historique, une bonne partie de l' art du 20ème siècle plairait à Wilde... En fait la majeure partie et la plus commerciale aussi. De fait la science fiction devrait l'intéresser, de fait le pop art a récupéré son esthétique, jusqu' au gothique, il vantait Monet (donc l' impressionnisme) et le surréalisme comme l' expressionnisme abstrait ou le cubisme auraient très bien pu l' enflammer (et si on considère la sexualité comme un axe esthétique c'est surement d'autant plus vrai). En fait Ken Loach l'aurait peut être exaspéré, sinon je ne vois pas ce qu'il aurait renié. la nouvelle vague? j'en doute. Donc traditionaliste, franchement, non je ne suis pas sur. Et pour "regarder ailleurs", même interrogation... Wilde regarder ailleurs? Snob surement, (esthétique Dandy oblige, et encore, il faut oser aller fumer de l'opium entouré des prostituées et des marins de passage je pense... ) mais aveugle et rétrograde... euuu...hmmm... Conscient que la pauvreté en tant que telle n'est pas super inspirante, par contre je suis le premier, carte de pauvre sur la table, à pouvoir soutenir l'idée. En tant que condition ce n' est juste pas marrant. Et qu' un type écrive un roman sur ma vie pour se faire rosir les phalanges dans un club de bourges... ça m' excite pas non plus, ni en tant qu' intello ni en tant que pauvre. Disons que c'est une étape nécessaire socialement et dans l' histoire des idées. Je veux dire ça n'est qu'un discours scolaire opposant réalisme à "l'art pour l'art" mais il n' ya que des oppositions factices. Simplement une identité artistique un peu déviante, qu' on a enfermé dans une époque sans considérer sa modernité potentielle(parceque le faire n'aurait scientifiquement et en tant que fait aucun sens). En soi dans l' antiquité on avait des types modernes. C'est l'enseignement scolaire et la difficulté à comparer des époques si éloignées, la facilité à donner un sens à des points de vue rapprochés qui nous fait penser ça en termes d' aristocratie ou de démocratie. Les pires clichés de l'aristocratie se retrouvent dans les représentants de la démocratie d'aujourd'hui. Ne confondons pas les plans. Ni les époques.

Justement puisque c'est le point que tu engranges, La Science fiction est un domaine à explorer. Et comme tu lances l' idée d' industrialisation de l'art... On tombe par exemple en plein dans l'idée de créativité contre conformisme(opposition factice sans doute, mais moderne...) Par exemple, pour faire une issue(si tu ne rebondis pas, je veux bien apprendre de tes références), la place que tu donnerais à l' humour dans l'art?

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PointBlanc
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

Ah, c'est déjà plus intéressant, ça.

Je n'ai pas grand chose à redire à ta vision de la Révolution (qui est plus partagée que tu ne sembles le penser, je crois).

Le fait d'appeler "Art pour l'art" ce qu'illustre la citation que tu faisais de Wilde n'est pas si scolaire que tu le penses : l'emphase qu'il met sur la vocation initialement décorative de l'art, c'est du Gautier pur. Que Wilde se soit encanaillé au milieu des putes et des marins n'était pas autre chose, pour ce que je comprends du bonhomme, qu'une manifestation de son goût pour le spectacle de la corruption, ou de ce qu'il imaginait être tel : après Gautier, Baudelaire. C'est le même processus de déréalisation - d'abstraction - la même façon donc, j'insiste, de "regarder ailleurs". Il y a ce poème de Baudelaire, "Paysage", dans les "Tableaux parisiens", qui résume parfaitement cette position face au monde (laquelle dit malgré tout, c'est vrai, quelque chose du monde). Le traditionalisme, pour moi, tient d'ailleurs entre autres à ce positionnement à la cime des choses, dont on tombe parfois par plaisir, pour se vautrer dans l'égout de la plèbe, l'égout de la modernité aussi - sans jamais perdre de vue le lieu d'où l'on vient, sa naissance, son élection. La Beauté reste la Beauté, l'Art reste l'Art, sinon dans sa forme, du moins dans son propos. Le reste, ce sont des veaux qui vont du pré à l'abattoir. C'est une attitude très aristocratique, jusque dans l'avilissement.


Mais tu as raison de supposer que Wilde aurait aimé les surréalistes (du moins jusqu'à ce que Breton en fasse son église). Il en aurait aimé la nouveauté. Mais il en aurait sûrement trouvé les prétentions idéologiques, révolutionnaires, cette idée d'art par/pour tous, résolument grotesques.

Ce n'est pas le réalisme ou le naturalisme que je place en regard de ça : je crois comme toi que l'opposition n'est pas si franche. Zola esthétise autant qu'il peut. Ses personnages taillés à la hache déambulent au milieu d'un jardin de métaphores souvent épaisses. Balzac est sûrement plus fin (la préférence de Wilde s'explique aisément), mais il s'arrange pour échafauder lui-même le décor dans lequel ses idées sur le monde comme il va se vérifient naturellement. Des romanciers de cette époque, en France en tout cas, Flaubert seul me semble dire quelque chose de l'homme : il est exempt de jugement. Sa tendresse, aussi étrange que le mot sonne parlant de lui, m'apparaît universelle. Son écriture est mue par l'exigence absolue de rendre justice à ses personnages. Quant à son esthétique, je crois qu'il est le seul à poser que le langage n'est pas un outil soit d'enregistrement, soit d'enjolivement - qu'il est, en somme, tout sauf une évidence. C'est quelque chose avec quoi on travaille, et qui résiste. C'est une de ces parts même du monde qu'on essaie de dire, pas plus conciliante, pas plus ductile que le monde lui-même : je m'emmerde après une seule phrase de Zola, quand celles de Flaubert ne cessent de me fasciner par leur densité.

Je partage ton point de vue sur les écrivains qui racontent la pauvreté. Le seul à y être parvenu selon moi n'est pas vraiment un écrivain : c'est Fred Deux, l'auteur de La Gana - livre trop peu connu, épuisant, malade, qui ne te propose pas de comprendre quoi que ce soit à la misère : c'est un chaos, il a grandi dedans, fiévreux, fasciné, hilare. Il n'a pas voulu en faire quelque chose de beau, ni quelque chose de moral : il s'est mis à écrire ce bouquin sans calcul, sans plan, partant du principe que peut-être la vie parlerait d'elle-même s'il ne se mettait pas sur son chemin. J'aime surtout ces écrivains-là, ces artistes -là, qui préfèrent la matière vivante à l'idée. Inventer des gens, savoir mieux qu'eux ce qu'ils vont dire, c'est finalement très pauvre pour le coup.
Mais ça n'est pas de l'art pour l'art, ça : c'est s'humilier devant son sujet, comme Giacometti répondant à Breton qui lui disait que tout le monde sait ce que c'est qu'une tête : "Moi je ne sais pas."

Elle est là, pour moi, la place de l'humour dans l'art : quand le rire a partie liée avec cette panique qui monte quand on comprend que, peut-être, on ne va rien comprendre du tout.

(Et si tu pouvais éviter d'employer le mot "prof", je te jure, ça me ferait plaisir. Je chie sur ce mot, sur tout ce qu'il représente, et sur tout discours visant à présenter l'enseignement comme un truc de petits soldats).
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Chacoucas
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Point Blanc, tu as cerné ce que je voulais qu'on fasse dans ce topic.

