L'intersexualité, différences VS malformations, médecine et consentement

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kalimeris
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L'intersexualité, différences VS malformations, médecine et consentement

Message par kalimeris »

Je suis allée voir un documentaire sur l'intersexualité intitulé "Intersexion" suivi d'un débat à Utopia et, le sujet présentant de nombreux points d'intérêt, je me suis dit que cela mériterait un topic. Malheureusement, le film n'est pas médiatisé, et très peu projeté en salles. La bande-annonce est excellente (bien que sans sous-titres) :

[BBvideo 485,370]http://www.youtube.com/watch?v=RVmPJVPLP-U[/BBvideo]

Il y a déjà un topic sur le genre, et, s'il y a des points communs avec le débat sur le genre, l'intersexualité va plus loin et pourrait donc constituer un topic à part entière. La question de l'emplacement de ce sujet est problématique : Psychologie et Santé (genre), Sciences (médecine), Question de société et débats philosophiques (consentement en médecine, création d'un genre neutre). Je choisis de le mettre dans "débats philosophiques", mais c'est débattable !

La médecine considère les organes génitaux "ambigus" (ni entièrement féminins ou masculins) ou DSD (Disorder of Sex Development) comme une malformation qui se doit d'être rectifiée par la chirurgie et les traitements hormonaux dès que possible, peu de temps après la naissance en ce qui concerne la chirurgie. Les intersexués dénoncent la légitimité et la nécessité de ces actes chirurgicaux sans consentement qu'ils qualifient de mutilations génitales, des actes chirurgicaux dont l'unique but est de donner une apparence normale féminine ou masculine aux sexes ambigus. Ces actes chirurgicaux sont lourds de conséquences pour la santé physique et psychologique des intersexués. Les intersexués souffrent aussi du silence qu'entoure leur situation. Certains n'ont jamais reçu d'explications quant à leurs allées et venues à l’hôpital, ou alors des mensonges. Les parents parlent aussi d'informations traumatisantes, de pression à accepter la chirurgie, de honte et d'exclusion sociale face à leur enfant différent.

Voici des extraits d'articles qui abordent ce sujet :
Les personnes atteintes de DSD naissent avec des organes génitaux atypiques. Pour accéder à une sexualité "normale", il leur faut en général subir une ou plusieurs opérations. Aux Etats-Unis, des associations de défense des droits des intersexués militent pour que ces interventions ne soient pas pratiquées à la naissance, mais à un âge où le patient peut décider lui-même de son sexe d'assignation. La plupart des médecins estiment quant à eux qu'une intervention rapide après la naissance reste préférable, pour que l'enfant puisse grandir en se situant comme garçon ou comme fille.
Source
« Dès les années 1940, les traitements précoces tels que la réduction clitoridienne ou la vaginoplastie ont commencé à se systématiser, rappelle Cynthia Kraus, philosophe à l’université de Lausanne, en Suisse. Certains cliniciens continuent de justifier ces traitements irréversibles pour assurer le prétendu bon développement psychologique et sexuel de l’enfant. En réalité, ils privilégient l’apparence des organes génitaux au détriment de l’intégrité corporelle et du droit à l’autodétermination, alors même qu’on ne sait pas comment la morphologie de l’enfant va évoluer ni à quel sexe il va s’identifier. »
En mai 2015, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, a présenté un rapport sur le sujet dans lequel il évoque ces « conséquences tout au long de la vie, incluant : la stérilisation, des lésions graves, des infections de l’appareil urinaire, une réduction ou la perte complète des sensations sexuelles, la suppression des hormones naturelles, la dépendance aux médicaments et un sentiment profond de la violation de leur personne ».
D’après Vincent Guillot, seules deux procédures au pénal contre des médecins seraient en cours en France. « Le combat des intersexes est récent, rappelle Joëlle Wiels, généticienne au CNRS et coauteurs de Mon corps a-t-il un sexe ? (Editions La Découverte, 2015). L’intersexuation a longtemps été taboue, considérée comme une maladie. »
Source
A l'origine de la pratique des assignations sexuelles, se trouveraient les travaux de John Money sur l'identité de genre et l'identité sexuelle. John Money était un psychologue et sexologue néo-zélandais (1921-2006). En 1966, persuadé que l'identité sexuelle n'est qu'une construction sociale, un acquis, il conseille aux parents d'un enfant ayant perdu son pénis suite à une circoncision ratée, de transformer leur garçon en fille et de l'élever ainsi. Malgré l'échec de cette réassignation, John Money persista jusqu'à sa mort d'en parler comme d'un succès en public, et écrivit de nombreux articles et un livre en ce sens. Il faudra attendre la fin des années 90 pour que la supercherie soit dénoncée par un journaliste et un psychiatre.