Je suis assez d'accord globalement sur tout ce que tu dis, à part peut être une nuance, ou quelque chose sur quoi on est d'accord sans que j'aie su en être certain. Gautier, Baudelaire, Wilde, cette vision de l'Art pour l'Art m' a été enseignée comme quelque chose de relativement superficiel, toi-même sembles y attacher traditionalisme (mais ta définition est assez particulière) et une sorte d'aveuglement au réel et au monde en parlant de "regarder ailleurs"?

Simplement en les lisant - malgré leurs défauts d'auteurs - que ce soit les oeuvres ou peut être plus encore les articles critiques, je m'y sens assez bien accueilli. Pas agressé. En fait cette notion de l'Art pour l'Art, s'il était en mon pouvoir de la dégager de tout le négatif qu'on y a posé (et la scolarité y est pour beaucoup en fait, comme l'idée de désuet posée par tous les courants qui se sont crus innovateurs et révolutionnaires en le faisant) je trouve que ça reste une perception assez authentique de ce qui fascine dans l'art au départ. Ce qui donne envie d'en être. D'en faire. Tout le reste est plus ou moins bordé de politique pour le politique, de moralisme pour le moralisme, d'engagement pour l'engagement, d'opposition pour l'opposition... Ca cherche un peu à prendre des pouvoirs sur la sincérité et l'authenticité du geste artistique initial. Après... il en faut aussi, ce sont des évolutions possibles et non moins pertinentes. Je ne sais pas si tu appelles ça du traditionalisme. Après je suis assez horripilé par les artistes qui font un copié collé de notions et font un truc pour la forme pure. Moi la forme ça m'emmerde. Et si Flaubert n'a pas d'histoires que j'aime, j'apprécie ce que tu dis de lui. En effet, je partage. (même si c'est radical de dire que c'est le seul qui dise quelque chose de l'homme ^^ ). J'apprécie quand il y a quelque chose d'exprimé, à défaut de discours, au moins des émotions, états d'âme, une communication quelconque. Ta description de Fred Deux me semble tout à fait rentrer dans ce cadre (assez large en fait).

Pour y raccrocher ce que tu dis de l'humiliation devant son sujet, je ne pense pas que ça soit antinomique. Mais si jamais tu peux développer.

Fred Deux, je n'ai pas lu, merci du lien, je feuilletterai quand j'aurai l'occasion :)

Quant à "prof" héhéhéhé... :) tu préfères quoi? parceque professeur c'est sacrément formel et ça se prend au sérieux... vu le système, tu trouves ça mieux? Si l'individu ne fait pas ça pour servir le système, dans la pratique il fait quand même partie d'une armée et a ses libertés dictées, limitées, son approche est contrôlée, comme une bonne partie de son discours, et sa fonction sociale réelle, celle qui fera qu'il sera ou non fiable pour l'établissement et ses quotas, ce pour quoi on le paye comme expectations contrôlées (notation, validation de tel élève pour telle filière, décision de qui doit se taire et parler, indirectement de qui dit du politiquement correct ou pas, choix impliquant l'avenir des individus mineurs et juridiquement irresponsables etc...)... Ca n'est pas forcément très directement lié au goût pour la matière. Ni à un quelconque idéal pédagogique ou humaniste. Tu peux développer un peu si tu veux, mais bon le but n'est pas de te vexer ou te blesser, je t'appellerai comme tu veux. Simplement j'ai choisi d'utiliser le mot prof, même quand je l'étais. Justement, ça montrait tous mes doutes quant à la position.
Et sans chercher à trop te titiller... partant de là on peut considérer ce que tu dis de l'humour. Moi je n'ai jamais compris ce que je faisais dans les rangs. Ni en tant qu'élève avant la fac, ni en tant que... "huluberlu discourtant à heures fixes", par exemple :) Je n'aipas renié la panique dont tu parles pour l'humour. Ni la prise de recul et l'auto dérision. Après je comprendrais que tu tiennes à poser des frontières, moi je n'ai pas tenu longtemps avant de rentrer dans du dénigrement. Et en effet impossible de continuer dans ces conditions.

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PointBlanc
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

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"Enseignant" m'irait très bien. C'est flou, c'est moins un statut qu'une fonction. Je ne veux pas trop m'étendre sur le sujet ici : disons que tout ce que tu évoques de cadres à ce métier ne me pèse pas. Je ne sens pas ces contraintes, qui m'intéressent peu, et ne me donnent pas non plus le sentiment de s'intéresser beaucoup à moi. Je fais ce boulot un peu comme un type qui à chaque heure de cours prendrait en douce la place de quelqu'un d'autre qui aurait dû venir mais qui n'est pas là : je ne sais pas très bien comment ça marche, mais ça a l'air plutôt amusant, faire cours. Alors je m'amuse. Et le fait est : ça marche. Mes élèves me font tout oublier du reste, et de leur côté, il faut croire qu'ils me sont reconnaissants de ne pas être "prof" pour de bon. Il y a ces gens face à moi, et tout ce qui m'intéresse,c'est qu'à la fin de l'heure ils aient compris quelque chose de plus. Je ne débats pas avec des institutions, avec un système, avec une société, quoique j'en comprenne plutôt bien les mécanismes, je crois. Mes priorités sont ailleurs : ce sont les gens avec lesquels je travaille, élèves, collègues, parents... Je ne peux rien pour le ministère. Pour eux, oui. Là-dessus je me sens très libre.

Je crois que tu te méprends quand tu imagines que c'est par la dérision, par une espèce de "politesse du désespoir", que je supporterais ce qui t'est devenu, à toi, insupportable. Ce n'est ni ça, ni l'attachement à de grandes idées. Mon métier est un jeu très sérieux, dont je plaisante beaucoup moins que du reste - quand bien même je ris beaucoup en cours. Je ris de pas mal de choses par ailleurs - quand je ne peux rien à la situation. Mais face à une classe, il y a autre chose à faire que se dire que le monde est une mauvaise blague.
Chacoucas a écrit :Moi la forme ça m'emmerde.
Moi non, c'est tout le contraire même - du moment qu'elle ne se limite pas à une recherche formelle qui se regarde elle-même. Du moment que ce ne sont pas le langage, la couleur... qui prennent le contrôle. La prose qui se regarde faire des entrechats, ça me fatigue. C'est ça, pour moi, "regarder ailleurs". Je comprends parfaitement, cela dit, que l'art connaisse ces parenthèses - quand justement il commence à se résumer à des formes convenues plaquées sur des idées (Zola, ou le Romantisme à la Lamartine) ; mais je n'ai pas de goût pour ces œuvres-là. Alors bien sûr, elles reviennent à quelque chose qui est peut-être le propre de l'art, au fond, je vois ce que tu veux dire. Seulement je ne suis pas bien certain d'être touché ni même intéressé par cet art en soi. J'ai besoin de sentir l'homme d'un côté et le monde de l'autre. C'est cette lutte - qui peut être une lutte très délicate d'ailleurs, la recherche d'un coup exact et suffisant - qui me plaît. Et l'humilité dont je parlais, c'est justement l'humilité face à l'adversaire, à ce qui n'est pas encore dit, pas encore figuré. C'est un équilibre impossible. Si c'est l'homme qui l'emporte, tu as Hugo qui met le monde en coupe réglée - la lumière, c'est ça, les ténèbres, c'est ça... - et si c'est le sujet, tu as ces poètes qui n'osent plus écrire que des mots impénétrables : "la pierre", "la lumière", "la neige"... comme autant de petites crottes très dures semées sur la page. Entre les deux il y a une foule de merveilleux ratages, dont l'Art pour l'art fait peut-être partie après tout : on peut prendre l'art pour sparring-partner, ou soi-même, comme les dandys. Il y a peut-être beaucoup d'humilité dans le dandysme au fond - de même qu'il y a une humilité des aristocrates.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Point Blanc, pour la forme, c'est vrai qu'il y a différents niveaux et façons de prendre le concept. Je parlais surtout d'une oeuvre qui s'estampille "art" parcequ'elle affiche un travail de forme. Je connais aussi -c'est encore un autre degré - des gens qui ne jurent que par la typographie, l'othographe, qui voient des répétitions là où il ya des figures de style, qui trouvent sans cesse des défauts de forme sans jamais s'intéresser à ce qui est exprimé, aux images choisies (qui peuvent aussi être un degré de la forme au fond), et cette posture m'agace. Comme quelqu'un qui reprend sans arrêt les règles quand on joue à quelque chose, ça a beaucoup de défauts et à mon sens on passe à côté de l'essentiel justement, de ce qui mérite d'être regardé. Quelqu'un qui va par exemple te dire que ton poème ne correspond pas à une métrique classique ou une forme "académique", ça va vite me fatiguer.

Ce sont souvent ces gens là d'ailleurs que j'appelle "traditionalistes". Comme je trouve traditionaliste de considérer qu'il y a un "beau" langage. Le langage n'est beau que selon ce qu' on met dedans comme travail, comme passion, voire simplement comme authenticité. Un langage qui soit le tien, que tu peuples, même s'il est simple, brut, grossier, je peux lui trouver une force, une authenticité qui le rendra intéressant. Après tout la langue est un outil, évolutif, qui appartient à l'être qui l'utilise. On peut le tordre à souhait. Tant qu'il permet à l'être en question de s'y sentir "bien", d'avoir un outil pour s'exprimer. Pour moi la vulgarité c'est plus répéter des idées qui ne sont pas "toi" en croyant qu'il y a quelque chose derrière. Tout peut être vulgaire, en particulier un "beau" langage selon une intelligentsia qui se réclamerait d'une élite esthétique. Parfois pour moi ça va jusqu' à l'obscène et le quasi insupportable. Ce n'est pas le mot qui porte l'obscénité à mon sens, mais le discours.

L'autorité, l'uniformisation de la pensée, le modèle unique, par exemple, je trouve que ce sont des choses vulgaires. Le désir d'appartenance contre toute identité personnelle, par exemple, je ne le trouve pas "beau". La société moderne est remplie de personnes qui cherchent à être belles en se tuant d'une manière ou d'une autre. Si je trouve une chose de belle là dedans c'est peut être l'authenticité qu'il y a dans l'obsession, mais en soi la forme et la démarche en elles mêmes ne me séduisent pas du tout. Ni le résultat, il peut l'être, ou pas.

La recherche, je trouve beau. Le doute éventuellement, quand il est peuplé, incarné, qu'il est sincère, en revanche je trouve que ça peut être superbe. Classieux. Comme tu le dis, je ne trouve plus grand art à poser une forme ou une approche systématique sur tout sujet. En fait j'ai tendance à préférer un petit poème mal écrit plein de fautes d'orthographes mais avec un truc qui semble sincère. La certitude comme la maîtrise, l'assurance, tout ça ça peut aussi être classe, mais ce ne sont pas - en soi - des choses que je trouve belles.

En fait pas grand chose n'est beau en soi, j'ai besoin d'y sentir quelque chose derrière. Je trouve des paysages très beaux, la lumière etc... parfois je n'ai rien à exprimer dessus, je suis juste ahuri. Hébété. Je ne pense plus. Et ça me nourrit, paradoxalement, de ne plus penser, d' être juste crétin devant quelque chose que je ne comprends pas mais qui me subjugue. Ca me vide de mes énergies, mes certitudes et les remplace par quelque chose de plus instantané, de plus pur, et parfois beaucoup plus "long", dans le sens "qui dure". C'est un peu de ça que j'aime trouver. Au delà du fond et de la forme en soi, sans doute.

A noter que cette beauté finalement passe par n'importe quel sens (à prendre dans tous les sens), ça peut être le contact de l'eau, un son, une odeur, un goût, n'importe quelle forme. Ca n'est pas forcément de la jouissance, c'est quelque chose d'autre, qu'on peut - ou pas - trouver dans une jouissance. La forme d'une oeuvre peut faire passer un peu de ça, et il n' y a pas forcément besoin d'un autre fond. Mais une forme gratuite, pour la forme, quand c'est un système, ou quelque chose qui se veut défini et parfait "par la forme" ça ne me fera pas cet effet. En revanche, le discours qui appuie ce travail le systématise et se couvre de gloire pourra très vite me lasser. Simplement parceque je le trouve vide, qu'il n'y a plus ce contenu qui n'est peut être même pas quantifiable ou mesurable, mais qui est, de fait. Arriver à me faire cesser de penser, m'apporter du bien être de manière parfois presqu'instantanée, c'est quand même assez fort, il y a une chose, presque rien. Mais ce n'est pas du "rien" ou du "vide" non plus. Simplement je ne saurais pas le mesurer.

Ce sentiment, cette "chose" j'ai finalement réussi à la trouver à peu près partout, je comprends que certains le trouvent là où je ne le vois pas. Et j'aime résolument penser à ça, le traquer, chercher à le voir, le comprendre - ce qui m'échappe toujours, mais c'est un passe temps qui me fait du bien, me permet de rester près de ça. Je me sens moins seul, je me sens "presque" utile. A part que socialement faire passer cette idée c'est une autre paire de manches :lol: .

En soi, comme tu le disais pour Flaubert, la forme est parfois le fond(le style dans son cas, son travail de la langue) en tout cas en fait grandement partie. Donc ces mots ont tendance à me perdre, je ne m'y retrouve pas forcément dans tous les discours -notamment la notion d'art pour l'art que j'avoue je n'ai jamais su comprendre sincèrement. Je sais juste que dans l'ensemble je trouve justement une humilité dans l'approche qui me plait assez puisqu'elle se rapproche de cette "relation" dont je parlais et que j'essayais de décrire.

Tenter de représenter ça, ou y réagir, éventuellement c'est l'idée que je trouve assez basique, simple et probablement orginelle, dans l'esthétique Wildienne que je proposais comme départ, même si mon discours est au final assez éloigné du sien dans la forme. Et surement une partie du fond.

Que penses tu du "doute", ça t'inspire, comme sujet? Si j'avais une esthétique, je pense que le "doute" y aurait une place. Déjà en sciences, ou même en termes de Foi, je trouve que le doute est une chose très belle. Riche, complexe, et pas forcément négative, au contraire, c'est un champ fertile je trouve.

(Je ne réagis pas au reste, j'ai juste essayé d'en tenir compte, mais je reste simple à dessein: garder une communication fluide qui ne passe pas par du point par point).

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par arizona »

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PointBlanc a écrit :Je partage ton point de vue sur les écrivains qui racontent la pauvreté. Le seul à y être parvenu selon moi n'est pas vraiment un écrivain : c'est Fred Deux, l'auteur de La Gana
Il y a les américains. John Fante par exemple.
Si nous n'étions pas d'ici, nous serions l'infini.
D'une chanson.