Depuis le début des années 2000, la voix des intersexués se fait de plus en plus forte et quelques décisions sont prises : la ville de San Francisco ainsi que la Suisse interdisent désormais les opérations d'assignation sexuelle sur les nouveaux-nés. Au niveau administratif, un genre "neutre" apparaît en Australie, en Allemagne, et, en 2015, un jugement du Tribunal de grande instance de Tours permet à une personne intersexuée d'obtenir que la mention "sexe neutre" soit indiquée sur son état civil. Pour les intersexués, il s'agit du premier pas vers la remise en question des opérations chirurgicales d'assignations sexuelles dès la naissance.

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Armie
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Re: L'intersexualité, différences VS malformations, médecine et consentement

Message par Armie »

Je découvre ce topic quelques heures après avoir lu, dans un roman de Martin Winkler (Le Chœur des femmes), les lignes suivantes:
"[...], je venais d'être appelée par une copine interne en pédiatrie, qui voulait un avis chirurgical au sujet de deux nouveaux-nés. Le premier, un garçon, était né avec un micro-pénis, le second, une fille, n'avait pas de vagin. Leurs parents étaient bouleversés et très inquiets, certains leur avaient déjà parlé de chirurgie réparatrice, et la naissance quasi simultanée des deux enfants avait tendance à faire monter la mayonnaise.
L'interne m'avait appelé car - en grande partie grâce au soutien de Mathilde - ma réputation avait grandi au CHU et j'étais la seule qui, apparemment, n'avait pas peur d'aborder le sujet ouvertement avec les parents, sans me cacher derrière des réunions de staff ou de pseudo-comité d'éthique. Après avoir discuté avec l'interne, je venais de dire aux parents, à qui j'avais proposé de leur parler ensemble, car ils se connaissaient et en parlaient sans arrêt:
- La plupart des chirurgiens vont diront d'opérer. Les chirurgiens sont faits pour ça, et d'abord pour ça. Est-ce que c'est l'intérêt de votre enfant? Je ne crois pas. D'abord parce que pour l'heure, le pénis de votre garçon n'a pas besoin de faire vingt centimètres de long, il lui sert essentiellement à uriner, sa sensibilité me semble parfaitement normale (il avait des érections au moindre contact, comme tout garçon nouveau-né). Sa croissance n'est pas terminée, et de loin, et la taille définitive de son pénis, il la connaîtra à l'âge adulte. Beaucoup d'hommes qui ont un pénis de petite taille ont une sexualité satisfaisante et peuvent avoir des enfants. Mais s'il désire se faire opérer, il pourra le faire. Quant à votre petite fille, l'écho montre qu'elle a un utérus, et qu'elle aura donc des règles, mais pas avant la puberté, c'est-à-dire - même si elle est très précoce - probablement pas avant l'âge de huit ou neuf ans. D'ici là, les techniques de chirurgie plastiques auront évolué. Aujourd'hui, pour l'un comme pour l'autre, un geste chirurgical serait purement cosmétique, et pourrait avoir des conséquences dramatiques pour eux, en termes de perte de sensibilité, de cicatrisation problématique, et j'en passe. Il vous faut du temps pour digérer ce qui vous arrive. Il va vous en falloir aussi pour en apprendre plus sur les variantes anatomiques des organes sexuels comme celles que présentent vos enfants. Prenez votre temps, rien ne presse, regardez-les grandir et entourez-les. C'est cela le plus urgent. Pas la chirurgie.
J'avais dit tout ça simplement, sans avoir besoin de réfléchir beaucoup, car c'était la seule réponse qui me paraissait sensée. (Je n'avais pas ajouté, mais je le pensais très fort, qu'il y avait chez beaucoup de chirurgiens un désir de se prendre pour Dieu, et cela, encore plus chez les chirurgiens plasticiens que chez les autres. Je me rappelais parfaitement avoir entendu à la radio le coordinateur d'une des premières greffes de bras dire qu'il "pourrait même greffer une paire de couilles": ce commentaire m'avait mise en fureur et convaincue, s'il en était besoin, que ce genre de type devait être si possible écarté de la profession.) Les parents m'avaient écoutée et s'étaient, je crois, sentis d'autant plus rassurés que j'étais une femme. Ils avaient peut-être le sentiment que ça me conférait une plus grande sensibilité sur le sujet. Bien sûr, cela n'avait pas grand chose à voir avec mon sexe chromosomique, mais je ne les avais pas détrompés. Cependant, ça m'avait fait réfléchir sur l'influence et le pouvoir démesurés que je pouvais, en tant que chirurgien, exercer auprès de parents désemparés - en les poussant à accepter une intervention en urgence ou, au contraire, en les rassurant, en leur assurant qu'ils pouvaient attendre."

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kalimeris
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Re: L'intersexualité, différences VS malformations, médecine et consentement

Message par kalimeris »

Merci pour cet extrait, je note ce titre sur ma liste des livres à lire !
Ce récit est vraiment très touchant. Il ressemble au discours idéal qu'un chirurgien devrait tenir en pareille occasion. Curieusement, ce n'est pas la première fois que j'entends/lis ce qu'évoque le personnage, sur les chirurgiens jouant à Dieu, au cours de plusieurs documentaires sur le sujet.

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