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

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Arizona : jamais lu Fante. Mais je veux bien croire que ce soit le cas : les grands romanciers américains me semblent avoir le talent de décrire sans juger, sans pointer les responsabilités, sans misérabilisme aussi. Ce que n'arrive pas à faire un François Bon, par exemple, en dépit, pour le coup, d'un gros travail de forme. On a la maladie de la démonstration en France, j'ai l'impression.
Chacoucas :
Chacoucas a écrit : Arriver à me faire cesser de penser, m'apporter du bien être de manière parfois presqu'instantanée, c'est quand même assez fort, il y a une chose, presque rien. Mais ce n'est pas du "rien" ou du "vide" non plus. Simplement je ne saurais pas le mesurer.
Je vois ça comme une suspension du jugement ; une application du concept d'épochè à l'esthétique - ou même, plus largement, à la perception.
Il y a une quinzaine d'année, ça m'arrivait de façon constante - en tout cas plusieurs fois par semaine, comme des crises. Je regardais quelque chose et ça y était, j'étais ailleurs, c'était la plus belle chose que j'aie jamais vu ; peu importe ce que c'était, une vieille qui traversait la rue en boîtant, les lampes qui s'allumaient le soir... C'était une expérience très douloureuse, très triste : parce que tout était écrasé de la même façon par cette évidence, qu'il n'y avait plus de hiérarchie possible entre les objets, les êtres, et que sous ce feu roulant le sens moral menaçait de prendre le même chemin. Il a fallu le rebâtir sur d'autres bases. Je reste persuadé que je ne suis pas passé loin de devenir dingue à ce moment-là. C'était trop.

Aujourd'hui c'est fini. Même si c'est douloureux d'une autre manière de ne plus ressentir ça que de façon épisodique et très ténue.
Chacoucas a écrit :Que penses tu du "doute", ça t'inspire, comme sujet? Si j'avais une esthétique, je pense que le "doute" y aurait une place. Déjà en sciences, ou même en termes de Foi, je trouve que le doute est une chose très belle. Riche, complexe, et pas forcément négative, au contraire, c'est un champ fertile je trouve.
Je préfère l'incertitude - le doute étant presque trop volontariste pour moi. Je ne crois pas utile de se forcer la main pour douter : c'est plutôt la certitude qui fait, à mes yeux, figure d'effort nécessaire pour permettre l'action. Il faut poser quelque chose, prendre le parti de bâtir dessus - sans jamais cesser de percevoir le caractère au fond arbitraire de ce fondement. Il faut, en somme, avoir le courage de construire sur du sable. C'est pour moi en rapport immédiat avec ce dont je parlais à l'instant : il y a une tentation de se couper du monde pour vivre dans cette splendeur que tu reconnais partout quand tu commences à la percevoir, et qui est peut-être la seule chose vraie, plus vraie sûrement que tout échafaudage idéologique ou moral (puisqu'elle n'affirme rien, ne prend pas le risque inutile d'affirmer). Mais c'est faire le choix de l'aliénation, de l'isolement extrême - quand les autres continuent à exister dans un espace ordonné, avec des valeurs, des directions, un haut et un bas.
Alors, comme tu ne veux pas lâcher les autres, parce que tu sens bien qu'il ne s'agit pas d'être seul, tu te mets à chercher des prises, de quoi fonder un terrain commun.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Hors-sujet
Rah j'en ai lu aucun... Mais bon j'ai vu un gobi enterrer un crabe sous une coquille, hilarant, et j'ai re-découvert outfields... marrant les moments années 80 ^^
Point Blanc, il m'est assez difficile de garder des liens certains entre ton discours t le mien, donc je vais me concentrer sur le tien.

Je remarque sur l'ensemble qu'il y a un fond assez angoissé, un positionnement entre deux états, deux perceptions qui te semblent antinomiques et créent une tension à priori douloureuse. (on retrouvait ça avec ton image de la lutte d'ailleurs, un peu).

Il me semble (comment être certain?) avoir vécu un ou deux de ces moments dont tu parles, marqués par l'intensité du moment, l'anormale régularité de leurs apparitions, et éventuellement une grosse tristesse, une sensation de "perte du reste", j'étais en effet suffisamment paumé, dans un de ces angles indéfinis entre deux plans de vie où je peux comprendre aussi la "peur de devenir dingue".

En effet on pourrait faire un lien avec mes moments d'hébétude. Je pourrais percevoir dans les deux un "besoin de fuite" qui d'ailleurs justifierait une partie du "regarder ailleurs" perçu comme tel? Ces perceptions, comme "aspirées", la conscience portée vers un objet qui s'illumine et auquel on trouve mille intérêts, c'est chez moi aussi une réponse à la panique et l'angoisse, parfois. Il suffit que je ne me sente pas à l'aise, pas certain de ce qui est attendu de moi, pas certain du "lien" et de la "communication" et hop ma conscience préfère se porter sur un objet, de préférence beau. Autrement plus rassurant et il s'agit aussi justement d'un "repère", "d'une prise" même si celle ci n'est pas sociale.

Si une partie du phénomène est biaisé par ce mécanisme, je ne les assimile pas complètement. A mon sens il s'agit d'une sorte de symbiose: la perception évacue l'angoisse, l'angoisse favorise la perception. Mais elles sont indépendantes l'une de l'autre, on peut les isoler. Le fait d'en être conscient rappelle même un peu de complaisance avec la chose. Quant à l'intensité de ce que tu mentionnais ça ne serait pas des petites crises de déréalisation, ou dépersonnalisation? Parceque ce que tu lances, on est en plein dans "esthétique et DSM" ;)

Discussion intéressante d'ailleurs, mais qui me met mal à l'aise, je n'ai jamais creusé trop ce thème et forcément je vais finir par trouver des soupçons en série de troubles plus incongrus les uns que les autres simplement en partant de sensations qui ne me sont pas inconnues :) . Tu as pris l'occasion de creuser les liens entre postures esthétiques et certaines pathologies? On doit certainement pouvoir en faire.

Pour revenir à ton discours, d'après ce que tu dis tu n'as pas le même rapport à l'action que celui que j'ai entretenu (mais encore une fois, comment en être sur? simplement il semble). En gros j'ai souvent une approche de recherche d'équilibre par la passivité et le tri entre stimuli et occupations. J'opère la découpe plus souvent en négatif qu'en positif (en ajouter...).

Mais ce qui m'intrigue le plus c'est ton angoisse de perdre "hiérarchie entre les êtres" et "sens moral". Je ne suis pas certain de ce que je dois comprendre, mais il semble que pour éviter ça j'aie fait exprès d'explorer (j'ai souvent exploré). Par exemple "apprendre" à ne plus classer les objets ou les êtres. Parler à un insecte, ignorer un humain serait une image incongrue mais j'ai déjà pratiqué. Plus loin, j'ai aussi essayé de me débarrasser du sens de la causalité, de la chronologie. Simplement pour pouvoir percevoir la "présence", telle qu'elle se présente, et ne pas lui chercher une histoire.

Si la démarche a quelque chose de type déni des bases du savoir classique, voire une recherche de la débilité? Elle a aussi quelque chose d'enrichissant je trouve, et qui n'est pas sans rappeler certains biais de conscience évoqués dans les thèmes du temps. Si ça a surement contribué à me rendre encore plus bizarre, je ne suis plus à ça près, et je souhaiterais être capable de découvrir des alternatives de conscience plutôt que par angoisse devoir coller à la plus commune. C'est une des bases de savoir que le plus nombreux n'a pas toujours raison. Il est simplement, comme sont les alternatives et exceptions. Evident que cela crée une angoisse, mais l'angoisse fait partie de la vie. Percevoir une chose ne signifie pas qu'elle soit présente. L'angoisse est un marqueur de nouveauté, de changement...

Je crois sincèrement avoir gagné à avoir pratiqué ces petits exercices de couper les perceptions d'une recherche de sens, de chronologie, de causalité... La capacité au pire est un peu altérée, sinon égale, simplement maitrisable au lieu de fondue à la perception, au pire on te comprend moins souvent, mais il me semble avoir gagné un peu de souplesse et de liberté quant à mes perceptions et ma conscience. Par exemple l'intérêt a été très clair lors de phénomènes hallucinatoires. Là où auparavant j'aurais capitalisé mes angoisses sans m'en détacher et probablement nagé en pleine folie par déni de la normalité de l'angoisse ou de la perception d'une chose sans "sens"- par déni de l'existence pure et simple d'une chose que tu ne peux expliquer ni tracer dans des visions de physique classique - là j'ai pu accepter plus facilement, et le résultat en général de ce type d'explorations "aux limites" est que les problèmes d'angoisse, pas mal de symptômes et de malaise disparaissent. Se transforment éventuellement en apaisement.

Accepter d'être malgré une différence et un écart est sacrément reposant. Parce que de toute façon, comme tu le dis... d'une part l'intensité de ce que tu peux percevoir te manque quand même, mais d'autre part en soi tu en restes au même point: tu cherches des prises... Je ne crois pas que l'appartenance soit jamais garantie, ni à une société ni à un groupe. Aucune construction n'est éternelle, de fait, sable ou roche. Mais autant chercher le lieu que tu veux utiliser pour construire, ne pas prendre le premier venu ou celui que les autres choisissent. On n'appartient jamais non plus je crois à un genre supposé par nos mots. Simple rapport au temps, un jour on est, le lendemain on n'est plus. Sans forcément chercher un sens ou une chronologie à ce changement.

C'est riche de voyager et "d'avoir connu". Tu parles de "quelque chose qui est probablement plus "vrai""... Je ne souhaiterais pas renoncer à la perception de cette vérité -fut elle éventuellement unique à ton individu - au bénéfice d'une des alternatives proposées par le groupe. Parlant d'aveuglement et de "regarder ailleurs", on peut très bien le percevoir comme cela, ici, non? De plus, ce n'est pas comme si il était foncièrement impossible d'avoir le cul entre deux chaises (ici entre tes perceptions et celles du groupe, qui devient dès lors "les groupes" puisque tu ES de fait la multiplicité et non plus l'appartenance à tout prix, tu es libre de voyager et de chercher une "relation", choisit-on réellement sa relation quand l'on a peur de ne pas appartenir? Est-elle sincère, entière? Surement, puisqu'il y a un choix, mais... Il y a toujours choix :) autant le varier autant qu'il est possible)...

D'un principe d'incertitude à l'autre, de nuances apportées à un "savoir" aux remises en question systématiques par le vécu ou l'expérience, la théorie abstraite, des perceptions contraires au sens commun à la nécessité de prise de distance pour avoir une quelconque objectivité sur un phénomène, des émotions à la rationalité... De fait un individu vit en continu dans un monde multiple, complexe, fait de simultanéités, de biais de conscience, de corrélations parfois, de changements, de subjectivité (plasticité du cerveau implique aussi plasticité de la mémoire, voire de la personnalité). L'effort pour moi est bien dans l'incertitude, si tu préfères, ou le "doute", puisqu'il y a une dynamique, la certitude est une illusion, puisqu' éphémère par nature, subjective, elle est aussi un biais intellectuel quasiment incontournable sans "efforts" (il n'ya qu'à regarder pour cela le fonctionnement d'une institution sociale, sans effort d'adaptabilité, remise en question laborieuse, on a un système d'entropie qui se manifeste assez vite, réfractaire à un changement, l'institution s'auto-justifie et justifie ses propres valeurs, et ce même si on a une quantité impressionnante de "preuves" que ses valeurs ne fonctionnent pas universellement), et si "savoir" est un moment d'épiphanie, par nature, je peux savoir une chose et ne plus la savoir plus tard... Rester sur une certitude est une fausse dynamique. Une sorte de refus de "voir". Enfin, à mon sens, j'espère avoir été compréhensible tout du long.

De toute façon, de tels discours sont toujours soumis à la subjectivité de la langue et des mots, c'est une recherche de relation certes, mais aucunement garantie. Et elle sera limitée à un "moment". C'est la nature d'une expérience aussi je pense. Le modèle de la recherche de prédictabilité en physique est probablement encore plus complexe en termes d'individus, surtout si ils ont la possibilité de s'extraire de leurs environnements et d'en changer. De fait le temps d'un individu est de nature un peu différente du temps terrestre.

Pour ma part je ne connais de "stable", de "non éphémère", que le mouvement. On peut parler de mouvement, si tu veux, ou de DSM... Il est en l'occurrence très possible que mon discours soit absolument contre indiqué dans un contexte de crise psychiatrique... Je manque tellement de compréhension des pathologies, je ne saurais dire :) . Je ne sais même pas si la pathologie n'est pas simplement un équilibre, donc en tant que tel nécessaire... Ca peut être tant de choses, voire simultanément... Dans cet univers là, je suis assez perdu, mais curieux, bien entendu.

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par madeleine »

PointBlanc a écrit : Il y a une quinzaine d'année, ça m'arrivait de façon constante - en tout cas plusieurs fois par semaine, comme des crises. Je regardais quelque chose et ça y était, j'étais ailleurs, c'était la plus belle chose que j'aie jamais vu ; peu importe ce que c'était, une vieille qui traversait la rue en boîtant, les lampes qui s'allumaient le soir... C'était une expérience très douloureuse, très triste : parce que tout était écrasé de la même façon par cette évidence, qu'il n'y avait plus de hiérarchie possible entre les objets, les êtres, et que sous ce feu roulant le sens moral menaçait de prendre le même chemin. Il a fallu le rebâtir sur d'autres bases. Je reste persuadé que je ne suis pas passé loin de devenir dingue à ce moment-là. C'était trop.

Aujourd'hui c'est fini. Même si c'est douloureux d'une autre manière de ne plus ressentir ça que de façon épisodique et très ténue.

[...] il y a une tentation de se couper du monde pour vivre dans cette splendeur que tu reconnais partout quand tu commences à la percevoir, et qui est peut-être la seule chose vraie, plus vraie sûrement que tout échafaudage idéologique ou moral (puisqu'elle n'affirme rien, ne prend pas le risque inutile d'affirmer). Mais c'est faire le choix de l'aliénation, de l'isolement extrême - quand les autres continuent à exister dans un espace ordonné, avec des valeurs, des directions, un haut et un bas.
Alors, comme tu ne veux pas lâcher les autres, parce que tu sens bien qu'il ne s'agit pas d'être seul, tu te mets à chercher des prises, de quoi fonder un terrain commun.
Cette capacité à être ébloui jusqu'à l'effacement du soi, du temps, m'est familière depuis longtemps (si nous parlons de la même chose, comment savoir ?). Mais je n'ai jamais eu l'impression de devoir choisir entre ces éblouissements et "le monde", aller et venir de l'un à l'autre s'apprend, s’apprivoise, se partage parfois. Lorsque je fais le choix de contempler de cette manière, je ne ressens ni isolement, ni aliénation, bien au contraire. Je trouve juste fabuleux ce qui te paraît si triste : ne plus percevoir de hiérarchie, plus de filtres, ça ne me paraît pas "écraser" les choses perçues. Elles incarnent une perfection sans pourquoi. Ce qui me fait douter un peu que nous parlions de la même chose.


Chacoucas, tu m’enchantes : te lire m'emmène toujours en voyage dans des contrées mystérieuses et inconnues :rock:
Chacoucas a écrit :Je crois sincèrement avoir gagné à avoir pratiqué ces petits exercices de couper les perceptions d'une recherche de sens, de chronologie, de causalité... La capacité au pire est un peu altérée, sinon égale, simplement maitrisable au lieu de fondue à la perception, au pire on te comprend moins souvent, mais il me semble avoir gagné un peu de souplesse et de liberté quant à mes perceptions et ma conscience. Par exemple l'intérêt a été très clair lors de phénomènes hallucinatoires. Là où auparavant j'aurais capitalisé mes angoisses sans m'en détacher et probablement nagé en pleine folie par déni de la normalité de l'angoisse ou de la perception d'une chose sans "sens"- par déni de l'existence pure et simple d'une chose que tu ne peux expliquer ni tracer dans des visions de physique classique - là j'ai pu accepter plus facilement, et le résultat en général de ce type d'explorations "aux limites" est que les problèmes d'angoisse, pas mal de symptômes et de malaise disparaissent. Se transforment éventuellement en apaisement.
Je m'invente des trucs comme ça aussi :) Ça aide grandement à relativiser.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

madeleine a écrit : Je trouve juste fabuleux ce qui te paraît si triste : ne plus percevoir de hiérarchie, plus de filtres, ça ne me paraît pas "écraser" les choses perçues. Elles incarnent une perfection sans pourquoi. Ce qui me fait douter un peu que nous parlions de la même chose.
Il faut bien comprendre jusqu'où ça à allait : je me suis retrouvé plus d'une fois devant des spectacles qui auraient dû susciter ma compassion, des gens en vraiment triste état. Je les regardais comme si ç'avaient été des pierres. Je n'éprouvais absolument rien pour eux : ils étaient quelque chose sur quoi tombait la lumière et c'était tout. Tout était parfait dans ces moments - absolument tout, sans exception possible.
Il n'y avait donc rien à faire contre la souffrance, puisqu'elle participait elle aussi de cette perfection. C'est en ce sens que je parle d'un effondrement du sens moral : j'ai compris à cette occasion que rien dans le monde en soi ne me renseignerait jamais sur le bien ni le mal et que vu de si haut - de si bas - il n'existait ni vertu ni crime. Aimer aussi relevait d'un choix que rien d'essentiel ne fondait. L'amour, la morale, les liens entre les êtres : des illusions consenties, c'était tout, et au-dessous de la pellicule ténue que formaient ces choses c'était l'océan de splendeur, où tout se distinguait de tout avec la même netteté, où tout répondait à la même nécessité. Qui n'est la source d'aucun bien, qui est au-delà de tout ça : une beauté d'aurore nucléaire.
La question qui m'a occupé à partir de là a été : comment être avec les autres malgré tout ? Sur quoi se fonder pour se sentir lié à eux, les isoler du reste ? Pour qu'ils comptent plus qu'autre chose ? Pour qu'un enfant ne soit pas la même chose qu'un tas de briques ? Mais c'est un autre sujet.

Bien sûr, je peux toujours me plonger dans ce qu'on pourrait appeler un "état de contemplation" : je regarde sans juger, comme en suspens, je me laisse surprendre en quelque sorte - mais avec mon consentement. L'intensité de l'expérience est sans rapport.

Tu vois, Chacoucas, on en parlait hier soir : ce n'est pas la même chose que le sentiment d'une distance avec la norme qui t'offrirait finalement un supplément de liberté, de choix, l'opportunité d'expériences dont l'idée même n'effleurerait pas ceux qui vivent à l'abri des cadres. C'est quelque chose de tellement fort qu'en comparaison toute espèce de choix devient résolument absurde : il n'y a rien à ajouter ni rien à retrancher, rien à choisir, aucune différence à faire. Le monde du coin de la rue et celui de l'autre côté de l'océan sont la même chose. C'est un arasement général, j'insiste, qui te rend aussi libre que si tu te réveillais un matin pour découvrir autour de toi des ruines partout identiques et pas un survivant.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par madeleine »

Nous parlons donc bien d'une chose pour le moins semblable ; je l'appelle l'oeil du tigre, et c'est effectivement un état d'où toute morale, tout sentiment, tout aspect social ou personnel de ma condition d’humaine sont absents. La différence provient peut-être du rapport que j'entretiens avec la morale, justement ; à l'époque où je commençais à expérimenter ces sensations, elles ont été valorisées et "dédouanées" par mon maître de sculpture (j'avais 17 ans), bonhomme un peu fou qui était violemment hostile à l'intrusion de la morale dans l'art, et dont la rhétorique iconoclaste a fait une impression durable sur ma violence intérieure. Je trouve, de fait, reposante comme une mort cette absence d'amour, cette absorption minérale dans la lumière et les méplats d'une scène où je ne suis appelée à jouer aucun rôle.
Cela me permet, en retour, de ne pas me sentir toujours "agie" par les sentiments et les liens profonds qui tissent ma vie, de littéralement renouer avec eux :)
La méditation de pleine conscience, c'est autre chose, une sorte d'extension infinie d'un soi de plus en plus léger.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Point blanc, en percevant les gens et leurs actions comme des pierres... et les questions que tu mentionnes à la fin de ce paragraphe, justement quand je parle de multiplicité, il me semble qu'elle peut parler de ça aussi.

Par exemple en simplifiant à outrance, ne pas pouvoir accepter la simultanéité de deux réalités: une sphère qui est ronde, et noire... Sa forme et son relief influent sur la perception de la couleur (selon la couleur et la diffusion de la lumière, ça peut devenir assez difficile...), et on peut trouver une difficulté à "permettre" sans heurter un désir de logique un peu impliste à ce que ces deux réalités coexistent. La rotondité n'est pas extrêmement mesurable sans toucher la sphère, la faire rouler ou la palper, mais le jeu de la lumière en donne une idée. En revanche ne considérer que le noir ne permet pas d'en apprécier la forme, et la lumière définissant le relief rendra des zones plus claires, "luttant" contre la réalité conceptuelle "noir".

On peut trouver une contradiction élémentaire à ces deux réalités (en fait il m'est arrivé de creuser ça et de déboucher sur des perceptions qui ne me permettaient plus clairement d'identifier l'objet en question... un peu le même phénomène avec ces dessins qui peuvent représenter deux choses différentes... parfois il devient presque difficile de repasser à l'autre interprétation). Pourtant dans l'esprit imprégné de notre physique terrestre et des perceptions qui vont avec, ça ne choque personne, exposer cette opposition et ce dilemme choque le sens commun (qui serait donc "insensible" à cette complexité entre perceptions, représentations abstraites etc... ? Une logique serait peut être une simplification à outrance de perceptions, systématisée pour faciliter le raisonnement et l'existence physique, un schéma, un raccourci cognitif...).

Je ne sais pas si mon exemple te parle, et si il peut être considéré dans ce que tu exposes. Mais il s'agit d'une des acceptations que j'ai utilisées pour "faire la paix" entre par exemple facilités pour certaines empathies et absence totale d'empathie ou de sensibilité. Des "états de conscience à priori contradictoires. Je ne l'ai pris que comme l'expérience d'une perception, surement vraie, mais pas antinomique. Nécessitant au pire que je conceptualise une existence dans un espace dimensionnel un peu plus complexe que la simple 3D (ou 2D dans l'exemple de la sphère). Complexe pour l'esprit surtout après son formatage par la langue, qui amène souvent beaucoup de limites, en permettant de formaliser la pensée (une forme= une limite... ). En d'autres termes tu existes comme percevant la beauté d'une aurore nucléaire, mais aussi tous tes autres vécus et "connaissances". Toutes n'étant pas pertinentes dans le même type de description, d'où la sensation de décalage absolu... ?

Dans le cas où ça te parlerait, c'est déjà plus simple à expliquer à qui ne perçoit pas, le vocabulaire et les exemples à utiliser étant plus "communs" (comme on en parlait hier).

On peut imaginer dès lors une "réalité sociale" où les individus percevraient cette réalité d'arasement général, comme elle perçoit les autres. L' existence quotidienne serait surement un petit peu moins "agressivement" formelle,, l'"absolu" des règles étant remplacé par un consentiment conscient aux formes des relations, des lois etc... mais ne serait pas pour autant changée dans sa nature. On se reproduirait toujours, on organiserait toujours il y aurait aussi des familles du travail une économie etc... Mais moins agressivement imposée, et surtout plus intelligente dans ses conceptions. C'est presque du New Age et le discours de pas mal de sectes, comme c'est aussi de la SF, mais dans ce cheminement je n'en vois pas le "résolument stupide". Déjà parce qu'il s'agit d'un questionnement, pas d'une leçon, et que ce n'est pas un discours prosélyte. Il s'agit tout simplement de multiplicité et de pensée ouverte (latérale?).

Madeleine, merci, et je ne relève pas sur "méditation de pleine conscience", si tu veux développer... Je suis un peu perdu dans ces choses là... Après je ne sais pas si j'ai abordé un peu ton "oeil du tigre" (Point Blanc semble vouloir souligner la douleur, et je relativise peut être un peu trop l'intensité dans les images que je travaille?), je l'espère ça serait amusant qu'on arrive à faire des liens entre nos 3 ressentis. Mais j'aime bien ces discussions où on peut passer d'idées philos, de domaines "lulu" à "holosmos" (je me suis un peu inspiré de la discussion sur langage mathématiques, temps et dimensions des questions à la con) et arriver à faire sens avec du petit rien de tous les jours :)

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

Chacoucas a écrit :... ça serait amusant qu'on arrive à faire des liens entre nos 3 ressentis.
Mais je crois qu'on y arrive :)

Je souscris à l'idée qu'on puisse être plusieurs choses à la fois, et des choses très contradictoires (mais l'identité, c'est encore un autre débat) - de même qu'un objet lui aussi peut être une multitude d'objets en fonction du regard qu'on porte sur lui.

Quant à cette expérience dont nous parlions (et qui a l'air de nous être commune), ce qui semble nous différencier, c'est essentiellement ce que nous en faisons, ou plutôt que la façon dont nous l'inscrivons dans le champ de la morale.
Madeleine, tu dis, si je te suis bien, que les deux n'entretiennent pas de rapport, pas même un rapport d'opposition : elles coexistent simplement, sont deux aspects de l'existence.
Chacoucas, je crois comprendre, à la lecture de ton avant-dernier paragraphe, que tu y vois la possibilité d'une humanité plus lucide, moins dupe surtout de ses propres règles (je pourrais te rejoindre sur ce point, mais ça reste de l'ordre de l'utopie ; et les utopies ne m'intéressent pas beaucoup).
Pour moi c'est un peu différent : je la perçois comme étant ce qui rend indispensable le questionnement éthique, puisque aucune communauté humaine ne saurait survivre sous le seul régime de la fascination. Et dans le même temps, elle pose la question de l'édification de cette éthique : sur quelles bases ? Quels en seront les piliers, puisqu'à la lumière de cette expérience il est acquis que le monde en soi n'offrira rien qui s'en approche ?
(Je crois que je n'en finis tout bêtement pas de faire le deuil d'une morale transcendante en laquelle j'ai dû croire, jusqu'à cette époque dont je parlais, sans trop m'en rendre compte).

Une réponse évidente serait : on fait avec l'existant ; on s'y adapte, on dispute à la marge sans se laisser y croire. On prend la morale en l'état, de la même manière qu'en naissant on est bien obligé de prendre le monde en l'état. On entend bien le grondement de la cataracte derrière la rumeur des conversations, mais c'est depuis toujours et c'est bien tout. L'éthique personnelle, dans ce cas de figure, n'est qu'une version amendée de l'éthique commune.

Je ne peux personnellement pas m'en satisfaire. J'ai besoin de sentir sous mes pieds quelque chose de plus solide. Le grégarisme de l'espèce n'y suffit pas. La ressemblance non plus. Je crois ne pas être très éloigné de la position de Levinas quand il évoque le visage de l'autre, qui trouble, non par sa ressemblance avec le nôtre, mais par sa différence irréductible. L'autre n'est pas moi, ni de près ni de loin : qu'est-ce que je vais bien faire avec ça, avec lui, pour disperser les ombres qui se cachent derrière ce visage-là et qui forcément me dérangent dans ce que je suis ?
Je cesse d'être un homme si je laisse la morale commune régler la question à ma place. Je cesse aussi de l'être si je laisse perdre ce visage dans l'arrière-plan - objet parmi d'autres objets. Il y a quelque chose que je dois faire avec ça. C'est d'ailleurs la grande différence avec le reste des choses, qui n'obligent à rien, qui ne font pas question quand on s'y absorbe. Un visage devrait toujours questionner, d'une façon ou d'une autre. Il devrait toujours être un rappel, un renvoi.

(Je ne développerai pas ici - ce serait trop long - ce point où tout devient visage qui questionne, comme une espèce de retournement de l'expérience initiale : de la complète absence à la complète présence. Mais je crois que Madeleine a un peu ouvert la voie dans son dernier message, en mentionnant la méditation.)

Ce qui nous ramène à l'art (enfin j'essaie, hein). Qu'est-ce qui vous touche, dans tel ou tel portrait ? (Je sais bien que selon les portraits ça peut être une foule de choses différentes, c'est pour ça que j'écris "tel ou tel").
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par Chacoucas »

Point Blanc, tu sembles considérer la morale commune comme un bloc absolu, livré comme tel. J'en suis un peu étonné, parce qu'en soi, il n' y a rien de tel, d'une société à l'autre la morale change souvent assez radicalement. On peut bien identifier un "bloc commun" en relativisant et simplifiant, je pense, mais ça demande un certain travail de recherche, ce n'est pas "livré comme tel". Du coup l'éthique personnelle peut être amendée, ou plus complexe. Et la morale me semble - comme la langue - un outil qui souffre d'une définition trop précise. Trop absolue surtout. Elle est évolutive. Ca me semble aussi un fait d'ailleurs.

Du coup l'élaboration de cette éthique à mon sens est un projet commun, comme peut l'être un projet pédagogique entre enseignants. Il se discute, se travaille se vérifie empiriquement et s'améliore. Avec pour bases justement ces vécus et réalités partagées (ou pas, mais à manifester en cas de problème ressenti), qui sur un autre niveau de conscience que l'arasement sont tout aussi intenses et réels (enfin, je crois, mais la plupart des gens les partagent). Je sais qu'on est nés avec cette impression éventuelle de morale ancestrale etc... mais justement notre contexte bloque un peu sur la prise de conscience que c'est plastique, comme notion (choc des civilisations et des valeurs, des générations...) et donc on vit en pleine démonstration de "passage" d'un paradigme à l'autre. J'imagine qu'il doit en être de même à la plupart des époques, mais je peux me tromper.

Une forme d'organisation nait d'un contexte, dans celui de la coexistence d'individus, une éthique apparait (à la base sous forme de loi il me semble... surement une forme qui se pourrait améliorer aussi). Et en changeant de contexte, l'éthique évolue. Les individus qui la partagent interagissent avec cette éthique. Si dans le champ de l'arasement le concept d'individu commence à être un peu dévoyé, voire inexistant, il fait néanmoins partie de ta conscience en général, hors fascination. Donc quand l'individu comme perception disparait, que l'éthique fasse de même me semble tout à fait logique. Ce sont des réalités qui appartiennent à un plan précis (comme des points sur des plans en 3D, ils ne sont pas tous communs à tous les plans...).

Je ne parle même pas de ce que font les gouvernements en édictant une loi pour le peuple et en n'en tenant pas compte dans les batailles d'intérêts qu'ils se livrent, mais simplement d'un niveau de perception où en tant qu'être résumé au perceptif le concept d'éthique est un peu abstrait (jusqu'ici il me semble que de l'oeil du tigre à mon hébétude en passant par ta fascination, l'être qui perçoit est "diminué" de pas mal de ses plans d'existence... par exemple son rapport à l'action serait tout à fait différent, non?). Du coup, pour revenir à la "lutte" dont tu parlais au tout début, cet aspect me complexe un peu et je ne sais pas vraiment me l'expliquer. On le retrouve vaguement dans ton image du visage de l' Autre. ( Et tu fais bien de préciser l'expérience où "tout" devient visage ^^, j'aurais posé la question).

Je vais donner un exemple (puisqu'on parlait de conformisme et des limites ressenties); une éthique de la liberté qui me conviendrait plus (puisque je me plains régulièrement du formalisme, des systèmes rigides etc...) serait disons compris entre deux notions: 1 l'être doit pouvoir choisir le cadre qui lui semblera le plus à même de s'épanouir et atteindre ses potentiels et idées, 2 la liberté s'arrête là où commence celle des autres. Quitte à permettre une distance entre individus ou groupes qui ne se supportent pas. Surement complexe à réaliser, mais à concevoir ça me parait simpliste à souhait. Pour réaliser ça, il faut des alternatives à tout ce qui fait les éléments de l'existence. Le choix. Plus de choix, et sans tomber dans ce que le marketing a "fait" du choix, c'est à dire des objets commerciaux qui ne sont que des nuances de couleur pour un système unique. Le visage de l'autre me parait être considérable comme une occasion de découvrir, voyager (se découvrir, se voyager, s'expérimenter...) et le problème de la morale comme des formes fixes est de créer de la violence. Si on dépasse ça il devrait y avoir déjà moins de peur, de trouble à découvrir l'autre. La violence par exemple pour moi n'est pas dans la nature des êtres humains, mais une réaction naturelle, dans des systèmes de coexistence qui la facilitent, voire l'encouragent.



Les portraits... J'aime bien essayer d'en faire sinon je ne sais pas si c'est ce que je préfère regarder. J'aime bien les séries de photos ou de peintures de gens d'un quartier, voir l'éventail de gueules, esthétisé un brin (le choix du medium, l'exposition un peu pensée, pas forcément plus).

J'aime bien quand l'expression fait ressortir quelque chose du personnage (en général c'est le cas naturellement, mais un des travaux artistiques peut être de "cerner" cette chose... Et de choisir celles que 'on montre aussi, il y a surement un discours derrière ces choix).

Je peux aussi aimer le délire lucian freud par exemple, ramener les gens à leur matérialité organique... Enfin, le travail d'un "autre regard".

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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

Chacoucas a écrit :Point Blanc, tu sembles considérer la morale commune comme un bloc absolu, livré comme tel.
Non, surtout pas ! C'est pour ça que j'emploie l'expression "en l'état". Quand j'évoque la morale "commune", je ne parle pas d'une morale universelle, seulement de celle qui a cours dans la société où l'on s'inscrit, et qui est en partie circonscrite par les lois, en partie par un fonds culturel, ainsi que par une multitude d'autres facteurs, jusqu'à la relation individuelle que l'on entretient avec ce que l'on en perçoit.

Mais je le répète : à titre personnel, cette approche pragmatique ne me suffit pas. Je cherche autre chose, qui relèverait non d'une éducation au compromis nécessaire, mais d'une expérience plus fondamentale. J'ai conscience que c'est un détour potentiellement inutile - mais j'ai ce penchant à vouloir faire mien d'une manière ou d'une autre ce qui pourrait aussi bien fonctionner en appliquant superficiellement le mode d'emploi. Faute de quoi j'ai le sentiment de comprendre sans rien savoir du tout.
Chacoucas a écrit :Quitte à permettre une distance entre individus ou groupes qui ne se supportent pas.


Pas si facile que ça à imaginer :
1. Si tu sépares des groupes qui ne se supportent pas sans qu'ils aient au préalable intégré le droit des autres à être différents de leur côté, le risque est grand que la seule existence de valeurs antagonistes soit perçue comme une remise en cause : "Si A existe et que A ne partage pas mes valeurs, A discute par ce seul fait mon droit à être B". De là à l'affrontement ouvert ou à la sujétion d'un groupe à un autre, qui lui laisserait le droit d'exister en échange de sa soumission, il n'y a qu'un pas.
2. Si les groupes concernés ont parfaitement intégré que les autres ne constituent en rien une menace, alors la séparation devient inutile. Ces groupes peuvent coexister pacifiquement et les frontières entre eux devenir poreuses.
Chacoucas a écrit :Je peux aussi aimer le délire lucian freud par exemple, ramener les gens à leur matérialité organique... Enfin, le travail d'un "autre regard".
Oui, dans ses meilleurs moments, il y a un humanisme profond chez Lucian Freud, qui tient justement à cette tension vers la matière. Changer en grâce ce qui justement devrait y échapper, cette vie indépendante de la chair qui ne se laisse pas entièrement habiter, qui se refuse à n'être que l'habillage d'une idée de soi. Cette densité.
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par madeleine »

PointBlanc a écrit :
Mais je le répète : à titre personnel, cette approche pragmatique ne me suffit pas. Je cherche autre chose, qui relèverait non d'une éducation au compromis nécessaire, mais d'une expérience plus fondamentale. J'ai conscience que c'est un détour potentiellement inutile - mais j'ai ce penchant à vouloir faire mien d'une manière ou d'une autre ce qui pourrait aussi bien fonctionner en appliquant superficiellement le mode d'emploi. Faute de quoi j'ai le sentiment de comprendre sans rien savoir du tout.
Je ne comprends pas ce que tu cherches : une expérience plus fondamentales de la morale que l'éducation au compromis ? Quelle forme pourrait-elle prendre ?
Et je me questionne aussi (anecdotiquement) sur le lien que tu fais peut-être entre morale et esthétiques(s) ?
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Re: [Art] Blablas sur les esthétiques

Message par PointBlanc »

madeleine a écrit :Je ne comprends pas ce que tu cherches : une expérience plus fondamentales de la morale que l'éducation au compromis ?
Oui.
madeleine a écrit :Quelle forme pourrait-elle prendre ?
Peut-être celle d'une perception, d'une forme d'expérience esthétique, justement.
madeleine a écrit :Et je me questionne aussi (anecdotiquement) sur le lien que tu fais peut-être entre morale et esthétiques(s) ?
Si la morale n'est plus seulement une convention, un compromis, mais qu'elle vient de plus loin, alors il devient imaginable de mettre l'art au service de l'expression de cette expérience première, qui ne différerait guère d'une émotion esthétique. Comme peindre l'autre pour aller à sa rencontre, dire le lieu en étranger.
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